jeudi, mai 24, 2007

Houssaine Ouâchrine : « le fédéralisme est la meilleure solution pour la question amazighe. »

Houssaine Ouâchrine n’est pas né dans la dernière couvée. Et pour cause. C’est un homme qui a roulé sa bosse, pendant des années, sur le terrain de l’engagement et du militantisme amazighs. Originaire du Moyen Atlas, cette région frondeuse qui en a fait voir de toutes les couleurs à tous les colonialistes, il connaît le mouvement culturel amazigh ( MCA) comme pas un. Dans cet entretien fleuve, Dda Houssa évoque son enfance heureuse, sa longue vie de militant, et, fidèle à son franc parler qui le caractérise tant, il n’hésite pas à pointer du doigt les nombreux ennemis de l’amazighité qui usent et abusent, lâchement, des moyens de l’État pour l’enterrer vivante.

Est-ce que vous pouvez vous présenter en quelqueslignes ?

Oui, me présenter, je ne peux être qu'amazigh puisque je suis marocain. Cosmopolite aussi par l'altérité qui est la culture millénaire de l'amazighité mère et mère adoptive de tous au sein du Tamazgha occidentale où cohabitent amazigh achlhi, amazigh du Maroc central, amazigh aârabe, amazigh ouday, amazigh arifi. Et ces substrats essentiellement amazighs sont les vecteurs de stabilité et de paix que nos politiques s'évertuent à vouloir disloquer par la marginalisation volontaire du tamazight. J'ai préparé un bac littéraire vers les années soixante que j'ai raté à cause d'autres préoccupations. Je suis un chercheur libre, auteur de divers récits, poésies, publications, particulièrement des articles où l'information du lecteur est primordiale.

Vous êtes dans la soixantaine, est-ce que vous pouveznous raconter vos souvenirs d’enfant baignant totalement dans le monde unique de l’amazighité…

En effet, j'ai soixante cinq ans, ma date de naissance remonte à « asggwas n lbun » ( l'année du bon) du rationnement pendant la crise de 1945. Jusqu'à dix huit ans, comme tous les Amazighs montagnards, du moins ceux de ma génération, nous ignorions tout du monde dit arabe. Les arabophones qui venaient d'autres régions travailler dans le Moyen Atlas intégraient naturellement ces hauts et nobles milieux, apprennent, parlent et chantent en tamazight, épousant même des femmes amazighes. Comme il arrivait aux Amazighs de prendre femmes parmi leurs filles. J'aimerais citer si cela n'encombre pas votre temps, l'histoire d’un homme arabophone de Missour, Région de Taza que j'appelais Epile car je balbutiais encore en déformant son nom Lafdel. Venu très jeune, mon père le maria plus tard à ma tante Itto, « iwta ahdjam » il a " frappé " comme on dit le dos de sa main d'un charmant « ahdjam » (tatouage) amazigh, il dansait ahidous, il m'a appris même tamazight et le dialecte arabe de l’Oriental marocain fort méprisés à ce jour par les TV marocaines. À cette époque, la langue amazighe est tellement quotidienne, naturelle, parlée de tous ; il était superfétatoire de se demander si l'on était amazigh, arabe ou juif. L’amazighité accompagnait le lever des matins et rendait vivace la vie des êtres et des choses le long des soirées. Toutes les populations des « idurar » (hautes montagnes) se retrouvaient dans les us et coutumes que versaient chaleureusement dans leur cœur cette poésie divine qu'inocule à la mémoire le langage amazigh. Et même les mauvais prêtres de l'Islam, les « tolba » charlatans sur lesquels j'avais publié dans le journal Tawiza un article-analyse n'ont pu effacer l’amazighité de son ciel et de sa terre car elle était et demeure l'âme de la plus belle cosmogonie de l'Afrique: le haut pays qui va du Rif, les Atlas et jusqu’au-delà du pays du Souss et même jusqu’aux confins sahariens. Je me souviens aussi des « chorfa » alaouites de l'époque qui venaient dans notre maison pendant le « ârafat », la journée précédant l'aîd Sghir. Ils clamaient des chants religieux en tamazight à la mémoire du prophète Mohamed. Je me souviens encore de certains passages bien gravés dans ma mémoire :

A tilghmin tumlilin ttawinin abrid i.
Daâunt s mohamed ad ibllegh Rabbi lmeqsoudine ,
Ô chamelles banches qui cheminez,
Priez au nom du prophète pour que s'accomplisse ladestinée.
Adday nini Nnbi ig ulli nwu a lmxaliq,
A mmi qqenx alf usddi ghas têaâllucin.
Quand je Nabi, comme si j'ai attelé
Mille cordes rien que des agnelettes.
Adday nini nnbi ig wulinwu a lmxaliq,
A mmi d gerx ahdadi g its imnayn zillin
Quand je prononce le nom du prophète,
Comme si j'ai jeté mon étalon dans une troupe de beaux cavaliers.

Et quand est-ce que vous avez pris conscience qui menacent cette amazighité débordante devie ?

