mercredi, septembre 28, 2005

Le Prince rouge prêche sa bonne parole à Montréal

Lahsen Oulhadj
"Oui, le monde arabe est dans une crise très grave. Il faut donc trouver le chemin le plus approprié pour une transition démocratique avec moins de dégâts ", tel est le leitmotiv de la conférence ayant pour thème, " crises et pistes de réformes dans le monde arabe ", animée dans une salle archi-comble de l’Université de Québec à Montréal (UQAM), par le Prince Moulay Hicham, invité ce soir par l’institut d’études politiques international de Montréal en collaboration avec l’association Espoir-Maroc et le Conseil des relations internationales de Montréal.
Dans un débit extrêmement rapide et dans un français pour le moins châtié, le Prince a fait l'état des lieux des possibilités de réforme dans le monde arabe. Selon lui, il y en a trois: la première est représentée par la mouvance Islamiste; la deuxième est celle des mouvements démocratiques locaux et la dernière est celle de l'intervention étrangère. C'est cette dernière possibilité qui a d'ailleurs fait l'objet d'une analyse très apprfondie et très tatillonne de la part du conférencier.
Il a ensuite décortiqué, avec brio, l’idéologie des néo-conservateurs américains et ses théoriciens les plus en vue (Pearl, Wolfowitz…) qui ne voient qu’une menace dans le monde arabe. Il faut donc y intervenir directement pour changer les choses de fond en comble d’où par exemple la guerre en Irak.

Ce que le conférencier considère comme une véritable catastrophe, car selon sa propre expression " au lieu de la démocratie tant attendue, nous avons eu une société en ruine et presque en guerre civile ". Or, les dirigeants américains sont loin de voir les choses sous le même angle. Car ils continuent de répéter que leur intervention a été bénéfique à tous les points de vue. La preuve, pensent-ils, des élections libres ont eu lieu pour la première fois dans ce pays.

Il a tenu à dénoncer ce qu’il a appelé l’attitude sélective de l’Occident envers le monde arabe et islamique. " D’un côté, dit- il, on soutient ouvertement les Islamistes dans certaines régions du monde; et de l’autre, on soutient les régimes pour les réprimer comme c'est le cas, respectivement, en Arabie Saoudite et en Algérie". Il s’est aussi inquiété de la montée du fondamentalisme chrétien aux États-Unis qui va de pair avec une désécularisation qui n’augure rien de bon. D’ailleurs, le parti républicain devient de plus en plus théocratique.

Quant aux Islamsites, le prince s’est prononcé clairement pour leur intégration dans le jeu politique. L’expérience turque est très intéressante à observer. Voilà un parti islamiste qui est aux commandes d’un pays laïc sans trop d’accroc avec les militaires, les gardiens du temple de Kamal Ataturk. L’expérience du Parti de la justice et du développement marocain est aussi très intéressante dans la mesure où il a fait beaucoup de concessions idéologiques pour prétendre à être un acteur politique légal.

S’il doit y avoir un changement, il faut que cela vienne de l’intérieur. Sinon, dans le cas de toute intervention étrangère, on aboutit à des scénarios à l’irakienne. Ce à quoi le prince s’oppose avec beaucoup de conviction et d’énergie. " Car une occupation est toujours inacceptable ", déclare-t-il.

Le débat, qui s’est ensuivi, a été très intéressant à tous les niveaux. Beaucoup a été dit sur le Maroc et sa transition démocratique. Une idée principale en sort, à savoir que la monarchie est inéluctable dans ce processus déterminant.Vouloir en faire abstraction serait à tous les coups un chaos indescriptible. Pour la simple raison qu'il n'y a aucune alternative crédible à cette même monarchie.
Cependant, pour que le Maroc s'en sorte, économiquement parlant, il faut impérativement, selon Moulay Hicham, réhabiliter le politique, car les gouvernements technocratiques ont montré leurs limites à trouver une quelconque solution aux problèmes du pays.

Le seul reproche qu’on peut faire à certaines personnes du public, c’est qu’à la fin, elles se sont agglutinées autour du Prince, qui pour faire une photo souvenir, qui pour lui faire un bisou, qui pour l’embrasser sur l’épaule… Décidément, certains marocains ne changeraient jamais. Il faut dire que soixante ans de culte de personnalité laisse forcément des traces.

lundi, septembre 26, 2005

Al-Jazira: dure condamnation de Tayssir Allouni

Lahsen Oulhadj

La chaîne Al-Jazira a tout naturellement réagi négativement à la condamnation à 7 ans, en Espagne, de son journaliste vedette Tayssir Allouni. Une condamnation que son porte-parole a qualifiée d’ " inique et d’une première dangereuse dans le monde du journalisme. "

Il a réitéré, à cette occasion et au nom d’Al-Jazira, son soutien indéfectible à Tayssir Allouni et assure qu’il n’aura de cesse de défendre sa " rigueur et son courage journalistique. "

L’envoyée spéciale à Madrid de la chaîne qatarie a souligné que le jugement était connu bien avant par la presse espagnole qu’elle a égratigné au passage en affirmant qu’elle a joué un rôle très négatif dans cette affaire.

Quant au chef de la rédaction d’Al Jazira, Ahmed Al-Cheikh, présent lui aussi à Madrid, il a tenu à exprimer sa profonde tristesse vis-à-vis d’un jugement qui n’a, selon lui, aucune base légale et qu’il a qualifié d’un " moment sombre dans l’histoire de l’humanité ".

L’avocat de la défense Saâd Jabbar a abondé dans le même sens en parlant d’une " première catastrophique dans l’histoire de la justice dans la mesure où elle a fondé sa lourde condamnation sur les rapports des services de sécurité qui devaient normalement ne pas être pris en compte, car non vérifiables ". Il a considéré ce jugement comme un retour en arrière en rappelant que " c’est exactement ce que faisait les régimes soviétiques. "

Il a conclu en déclarant que " c’est une véritable catastrophe pour le travail journalistique et pour Al-
Jazira ."
Reste qu'Al-Jazira ne va pas rester les bras croisés. Il va certainement faire appel.

- Selon le site Internet d'Al-Jazira -

dimanche, septembre 25, 2005

Montréal: une ville au mille et un festivals

Lahsen Oulhadj
Vous êtes quelque part dans le monde, vous vous ennuyez à mort et vous désirez ardemment tout quitter pour un ailleurs plus intéressant ! Vous êtes très porté sur tout ce qui a trait à la culture ! Ne cherchez plus, et pour cause. Je vous ai trouvé le lieu idéal ! Ah, oui, et c’est en Amérique du Nord et plus exactement à Montréal ! Je vois que vous faites déjà une de ces têtes ! Car, à tous les coups, vous associez trop cette ville au terrible froid canadien.

Détrompez-vous ! C’est cité se rattrape est de quelle manière ! Elle vous offre tout au long de l’année énormément de manifestations culturelles et sportives. On en compte plus d’un millier !

L’hiver, qui ne devient plus qu’un détail, est vite relégué aux oubliettes. Car noyé dans un magma culturel chaud, très chaud. À vous, la vie intense de cette métropole cosmopolite du Québec !

Le point d’orgue de toutes ses activités est certainement les deux mois de Juin et de Juillet. Vous ne pouvez qu’être gâté pendant cette période. D’ailleurs, je vous suggère vivement de venir à cette époque de l’année, car les festivals s’y suivent sans forcément se ressembler. Mais, si vous voulez affronter l’hiver, pas de problème ! Vous serez aussi très bien servi.

Jetez un coup sur cette liste de festivals qui est loin d’être exhaustive :

vendredi, septembre 23, 2005

Il ne fait pas bon d'être noir !

Lahsen Oulhadj
Au Maroc, qui est au demeurant un pays africain, un journal régional a qualifié de crickets noirs les clandestins sub-sahariens qui transitent dans le pays pour pouvoir mettre, au péril de leur vie, les pieds -s’ils y arrivent- dans l’autre côté de la Méditerranée, à savoir l ’Europe. Mais là, c’est encore gentil. Parce qu’il n’y a pas mort d’homme.

Mais là où ça fait vraiment mal, c’est de voir tous ces Africains " cramés " en plein milieu de Paris, car, nous dit-on, ils habitaient tous des habitations insalubres. Est-ce que ces pauvres gens n’auraient pas préféré mieux ? Certainement ! Mais est-ce qu’ils en ont les moyens dans l’une des villes les plus chères au monde ? Certainement pas !

Supposons qu’ils en ont, est-ce qu’ils trouveraient ? Ce n’est pas moins sûr. Car, et c’est tout simplement regrettable pour la ville-lumière, le racisme est bel et bien une réalité très ancrée dans la culture française. Si vous avez un nom à consonance étrangère - plus précisément africaine ou musulmane-, il ne faut même pas rêver d’avoir un logement décent. Vous n’avez nullement intérêt à être noir et en même temps pauvre. Car là vous fermez toutes les portes de sorties et même de secours.

Autre lieu, autre contient. Aux États-Unis plus précisément. C’est exactement le même scénario de souffrance qui se répète. Là aussi, des masses majoritairement noires laissées sans aucune assistance, paradoxalement dans le pays le plus puissant au monde, après le passage du terrible ouragan, affabulé bizarrement d’un doux prénom féminin, Katrina. Mais bon sang, pour quelles raisons étaient-ils restées alors qu’ils avaient été prévenus, se demanderait n’importe quel crédule. Parcequ’ils n’ont pas où aller, parce qu’ils sont très pauvres . Pas d’argent, pas de voitures ; donc impossible d’aller ailleurs.

Il faut savoir qu’aux États- Unis, les plus mal lotis sont les noirs. Ils vivotent majoritairement en bas de l’échelle sociale. Une situation terrible que les politiques anti-sociales des conservateurs au pouvoir n’ont fait qu’empirer.
C’est ainsi, les Noirs vivent partout des situations très difficiles, que ce soit chez eux en Afrique et même en Occident. Quelque chose doit être fait pour ce peuple qui n’a que trop souffert –l ’esclavage, le colonialisme, la dictature- et qui continue malheureusement à souffrir.

vendredi, septembre 16, 2005

Sur la télévision de Pierre Bourdieu

Lahsen Oulhadj

Compte rendu de Sur la télévision de Pierre Bourdieu.

Par ce livre, exceptionnellement de petit format et d’un accès facile, Pierre Bourdieu a essayé de révéler, non seulement à son auditoire restreint du collège de France, mais aussi à un public plus large, les mécanismes cachés qui régissent le monde de la télévision.

Il a beaucoup dénoncé la censure invisible pratiquée par la télévision. Il faut dire qu’elle est pourvue, comme l’a démontré l’auteur, d’un système de censure très sophistiqué inhérent à sa nature, aux pressions économiques et politiques dont elle fait systématiquement l’objet. À la télévision, on ne montre pas tout, sauf si cela va intéresser le plus grand nombre. La logique de l’audimat est très déterminante.

P. Bourdieu a aussi décoché quelques flèches aux intellectuels, ou se pensant comme tels, férus de passages successifs à la télévision. De toute évidence, pour eux, le but ultime c’est de " voir et d'être vus ". Quant à leur pensée, elle est " jetable " parce que produite dans l’urgence. Et leurs débats sont loin d’être vrais…

Si Bourdieu est par moment très acerbe, c’est qu’il est contre le mélange des genres. Selon lui, le risque, à terme, est que le champ scientifique perde son autonomie sous les coups de boutoir de la logique commerciale qui sévit dans l’espace médiatique. Son cauchemar, c’est de voir un jour un sociologue parler au nom de la sociologie.