Il faut plutôt parler de la prise de conscience du racisme culturel ! A partir de la moitié des années soixante, l'orientation politique des ministres du parti de l'Istiqlal qui se sont succédé à la tête du Ministère de l'éducation nationale était tout sauf nationale. Ils étaient et demeurent toujours les obsédés de l'arabisation systématique du peuple. Ils avaient appliqué la "fatwa" du prétendu penseur philosophe Al-Jabiri :"L'arabisation même à coups de bâton". Cette arabisation massive du peuple n'allait pas sans provoquer la réaction des intellectuels amazighs. À l'époque, le parti de l'Istiqlal faisait la pluie et le beau temps et travaillait sur tous les moyens et clichés pour dissuader, emprisonner, interdire, discréditer... tout ce qui avait rapport à l'amazighité. Des rumeurs, des accusations, la propagande intimidante née du "dahir berbère", dont les Amazighs ignorent tout et que ledit parti leur colle au dos. Une diffamation historique qu'aucun parti n'a dénoncée de façon sérieuse auprès des instances supérieures... Ces partisans d'outre-monde allaient jusqu'à faire du tamazight, injustement, un facteur d'éclatement et de balkanisation du Maroc. Heureusement qu'aucune communauté amazighe ne se trouve en Irak, en Palestine, sinon elle serait le bouc émissaire des arabo-islamistes qui triturent sanguinairement les pauvres peuples de cette région,qui charrie comme le poids sinistre d'un péché originel. La prise de conscience venait des pionniers qui avaient même été condamnés à des peines comme notre regretté Ali Azaykou qui a passé plus de deux ans d'incarcération et mort des séquelles d'une maladie contractée dans la prison. Enfin le mouvement culturel amazigh prenait forme, évoluait, l'information circulait et la société civile amazighe se développait. Puis venaient les revendications toutes légitimes qu'allaient présenter aux différents gouvernements les confédérations associatives et le Congrès Mondial Amazigh (CMA). Les arguments sont forts, prégnants et éclatants de vérité car puisés dans l'histoire, l'archéologie, les traditions, la culture, la civilisation et bien entendu la langue. Ma prise de conscience de l'amazighité est une réaction spontanée caractérisant tout être humain blessé dans sa dignité par la manipulation, le mensonge et la déformation des vérités historiques par des gens, marocains malheureusement, que rien ne lie avec le monde qu'ils habitent imaginairement et celui où ils vivent réellement. Des fers de lance d'un arabisme de pays lointains qui n'ont aucune ressemblance avec l'Occident amazigh africain, pis encore ils s'obstinent à injecter dans la mémoire du peuple une civilisation et des traditions étrangères à sa nature humaine et la nature physique de son pays. Durant le demi-siècle d'indépendance qu'a vécue le Maroc, le tamazight naguère présent dans tous les espaces populaires a connu un traitement fallacieux, surtout une programmation sournoise qui allait causer sa marginalisation. Une situation aggravée par l'indifférence des politiques arabophones et amazighophones que dominent un lobby arabiste militant qui prône sans faillir un messianisme entêté où même l'Islam sert de support à sa vision raciste et dangereuse pour la stabilité et la paix des peuples de l'Afrique du Nord. Nous en sommes aujourd'hui à une prise de conscience nationale qui interpelle le peuple marocain dans toutes ses composantes par cette question : Le Maroc étant un royaume souverain mais les théoriciens activistes de l'arabisme acharné veulent le réduire à un couloir servant de convergence aux idéologies arabo-islamistes qui plantent déjà leurs bases de relais sous forme de pôles d'investissement. Une sorte de postes avancés pour finalement prendre d'assaut l'Occident européen, se servant ainsi du vieil empire qui jouera le simple rôle de zone passerelle, le pont de ce panarabisme même qui a accouché de l'islam politique puis de l'islam intégriste et jusqu'au bout de son négativisme hystérique d'où sortit l'enfant terrible : le terrorisme. Ce maître désenchanteur de ce siècle dont le germe-mère fut le système oppresseur arabiste exclusiviste. Pis encore, ce qui est révoltant chez nos gouvernants et politiques ou arabes ou amazighs, c'est cette attitude aberrante envers une histoire écrite du sang de glorieux héros dont ils ramènent le passé tourmenté au statut de mercenaires corvéables. Sans aller loin dans l'histoire, j'évoque simplement l'instance Équité et Réconciliation qui se montra d'une prévarication ignoble. Il traita la tourmente du Maroc à partir des années cinquante tout en passant sous silence les guerres patriotiques que menaient contre l'occupation les montagnards amazighs du Rif, des Atlas, du Souss, des Aït Baâmrane, du Sahara, etc. Personne de ces braves gens ne put se représenter à l'esprit qu'une patrie est faite d'un corps et d'un esprit. Alors, nos justiciers firent fébrilement preuve d'une myopie ridicule que l'histoire ne leur pardonnera jamais. Ils ont évoqué les troubles d'esprit et mirent dans le trou de l'oubli le corps de la nation que défendaient le peuple de 1896 à 1936, des guerres sanglantes ayant emporté près d'un million de martyrs ! Je ne sais finalement si je suis militant ou ce genre de Diogène criant et dénonçant haut ratage ( tazggalt) qui semble devenir une seconde nature chez les responsables marocains.

Après cette prise de conscience des dangers terribles qui menacent le peuple et la culture amazighs, vous vous êtes certainement engagé sur le terrain du militantisme, n’est-ce pas ?

Prise de conscience des dangers menaçants dites-vous ? Mais en plus de l'assaut terrible et permanent il y a pire, il y a ce prosélytisme messianique qui rappelle les époques médiévales et qui opprime les consciences et les libertés par l'intermédiaire des mass médias et des autorités publiques. Des associations interdites, des noms amazighs interdits, un parti amazigh interdit, l'enseignement et la reconnaissance de la langue amazighe ne dérange en rien la conscience de nos gouvernants et frères en islam par-dessus tout ! Ce prosélytisme arabo-islamiste mercantiliste est affligeant en ce qu'il distille quotidiennement son fiel dans des abcès que les responsables n'ont pas essayé à cureter par une thérapie appropriée et qui n'est autre que Dame Démocratie que déforment des esprits rétrogrades. Une tare dommageable à l'essor socioculturel du Maroc qui charrie de graves séquelles depuis les années soixante qui augurèrent du manque d'une vision claire pour les Imazighen. Situation qui motiva les pionniers de la défense de la cause amazighe qui commençaient à organiser leur action revendicative.

Est-ce que vous nous faire un petit rappel de la genèse du mouvement amazigh ?

Les années soixante sont une date repère de la société civile amazighe avec M. Brahim Akhayat qui fonda vers l967 en collaboration avec d'autres militants l'Association AMREC qui devint un catalyseur de nombreuses associations à l'échelle nationale. Je n'ai pas les dates exactes mais l' historique du mouvement associatif amazigh s'est généralement déroulé comme je vous le présente mais j'avoue que bien des choses m'échappent. Après l'AMREC, venait l'association Tamaynut que dirigeait Maître Id Belkacem qui est présentement responsable dans l'Organisation pour la Défense des Peuples Autochtones. Il faudra préciser que Tamaynut qui est une confédération compte à présent plus de trente associations dont certaines sont implantées dans des pays étrangers, ex. Tamayut Hollnade... L'association Ghris a été créée par la suite chez les Igulmimen (Goulmima), prenant par la suite le nom hautement symbolique de Tilelli. Notons au passage, que Tilelli est une véritable étoile prophétique qui concourut par son boycott historique de la langue arabe à secouer bien des tabous en ravisant la conscience amazighe. Après Tilelli, la ligue Tada a été fondée, elle coiffe plusieurs associations du Sud Est et du Moyen Atlas ; puis arrivait la Coordination Amiafa qui regroupe plusieurs associations du Rif, du Moyen Atlas et du Sud. Il y a aussi la Coordination Amazighe du Rif qui compte plusieurs dizaines d'associations. Il y a la Coordination qui prit le nom de l'auguste Azaykou où se retrouvent plusieurs associations du Haut Atlas et du Souss. Il faut rappeler cette aberration absurde, le fait que la plupart des ONG énumérées n'aient pas obtenu leur reçu les autorisant à accomplir « citoyennement » leur mission. À titre d’exemple, l'association du Réseau amazigh pour la citoyenneté pour la Citoyenneté, créée depuis sept ans et qui n'a obtenu son reçu qu'en 2OO6 (??!!) L'un des événements historiques qui a couronné l'action militante des associations amazighes fut l'institution à Agadir de l'Université d'Été en 198O.

Ensuite…

En l999, le Professeur doyen M. Chafik et d'autres militants dont Maître Adgherni et le Professeur Ajaâjaâ ont rédigé le Manifeste amazigh. Alors qu'ils avaient convoqué une assemblée générale au Complexe de Bouznika, et au moment où les membres convoqués allaient se réunir, l'assemblée fut interdite par les pouvoirs publics. Les travaux de l'assemblée se sont déroulés au domicile de M Chafik. En 2OO6, ce grand réseau d'associations implantées dans tout le Maroc s'est enrichie de la Ligue des Droits Humains Amazighs présidée par notre dynamique frère Ounghir Boubker. Il faut également rappeler la création depuis près de trois ans d'un parti Politique nommé PDAM (parti démocratique amazigh marocain). Une organisation originale et dynamique qui a été formée par les jeunes étudiants originaires du Sud Est, Imdeghren( Errachidia), Ouarzazate, Zagora, le Souss, le Rif... Son objectif est la lutte contre tous genres de discriminations. Il y a le CMA, le Congrès Mondial Amazigh qui a reçu l'adhésion de grandes coordinations liguées et d'associations indépendantes. Cette ONG très dynamique par la persévérance du Président actuel Lounès Belkacem est l'ambassadrice du monde amazigh à l'échelle internationale. Le CMA intervient auprès des instances onusiennes pour toutes les questions amazighes et organise des assemblées où sont élues démocratiquement ses instances. Le CMA est le porte-parole du peuple amazigh d'Afrique et des Canaries. Il organise des séminaires sur tous les problèmes que vivent Imazighen en ce qui concerne leur patrimoine : terres, culture, langue, civilisation et histoire travaille sur les dossiers de revendications. Et l'on ne pourrait pas oublier l'Association Tidaf qui a porté plainte contre le Minisère de l'Education Nationale pour les discriminations contre Imazighen à cause des programmes qui faussent leur histoire et discréditent l'amazighité en général. Un plainte suivie d'une pétition signée par des centaines de Marocains. Je me souviens de l'une des réponses du Ministre de l’Éducation : « Les Marocains n'ont pas le droit de poursuivre leur État ». En voilà une extrapolation monstrueuse quand on veut volontairement fuir ses responsabilités. M. Malki, au lieu de concerter, analyser, faire reprendre des programmes qui l'aurait indigné lui-même en tant que marocain de par les entorses graves qu'ils cumulent, notre Ministre s'est calé le dos contre la muraille de l'État comme si ceux là qui se sont plaint ne relevaient pas de l'État. Après cette brève et douloureuse rétrospective sur le militantisme amazigh et ses diverses composantes, nous ne pouvons que saluer admirablement tous ceux qui participent dignement, de près ou de loin à élargir pour notre pays la voie de la démocratie. D'ailleurs, ce sont là les points magistraux autour desquels se focalisent les revendications amazighes, des objectifs auxquels doivent souscrire tous les Marocains, femmes et hommes intègres, jaloux de leur marocanité avant tout et imbus de principes d'équité et fiers de leur pays le Maroc, royaume millénaire. Dans l'ensemble, les organisations civiles amazighes revendiquent l'officialisation de la langue amazighe, la révision de l'histoire, l'autonomie régionale fédérée, des académies indépendantes des études amazighes, la laïcité qui n'est aucunement contre ni le régime monarchique ni contre la religion qu'elle protège d'ailleurs comme dans les monarchies européennes.

Ne pensez-vous pas que les acquis du mouvement amazigh sont on ne peut plus maigres ? Excepté l’IRCAM ( l’Institut royal de culture amazighe) qui reste, malgré les dénégations répétitives de M. Boukous, une institution chaque jour enchaînée si ce n’est carrément sans efficience aucune, le mouvement amazigh ne doit-il pas changer de stratégie ?

Oui, par cette question, vous avez cerné la situation tragique du tamazight avec en parallèle la comédie des systèmes marocains, gouvernants et politiques. Comme je vous l'ai dit précédemment, les Imazighen sont excédés par le poids des attentes qui a trop pesé sur leur avenir et sur leur existence même. Et les réponses inappropriées à ces attentes forment un énorme cumul d’un inachevé se prolongeant dans le provisoire. En fait, un éternel report dû à la mauvaise volonté du système que gangrène un réseau de responsables en perpétuelle lévitation, planant au-dessus des réalités nationales qui sont, elles, partout palpables et visibles sur la face des êtres et ancrées dans leurs milieux terrestres. Un tout viscéralement et physiquement constitué, une clarté qu’agressent et s’évertuent à obscurcir des papillons produits de mythes fantaisistes que la science a brûlés et finira par faire disparaître. Et là, tout Marocain sensé est confronté à l'amère réalité quand on évalue le douloureux parcours du tamazight. Déjà, dans une déclaration que Mahjoubi Aherdane a faite quelque part, feu Hassan II lui avait répondu vers les années soixante-dix : « Aherdane, parle-moi du tamazight dans vingt ans". Une lapalissade hâtive commune aux hommes très sûrs d’eux mais reprise narquoisement par Abbès Elfassi en 2OO6 : "Il faut attendre dix ou vingt ans pour constitutionnaliser ou enseigner tamazight. » Nous sommes en 2OO7, et en cette fin du mois de février, Mhand Lenser, a cyniquement déclaré lors d'une émission de 2 M : « Pour moi, le tamazight doit d'abord être présent dans tous les secteurs avant son officialisation. Notre parti lui a réservé la place qui lui revient dans son programme... » L’on ne pourrait taire la contrariété révoltante que suscite ce défaitisme béat du populaire agriculteur officiel marocain, de la perfidie de Abbès le conservateur d’une noblesse sans armoiries si ce n’était la conquête d’une île orientale arabe dite Najat qui mit en déconfiture des milliers de foyers qui crurent à sa découverte, et d’Aherdane l’Amazigh jaloux de son arabité tel qu’il en faisait sa litanie face à Abbès qui n’a jamais été visité par une telle vertu pouvant lui faire dire : « Je suis vandalou mais jaloux de mon amazighté.» Je rappelle aux férus « homonymistes » qui mêlent par idiotie l’Andalousie au monde arabique qu’historiquement « Andalousie » s’appelait « Vandalousie ». C’était grâce à la coalition des souverains vandales et amazighs que la civilisation impériale gréco-romaine a périclité et que nous ne fumes point romains. Oui, Aherdan qui aurait pu être candidat au Panthéon amazigh s’il eut simplement boycotté un système politique qu’il avait toujours cautionné, et à une époque où son mouvement était présent dans les plaines comme dans les montagnes. Et toute la cohorte de partis politiques marocains excepté les nouveaux, présentent également les mêmes inepties visionnaires : libéraux, populaires, socialistes, islamistes, ils s’engouffrent chacun selon un étrange grégarisme qui lui est indiciaire et spécifique dans son pôle. Et comme tout ce monde se retrouve dans une physionomie spatiale que départagent trois tendances qui charrient par le jeu des coalitions complices des dizaines de formations sous-jacentes, l’ensemble matérialise un triangle hybride et abstrait où tous cohabitent en appliquant, par une complaisance vulgaire face aux urgences nationales, la nouvelle règle du bon équilibre et du bon voisinage : observer le politiquement correct. Et le grand perdant dans toutes ces théories ambulatoires de visionnaires impotents, fuyant leur devoir envers la nation, la grande perdante et martyrisée n’est autre que le tamazight qui perd le long des décades que durent ces atermoiements et ces spéculations sournoises d’importants pans de ses contenus culturel, spirituel et patrimonial qu’aggravent des dévidoirs massifs et permanents d’une arabisation provocante devenue le dragon hégémoniste au service du wahhabisme pétrolier depuis les années soixante. Années qui virent des centaines de missionnaires salafistes s’implanter dans le Tamazgha qui allait voir disparaître quelques années plus tard même son autre nom neutre : Maghreb, devenant Al-Maghreb Al-Arabi, appellation berçant un fond plus politique que territorial. Au Maroc, tous les partis politiques adhérèrent à ce parti des partis : populaires, libéraux, socialistes et même les « alems» (savants) théologiens et les islamistes ne purent dénoncer un tel « munker » (sacrilège) flagrant : faux témoignage. Et certaines personnes de ce beau monde étaient prébendées par le dictateur sanguinaire Saddam, recevant leur part de royalties pour propager la pensée unique arabo-baâthiste dont l’objectif initial inavoué était d’émousser et déprécier l’islam amazigh ou maghrébin. Mais le retour de manivelle fut cruelle quand l’arabo-baâthisme accoucha de son destructeur endogène, l’Islam politique d’où allait surgir l’autre branche dont l’ancêtre proche fut le nationalisme panarabe, l’intégrisme terroriste qui allait meurtrir la patrie longtemps immunisée par la mémoire du héros amazigh de Noumidia «l’Algérie », Youguerten (Jughurta). Enfin, une lueur parvint à échapper aux ronrons inintelligibles des épaisseurs idéologiques qui sont la cause du désenchantement amazigh. Une trouée s’opéra dans la nébuleuse opaque que pompait à gros débits les pétroliers proches orientaux arabistes, instables janissaires des impérialismes anglo-saxons et qui brouillaient des années durant les chemins historiques que rêvait de retrouver l’amazighité fraternelle de l’Afrique du Nord .