Cependant, les reproches qu’on peut faire à P. Bourdieu ne sont pas très nombreux. Tout d’abord, le manque d’exemples concrets pour étayer ses quelques affirmations abstraites. Ensuite, le refus d’évoquer, fût-ce en quelques mots, les avantages de la télévision. Enfin, le côté pamphlétaire de son ouvrage qui risque de rebuter surtout ceux qui sont habitués à sa légendaire rigueur scientifique. Par conséquent, le lecteur peut facilement avoir l’impression, en lisant cet opuscule, que c’est plus un règlement de compte qu'autre chose. D'ailleurs, tout le monde sait que les rapports entre P. Bourdieu et les médias étaient très conflictuels.

lundi, septembre 12, 2005

Chirac le démocrate

Lahsen Oulhadj
Lors des préparations des Anglo-américaines de la guerre en Irak, Chirac, par sa position courageuse, a eu de par le monde engrangé un capital de sympathie considérable. Mais avec le temps, ce capital tend à s’étioler. Car Chirac n’a que mépris pour la démocratie surtout si les intérêts de son pays sont en jeu. Il l’a montré à plusieurs reprises.

Lors du dernier déplacement du nouveau président chinois en France, Hu Jintao, Chirac lui a offert tous les fastes de la république. Ce qui est tout à fait normal, vu que la Chine est un grand pays. Mais ce qui ne l’est pas, c’est tout le discours qui a accompagné cette visite officielle. J’ai trouvé très choquant l’extrême timidité avec laquelle le président français a évoqué la question des libertés dans ce pays. Sa vague allusion aux droits de l’homme assortie "de l’assurance que le régime chinois va dans leur affermissement " n ‘est absolument pas digne d’un président d’un grand pays démocratique, la France. On aurait aimé que Chirac mette le doigt sur quelques sujets brûlants : l’inexistence de la liberté d’expression, l’impossibilité de créer des associations ou des partis politiques, la peine de mort encore largement pratiquée, le Tibet qui a été simplement annexé, etc. Autrement dit, la Chine est une dictature léniniste dirigée par un parti-État, qui a obtenu de très bons résultats économiques certes, mais dont les pratiques sont arbitraires voire totalitaires.

En outre, Chirac a surpris tout le monde par des propos très virulents tenus contre Taiwan, qui compte organiser, le 20 mars prochain, une consultation référendaire de ces citoyens sur l’attitude à adopter face à la menace chinoise sur l’île. De fait, Chirac, par ses déclarations condamnant les initiatives d’une petite démocratie, donne le feu vert à une puissance brutale et surarmée de décider contre elle des représailles au moment où elle le voulait.

Bien pire, la France lève en même moment l’embargo sur la vente d’armes à la Chine décidée par la communauté européenne depuis le massacre de Tien An Men en 1988. Surtout que l’on sait tous que la Chine ne fait pas mystère de ses intentions : elle va utiliser à coup sûr les Mirages français qu’elle compte se procurer pour une éventuelle agression de Taiwan. Car, elle a toujours évité de renoncer publiquement d’utiliser la force contre la petite île. Pourquoi le président français n’a pas au moins exigé que la vente des armes françaises soit subordonnée à un engagement dans ce sens ? Là aussi, les intérêts purement économiques expliquent tout.

Déjà lors de sa visite en Tunisie en décembre 2003, Chirac n’a pas hésité à prendre fait est cause pour le régime très répressif du président Ben Ali. Il a avait fait une déclaration mémorable sans aucun respect aux militants tunisiens des droits de l’homme en grève de la faim : "le premier droit de l'homme, c'est de manger, d'être soigné, de recevoir une éducation, d'avoir un habitat " en ajoutant que "la Tunisie est très en avance sur beaucoup, beaucoup de pays. "
Une façon de soutenir le régime en place, et, de dire que les Tunisiens, et au-delà tous les Nord Africains, peuvent s’estimer heureux si déjà ils ont quelque chose à se mettre sous la dent. La démocratie en quelque sorte est un luxe que seul les Occidentaux peuvent se permettre. Drôle conception de la démocratie ! Ce qui a choqué tous les démocrates d’Afrique du Nord. Mais c’est mal connaître Chirac qui a dit en 1990 que "le multipartisme est un luxe que les pays en développement n’ont pas les moyens de s’offrir. "

En juin 2003, et dans un pays qui n’a pas brillé non plus par ses acquis démocratiques, la Russie, Chirac alors qu’il inaugurait avec le président Poutine, une académie polaire à Saint-Pétersburg, a eu cette déclaration : " cette initiative met la Russie au rang des démocraties pour le respect dû au peuple premier, pour le dialogue des cultures et tout simplement pour le respect pour l’autre ". Les massacres perpétrés par le régime Poutine en Tchétchénie sont allègrement passés sous silence. Là aussi, la France a signé un accord de "partenariat stratégique " avec la Russie . Autrement dit, les intérêts passent avant tout autre chose.

Il est regrettable de constater que les principes démocratiques qui ont présidé à la fondation de la France, sont sacrifiés sur l’autel des intérêts purement économiques. Mais ce n’est pas nouveau, loin s’en faut. Un certain De Gaulle, dont Chirac se dit un digne successeur, avait affirmé un jour que : " la France n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts ". Voilà pour ceux qui se font encore des illusions sur la droite française.

dimanche, septembre 11, 2005

Apprenons le tifinagh sur tifawin.com !

Lahsen Oulhadj
Féru de la culture amazighe depuis son plus jeune âge, Azedine L., ingénieur de formation, n’a pas hésité à mettre ses connaissances au profit du tifinagh. Il a crée à cet effet www.tifawin.com, un site avant-gardiste destiné à l’apprentissage simple et ludique de cet alphabet ancestral dont la symbolique n’est plus un secret pour personne. Il a bien voulu se soumettre à notre jeu de questions-réponses.

Question : pourquoi le site tifawin ?
Réponse : Tout simplement pour remplir un vide. L'idée était : comment donner accès à l'apprentissage de l’alphabet tifinagh à un maximum de gens, d'une manière interactive et par Internet ?

Q : Décrivez-nous un peu votre site Internet ?
R : L’outil est divisé en plusieurs sections : présentation, mémorisation et applicationLa présentation donne un aperçu des tifinaghs classés par voyelles puis par groupe de lettres ayant une ressemblance graphique ou sonore. Chaques lettre est accompagnée du son correspondant. La mémorisation consiste dans des exercices de reconnaissance de lettres générées aléatoirement. Un score permet de s’auto-évaluer. L’application consiste en un clavier tifinagh virtuel et des exemples basés sur des proverbes, en plus d’un moteur de recherche de vocabulaire amazigh en tifinagh.

Q : C’est vrai que c’est un outil on ne peut plus complet, mais en termes de fréquentation, qu’en est-il ?
R : Et bien, le bilan n’est pas mauvais, le site est en ligne depuis un mois et a déjà reçu plus de 2000 visiteurs. La majorité provient de France, le Maroc arrive en 2ème position.

Q : Au-delà du côté symbolique très fort du tifinagh, pensez-vous vraiment que cet alphabet est l’idéal pour la langue amazighe, eu égard à son retard et à la situation même des Amazighs ?
R : Il est clair que la solution de facilité aurait été d’adopter l’alphabet latin comme d’autres peuples (vietnamiens, albanais, …). Les expériences d’autres pays montrent bien que ce ne soit pas l’alphabet qui soit important, mais le fait qu’il soit soutenu par une politique d’État et c’est là justement le talon d’Achille du tifinagh. Reste que je le considère comme un " catalyseur identitaire ", c’est-à-dire qu’il induit une réaction d’identification culturelle que l’alphabet latin n’aurait pas pu engendrer. L’autre avantage du tifinagh est qu’il pourrait marquer de façon très claire la présence du tamazight dans l’espace public. Nombre d’enseignes d’hôtels et autres établissements commerciaux portent déjà des noms amazighs, mais ne sont pas ressentis comme tels. Car ils sont écrits en lettres latines ou arabes. La lettre tifinaghe devient militante et porte-parole du tamazight par sa seule présence. Le problème est que cette langue doit faire face à un État on ne peut plus hostile et que les symboles ne seront peut-être pas suffisants. Il faut donc assurer les arrières. Rien n’empêche d’utiliser le tifinagh et l’alphabet latin en même temps. C’est d’ailleurs ce qui se passe. Pour faire bref, je dirais que le tifinagh sert à fertiliser un champ qu’il faudra peut-être semer avec le latin.

Q : Vous avez touché au point sensible, à savoir l ‘État, qui malgré ses beaux discours et malgré l'IRCAM, continue toujours à exclure et même dans certains cas à combattre la langue amazighe. D’après vous, que doivent faire les Amazighs par rapport à une telle situation?
R : D’abord, ils ne doivent pas perdre courage, leur lutte est légitime et juste. Elle ne peut finir que par gagner. Les militants doivent continuer à sensibiliser la société civile qui reste bien souvent ignorante du problème. Une bonne communication est plus efficace que dix manifestations. Ensuite, il ne faut pas jouer le jeu du Makhzen qui divise pour régner, il y a beaucoup d’énergie qui se perd dans une critique continuelle de l'IRCAM. Cet institut a un rôle de production et de recherche, même si, hors de ses murs, son action reste très limitée. Il n’est pas exempt de critiques, mais il faut prendre du recul et se demander de quelle façon l’on pourrait créer des synergies pour avancer. Il y a toujours possibilité de trouver un élément positif et l’exploiter. Le site TIFAWIN a été créé dans cette optique et le nombre de possibilités d’actions n’est pas négligeable.

Q : L'IRCAM, comme vous le savez, a un site Internet. Mais il est surprenant de remarquer que le tifinagh n’y est absolument pas présent. Par quoi expliquez-vous une telle situation? D’après vous, c’est technique ?
R : Et bien, je viens de lire une interview d'un membre du département informatique de l'IRCAM qui a annoncé une version tifinagh et une autre arabe pour le mois de juin.

Q : Tant mieux alors ! Sinon, qu’est-ce que vous pensez du CD d’apprentissage de langue amazighe produit par la société eclisse.com ? Est-il bien fait ou non ?
R : Il a le mérite d'exister, mais il faut être franc, c'est un travail bâclé. Le tifinagh y est écrit n'importe comment et la qualité technique n'est pas à la hauteur du prix auquel il est vendu. Des versions ultérieures ont été annoncées, espérons que le tir sera rectifié. Encourageons quand même ses concepteurs, car cela reste une belle initiative !

Q : Les Amazighs sont on ne peut plus présents sur Internet. Mais, malheureusement, on ne peut que constater leur absence insupportable dans d’autres médias. D'après vous, comment les Amazighs peuvent-ils marquer leur présence à la radio et à la télévision que ce soit au Maroc ou à l'étranger ?
R : Comme toujours, le nerf de la guerre est l'argent. Je pense que la prochaine libéralisation du secteur audiovisuel pourrait peut-être débloquer la situation. Les chaînes arabistes dites nationales sont à oublier. Il faudra alors convaincre les investisseurs que le tamazight peut leur faire gagner beaucoup de parts de marché. En fait, ce qui les convaincra enfin de compte, ce sera la possibilité d'attirer des annonceurs intéressés par le public amazigh. On voit que c'est un système global, tant que le tamazight n'aura pas intégré une partie du circuit économique, on risquera de tourner en rond.

Q : Est-ce que vous avez d’autres projets en perspective en plus de tifawin.com ?
R : J’ai beaucoup de projets, mais ils ont tous présentables dans le cadre du site TIFAWIN, du moins aussi
longtemps que l'Ircam réservera sa production à ses seuls membres...