Et l’IRCAM fut…

En effet, ce fut en 2OO2 que le jeune souverain Mohamed VI a institué l’IRCAM. Ce fut à Ajdir que le discours royal a été prononcé à l’occasion de l’annonce de la création de cette Institution. Un événement qui fit date dans les annales de l’histoire du Royaume. Les hauts commis de l’État, les parlementaires, les partis politiques et les représentants de la société civile, en costume national immaculé se retrouvèrent ce jour-là à Ajdir. Les applaudissements des dignitaires de l’élite nationale pourraient être assimilés à un haut hymne à la mémoire des martyrs montagnards amazighs puisque à quelques kilomètres d’Ajdir, jouxtant la violette Khénifra, se trouve le vaste cimetière des héros ayant résisté contre les armées françaises et qui porte le nom évocateur de l’une des fabuleuses batailles amazighes en 1914 : Elhri. Ironie du sort, la même année, les premiers lycées furent construits à Fès et à Rabat et portent à ce jour les noms de Moulay Idriss et Moulay Youssef. Établissements revendiqués au protectorat par les notables de ces villes. Et les notables de Fès n’eurent point le sentiment solidaire et déclamer le « latif » contre le cruel génocide de leurs frères « Al-Barabir » comme ils l’eurent fougueusement chanté trente ans plus tard alors que le collège berbère d’Azrou venait à peine d’avoir trois ans d’existence en 193O. En cette même année, une cinquantaine de cadres de Fès et de Rabat formaient la première promotion venant de prestigieux établissements allaient façonner le destin disloqué du pays. Les 18 premiers partirent dans une longue et généreuse excursion pour découvrir les Lumières de l’hexagone et les nobles familles de France les recevaient comme les éclaireurs du nouveau Maroc de Moulay ou Sidi Lyautey comme le rapportent les rares chroniques sur ces sombres époques où se tramaient déjà de perfides complots contre l’amazighité et ses principautés du Rif au Sahara. L’aréopage national, après son pèlerinage à Ajdir où le grand air montagnard pouvait pourtant purifier les esprits et laver des poumons saturés de glaire noire ayant atteint le degré intolérable après cinquante ans de marginalisation et d’oubli de l’amazighité, et dès l’annonce de l’IRCAM, les Imazighen vivaient comme la joie d’enfants qui veillaient pour recevoir à leur réveil de merveilleux cadeaux offerts par notre Mère Marocanité rajeunie pour affronter un nouveau destin qui devait, par-dessus tout, être son immanence créatrice et mobilisatrice. Le boycott sournois contre le tamazight qui devait être dissout et brisé par l’ « agraw » d’Ajdir qui catalysa une intensité émotionnelle digne du vaillant peuple marocain n’a pu décrisper les mentalités asséchées qui reprirent leur adversité effrontée au lendemain même de la rencontre historique qui vit naître l’IRCAM. Un jour à peine après la promulgation d’Ajdir, je lisais dans le journal « le Matin du Sahara » l’appel fébrile d’un monsieur pour la création d’un organisme chargé de la protection de la langue arabe ! Dans les coulisses des partis pompeusement nationaux et démocratiques, on faisait circuler que l’IRCAM n’était pas une institution nationale mais une initiative royale… makhzénienne. Que peut-on penser de ces rumeurs et propagandes venant des rangs de leaders qu’on voit se courber et baiser révérencieusement la main du Roi, alors que parmi la base de leurs partis, des frondeurs dévalorisent l’importance et l’objectif de l’Institut en question ? À l’enthousiasme d’un jour vécu à Ajdir succédaient l’ineptie des décideurs et la léthargie multiforme qu’on connaît. Négligence, mauvaise volonté, manigances, en résumé, une toile de manipulations se tissaient sur la voie et asphyxiait la voix de l’IRCAM. Les gouvernants et les responsables politiques devinrent de simples déserteurs de la haute cause nationale tout en portant des masques de faux partenaires. Encore une fois, le grand rendez-vous avec l’histoire est manqué par l’élite politique marocaine, celui de la réconciliation et du grand balayage des frustrations socioculturelles amazighes. Et si une réelle volonté politique animait tout ce beau monde, et dans un premier temps, les Ministres de la Justice, de l’Éducation Nationale et de la Culture ainsi que les autorités se trouvant dans les régions spécifiquement amazighophones auraient été naturellement permutées ou remplacées pour des raisons nationales impérieuses. Ce fut donc cet esprit nouveau pour un authentique renouveau qui devait naître de la fondation d’un IRCAM en tant que déclencheur innovateur. Il faut aussi mettre l’accent sur le fait que l’IRCAM à lui seul ne pourrait faire face au vaste océan qu’est la culture amazighe, et les gouvernants ainsi que les détracteurs de projets nationaux amazighs en sont conscients comme s’en réjouissent les ennemis des droits humains et particulièrement du droit des enfants à l’enseignement dans leur langue maternelle. L’IRCAM ne pourra gérer à lui seul le tamazight et l’amazighité, et je dirais même qu’il fait figure de moribond face aux puissants supports de la langue arabe qui engloutissent d’énormes budgets en plus des matraquages médiatiques par le biais des médias, les TV en particulier. En général, le tamazight vit de plus en plus de problèmes ardus ; ne bénéficiant d’aucun support publicitaire, ne faisant pas l’objet de campagnes de sensibilisation dans les espaces publiques ou dans les mosquées, elle ne pourra donc évoluer que dans une voie étroite où tombent sans cesse des pavés qui l’entravent. Serait-ce dû au mauvais démarrage de l’IRCAM ? Ne connaissant pas les structures de cet Institut, je peux cependant parler d’un constat personnel et pertinent. Il n’y a pas d’annexes de l’Institut à l’échelle de chaque région pour servir de réceptacles naturels aux langages, lexiques, toponymes, en général collecteurs de patrimoines oraux pour pouvoir les valoriser. Donc, sur le territoire du royaume, l’IRCAM est absent alors qu’il devait être décentralisé afin de pouvoir intervenir dans des zones géographiques montagnardes et de hauts plateaux où la langue, la culture et les traditions amazighes gardent toujours leurs fraîcheurs mais qui risquent en même temps de céder à la longue aux épreuves du temps ou dénaturées par le tourisme mercantiliste qui prend d’assaut ces hauts trésors patrimoniaux. L’IRCAM saura-t-il en assurer la sauvegarde et les préserver contre le vandalisme de marchands qui en ignorent la valeur ? Alors sur le terrain, seules les associations peuvent encore défendre le tamazight en multipliant leurs réseaux transversalement pour bâtir les grands pôles fédérés qui peuvent reprendre les noms des grandes confédérations historiques amazighes pour à la fin pouvoir adopter le boycott civil et civique de toute action ou projet méprisant l’amazighité.

Quelle solution proposez-vous donc ? Car il ne faut pas se leurrer, le régime arabiste marocain n’a et n’aura jamais aucune envie de promouvoir une culture amazighe qui n’est pas la sienne, qu’il considère comme totalement étrangère. De plus, les Amazighs sont on ne peut plus fatigués d’attendre indéfiniment en voyant leur culture se faire détruire sous leurs yeux .

Je pense personnellement que l’arabo-baâthisme que vous citez et qu’évoquent fréquemment certains militants Imazighen n’a plus l’emprise qu’il avait sur certains régimes proche-orientaux. Il ne peut non plus prédominer dans le Tamazgha qui est africaine et qui l’a toujours ignoré et même dénigré indépendamment du courant utopiste minoritaire où se retrouvent quelques partis dont la majorité des adeptes n’épousent pas d’ailleurs ce genre de passion grégarienne morbide. Mais ce courant, bien que minoritaire a pu manipuler et imposer au Maroc des orientations que le peuple paie fortement et en subit les conséquences désastreuses. Il n’y a qu’à rappeler les ministres qui se sont succédé depuis l’indépendance du Maroc à la tête de départements stratégiques et vitaux telles que l’Éducation Nationale, la Culture, la Justice…et qui sont tout à fait étrangers à la culture et à la civilisation nationales qui sont tout à fait amazighes. Pire encore, ces responsables n’ont eu à aucun moment la volonté ni le devoir de s’imprégner des valeurs nationales pour comprendre les traditions et la langue du pays auquel ils se disent appartenir. Ainsi s’en allait-il de ces ministères qu’ont dirigés des responsables promoteurs arrogants d’une arabisation outrancière que pulsait la pensée unique arabo-baâthiste. Ces responsables se sont comportés en véritables maquignons flibustiers qui méprisent le peuple marocain libre et fier en le prenant pour un troupeau qu’ils s’acharnent à incorporer dans un Porche-Orient arabe qui en est l’opposé par sa nature géographique, archéologique, sociologique… L’arabo-baâthisme est ce serpent que prenaient pour un dragon des peuples arabes qu’accable cette honte qui les frustre à cause des déboires du panarabisme charrieur de graves ratages et de lourdes séquelles à tous les niveaux : guerres perdues contre Israël, absence de démocratie, mépris des peuples, étouffement et asservissement de la femme etc.… Alors ce serpent des sables est mort là où il se lovait mais sa queue tressaute encore avec les derniers soubresauts qui font encore vibrer quelques fans qui en étaient les charmeurs, pas les charmeurs de serpents de Marrakech. L’arabobaâthiste est l’un de ces hoquets qu’a toujours poussés l’histoire dans la hâte de ses sombres méandres ; il y eut le nazisme, le stalinisme, la « qawmajia » dite arabobaâtisme… enfin des hoquets bruyants certes mais finissant par disparaître car nés d’une fatalité contre-nature. Donc l’arabobaâthisme marocain qui n’est même pas de ces hoquets dont j’ai parlé ne saurait émousser ni arrêter cette plongée intérieure qu’opèrent les peuples qui refusent l’assimilation et l’aliénation. C’était une denrée pour quelques marchands de chez nous qui en profitèrent lâchement et que l’histoire finira par déshonorer car le peuple marocain n’est plus dupe. Il y a qu’à écouter ses pulsions dans les places publiques et dans les cafés, je ne pourrais même pas rapporter les injures que profèrent par dégoût les Marocains contre les régimes arabes qui dansent derrière leur ménétrier d’une noce jamais célébrée, leur tuba échappatoire Amr Moussa, le président de leur horde dite arabe !. Souvenez-vous que les Palestiniens l’ont symboliquement enterrée plusieurs fois, et les Imazighen qu’ignore cette instance de dénégateurs ne peuvent que la conjurer. Mon cher Monsieur Oulhadj, en vous témoignant ma grande estime pour cette construction d’opinions combien édifiante, je voudrais dire que si les Imazighen ont horreur d’être assimilés à des peuples qui leur sont étrangers, il ne faudrait pas aussi oublier que les peuples arabes méprisent eux aussi ces totalitarismes fondés sur le mensonge, l’égoïsme, la discrimination raciale, la manipulation et j’en passe. Des intellectuels arabes loyaux ont dénoncé le panarabisme qu’ils ont qualifié de racisme, et les peuples du monde entier veulent seulement être eux-mêmes et vivre dignement. J’ai toujours évité d’employer « arabe » pour respecter justement les Arabes marocains qui sont judicieux et respectueux de tamazight et des Imazighen. Même ceux-là, illettrés que le système taxe d’analphabètes vous disent : « Nous et les Chleuhs sommes dans le même sac; si un côté bascule, c’est toute la charge qui tombe. » ( « hna ou chlouh f wahd chwari ; illa taht jiha, ghadi iteh koulchi ). Parole d’hommes arabophones marocains qui subissent le matraquage de l’arabisation forcée et son service parallèle appelé l’alphabétisation (mahw al-umiyya) qui n’est autre que le renforcement déguisé de l’arabisation, un rattrapage national dont des associations auraient dilapidé des centaines de millions et que couvre le parti de l’Istiqlal, qui supervise cet énième gros pactole comme il a toujours su en créer. Et si le système pour ne pas ressasser des fois à tort le terme d’arabe, si donc le système voulait manifester sa volonté déterminée de promouvoir la culture et la langue amazighes, il aurait alloué ces budgets énormes à des programmes populaires de sensibilisation et d’apprentissage du tamazight, et ces universités populaires auraient servi à ce travail de fond pour reformuler sur des bases solides la vision du renouveau du beau pays du monde, le Maroc que chantent superficiellement brochures touristiques et télévisions…Sûr que le système se moque des Imazighen ! Et c’est une flagrante et horrible violation des droits humains. En fait, un détournement et une falsification de tous les indices qui font qu’un peuple est peuple ; mais au lieu prendre conscience de ces graves faits, ce sont ces couvercles de sable que le système s’évertue opiniâtrement à coller au Tamazgha pour en étouffer les aspirations et en dénaturer le contenu : nation arabe, Maghreb arabe…des sigles de partis politiques distillant perfidement l’idéologie « aârbawiste » et qu’on étale comme de vulgaires toponymes sur la terre africaine amazighe. Contre toutes ces offenses que versent en permanence les organes étatiques dans le quotidien amazigh, ce genre de déprédation, de dénaturation, de falsification, seule l’union massive et démocratique des Imazighen peut constituer une solide barrière qui serait peut être à la Ghandi, une muraille pouvant repousser ces monstrueuses injures dont sont auteurs d’éternels blasphémateurs attitrés qui triturent même le sens de la logique des choses. Mais que pourraient avoir les arabistes avec la logique ? Descartes n’est ni saoudien, ni syrien quoique ce pays phénicien a vu naître dans sa ville de Maâra, le poète Aboulaâla Almaârri qui a légué au 1Oe siècle cette citation immortelle : « Le monde est divisé en deux. Il y a ceux qui ont une religion mais n’ont pas de cerveau et ceux qui ont un cerveau et n’ont pas de religion ». Hélas ! la pensée pharisienne arabiste ne relève ni de l’un ni de l’autre de ces variantes qui ont valeur d’apophtegmes. Les panarabistes communautaristes usent de tous les subterfuges mêmes sordides qu’ils érigent en morale. Et le Coran n’est pas épargné ! Ils affirment que l’arabe est la langue du Coran, et comme les syllogismes sont étrangers à la pensée unique arabiste, ils feignent ignorer qu’ils attribuent même à Dieu une origine arabe. Appliquons ce syllogisme à leurs humeurs qu’ils prennent pour des pensées : l’arabe est la langue du Coran, le Coran est envoyé par Dieu, donc Dieu est arabe ! Et la naissance de ce corps pouvant combattre l’absurdité des niveleurs en tout ne viendrait sûrement pas de l’IRCAM qu’organisent et orientent des responsables ignorant tout de l’amazighité. Je dois avouer en toute honnêteté que j’ignore tout de l’IRCAM, j’ai eu le plaisir de connaître M. Ahmed Assid et Mme Meryam Demnati au cours de quelques rencontres culturelles, deux personnes sympathiques qui ont publié des choses consistantes. Assid étant en même temps un poète qui encourage les rways du Souss. Mais je suis convaincu que l’IRCAM est incapable de promouvoir de façon générale et nationale tous les constituants civilisationnels et culturels amazighs. Coincé à Rabat, sans antennes ou délégations à l’échelle de chaque région spécifique, son activité est condamnée à végéter pour finalement ne réaliser aucun objectif d’envergure en plus des entraves que provoquent les départements qui sont pourtant ses partenaires : Ministère de l’Éducation nationale, médias et autres... Qui est derrière le marasme endémique que vit l’amazighité dans toutes ses composantes ? Seul le système est responsable d’une telle déroute. Ce n’est ni Boukous ni couscous ! Excusez-moi pour cette humeur car il est énervant de voir certains responsables de l’IRCAM se livrer à d’affreuses querelles byzantines alors que même le discours royal d’Ajdir n’a pu pénétrer des mentalités endurcies soit par la paresse soit par la prévarication. La solution est entre les mains de ces Imazighen qui attendent désespérément depuis déjà un demi-siècle de spéculations et de marginalisations. En un mot, un mépris grossier caractérisé envers leurs valeurs humaines et nationales. La solution est inévitablement dans l’autonomie régionale, base d’un État démocratique fort.