Q : merci beaucoup!
R : je vous en prie!

vendredi, septembre 09, 2005

Al-Jazira: entre arabisme et islamisme

Lahsen Oulhadj
La chaîne de télévision Al-Jazira (l’île, la péninsule en arabe) apparaît d’emblée comme un média d’exception à cause de sa liberté de ton, fait inhabituel au Moyen-Orient où dominent encore des régimes théocratiques rétrogrades. Quelques mois après sa création en 1996, par la seule volonté de l’émir du Qatar, Hamad Ben Khalifa Al-Thani, elle est devenue un média international incontournable. Elle a été révolutionnaire dans la mesure où elle a changé radicalement le flux de l’information. Pour la première fois dans l’histoire, ce n’est plus l’Occident qui en est la source et le diffuseur, mais c’est le tiers-monde.

Tout ou presque a été dit, avec souvent un enthousiasme compréhensible, sur le succès extraordinaire de cette CNN arabe. Mais rares sont les écrits qui ont évoqué, avec un regard distancié, les courants idéologiques qui influencent, qui se disputent et, parfois même, déterminent sa ligne éditoriale et sa politique rédactionnelle.

Le nationalisme arabe, le panarabisme, le baâthisme…

Tous ces concepts disent une seule et même réalité. Celle d’un courant idéologique qui a fait de l’ethnie, de la langue et de la culture arabes son fer de lance. Son influence dans les pays dits arabes est majeure. Que ce soit au niveau de l’école, des médias, de l’intelligentsia

Al-Jazira n’a pas échappé à son emprise. Il s’y exprime par l’usage de l’arabe littéraire, une langue en principe unificatrice. Mais le hic, c’est que peu d’Arabes la maîtrisent. Car elle n’a aucune assise sociologique. Pour en comprendre toutes les subtilités, il faut donc aller à l’école.
De fait, elle est comparable au latin, qui, d’une langue liturgique, devient au fur et à mesure, grâce à un soutien pour le moins massif de la part des États, celle de l’école et des médias. Même s’il y a, ces derniers temps, une tendance progressive à employer, surtout lors des débats télévisés, le dialecte égyptien qui devient par voie de conséquence la lingua franca des Arabes.

Dans ces conditions, l’arabe littéraire employé par Al-Jazira peut être considéré, à certains égards, comme une barrière linguistique pour les masses arabes en majorité analphabètes. Selon les estimations les plus sérieuses, il n’y aurait que 30 millions d’Arabes qui suivent quotidiennement les affaires du monde au travers d’Al-Jazira. Ce qui est une petite minorité au regard de leur nombre qui dépasse les 200 millions d’âmes.

Il reste que les images et leur pouvoir d’évocation ont facilement permis à Al-Jazira de faire passer son message. Le plus simplement du monde. Il n’est pas rare de voir des musulmans non-arabes regarder systématiquement cette chaîne, même s’ils n’y comprennent pas le discours.

Consciente de cette réalité, et pour toucher un maximum de téléspectateurs en inscrivant les événements du monde dans une perspectives arabe, Al-Jazira commence sérieusement à penser à lancer une autre chaîne. En anglais cette fois-ci. Aux dernières nouvelles, elle va être lancée incessamment. Son site Internet fonctionne depuis plusieurs mois déjà.

Pour marquer davantage son panarabisme, et certainement pour susciter l’adhésion du maximum des téléspectateurs arabes, Al-Jazira a tenu à varier l’origine nationale de son personnel. Ses journalistes, qui étaient déjà des figures familières pour leurs concitoyens, car ils ont derrière eux plusieurs années d’expériences dans leurs chaînes nationales respectives, viennent d’une quinzaine d’États arabes. Presque chaque pays arabe dispose d’un journaliste-ambassadeur dans l’entreprise médiatique d’Al-Jazira, pourrait-on dire. Cependant, la part de lion revient aux pays les plus importants, la Syrie, le Liban, l’Egypte, l’Irak…

La priorité donnée aux questions arabes est aussi un fait saillant de l’arabisme d’Al-Jazira. Si leur traitement n’est pas toujours original, Al-Jazira ne s’embarrasse pas, de temps en temps, de briser les tabous que les médias nationaux n’oseraient même pas évoquer, et a fortiori traiter : la situation de la femme, les crimes d’honneur, la question des droits de l’homme, les opposants des régimes arabes... Avec une remarque, plus le pays est loin de la péninsule arabique, plus Al-Jazira prend énormément de libertés à traiter des sujets le concernant. Il ne ménage jamais à titre d’exemple, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie...

Un simple coup d’œil sur le site Internet d’Al-Jazira suffit à mesurer l’influence de l’idéologie du nationalisme arabe sur les contenus de la chaîne. En témoigne la terminologie employée pour désigner les aires géographiques de sa diffusion. L ‘Afrique du Nord et le Moyen-Orient sont appelés "al-watan al-âarabi ", la patrie arabe, qui est, comme beaucoup de gens le savent, une construction plus théorique que réelle. Néanmoins, dans la dernière version du site, on n’a plus gardé cette dénomination ; on lui a substitué un adjectif on ne peut plus significatif, " âarabi " (arabe).

Il est à rappeler que cette nation arabe, perçue à tort comme un bloc monolithique, est loin d’être aussi homogène. Dans pratiquement tous les pays dits arabes, il y a de fortes minorités ou parfois même des majorités non arabes. Le cas du Maroc est éloquent à cet égard. Voilà un pays majoritairement berbère, mais qui fait partie de ce monde arabe. Pire, des pays africains, qui ne sont pas du tout arabes, se voient qualifiés arbitrairement d’arabes : la Somalie, le Djibouti…

Qui dit arabisme, dit aussi les gouvernements qui l’ont adopté comme idéologie d’État. Pratiquement, tous les pays arabes sont concernés peu ou prou. L’Irak de Saddam, qui a appliqué une forme d’arabisme poussé à l’extrême, a des sympathisants de taille au sein d’Al-Jazira. Mohamed Jasim Al-Ali, l ’ex-directeur de la chaîne, a été poussé à la porte à cause de ses liens pour le moins douteux avec l’ex-dictateur irakien Saddam. Selon le journal panarabe Al-Sharq Al-Awsat, celui-ci l’aurait corrompu des années durant afin qu’il lui réserve un traitement de faveur.

Dans une rencontre avec la presse à Doha, Mohamed Jasim Al-Ali ne s’en est même pas caché. " Aucun média, affirma-t-il, ne peut subsister sans un soutien financier. Sinon, il ne peut tout simplement pas exister. Mais la question, est-ce que cette aide influe sur la ligne éditoriale de la chaîne ? ". Il n’a pas bien évidemment répondu. Pour cela, il suffit juste de regarder Al-Jazira pour en avoir une.

La chaîne arabophone américaine, Al-Hurra, a diffusé avec un malin plaisir il y a quelques mois, un documentaire montrant, des images à l’appui, que les rapports entre l’ex-directeur de la chaîne qatarie et le fils de Saddam, Oday, étaient plus qu’amicales. De là, on peut facilement expliquer l’attitude négative d’Al-Jazira vis-à-vis de l’intervention américaine en Irak et sa célérité à diffuser les messages vidéo et audio de Saddam en cavale.

Des journalistes vedettes d’Al-Jazira sont des panarabistes connus. C’est le cas de Fayçal Al-Qassim, journaliste syrien et animateur de l’émission à succès, " À contre-courant". Malgré son passage qui a duré sept ans à la prestigieuse BBC et un capital culturel important - il est titulaire d’un Phd en littérature anglaise -, l’objectivité lui fait souvent défaut. Il use et abuse, sans jamais se remettre en question fût-ce un moment, d’une rhétorique nationaliste surannée.

Ses prises de position sont souvent d’un ethnocentrisme et d’une démagogie qui frisent le ridicule. Ses talk-shows sont des suites infinies de cacophonies, de surenchères, de propos racistes et xénophobes. " Pour une fois, nous avons la chance de pouvoir parler, alors nous hurlons ! " , confie-t-il à Sara Daniel, une journaliste au Nouvel Observateur. Son professionnalisme est très discutable. Il a été celui qui a annoncé en plein milieu de son émission que les Juifs, qui travaillaient dans les deux tours de New York, ne s’étaient pas rendus le jour des attentats à leur travail. Tout cela sur la foi d’un obscur journal iranien.

Même quand il se veut un tantinet rigoureux, ses débats sont, si je reprends l’expression du grand sociologique français, Pierre Bourdieu, vraiment faux ou faussement vrais. Les face à face qu’il a organisés entre les libéraux arabes et les Islamistes en sont la preuve. Son parti pris pour ces derniers est plus que patent. L’Intellectuel progressiste tunisien Afif Al-Akhdar et le grand islamologue algérien Mohamed Arkoun en ont d’ailleurs fait les frais.

Au lieu d’inciter ses téléspectateurs à la réflexion, Al-Jazira provoque en eux l’exaltation des sentiments les plus chauvins et les plus nationalistes. L’obscurantisme se trouve mis en relief au détriment de la pensée des lumières seule à même de sortir les Arabes de leur sous-développement chronique et des multiples contradictions où ils se débattent. Le fameux credo d’Al-Jazira " l’opinion et son contraire " devient plutôt un slogan creux. Al-Jazira demeure, selon Olfa Lamloum qui lui a consacré un livre, " malgré la concurrence, une chaîne à part en raison de son nationalisme arabe ". Ce n’est pas pour rien que l’on fait souvent le parallèle entre elle et Sawt Al-Âarab, une radio très célèbre lancée au début des années cinquante par la figure de proue du nationalisme arabe, l’ex-président égyptien, Jamal Abdnnaser.

Si Al-Jazira était, à ses débuts, la seule sur le champ médiatique arabe, depuis quelques temps, d’autres chaînes concurrentes ont vu le jour. La rivalité entre elles bat son plein. La course aux scoops devient féroce. Le moindre événement est bon à être diffusé sans en peser les conséquences parfois dramatiques. C’était le cas par exemple lors des événements qui ont secoué Ahwaz, une région iranienne à majorité arabe.

Al-Jazira, sensible à tout ce qui est arabe, a été la première à parler de trois morts et plusieurs blessées et donne aux émeutes un caractère séparatiste. Elle a même laissé s’exprimer sur ses ondes une organisation inconnue jusqu’à alors, le front de libération des Arabes d’Ahwaz, dont le porte-parole n’a pas hésité à parler d’une " épuration ethnique ". Al-Jazira appelle, si je cite Bourdieu, à " la dramatisation, au double sens : elle met en scène, en images, un événement et elle en exagère l’importance, la gravité, et le caractère dramatique et tragique ". Conscient du danger, le gouvernement iranien a réagi à brûle-pourpoint en lui interdisant de travailler, à l’avenir, en Iran.

L’autre aspect de l’arabisme d’Al-Jazira peut se vérifier dans le traitement de sujets concernant les peuples autochtones qui vivent dans cette "patrie arabe ". C’est le cas des Berbères et surtout des Kurdes qu’on ne ménage jamais. Selon Al-Jazira, ils ne sont ni plus ni moins que des suppôts du sionisme et des instruments de l’impérialisme occidental, tout en passant allègrement sous silence tout ce que ce peuple martyr a enduré sous les régimes baâthistes d’Irak et de Syrie. D’ailleurs, l’élection, dernièrement, d’un Kurde à la tête de l’Irak n’a nullement fait plaisir à la chaîne qatarie.

Nonobstant cet arabisme exacerbé, il reste qu’Al-Jazira est plus qu’ambiguë s’agissant d’Israël. Il est le premier média arabe à donner la parole aux responsables israéliens et, par le fait même, elle participe grandement à la normalisation de leur pays. Grâce donc à cette chaîne, Israël - l’ennemi sioniste comme les médias nationaux arabes se plaisent à le qualifier - apparaît comme un État on ne peut plus banal, voire légitime. Ce qui est synonyme d’une capitulation pour les islamistes et les nationalistes arabes qui n’ont de cesse de le diaboliser depuis presque un demi-siècle.