Votre dernier mot...

Mon cher Oulhadj, vous me demandez un dernier mot alors que je n'en suis qu'à l'exorde préambulaire des grandes vérités sur la hideur de la masse négativiste qui accable les Imazighen. Uda! Uda! Uda! Assez! Assez! Asse! De cette béate résignation. Les Imazighen doivent s'éveiller à l'arme redoutable des temps modernes: le boycott civique et civil ne serait ce qu'au nom de cette peau de chagrin qu'est leur statut de quart-citoyen , de sous –humanité que les arabistes officiels leur ont réservé alors qu'ils représentent les trois quarts du peuple marocain. Et que la lumière amazighe soit !!

Brahim Labari : « l’objet ‘’délocalisations’’ est mal assumé par les patrons concernés... »

Sociologue de formation et tiznitois d’origine, Brahim Labari a publié dernièrement un livre intéressant sur un sujet d’actualité : les délocalisations au Maroc. Nous l’avons sollicité pour nous en parler. Ce qui fut fait. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il a des choses importantes à dire. Pour en savoir davantage, il n’y pas mieux que de se procurer, sans trop tarder, son ouvrage.

Comment vous en êtes venu à vous intéresser au thème des délocalisations ?

Mon intérêt pour ce sujet se rapporte à un lointain mais toujours vivace souvenir. J’ai en effet pris connaissance très tôt des clivages entre la société française et les sociétés nord-africaines, et ce, à travers la littérature maghrébine d’expression française. L’enseignement primaire dans le Sud du Maroc m’a initié à la découverte de ces rapports ambivalents racontés par des auteurs enseignés tels que Mouloud Ferraoun et Driss Chraïbi. Ces narrations romanesques sont - d’un point de vue sociologique - autant de questionnements qui appellent curiosité intellectuelle et validation empirique. Mon parcours, jalonné par cet univers symbolique, où se met en scène sous un mode narratif le rapport à l’altérité, m’a pré-disposé à me saisir du même questionnement à propos des délocalisations industrielles françaises au Maroc. Quelle place cette altérité racontée a-t-elle dans le processus et le vécu de ces délocalisations ? Cette interrogation a le mérite de rompre avec une approche purement économique de ce phénomène car il est nécessaire que la sociologie se saisisse de ce phénomène : sous le vocable « délocalisation » se croisent des histoires et des imaginaires hérités d’années de contacts et de métissages, tout un « univers mental » des rapports franco-maghrébins. Si cet univers concerne prioritairement les rapports franco-maghrébins et non franco-chinois, c'est en raison notamment de la colonisation et de la décolonisation, c’est qu’il y a, en l’occurrence, autre chose transcendant l’économie et les institutions. Quelques observations triviales viennent compléter mon intérêt pour ce questionnement. La première émane d’un séjour effectué à Casablanca en été de 1996. C’est par excellence la capitale économique qui a abrité naguère et abrite encore aujourd’hui la plus importante communauté française et étrangère. Je savais que cette ville dispose d’un quartier industriel et couvre un grand espace bidonvillois. J’y avais alors rencontré un certain nombre de jeunes filles travaillant dans des entreprises françaises. Elles montraient un certain empressement à préciser qu’elles travaillaient dans une entreprise française. D’échanges en échanges, j’ai été amené par curiosité à regarder de plus près les lieux de leur travail. Leurs rapports à l’entreprise, la passion de leurs récits et l’apprentissage qu’elles disaient acquérir au contact de leur milieu de travail étaient pour moi objets de questionnement. Le sens commun et ce prétexte à l’enquête sont un préalable favorable à l’élaboration de ma problématique. La seconde incitation est venue du débat politique initié autour des délocalisations industrielles en France au début des années 1990 et des rapports d’information qui affluaient alors des milieux politiques. La lecture des rapports Arthuis/Bouroutra m’a semblé trop descriptive et trop officielle pour ce qui pourrait être un pertinent questionnement sociologique.

Votre recherche vous a pris plusieurs années, est-ce que c’était facile d’en faire dans un pays à la traîne comme le Maroc ?