Beaucoup de gens, pas très au fait des enjeux politiques au Moyen-Orient, se demandent toujours pour quelle raison le gouvernement israélien laisse Al-Jazira opérer dans les territoires palestiniens et en Israël malgré son parti pris pro-palestinien et son antisémitisme maintes fois affiché et assumé. En fait, c’est parce que cette chaîne le sert plus qu’elle ne le dessert. Passer à Al-Jazira, c’est s’inviter le plus pacifiquement du monde dans le foyer de millions d’Arabes.

Quant aux Américains, ils sont de plus en plus conscients, qu’à terme, leurs intérêts seront mis en danger à cause du traitement pro-arabe et, partant, du sens ouvertement anti-américain que donne Al-Jazira aux événements. D’ailleurs, lors de leur guerre en Afghanistan à titre d’exemple, la couverture d’Al-Jazira s’est démarquée du discours américain. Selon cette chaîne, ce n’est plus la guerre contre le terrorisme, mais une guerre contre ce qu’on appelle le terrorisme.

Dans un premier temps, les Américains ont exercé des pressions diffuses sur Al-Jazira et son mécène le Qatar. Ils ont même bombardé son siège en Afghanistan et en Irak, mais en vain. C’est alors qu’ils ont contre-attaqué en optant pour un "plan Marshall médiatique " destiné au Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord, qui a consisté à lancer, coup sur coup, une radio, Sawa, et une chaîne de télévision, Al-Hurra, (la libre en arabe). Si la radio a gagné des parts de marché importantes, la chaîne de télévision peine vraiment à percer.

L’Islam, l’islamisme, le terrorisme…

Quoi de plus normal qu’Al-Jazira fasse des émissions sur l’Islam, mais qu’elle permette à Youssef Al-Qaradaoui, l’une des figures religieuses les plus controversées d’avoir sa propre émission, nous laisse un peu sceptiques. Il faut avoir à l’esprit que le cheikh Al-Qaradaoui, que la presse surnomme l’imam cathodique, n’est pas n’importe qui. Il s’agit de l’idéologue de l’un des premiers et le plus structuré des mouvements de l’islam politique, les frères musulmans égyptiens.

Ce proche de l’émir du Qatar, et dont la femme occupe des responsabilités importantes au sein d’Al-Jazira, a sa propre émission hebdomadaire, " Le chariâa et la vie ", qui est du reste un énorme succès. Elle consiste à répondre en direct aux questions religieuses des téléspectateurs musulmans. Parfois, il faut le reconnaître, elle n’est pas dépourvue de piquant et de détails croustillants. Al-Qaradoui n’a pas manqué de courage, quand on sait le poids de toutes sortes de conservatisme qui pèsent sur les sociétés arabes et islamiques, en expliquant que rien ne justifie, religieusement parlant, l’interdiction de la fellation.

Pour autant, ce qui a fait sa réputation, ce sont ses fatwas où il a appelé solennellement de tuer les Américains civils ou militaires, car ils ont agressé l’Irak. Les décapitations et les attentats-suicides en Irak sont des actes héroïques et légitimes qu’il faut saluer. Mais le hic, c’est qu’il n’a jamais pipé mot sur la base américaine d’où sont parties les attaques contre l’Irak, qui se trouve juste à quelques mètres du siège de la chaîne d’Al-Jazira.

Aussi paradoxal que celui puisse paraître, il n’a pas hésité, lui, le tenant du jihad tous azimuts, à manifester dans la rue pour dénoncer un attentat-suicide perpétré par un Egyptien – dont le frère travaille à Al-Jazira-, après la diffusion d’un message guerrier du chef d’Al-Qaida dans le Golfe, contre une école anglaise dans la capitale qatarie, Doha.

C’est ce qui a fait dire à un écrivain arabe émirati, Rachid Abdellah, que si Al-Qaradaoui "dénonce aujourd’hui cet attentat de Doha, c’est parce qu’il a lieu non pas en Irak, mais bel et bien au Qatar, le pays de résidence du cheikh. C’est tout simplement une terrible aporie dans la quelle s’est mise Al-Qaradaoui. Ce qui le met en contradiction flagrante avec les recommandations du Coran qu’il est censé très bien connaître. "

À y réfléchir de près, la présence à Al-Jazira d’une figure religieuse aussi influente que le cheikh Al- Qaradaoui est intentionnelle. Elle sert le régime du Qatar à se prémunir contre le radicalisme islamique et ses expressions violentes. Elle peut aussi se comprendre dans la mesure où ce pays cherche certainement une caution religieuse de taille qui masquerait ses rapports plus qu’intimes avec les Américains et les Israéliens qui, comme on le sait, ne sont pas en odeur de sainteté dans tout le Moyen-Orient.

L’autre domaine où Al-Jazira est fort connu. C’est ces rapports avec Al-Qaida. D’aucuns n’hésitent pas à l’appeler la boîte à lettres de cette multinationale du terrorisme. Ben Laden et tous ses lieutenants ont fait passer leurs messages audio et vidéo par le biais de cette chaîne. On peut même dire qu’Al-Jazira en a l’exclusivité. Pire encore, Le Sunday Time, le fameux journal anglais, a publié une information selon laquelle le Qatar aurait conclu avec Al-Qaida un accord secret de non-agression en échange d’importantes sommes d’argent. Ce qui n’a jamais été démenti par les officiels qataris.

Al-Jazira a aussi donné la parole à toutes les figures modérées et surtout extrêmes de l’Islam politique. Le Tunisien, Rachid Al-Ghannouchi, l’Algérien Abbassi Madani, la Marocaine Nadia Yassine, les Saoudiens Hani Al-Sibaâi , Saâd Al-Faqih et Said Ben Zouâayr, le Jordanien, Abou Mohamed Al-Maqdisi, le père spirituel d’ Abou Mousâab Azzarqaoui, etc, ont trouvé dans Al-Jazira la possibilité de s’exprimer. Certains sont même allés jusqu’à soutenir dans des termes à peine voilés les actes de violence et de terrorisme.

Cette présence pour le moins massive des Islamistes est plus que patente. La très belle journaliste d’origine algérienne Khadija Ben Qenna a surpris les téléspectateurs en se couvrant le chef du jour au lendemain. L’a-t-elle mise par conviction ou par pression ? Nul ne le sait. Mais ce fait a le mérite de montrer quel genre d’ambiance a cours au sein des murs d ’Al-Jazira.

Au plus fort de la guerre en Afghanisation, seule cette chaîne a été présente dans ce pays grâce à son journaliste vedette espagnole d’origine syrienne, Tayssir Allouni. De retour en Espagne pour passer quelques jours de vacances, il a été arrêté le 5 septembre 2003 à Grenade. Ce qui n’a pas empêché une levée de bouclier des Arabes qui ont crié au scandale, au complot, au racisme et au non-respect des droits de l’homme, en dépit de fortes présomptions qui pèsent sur lui. Même le président du conseil d’administration d’Al-Jazira et cousin de l’émir du Qatar, Cheikh Hamad Ben Thamer, a écrit une lettre solennelle au gouvernement espagnol pour exiger sa libération immédiate.

C’était le très célèbre juge espagnol, Baltazar Carzòn, qui a instruit son dossier. Il a trouvé, en épluchant ses appels téléphoniques, qu’il a, pendant des années, entretenu des rapports plus que étroits avec un certain Imad Barakat Yarkas, alias Abou Dahdah. Un personnage de haute importance dans la mouvance intégriste. C’est lui, par exemple, qui a organisé, en Espagne, une réunion à laquelle a participé Mohamed Atta, le chef des kamikazes à l’origine des attentats du 11 septembre.

Le journaliste d’Al-Jazira a été aussi en contact avec deux autres personnes importantes dans l’organigramme d’Al-Qaida, Mamoun Darkazanli, le financier de Ben Laden en Europe et son représentant en Espagne, Mohamed Ghaleb Kalaje. Selon les actes d’accusation, Tayssir Allouni, dans ses multiples déplacements un peu partout dans le monde, a servi comme un porteur de valise de l’organisation de Ben Laden. S’il ne s ’est jamais gêné à exprimer ses sympathies islamistes, allant même jusqu’à regretter le régime des Talibans, il reste à prouver, lors de son procès, toutes les accusations dont l’accable la justice espagnole.

La démocratie, l’arlésienne

Il faut rappeler qu’Al-Jazira n’a pas été créée par un pays connu par ses mœurs démocratiques. Son lancement n’a pas forcément pour objectif de démocratiser les sociétés du Moyen-Orient. C’est pour d’autres impératifs éminemment politiques. Faire exister une petite entité, le Qatar, par rapport un voisin hégémonique, l’Arabie Saoudite. C’est d’ailleurs un objectif qui est largement atteint. Car, maintenant, le Qatar est sorti de l’anonymat pour devenir un acteur régional on ne peut plus important.

Malgré son succès indéniable, Al-Jazira souffre d’un déficit financier endémique faute de recettes publicitaires importantes. Elle ne subsiste que grâce à l’argent qu’injecte annuellement et régulièrement le gouvernement du Qatar dans son budget. Son autonomie en prend naturellement un coup. Même si ces derniers temps on parle, ici et là, de sa privatisation dans deux ans si bien évidemment on ne tourne pas casaque. Mais rien n’est moins sûr d’autant moins que les preneurs ne se bousculent pas au portillon.

De fait, Al-Jazira est, estime Ali Nasserdine, rédacteur en chef des Cahiers de l’Orient, "un accident de parcours. Sans la volonté de l’émir du Qatar, elle n’aurait pas existé. Elle a réveillé juste l’esprit critique dans la région ". Ce qui est une bonne chose. Car comme chacun sait, la démocratie est une culture qui s’apprend. Il faut donc espérer qu’Al-Jazira aura ouvert une petite brèche qui annoncerait une démocratisation effective des régimes du Moyen-Orient.

Ce qui ne peut se réaliser que si la chaîne a les coudées franches. Ce qui est loin d’être le cas. Il y a encore certains sujets qui sont tabous, à savoir tout ce qui touche au Qatar et à la famille régnante. Un exemple : le gouvernement qatari a déchu dernièrement plusieurs milliers de ses citoyens de leur nationalité. Mais à Al-Jazira, c’est silence radio. Ce qui est quand même bizarre de la part d’une chaîne qui se targue de défendre les droits de l’homme.

Si on a vraiment à cœur de favoriser l’enracinement de la culture démocratique chez les Arabes, il faut impérativement qu’Al-Jazira mette au placard ses idéologies, représentées en son sein par cette alliance, somme toue naturelle, entre le nationalisme arabe et l’islamisme, et essaye d’élever le niveau de ses émissions en ouvrant ses ondes à des intellectuels arabes éclairés qui apporteraient aux téléspectateurs des instruments à même de leur prendre conscience de leur situation catastrophique.

Il faut parler le langage de la vérité à son auditoire au lieu de le caresser dans le sens du poil. À ce jour, ce n’est malheureusement pas le cas. Car Al-Jazira continue toujours à donner la parole à toutes sortes de démagogues populistes qui expliquent, sans le moindre scrupule, tous les malheurs des Arabes par les théories fumeuses de complot et de conspiration. Ce qui fait que les propos qui suivent de Wadah Khanfar, l’actuel directeur de la chaîne, sonnent on ne peut plus faux. " Nous ne fomentons, dit-il, aucun complot contre personne et nous ne privilégions aucun courant sur un autre, ni une pensée sur une autre, ni un avis sur un autre…Nous ne sommes que des journalistes qui faisons leur travail selon la déontologie de la profession. "

Au total, on ne peut qu’applaudir qu’Al-Jazira réagisse enfin aux multiples imperfections que l’on lui reproche souvent. Car elle vient d’annoncer la rédaction d’une charte d’honneur professionnelle qui vise selon aljazeera.net, le site Internet de la chaîne, "à unifier la vision et la mission qu’elle s’est fixées afin que son message soit clair dans un cadre professionnel rigoureux ". Espérons que cela se traduira à l’écran le plus tôt possible, car nous n’avons encore rien vu !

d’Al-Jazira, miroir rebelle et ambigu du monde arabe

Lahsen Oulhadj (Montréal)

Al-Jazira, miroir rebelle et ambigu du monde arabe est un livre qui se lit d’une seule traite. Il est publié dernièrement en France, par la politologue Olfa Lamloum aux éditions de la Découverte.

D’entrée jeu, Olfa Lamloum explique la manière avec laquelle le logo d’Al-Jazira a conquis pratiquement tous le foyers des Occidentaux au lendemain des attentats du 11 septembre en diffusant l’un des multiples messages du chef d’Al Qaida, Oussama Ben Laden.

Un véritable défi que cette chaîne, créée en 1996 par la volonté d’un émir du plus petit d’État du Golfe, le Qatar, à ce que O. Lamloum appelle, l’ordre impérial américain. Depuis, la chaîne panarabe n’a de cesse d’être au centre d’une multitude de polémiques et de controverses.

En analysant sa ligne éditoriale, O.Lamloum en arrive à cette conclusion. Al-Jazira exprime deux choses : les aspirations démocratiques des peuples que les régimes autoritaires de la région n’ont de cesse de brimer et les sentiments de colère arabe contre les Américains et leurs politiques .

Les raisons du succès d’Al-Jazira résident dans son courage à casser les tabous, à revivifier le nationalisme arabe et à sa couverture exceptionnelle de plusieurs événements majeurs au Moyen-Orient. Olfa Lamloum considère enfin qu’Al-Jazira est un contre pouvoir vis-à-vis des régimes autoritaires arabes.

Pour autant, ce livre aurait pu être très intéressant. Car, malheureusement, Olfa Lamloum a manqué souvent d’objectivité. Elle a, à maintes reprises, succombé à un sentimentalisme béat aux accents revanchards et ouvertement anti-américains. On peut dire que son livre, fait un peu dans l’urgence, est une longue plaidoirie à la défense d’Al-Jazira contre les méchants occidentaux. On aurait aimé qu’elle prenne du champ et adopte un regard distancié au lieu de prendre fait et cause par une chaîne juste parce que arabe.

Son étude est restée très descriptive, car elle n’a jamais touché au fond des choses. D’ailleurs, on est resté sur notre soif, car le livre n’apporte vraiment pas de réponses à nos interrogations. Est-ce que Al-Jazira sert véritablement la démocratie? Ne fait-elle que renforcer la pensée rétrograde chez les Arabes? Ne participe-t-elle pas à la propagation du terrorisme? Comment concilie-t-elle son impertinence par rapport aux régimes en place et sa déférence pour le moins patente envers celui du Qatar ?…

Al-Jazira, miroir rebelle et ambigu du monde arabe, la Découvetre, 2004

AZA: des Amazighs au pays de l'Oncle Sam

Lahsen Oulhadj (Montréal)


Après leur spectacle au théâtre Coronna à Montréal, le 16 juillet dernier, j’ai eu l’immense joie de rencontrer nos deux mousquetaires amazighs. Toujours fidèles à cette modestie typique qui caractérise tant les Amazighs, le contact a eu lieu sans chichi et le plus simplement du monde. À dire vrai, on dirait qu’on se connaissait depuis des années ; alors que l’essentiel de nos contacts se réduisait à quelques courriels.

Sans salamalecs donc, nous sommes sortis du théâtre pour aller discuter dans un café qui se trouve juste dans le voisinage. Attablés autour d’un verre, nous avons laissé libre court à notre discussion. Tantôt posant des questions à Fattah Abbou, le plus extraverti de nos deux musiciens, et tantôt poussant carrément son acolyte de toujours, Mohamed Aoualou à prendre la parole ; il est d’une nature très réservée. D’ailleurs ce dernier, dans une pointe d’humour, a qualifié Fattah, " de ministre de la parole ."

Volonté

Les débuts dans la musique de nos artistes n’ont pas été, comme nous pourrions l’imaginer, dans un conservatoire ou dans une école de musique. Ô que nenni. Ils ont commencé, comme tous les artistes amazighs qui les ont précédés, dans la meilleure des écoles, celle de l’autodictatisme. En d’autres termes, sans vouloir être ironique, ils ont suivi le parcous classique des artistes amazighs.

" J’ai commencé tout seul et d’une façon on ne peut plus rudimentaire, nous avoue Fattah tout sourire, en fabriquant moi-même mon instrument à corde à base d’un récipient d’huile à moteur, d’une barre de bois et des câbles de frein d’un vélomoteur. "

Ainsi, a commencé le long apprentissage de " grattage " sur cet instrument on ne peut plus modeste. Après une pratique de quelques mois, les premières notes jouées ne peuvent être que celles des rways, ce genre musical traditionnel qui est, et de loin, le plus présent et le plus répandu dans cette immense région amazighophone du Sud du Maroc, qui est, selon l’expression de Mohamed une " mine d’or pour tous ceux qui ont un tant soit peu des penchants musicaux. "

Baigné, depuis son enfance dans l’ambiance d’ahwach avec ses variantes infinies, Mohamed, qui nous en a donné la démonstration, lors du spectacle d’Aza à Montréal, en esquissant quelques mouvements chorégraphiques très complexes, n’a pu avoir sa véritable guitare qu’à l’âge de 16 ans. Mais sa prédisposition à la musique et son auto-initiation grâce, lui aussi, à son instrument de fabrication personnelle, expliquent le fait qu’il soit devenu, au bout de quelques temps, un virtuose de la guitare.

" C’est à partir de cet âge, nous dit-il avec son flegme habituel, que j’ai commencé à pratiquer sérieusement et assidûment mon instrument, à l’oreille et sans aucune connaissance du solfège. D’ailleurs, à ce jour, cette écriture musicale est comparable à du chinois pour moi ."

Entre temps, nos deux artistes continuent à écumer les " isuyas " et autres " isriren " - places où ont lieu les fêtes villageoises- de leurs régions respectives connues par la richesse incommensurable de leur héritage musical : ahwach, taskiwin, ahyyad, tahwwarit, ignawen… Avec une écoute appliquée des groupes modernes : Izenzaren, Archach, Oudaden, Osman, etc ; et, des Rways dont bien évidemment les plus grands : Said Achtouk, Mohamed Albensir, Omar Wahrouch, Mohamed Amentag, ben Ihya Ou tznaght...

Fusion

Comme nous pouvons le remarquer, nos deux artistes ont grandi dans un milieu où la fusion des genres musicaux amazighs est de rigueur. De là, on peut expliquer cette quête continuelle de l’éclectisme qui ne manque pas d’originalité. À titre d’exemple, l’utilisation du luth. À ma connaissance, c’est la première fois que cet instrument serve dans l’expression des rythmes amazighs du Sud du Maroc. Le résultat à été tout simplement épatant.

" La musique est universelle, même si je sais que certains ne seraient pas contents que je l’utilise sous prétexte que le luth est un instrument arabe ; à mon avis, il ne faut pas fermer l’horizon de l’amazighité. Il faut l’ouvrir sur les autres cultures si cela va lui apporter davantage de richesses. Le luth est un instrument délicat qui demande beaucoup de pratique. Et je pense que son intégration aux rythmes amazighs a donné quelque chose d’original ", nous assure Fattah qui croit dur comme fer à l’ " inter culturalité " qui, prononcé avec un fort accent américain, revient comme leitmotiv dans ses propos.

Il faut reconnaître que Fattah est un multinstrumentiste doué ; en plus de la percussion, du banjo, du luth, du lotar, il manie brillamment le rribab, cet instrument ô combien amazigh. D’ailleurs, il est probable qu’il soit utilisé dans leur prochain album. On attend donc impatiemment le résultat.

La première expérience musicale de nos artistes a été avec des musiciens ou des groupes non moins connus. Dans le cas de Mohamed, cela a été avec le grand Mellal. " J’ai participé à l’enregistrement de son premier album ", dit-il. Quant à Fattah, cela a été avec Tilila, un groupe très célèbre dans le Souss et sa région pendant les années 80 et 90.

Effervescence amazighe

Le bac en poche, nos deux artistes débarquent à Marrakech pour s’inscrire dans le département de littérature anglaise à l’Université de Qadi Ayyad. C’est là qu’ils se sont connus grâce au cousin de Fattah, Bouhcine qui n’est que le chanteur vedette du groupe Tilila. Et depuis, c’est la grande amitié. Elle en a découlé, musicalement parlant, la naissance d’un groupe qui était très connu à Marrakech et sa région, Imdayazen. Cette formation a enregistré plusieurs albums qui tournent tous autour des thèmes chers au mouvement culturel amazigh (MCA) : identité, démocratie, universalité…. D’ailleurs, nos artistes reconnaissent très fièrement qu’ils sont redevables au mouvement amazigh. Ils se considèrent même comme ses purs produits. Il suffit d’écouter un laps de temps les compositions d’AZA pour s’en rendre compte.

Quant à leur avis sur la nouvelle vague de la musique amazighe représentée par Yuba, Agizul, Masnissa, Tafsut, Mellal…, les membres d’Aza " trouvent que c’est une très bonne chose de moderniser la musique amazighe. Mais il faut que les paroles soient accessibles. La complexité et les formules absconses sont tout simplement à proscrire surtout en ce moment où le mouvement amazigh a besoin de s’implanter dans les masses. Il faut parler le langage de la simplicité pour que notre message soit audible".

À nous l’Amérique !

Licencié de l’Université Qadi Ayyad, et devant les horizons bouchés, Mohamed a été le premier à émigrer en 1988. Destination les États-Unis. Au bout de trois ans, c’est le retour à la case départ, à savoir le Maroc. Mais au bout d’une année, c’est le retour une fois de plus aux États-Unis avec son ami de toujours, Fattah. Là, ils s’installent sur la côte Ouest, et plus précisément à Santa Cruz en Californie.

C’est là que l’idée de fonder un groupe amazigh a germé dans leurs esprits. Ce qui n’a pas tardé à se concrétiser avec la fondation du groupe Aza, un nom ô combien symbolique, qui a produit un premier album qui a été un succès tellement qu’il était original. Un deuxième est sur la route. Espérons qu’il soit comme le premier et même mieux !

Et cerise sur le gâteau Aza a pu, grâce à sa persévérance, décrocher une bourse du Conseil culturel de la ville de Santa Cruz pour organiser un festival amazigh avec la participation de l’infatigable anthropologue Hélène Hagan et du kabyle Moh Alilèche. Un festival qui a d’ailleurs eu lieu. Les échos que nous en avons sont très positifs. Une deuxième édition a toutes les chances d’avoir lieu l’année prochaine.

En outre, le groupe est en contact avec le seul Marocain qui travaille à la NASA, Kamal Al-Ouadghiri, qui, semble-t-il, est un amoureux de la culture amazighe; et cela afin d’organiser une autre manifestation culturelle à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA).

Quant au Maroc, à ce jour, Aza n’a reçu aucune invitation pour participer à la multitude de festivals qui s’y déroulent chaque année. D’ailleurs, ce serait une bonne idée si les responsables de Timitar pensent à lui. Car il le mérite amplement, vu la qualité indiscutable de sa musique. Mais comme l’a si bien exprimé Fattah sous forme d’un adage bien de chez nous : " ahwach n tmazirt ur a isshdar " ( la musique de chez nous ne fait pas danser). Mais l’espoir est permis.