Au-delà de la version policée que le lecteur savoure dans les ouvrages, le terrain, et rarement le rapport au terrain, ne sont portés à sa connaissance. Pour ma part, l’enquête menée s’est avérée comme un processus laborieux. Elle m’a révélé la difficulté de sonder la société marocaine sur ses capacités à « supporter » une recherche qualitative en sciences sociales. Elle m’a fait prendre aussi connaissance des spécificités de cet objet « délocalisation » souvent mal assumé par les patrons concernés de sorte qu’il est entouré de mystères. Toutes choses auxquelles le chercheur doit faire face à la façon d’un caméléon. Les premières tentatives d'approche de terrain se sont révélées autant délicates qu’anecdotiques. L’accès à l’entreprise et à ses institutionnels requiert paradoxalement l’approbation première du Chaouch, ce portier qui trône devant la grille de l'entreprise et fait office de contrôleur des entrées et de sorties. Lorsque je me suis présenté à l'entrée des entreprises, j’ai tenté vainement, à chaque fois, d’expliquer au Chaouch le pourquoi de ma venue. Un petit extrait de notre échange est bien révélateur :
Moi : J’ai une recherche à effectuer dans l’entreprise
Chaouch : Un stage ? Ce n’est pas le moment…il faut attendre les vacances scolaires…
Moi : Il s’agit simplement de visites et quelques entretiens avec des responsables et des travailleurs…
Chaouch : Tu crois que les responsables ont suffisamment de temps à te consacrer. Ici on travaille…
Moi : J’ai déjà un courrier dans lequel le responsable est d’accord pour me recevoir. Je lui dirais tout cela de vive voix
Chaouch : Tu es venu d’où ?
Moi : De France, de Paris…
Chaouch : Tu te prends pour un Gaouri ! Tu vas visiter notre entreprise pour nous dire comment elle marche et ce qui ne va pas. Elle marche déjà, les fourmis (les travailleuses) la font fonctionner…Ce n’est pas des papiers qui manquent, c’est du travail…Mais tu es de quelle région du Maroc ?
Moi : Je suis du Sud, aux environs d’Agadir…
Chaouch : Tu es chleuh, mais que fait un chleuh dans une entreprise ? Tu n’as pas une épicerie en France ? Les Chleuhs c’est le commerce, ce sont les Fassis qui étudient… Tu dois rater ta vocation…à chacun la sienne !

Ce petit extrait traduit une représentation bien courante du clivage « ethnique » principal au Maroc : les Soussis et les Fassis. Aux premiers est associée une prédisposition au commerce ; aux seconds la culture et l’instruction. Après ces quelques échanges, révélateurs de la perception du chercheur du point de vue du Chaouch, je lui demande d’appeler le responsable ou de me laisser le rejoindre. Peine perdue: le Chaouch m’intime l’ordre de rester à l'extérieur. Après trois quarts d'heure d'attente, se présente enfin un employé marocain me demandant de le suivre. Après lui avoir montré le courrier, il s'absente un instant et revient, enfin, en compagnie du directeur technique. Celui-ci me pose quelques questions sur la recherche, son intérêt… Il s'inquiète de savoir si les entreprises enquêtées seraient identifiées dans notre travail. Question inattendue : «Travaillez-vous pour le gouvernement marocain ou pour le gouvernement français ? ». J’ai dû me lancer dans un exercice pédagogique et expliquer au responsable la signification d'une recherche, qu'il s'agit d'un travail tout à fait indépendant des pouvoirs politiques et que, naturellement, les entreprises seront soumises à la règle de l'anonymat. Enfin, le directeur technique souhaite savoir pourquoi je me suis orienté vers son entreprise et non vers celles, nombreuses, du quartier industriel. Cette suspicion me paraît exagérée, et pour toute réponse, je lui demande de me fixer un rendez-vous avec le PDG. Malgré maintes tentatives, je n’ai pu avoir accès à ce dernier par cette méthode. La difficulté d’accès au terrain m’a finalement amené à agir autrement : «Il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu’à ses saints », déclame le dicton populaire. J’ai décidé de scruter les horaires du directeur général français et de l’approcher « physiquement ». C’est ainsi que l’horizon s’est éclairci. Tout portait à croire, étant moi-même enfant du pays, que le terrain serait plus accessible et les obstacles moins lourds à franchir. En l’occurrence, la sociologie est un sport de combat. Finalement, là aussi, je suis considéré comme un intrus auquel il faut opposer méfiance. Mon implication ne sera point facilitée. La perception du chercheur est le résultat de la crainte et de la désapprobation du travail qu'il est amené à conduire. Au cours de la préparation des entretiens, j’ai été souvent, en effet, acculé à composer avec les vicissitudes du terrain : faire la queue devant les ateliers, faire sien les horaires de travail de l'usine, solliciter des jeunes filles pour des entretiens, ce qui pourrait s'apparenter à « de la drague ». Face à une telle situation, le sociologue « avisé » est amené à se munir de quelques procédés pour contourner tant d'obstacles : faire des cadeaux et donner furtivement son numéro de téléphone à ses futures enquêtées pour obtenir un rendez-vous en un lieu lointain en sont quelques exemples. Les jeunes travailleuses refusent de se prêter à cet exercice devant ou près de l'atelier de peur d'être suspectées, voire licenciées par leur employeur. Ces « choses vécues » sur le terrain et les premières approches sont autant d’illustrations d’un processus laborieux qui implique le chercheur et l’oblige à composer, voire à « bricoler » son immersion dans le milieu local. L’approche de terrain fait surgir une altérité en termes de perception du chercheur comme celui qui sait (le savant qui s’arme d’un stylo et d’un cahier), celui dont il faut par conséquent se méfier (l’intrus venu de France pour étudier ses semblables restés au pays). Il peut «perturber» l’entreprise, par sa présence, par la nature de ses questions, par ses insistances sur tel ou tel aspect de la réalité et finit finalement par déranger : l’âge des enquêtés, leur origine géographique, voire leur salaire sont autant de questions que seul un agent du Makhzen est mandaté à poser, étant le représentant de l’Etat avec qui il est tenu de « collaborer ». La crise de l’universalité des concepts et des pratiques, le poids de l’informel oblige à décrire la réalité du terrain non pas à partir de ce qui est affiché à l’attention de l’observateur « extérieur » mais à l’aune de l’expérience de terrain en tant que processus de «défrichage». Cette complexité ainsi décrite ne doit pas amener à céder à deux tentations : la première a trait à l’exotisme c’est-à-dire à une présentation du terrain marocain comme à nul autre pareil, regorgeant de jamais-vu, digne d’éblouir les plus avisés des observateurs. La seconde est, à l’opposé, inhérente à la représentation selon laquelle le terrain marocain, pour être légitimé, doit se rapporter au référent commun, un terrain comme un autre sans tenir compte de sa spécificité bien comprise. Ni occidentalo-centrisme, ni relativisme culturel, mon travail a consisté à observer la réalité marocaine fondamentalement complexe en tentant d’élucider ses permanences et ses emprunts à d’autres cultures et à en démêler les fils constitutifs.

Quelles sont les caractéristiques propres des délocalisations au Maroc ?