En tout cas, le groupe Aza étudiera minutieusement toute proposition sérieuse en vue de participer à n’importe quelle manifestation musicale et même, pourquoi pas, faire une tournée au Maroc et en Europe. Pour le contacter, il faut juste se connecter sur son site Internet : http://www.azamusic.net

Ils vont probablement chanter ses paroles dans leur prochain album qu’ils ont bien voulu nous interpréter a cappella :

Ddan-d irumiyen gin agh d ibarbaren
Ddun-d waàraben fkin agh idurar
IfD n tikkal a nsella iw awal a-n
Izd a nalla, ar nsmummiy, ar nettals i tilli zrinin
Ngwin iw aTTan negh
Gelb at awa gh ixf nek, a tmDaram
Ikka-d uhlaD aguns n tgmmi lli darngh
Kullu wan-d igan amaynu nazzl sis
NDer-n, nettu agayyu negh, neskr gis u darngh
Lsagh, ar nsawal, ar nswingim zund nettan
Yak Ibn tumert iga nit u darnegh,
Ura yak Ibn Yassin iga nit u darnegh
Ma yyi iga, ma-d agh isker, ma yyi-d ifl
Is ghad lkemn is nakeren iZuran
ITfar ixsan aylligh gisen skern izakren

mardi, septembre 06, 2005

Madame Wilson: une vie en fleurs

Lahsen Oulhadj (Montréal)
Chaque année, à partir de la première moitié de mai jusqu’à la fin de juillet, Madame Wilson, de la société de production des fleurs sous serres, Wilson & fils, occupe une place aménagée comme un petit jardin d’Éden en plein milieu du Marché Jean Talon. Et ce, pour offrir à toutes les bourses un choix on ne peut plus riche de fleurs et de plantes.

J’ai eu l’occasion de la côtoyer de près, car j’ai travaillé chez elle, en tant que vendeur, pendant toute la période de sa présence sur le Marché de Jean Talon.

A 72 ans, c’est encore une jeune femme, mais ô combien dynamique ! Elle fait partie de cette génération de Québécois, élevée à la dure, qui ne peut trouver un sens à sa vie qu’en travaillant. D’ailleurs son tablier de travail ne la quitte presque jamais.

Nonobstant ses horaires d’enfer, elle est toujours soucieuse, la journée durant, de bien accueillir sa clientèle. Elle commence tôt le matin, vers 6 heures et finit tard le soir vers 20 heures. En été, c’est sur le marché de Jean Talon ; le reste de l’année, c’est aux serres à Saint Rémi, à quelques encablures de Montréal. Mais quand un travail est carrément une passion, on ne donne pas vraiment d’importance à la fatigue et au poids des années. Ce qui est le cas de Madame Wilson.

C ‘est une horticultrice hors pair, elle connaît pratiquement toutes ses plantes même si parfois la mémoire flanche. Il y a de quoi quand on sait que les Wilson produisent pas moins de 100 plantes différentes. Sont-elles adaptées au soleil, à l’ombre ou les deux ? Quelle taille auront-elles ? Quelle sorte de fleurs auront-elles ? Sont-elles vivaces ou annuelles ? , etc. À toutes ces questions Madame Wilson a toujours une réponse nette et précise.

« Je les connais pas mal toutes, excepté les nouvelles avec lesquelles j’ai un peu de misère. Mais au cas où on me demanderait des renseignements sur une plante que je ne connais pas, j’appelle immédiatement aux serres », a-t-elle reconnu tout sourire. Un sourire qui ne la quitte presque jamais.

C ’était grâce à un voisin, horticulteur de son état, que les Wilson ont eu l’idée géniale de se lancer eux aussi. « Il nous a impressionné par sa réussite sociale. Nous nous sommes dit pourquoi nous n’essayons pas de faire de même, surtout qu’à l’époque la culture des légumes nous ne rapporte presque rien », m’a confié, avec un air enjoué, la fille de Madame Wilson, Lucie, encore très jeune à l’époque.

En parlant des enfants, en plus de Lucie qui est sa seule fille, madame Wilson a eu cinq garçons. Si trois d’entre eux travaillent toujours avec elle, les deux autres ont préféré voler de leurs propres ailes. Le premier a monté sa propre affaire de production de fleurs tandis que le deuxième a fait un choix complètement différent. Il travaille en fait dans le domaine du gaz naturel.

Les débuts des Wilson n’ont pas été aussi simples que cela. « Nous avons commencé petits en 1972, même si cela ne fonctionnait pas très bien. Nous n’avons pas lâché. Nous avons persévéré. Ce qui a été payant. Maintenant, nous en sommes à beaucoup de serres dont je ne veux même pas connaître le nombre », m’a dit Madame Wilson un brin superstitieuse.

Ce n’est que Lucie qui va me dire plus tard qu’en fait la propriété s’étend sur une superficie de trois hectares avec 20 travailleurs permanents et plus de 70 saisonniers. De fait, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, pourrait-on dire. Wilson & fils n’est plus la petite structure familiale d’il y a 30 ans, mais une grosse machine. Il semble que c’est la première entreprise à produire des fleurs au Québec. Elle les commercialise même en Ontario et s’essaye depuis quelques temps à leur exportation aux États Unis.

Madame Wilson n’est dans son élément qu’au milieu de ses fleurs. On peut même dire qu’elle a un rapport quasi maternel avec elles. Quand les clients ne sont pas là, le geste toujours mesuré, elle les bichonne, elle les arrose, elle les nettoie, elle les place…Un simple coup d’œil lui suffit pour voir que telle ou telle plante manque d’engrais, d’eau ou tout simplement de lumière.

Avec ses employés, elle est indulgente et humaine. C’est un ange de bonté, pourvue de beaucoup de cœur. D’ailleurs, les rares malentendus, bénins faut-il le rappeler, qu’elle avait avec certains peuvent parfois lui causer des tourments absolument terribles. Sensible qu’elle est, il ne peut en être autrement.

De plus, c’est une femme très croyante et sa foi ne souffre d’aucun doute. Elle voue une vénération toute particulière à Jésus dont elle garde religieusement le portrait. D’ailleurs, dans la petite cabane qui lui tient lieu de bureau au Marché Jean Talon, trône majestueusement son image.

Beaucoup de ses clients sont des habitués. Ils viennent chaque année faire leurs emplettes chez elle. « En plus d’avoir un très beau choix de fleurs, Madame Wilson est une femme très attachante », m’a fait part, sous le mode de la confidence, une cliente qui vient depuis quelques années. Un autre client d’un certain âge m’a confié à peu près la même chose. « Pour ma part, c’est presque un rituel que de venir chez madame Wilson m’acheter des fleurs. J’espère qu’elle sera au rendez-vous le plus longtemps possible ! »

Bref, Madame Wilson est un peu un monument, si je reprends l’expression de l’une des ses voisines au Marché de Jean Talon. Tous les mots du monde ne décriraient pas assez précisément son petit coin de paradis. Il n’y a pas mieux qu’à se déplacer sur place.

lundi, septembre 05, 2005

Une légende nommée Izenzaren

Lahsen Oulhadj (Montréal )

Qui n’a jamais vibré aux rythmes envoûtants de ce groupe légendaire, Izenzaren ? Qui n’a jamais été conquis par la beauté de ses textes racontant toujours l’Amazigh et ses problèmes ? Aucun probablement ! Il est certain qu’à un moment ou à un autre, les Amazighs, et même les étrangers, ont été subjugués par cette troupe musicale pas comme les autres. Nonobstant son énorme succès, le groupe est resté très discret ; ce qui a probablement amplifié le halo de mystère qui l’entoure.

L’avènement des groupes musicaux dans le Souss n’est nullement une incongruité qui peut seulement être expliqué à l’aune d’un mimétisme de l’Occident. Ce concept a toujours été présent dans la culture des Amazighs du Souss. Les grands rways, Hadj Belàid, Boubakr Anchad, Lhousayn Janti, etc, ont chacun formé leur propre troupe avec laquelle ils sillonnaient les villages et les villes du Souss et même d’ailleurs. Hadj Belàid est allé jusqu’en France à titre d’exemple.

Pour autant, le groupe musical, dans son acception moderne, n’est apparu qu’avec les changements profonds, qu’a connus la société amazighe du Souss à l’aube des années 60. Une époque caractérisée par une ébullition créative musicale avec notamment la création d’un groupe moderne et avant-gardiste, tabghaynuzt (araignée). À en croire Aziz Chamkh, l’un des fondateurs d’Izenzaren: " tabghaynuzt a été le premier orchestre au Maroc ; pour notre génération, elle a été une première école où l’on a beaucoup appris ."

Cette formation musicale et humoristique (un peu à l’exemple d’une troupe tout aussi mythique, Ayt Lmzar, parce qu’originaires de Lmzar d’Ayt Melloul) a été fondée en 1960 par des artistes dont les noms ne disent plus rien au commun des mortels. Parce qu’ils sont tous presque décédés ou vivotent dans l’anonymat le plus total. On peut citer : Abellah El Madani, Farkou, Brahim n Ssi Hmad, Bihmaden, Mohamed Bouslam et Jamaâ Outznit. Ce dernier, paraît-il, était un prodige. Il était un multinstrumentiste phénoménal. Pratiquement tous les instruments de musique (l’accordéon, le banjo, le rribab, la guitare) n’avaient de secret pour lui.

C’était grâce à cette troupe donc que les futurs fondateurs d Izenzaren ont eu l’idée de fonder en 1970 un groupe qu’ils ont appelé Laqdam (les pas). Une formation qui n’a pas fait long feu, mais ce n’est que partie remise. Car nos jeunes musiciens sont bien décidés à donner corps à un autre groupe qui vivra plus longtemps.
Succès

Après moult appellations, le choix a été finalement arrêté sur Izenzaren. La naissance de cette formation s’est faite d’une manière tout à fait spontanée, à la différence d’Osman (éclairs) qui était plutôt une entreprise artistique très réfléchie dont les fondateurs étaient les premiers militants du mouvement culturel amazigh (Brahim Akhiat, Moustaoui, Azaykou, Eljechtimi, Amarir…).

Le groupe Izenzaren a été très original à tous les points de vue. Il a même inventé un nouveau courant musical, " tazenzart ", avec ses rythmes, ses poèmes et sa propre thématique. Il a cristallisé pendant des années, à l’échelle du Souss, la querelle entre les Anciens et les Modernes, entre les tenants de " tarrayst ". Autrement dit, la pratique traditionnelle de la musique. Et les tenants de cette nouvelle tendance de la musique amazighe, " tazenzart ".

Si le groupe a eu un énorme succès auprès de la jeunesse, les adultes ont bien évidemment été, pendant longtemps, réticents à cette nouvelle forme de musique avec des musiciens rebelles aux cheveux très longs et aux méthodes qui rompent totalement avec ce qui est connu jusqu’à présent.

Il n’était pas rare que les rways, s’imaginant que le groupe Izenzaren était une menace pour eux, les prenaient en dérision. Said Achtouk par exemple. Mais avec le temps tout s’est arrangé, vu que leur public n’était pas le même. Izenzaren s’adressaient plutôt à un public jeune, souvent scolarisé, et, qui écoutait plutôt la musique occidentale. On pourrait même affirmer que beaucoup de ces jeunes ont su apprécier la musique des rways en faisant un détour par les groupes amazighs modernes. Ce qui est mon cas et tant d’autres amazighs de ma génération.

La rupture avec les rways est visible à certains niveaux. L’apparence physique et vestimentaire : une chevelure qui va jusqu’aux épaules, des habits modernes ( des jeans, des chaussures …). Les instruments de musique : le banjo qui détrône le ribbab, le violon, la basse (agembri),etc. Les chants qui épousent les soucis de toute une génération de jeunes amazighs, déroutée par les métamorphoses rapides de la société. Enfin, les rythmes qui ne ressemblent en rien à ce qui avait cours chez les rways.

La première cassette du groupe a été commercialisée au début de 1974. Le succès a été fulgurant. C’est devenu un phénomène de société. Une légende a vu le jour en d’autres termes. Tout le monde ou presque fredonnait, et, même plus, connaissait par cœur leurs premières chansons culte, teintées de cette nostalgie et de cette mélancolie qui caractérisent tant la musique amazighe du Souss : immi henna, wad itmuddun, wa zzin, etc.

Le talent musical d’Izenzaren ne saurait suffire pour faire de ce groupe ce qu’il est sans l’apport d’un parolier qui a écrit la majorité de leurs chansons, Hanafi Mohamed. " Un homme de l’ombre et un poète extrêmement timide, mais ô combien doué ", selon l’expression même de Aziz chamkh.

Engagement

Avec Izenzaren, l’engagement dans la musique, une notion peu connue jusqu’à alors dans les mœurs musicales marocaines, prend toute sa signification. Et cela pour deux raisons. Primo, le groupe, qui n’a jamais succombé à l’argent - ses membres ne roulent pas forcément sur l’or -, a toujours eu une grande idée de l’art musical à qui il a donné ses lettres de noblesse. On peut dire que cette attitude est vraiment unique dans tout le Tamazgha. Secundo, la chanson izenzarienne a cette caractéristique particulière de ne pas traiter de sujets rebattus. C’est vrai que le groupe a traité de l’amour à ses débuts, mais sans pour autant tomber dans la facilité et encore moins dans la vulgarité. Je dirais même que leurs chansons d’amour étaient pourvues de ce " je ne sais quoi ", ce mystère qui donne aux œuvres artistiques une vie éternelle. Wa zzin (ô beauté), tasa ittutn ( le cœur blessé), àawd as a tasa nu (ô mon cœur, raconte) , etc, font désormais partie du répertoire classique de la chanson amazighe.


Chemin faisant, Izenzaren épousent progressivement les soucis concrets du public. Exit la thématique sentimentale ! Désormais, leurs thèmes, caractérisés par un traitement pour le moins pessimiste voire même noire, tournent autour de la contestation sociale et politique, la revendication identitaire, la dénonciatation de toutes les injustices, etc. Pour preuve, on a qu’à voir les titres de leurs chansons: tillas (obscurités), gar azmz (mauvaise époque), lmeskin ( le pauvre), izillid (l’orage), tuzzalt (le poignard), tixira ( fin du monde), etc.

Séparation

Le succès venant, les dissensions n’ont pas tardé à éclater au sein du groupe. Résultat. Il se scinde en deux parties portant le même nom : la première autour d’Aziz Chamkh; la deuxième autour d’Iggout Abdelhadi. D’ailleurs tout ou presque a été dit sur cette séparation. Beaucoup croient à ce jour qu’il s’agit d’un complot ourdi par ceux-là même que le succès de ce groupe amazigh dérangeaient au plus haut point. Mais, il semble que les raisons soient plus personnelles qu’autres choses. Incompatibilité d’humeur entre les membres du groupe certainement ! D’ailleurs, pour en savoir davantage, j’ai posé la question à Aziz Chamkh qui a eu cette réponse éloquente : " mais nous n’étions pas mariés pour parler de séparation ! d’ailleurs je ne comprends jamais pourquoi on m’interroge souvent à ce sujet. " Belle manière d’éviter de raviver des souvenirs qu’on préfère taire à jamais.


Si le premier groupe a fait un travail de recherche approfondie sur le patrimoine musical amazigh en remettant au goût du jour- et de quelle manière !- le répertoire classique des grands rrays, notamment Hadj Belâid, et en créant de temps en temps, le deuxième groupe a toujours fait dans la création pure. Il est d’ailleurs le plus apprécié non seulement à cause de la personnalité rebelle, marginale et anticonformiste, de son chanteur vedette, Iggout Abdelahadi, mais aussi à cause de cette façon unique à manier le violon et surtout le banjo. D’aucuns l’appellent volontiers le magicien de cet instrument, voire son plus grand spécialiste dans tout le Tamazgha. Il faut dire que ses compositions sont inimitables. Jusqu’à présent personne n’a pu l’égaler, même si nous avons assisté à l’avènement d’une multitude de groupes, aussi divers que variés, et qui ne manquent nullement de talent : Archach, Titar, Izmawen, Laryach, Oudaden, Ibarazen, Igidar…

Les influences musicales d’Izenzaren sont pour le moins nombreuses. Pourvu qu’on y prête bien l’oreille, cela peut aller du patrimoine musical amazigh présenté par l’Ahwach, l’ajmak, l’ahyad, l’ismgan ou l’ignawen, les rywas, des rythmes afro-sahariens et même du Country américain.

A quand du nouveau ?

Izenzaren, avec leurs textes caractérisés par une langue des plus recherchées et leurs arrangements originaux, resteront toujours un mythe qui a marqué toute une génération d’Amazighs. Jusqu’à présent, à chaque spectacle du groupe, ce sont des milliers de fans qui se déplacent pour y assister, et, souvent, tout le monde reprend collectivement les paroles de leurs chansons.

Cette formation musicale est souvent plébiscitée comme le meilleur groupe amazigh. Mais on regrette presque le fait qu’il n’ait pas produit aucun album depuis 1990. En 1998, dans l’un de leurs concerts à Agadir, le public entonnait collectivement à l’adresse du groupe : " Nera amaynu ! " (Nous voulons du nouveau ! ). La réponse d’Iggout Abdelahadi a été pour le moins cinglante : " il faut déjà que vous compreniez les anciens albums pour en exiger un nouveau ", lâcha-t-il.

En effet, ce n’est pas donné à tout le monde de comprendre la poésie izenzarnienne souvent qualifiée d’ "ésotérique ", mais en tant que public amoureux de ce groupe, du nouveau est toujours le bienvenu. Même si on ne se lasse jamais d’écouter leurs anciennes chansons qui ne perdent jamais de leur magie. Bien plus, elles sont carrément des repères identitaires pour une jeunesse amazighe assoiffée de reconnaissance et, surtout, à la recherche de symboles. Ce qui peut aisément se vérifier de visu à chacun de leurs spectacles.

Longue vie donc à Izenzaren et merci à eux ! Car ils nous ont donné, en plus de l’émotion, la fierté d’être amazighs.

La seule nouveauté du groupe reste cette chanson, izd ghik ad a tram ?

izd ghik ad a tram ?
ghik ad ran?
a ggisen ukan iligh
izd ghik ad a tram?
ghik ad ad ran ?
ad yyi nit ittjrun
ar temtatent
ayt ma-k gh iswak
ur lsan, bbin asen w adan,
ilih asen asafar
lkem yyi-n s ugharas!
zund nekkin, zund keyyin
zund keyyin, zund nekkin
yan iga lhsab
yan ay iga w awal
war lmal igh gguten
amya ur sis llin
izd ghik ad a tram?
ghik ad ran?
wa ad yyi nit itjrun
* * * *
wa f yyi-d afus!
anmun gh ugharas
nffagh kem, a tamazirt
nfl tt i wiyyadv

wa nstara gh tmizar
tilli lligh ur nlul

Aux origines de la télé-réalité

Lahsen Oulhadj (Montréal )
L’apparition de la télé-réalité - " Loft Story " et autre " Star Academy " - n’est pas le fruit du hasard. L’idée a subi un cheminement très particulier. La littérature, le cinéma, l’évolution de la télévision, Internet et les penchants des téléspectateurs pour l’exhibitionnisme et le voyeurisme, ont tous permis, d’une manière ou d’une autre, l’éclosion de l’idée des émissions de la télé-réalité et par la suite leur succès phénoménal.

La première trace romanesque de la surveillance par le biais des caméras est attestée dans un roman intitulé 1984 –inversion de sa date de publication à savoir 1948- de l’écrivain anglais, Georges Orwell. C’est une œuvre de science-fiction qui a été écrite dans le contexte particulièrement difficile de la guerre froide, marqué surtout par la terrible chape de plomb imposée par les régimes communiste à leurs propres peuples.

G. Orwell y raconte l’histoire d’une Angleterre gouvernée par les socialistes et faisant partie d’un continent imaginaire, l’Océanie. La société est formée de prolétaires, qui ne sont pas "vraiment importants " ; des membres du parti ; de " Big Brother ", qui dirige le pays ; et de la police de la pensée, chargée de maintenir l’ordre. La population y est constamment espionnée par des " telescreens " placés partout. Un exemple de cette implacable surveillance : dans sa chambre, Winston, le héros du roman, renâcle à faire ses exercices matinaux obligatoires. La monitrice, qui l’a à l’œil, le lui reproche immédiatement et le somme de les faire sans atermoiement.

Les gens ne peuvent en aucun cas échapper au contrôle de " Big Brother ". Et si jamais ils transgressent les lois en vigueur, qui du reste sont très oppressives, ils sont sur-le-champ arrêtés et torturés. Tous les opposants sont systématiquement éliminés ; ou encore "vaporisés ", selon l’expression même de G. Orwell, sans que personne ne s’en aperçoive.

Jacques Blociszewski, qui s’est penché sur la problématique du totalitarisme, parle ainsi de cette œuvre : " relire le roman de 1984, c’est plonger au cœur des mécanismes totalitaires. Considéré comme indissociable de l’univers communiste, 1984 va au-delà et nous éclaire sur la censure et l’oppression - à la fois interne et externe- que l’homme contemporain s’inflige à lui-même".

Pour autant, la première illustration visuelle de la télé-réalité se trouve probablement dans Rear Widndow, un film réalisé, en 1954, par d’Alfred Hitchcock. Le cinéaste y montre le quotidien d’un reporter photographe, James Stewart, cloué au fauteuil roulant à cause d’une facture à la jambe. Pour tuer le temps, il observe de sa fenêtre les faits et gestes de ses voisins et des passants. On dirait presque que c’est un spectateur qui assiste à un film ou un spectacle quelconque. Bref, ce film met très largement en lumière ce penchant propre à l’homme qui veut tout voir et tout connaître, quitte parfois à violer l’intimité d’autrui.

L’ancêtre télévisuel de Loft Story

Le premier programme de télé-réalité, baptisé " An American Family ", a été diffusé en 1973 sur la chaîne publique PBS. Il s'agissait de filmer sur une longue période la "vraie " vie de "vraies " gens, et de la raconter sur plusieurs épisodes. Malgré sa banalité, cette émission a attiré beaucoup de téléspectateurs.

Chemin faisant, le concept du documentaire intimiste filmant des anonymes plaît et se propage. En 1974, " The Family " débarque en Grande-Bretagne, sur la BBC. En 1992, on le retrouve avec " Sylvania Waters " en Australie (ABC) et, par la suite, au Royaume-Uni, encore sur la BBC, qui ne cesse plus de diffuser de tels programmes. En 1996, l'audience atteinte par " Airport " permet aux premiers anonymes - en l'occurrence un jeune steward -, d'accéder à une notoriété qui dépasse le seul contexte de l'émission. Leurs visages s'étalent, pendant plusieurs jours, dans la presse. Et les chaînes comprennent qu'il y a là un bon filon qu’il faut encore affiner pour l’exploiter au moment venu.

Cependant, l’émission qui se rapproche le plus de " Loft Story " est certainement " The real world ", créée et produite, il y a une dizaine d’année, par la télévision américaine. Son principe consiste à filmer, chaque année et dans chaque ville américaine, des jeunes gens volontaires, dont le choix répond toujours à des conditions bien précises : une fille très sexy, un jeune très normal, un homosexuel… Tout ce beau monde est filmé dans sa vie quotidienne : à la maison, au travail, à la faculté, etc. Le soir, un montage dramatisé des moments forts de la journée est diffusé à une heure de grande écoute.

Mais le virage majeur est pris en 1997 avec l'ancien chanteur écossais Bob Geldof. Il propose "Expedition Robinson " à la télévision suédoise : divertissement devient jeu. Les candidats s'éliminent entre eux, le gain en argent est très élevé. Ce qui a donné un caractère on ne peut plus haletant au déroulement de l’émission.

Télé-poubelle et Internet

L ‘évolution de la télévision -vers plus de sensationnalisme, de voyeurisme et d’exhibitionnisme- a eu pour corollaire la production d’émissions qu’on a coutume de qualifier de " Trash tv " ou de télé-poubelle. Elles mettent en scène des gens qui racontent, sans aucune gêne, leurs secrets les plus intimes, le plus souvent à un moment de grande écoute. Ce genre de programmes a eu un succès absolument phénoménal dans presque tous les pays occidentaux.

" Jerry Springer Show ", une production de la télévision américaine est de loin l’émission la plus célèbre. Des invités viennent sur le plateau et, devant une foule en délire, ils avouent leurs confidences scabreuses ou font des révélations scandaleuses sur leur vie. La fin de l’émission vire toujours au pugilat ou en bagarres violentes. D’ailleurs, en 2000, un couple qui a participé à une émission dont le thème est " Le face-à-face des maîtresses rivales ", a été impliqué dans l’assassinat de l’ex-femme du mari.

En France, c’est l’émission C’est mon choix, diffusée par une petite chaîne publique, France3, qui se rapproche le plus du concept américain. Plus de sept millions de téléspectateurs la suivent quotidiennement. Les sujets traités n’ont rien à envier à " Jerry Springer Show ". Jugeons-en : " Je montre mon corps ", "J’exhibe ma vie sur Internet ", "Je me suis mariée avec une personne âgée ", "Je n’aime pas porter les vêtements ", etc.

Le succès de ce genre d’émissions a poussé les chaînes à aller encore plus loin. Ainsi, la chaîne câblée américaine Court TV, spécialisée dans la diffusion des audiences enregistrées dans les tribunaux du pays, a connu, à la fin des années 1990, son heure de gloire lors du procès d'O. J. Simpson.

À la recherche du sensationnalisme à tout prix, cette chaîne est allée jusqu’à diffuser les confessions d’un criminel, Steven Smith, qui a raconté, avec un réalisme qui donne le froid dans le dos le viol et le meurtre d’une femme médecin.

Pire, Internet démocratise, en quelque sorte, cette dérive exhibitionniste. Tout le monde ou presque peut se montrer et avouer ses secrets les plus intimes sans aller dans un studio de télévision. Grâce à des petites caméras, les webcams, les Internautes du monde entier s’exhibent à qui mieux mieux. L’engouement pour le moins massif pour ce genre de sites a surpris plus d’un spécialiste des médias.

Le succès le plus retentissant de la toile planétaire est incontestablement l’histoire de ces cinq étudiantes américaines de l’Ohio qui, pour le plaisir de se montrer, ont truffé leur appartement de webcams. Elles peuvent ainsi être observées vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Tous leurs faits et gestes sont filmés et vus par des millions de gens à travers le monde.

En somme, tous ces ingrédients ont nourri l’idée latente d’une émission mettant en scène des gens prêts à tout montrer. Il ne faut que l’homme providentiel pour lui donner corps. Ce qui ne tarde pas à arriver dans un petit pays européen, la Hollande, avec un personnage qui a beaucoup roulé sa bosse dans les médias, John de Mol.
Le déclic déclencheur

C’est en s’inspirant de " Biosphere II ", une expérience scientifique dans laquelle un groupe d’individus est enfermé en vue de créer un écosystème viable dans une bulle dans le désert de l’Arizona, que John de Mol a eu son idée géniale.

" C’est de là qu’est née l’idée de " Big Brother ", un show télévisé exporté dans plus de 27 pays, qui a fait la fortune de celui qu’on appelle " big daddy", multimilliardaire et deuxième fortune de son pays ", explique le journaliste Jean-Sébastien Stheli qui a rencontré John de Mol.

L’émission a été produite bien évidemment par Endemol (une contraction de Mol et de End), une société née en 1994 de la fusion de deux maisons de production : celle de John de Mol et celle de Joop Van Den End. Elle a été diffusée pour la première fois dans une chaîne de la télévision hollandaise, Veronika.

Le principe fondateur de l’émission de " Big Brother " est simple : filmer jour et nuit, en vase clos, des individus qui ne se connaissent pas et diffuser en prime time les meilleurs moments des 24 heures écoulées.

À l’origine, ils étaient neufs : tous jeunes et de race blanche, choisis parmi 3000 candidats. Les femmes sont plutôt jolies et les hommes avenants. Ils doivent passer cent jours dans une maison construite pour l'occasion, sans aucun moyen de communication avec l'extérieur. Aux murs, 24 caméras dont plusieurs infrarouge qui fonctionnent la nuit, et 59 microphones. Impossible d'échapper à l’œil scrutateur de l'objectif : aucun angle mort, même sous la douche. À intervalle régulier, les téléspectateurs-voyeurs sont appelés à élire le plus sympathique des habitants de cette prison nouveau genre. Celui qui rassemble le moins de voix est contraint de quitter les lieux.

Le succès ne tarde pas à venir, malgré les critiques acerbes dont l’émission a été l’objet. Chaque soir entre 20h et 20h 30, ils sont 380 000 téléspectateurs (17% des parts de marché, ce qui n’est pas négligeable) à être rivés à leur écran.

Le 21 mars 2001, Endemol a annoncé la programmation sur M6, une petite chaîne commerciale française, de " Loft story ". Le succès de cette émission a été extraordinaire. Il a même été couronné comme la meilleure émission de l’année.

Grâce à ce succès, M6 joue désormais dans la cour des grandes chaînes commerciales françaises avec six millions de téléspectateurs au dernier épisode de " Loft story ". Grâce à ses différents programmes de télé-réalité qui ont suivi " Loft story " M6, selon le journaliste économique Guy Dutheil : " a réalisé des résultats financiers historiques en 2003. Il enregistre, en effet, un chiffre d'affaires plus important dans ses activités de diversification (chaînes thématiques, édition, vidéo) que dans la publicité, respectivement 601,7 millions d'euros et 575,2 millions d'euros, pour un chiffre d'affaires total de 1,176 milliards d’euros. "

Vu la tournure des événements, TF1, la grande chaîne généraliste françaises, qui a perdu des parts importantes du marché, n’a pas hésité à suivre le courant, malgré les tergiversations de ses responsables qui ont, maintes fois, promis qu’ils ne programmeraient jamais de telles émissions. C’est ainsi que " Star Academy " est née. Même si les débuts sont difficiles, elle a eu par la suite un très grand succès. Et depuis c’est la guerre de tranchées entre les deux chaînes françaises.

Tous les pays européens ont succombé au phénomène. Ils ont eu, tous, leurs propres émissions de télé-réalité produites par Endemol. Elles ont attiré des millions de gens. Résultat, les bénéfices de cette société ont considérablement augmenté en un laps de temps.

Deux ans après la diffusion de " Big Brother ", en Hollande, Endemol est devenu un acteur majeur dans l’espace télévisuel : numéro un en Europe et numéro deux en France.

Et ça continue !

Malgré quelques échecs, la télé-réalité fait toujours recette en Europe. Des millions de téléspectateurs raffolent toujours de ces programmes. Mais l'overdose guette. Car si les producteurs ne reculent devant rien pour concocter leurs programmes ou les remettre en selle, le téléspectateur commence à faire la fine bouche. Le label télé-réalité n'est plus forcément synonyme de succès. Le désaveu, encore en filigrane dans de nombreux pays comme la France, est plus perceptible aux Etats-Unis où on assiste à un repli de ce genre d’émissions.

Pendant ce temps là, dans d’autres régions du monde, soi-disant rétives à tout ce qui est occidental, le succès de ce genre d’émissions est indéniable. En Russie à titre d’exemple. Et même dans les pays islamiques où d’ailleurs les Islamistes ont vainement protesté et même manifesté dans la rue pour exiger l’arrêt immédiat de la version arabe de " Star Academy ".

Au total, l’idée de la télé-réalité a évolué au gré de l’évolution technologique et des changements des représentations que l’homme se fait de lui-même et de son milieu. Le principe de ces émissions est consubstantielle à la vie moderne et interpelle, au-delà des différences culturelles, quelque chose de profond et surtout de commun à tous les humains. On aura à faire toutes sortes de conjectures sur ce succès, mais une chose est certaine, la télé-réalité a fait le bonheur d’Endemol et des ses dirigeants.




Aza: un moment de bonheur à Montréal

Lahsen Oulhadj (Montréal)

Le samedi 16 juillet, le groupe amazigh Aza s’est déplacé à Montréal pour un spectacle au théâtre Corona. Le public québécois et amazigh a été au rendez-vous ; il s’est déplacé, nombreux, pour découvrir ce groupe atypique qui nous vient de Californie aux États Unis. Plus précisément de Santa Cruz.

À 20h 30, le spectacle commence par les chansons tirées du répertoire du groupe : Marikan, azul, amksa, aqarid… De nouvelles compositions, caractérisées encore une fois par la fusion entre la musique amazighe et les musiques du monde, ont été interprétées avec brio par le trio de musiciens qui forment le groupe : Fattah Abbou au luth et au banjo, Mohamed Aoualou à la guitare et Pett à la basse.

Il faut dire que la composition du groupe a changé de fond en comble. L’essentiel des Américains qui avaient participé à l’enregistrement du premier album du groupe sont tous partis. Une nouvelle équipe est en train de se reformer avec bien évidemment toujours le même noyau formé par Mohamed Et fattah.

Le spectacle a plus que charmé le public qui accompagnait le groupe en tapant des mains. À un moment, on a même entendu des you you. C’est vous dire ! On se croirait presque dans n’importe quelle place du village de l’Atlas.

Le jeu de Fattah sur le luth, cet instrument persan, a été extraordinaire. On sait que les Touarègues l’ont adopté depuis longtemps, mais c’était la première fois que je vois dans les mains d’un musicien amazigh du Sud du Maroc. Et de quelle manière ! Le résultat était tout simplement époustouflant. Le banjo est de la partie aussi. Qui peut encore imaginer un musicien amazigh sans cet instrument à l’origine symbole des vastes étendues de l’Amérique et des pionniers du Far west ? Personne !

Quant à Mohamed Aoualou, c’est tout simplement un virtuose de la guitare. Son jeu est d’un éclectisme qui déborde de créativité. Il surfe sur tous les genres musicaux. Et sa voix mariée avec celle de son acolyte de toujours, fattah, nous transporte aux cimes de l’Atlas et les déserts de Tamazgha. Un chant qui n’est plus ni moins qu’une invite à un voyage vers la terre natale.

De temps en temps, le spectacle est ponctué d’un jeu de percussion qui nous rappellent naturellement nos fameux ahwachs. D’ailleurs, la danse non plus n’est pas oubliée. Mohamed Aoualou a été chaleureusement applaudi en esquissant quelques mouvements chorégraphiques. Son mouvement d’épaules parfait lui a valu un tonnerre d’applaudissements. Une preuve qu’il a écumé les Ihwachen de Ouarzazat, sa ville natale.

Concernant Pett, l’Américain du groupe, en musicien chevronné, il s’est montré tout au long du spectacle très connaisseur du répertoire d’Aza. Même s’il a reconnu que les rythmes amazighs sont, parfois, légèrement difficiles. Mais à force de travail, tout est possible. La preuve, il assure comme n’importe quel musicien de chez nous. Comme quoi la musique est un langage universel qui n’a que faire des frontières.

Remercions donc les membres groupe Aza pour les moments de pur bonheur qu’ils nous ont offert dans la métropole québécoise et saluons leur engagement en faveur de la musique amazighe pour laquelle ils se sont fait un point d’honneur de la faire découvrir à tous les Nord-américains. Si ils continuent sur leur lancée, leur pari ne peut qu’être gagné.