Le Maroc et la Chine n’attirent pas les mêmes investissements ni ne disposent des mêmes atouts. La Chine, c’est le vaste monde, c’est le capitalisme à grande échelle, c’est même le symbole d’une prospérité économique naissante, un énorme marché, le pôle d’attraction de taille « the big is beautiful ». Les délocalisations s’y déploient dans tous les secteurs économiques (primaire, secondaire et tertiaire) malgré un lourd héritage communiste. Le Maroc joue la carte de la proximité autant géographique qu’historique vis-à-vis de l’Europe, étale son ouverture méditerranéenne et fait valoir le coût de la main- d’œuvre locale. En cela, ce sont les industries européennes les plus présentes, la France se hisse au rang de «partenaire privilégié» du Maroc et occupe indétrônablement la première place des investissements directs étrangers (IDE). Sous forme de filiales de grands groupes ou de petites et moyennes entreprises, les délocalisations s’implantent majoritairement au sein du « Maroc utile », la région du grand Casa se taillant la part du lion. Timide au cours des décennies 70 – 80, la politique d’ouverture du Maroc est devenue une nécessité vitale au cours des années 1990. A l’expérience douloureuse des Programmes d’ajustement structurel succède une prise de conscience de la nécessité de réformes économiques en faveur de l’attractivité du capital étranger. La décennie 90 va donc concrétiser cette stratégie de l’ouverture avec une panoplie de signatures d’accords consacrant l’adhésion du Maroc à la philosophie du libre-échange. Un calendrier dense traduit bien cette philosophie :
1993 - Le Maroc abroge la loi dite de marocanisation et s’ouvre aux investissements extérieurs.
1994 – Le Maroc signe les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Marrakech et souscrit à la philosophie du marché et du libéralisme.
1996 – Le Maroc adhère au partenariat euro-maghrébin en signant l’accord d’association avec l’Union européenne. Il suit en cela l’exemple de la Turquie et d’Israël.
2000 – Entrée en vigueur de l’accord d’association ; suppression totale des droits de douane sur les biens d’équipements ; amorce du démantèlement pour les matières premières, les pièces de rechange et les produits non fabriqués localement à raison de 25% par an. Dès lors, la présence économique de la France au Maroc devient de plus en plus importantes non seulement pour des raisons historiques et d’affinités linguistiques qui en découlent, mais aussi à la faveur de l’abrogation de la loi de marocanisation qui s’est traduite par l’importance croissante des entreprises délocalisées. Dans une première phase, ces délocalisations ont consisté en des investissements sur des ateliers de confection à capitaux mixtes franco-marocains. Les entreprises françaises de ce secteur d'activité les plus présentes au Maroc sont les marques de lingeries, Biderman, YSL (Yves Saint-Laurent) et les sous-traitants (marques et sous-marques). D’autres vagues de délocalisations s’étendent à d’autres secteurs d’activité et en particulier aux Nouvelles technologies d’information et de communication (NTIC). Aujourd’hui, les centres d’appel sont en afflux constant et représentent un marché prometteur à conquérir.


Le Maroc n'aurait-il pas profité plus que cela des délocalisations en jouant à fond la carte de la proximité ? En aménageant massivement des zones industrielles dans le Rif plus proche de l'Europe ? Autrement dit, est-ce qu'il existe réellement une volonté politique pour profiter au maximum des délocalisations ?

En fait, les délocalisations donnent à voir la société marocaine dans les changements qui l’affectent inégalement. D’un point de vue spatial, les zones du Maroc périphérique sont plus faciles d’accès pour un projet de délocalisation parce que moins rentables économiquement et « stratégiquement ». Il y a là un véritable chantier que la volonté politique, le volontarisme politique, devrait prendre à bras-le-corps. Ces zones englobent les provinces du Sud, c’est-à-dire du Sahara que le gouvernement marocain vise à développer économiquement. Les investissements étrangers sont encouragés pour contribuer au bien-être des populations et compenser l’effort de guerre entrepris par le Maroc depuis la création du Polisario le 10 mai 1973. En ce qui concerne le Rif, la proximité avec l’Europe est évidente, mais les investissements se portent sur les provinces du Nord en raison du développement en leur sein d’une économie de drogue et de l’informel et des flux migratoires susceptibles d’y provenir. A cet égard, les délocalisations européennes comptent sinon combattre ces maux, du moins les contenir in situ. Par ailleurs, il s’agit de zones historiquement dissidentes par rapport au Makhzen. La stratégie du gouvernement marocain consiste à développer économiquement ces régions pour réduire les possibilités de dissidence. Le Nord s’apparente aujourd’hui à une « zone franche », difficile d’accès pour les PME étant donné le prix « exorbitant » du foncier et de la location. L’axe Kénitra-Casablanca-Tanger est le plus visé par les patrons « délocalisateurs » en raison notamment d'importantes structures portuaires ouvrant le Maroc sur l'extérieur, à Casablanca d'abord mais aussi à Kénitra, à Mohammédia, à Nador jusqu’à Tanger. L’autoroute va du nord jusqu’à Casablanca alors que le réseau ferroviaire s’arrête à Marrakech. Ainsi les réseaux routier et ferroviaire se concentrent dans cette même région. Dans ce cas, les délocalisations remplissent plusieurs fonctions que l’Etat marocain ne peut qu’encourager et favoriser : résorber une main-d’œuvre locale en excédent contant, fournir une alternative au chômage du plus grand nombre, nourrir des bouches nombreuses, les former aux techniques modernes et les arracher à des tendances radicales (l’islamisme par exemple). Une telle présentation est de nature à rencontrer l’aval de différentes institutions européennes et des autorités marocaines. Il y a donc une véritable convergence entre ces deux acteurs.

Et notre région du Souss, a-t-elle eu sa part, même infime, des délocalisations ou non ? Sinon, quels sont réellement ses atouts ?

Bourgade tout au long du 19e siècle, le véritable atout de la région du Souss est incontestablement le port de sa capitale, Agadir. Un port est une porte sur l’extérieur. Il est aussi un pont en ce qu’il une véritable plaque tournante entre l’Europe et l’Afrique sub-saharienne, des transactions de toute sorte y transitent (épices, fer, cuivre, or, bois, cire, cannes à sucre). Distante de 520 Km de Casablanca, Agadir symbolise le Sud du Maroc et représente le noyau dur de la région du Souss. De ce point de vue, sa position géographique la met en retrait de l’activité économique du Nord. Cette position la désavantage dans sa rivalité avec Casablanca qui représente, de par son histoire et son rapport à l’étranger, le phare du développement économique national. Sociologiquement, la population de la région du Souss est fondamentalement rurale. Après le tremblement de terre (1960), la ville d’Agadir est recomposée d’une émigration sédentaire des populations alentours dans une structure foncièrement rurale. Cette structure a les traits d’une communauté faite d’interdépendance et d’interconnaissance et où la stratification sociale ne se manifeste pas dans les apparences. La culture de la terre, dépendante des aléas climatiques, est la principale activité de la région qui dispose d’un nombre important de firmes agricoles. La capitale du sud s’est aussi développée à la faveur du credo touristique. De ce point de vue, ATP (Agriculture, Tourisme et pêche) structurent la vie économique de la région. L’industrie du tourisme, de l’artisanat et du cuir concerne prioritairement la ville d’Agadir tandis qu’Inezgane est une ville commerçante. Aït Melloul concentre l’industrie mécanique et les firmes agricoles à sa périphérie. Ces caractéristiques font de la région un pôle d’attraction des entreprises familiales, fortement intéressées par la main-d’œuvre rurale et par une organisation sociale de type communautaire. Toutes ressources que ces entreprises peuvent mobiliser dans une organisation du travail néo-paternaliste. La région est de ce fait fertile à charmer l’expatriation économique dans les industries de la pêche notamment. Il ne faut pas oublier le cadre de vie de cette région qui représente un atout extra-économique inégalé à l’échelle du Maroc. Les grands groupes économiques, eux, comme les tours opérateurs sont attirés par le chantier touristique de taille qu’offrent la ville et l’arrière-pays.
Le Sud face aux délocalisations,
Michel Houdiard Editeur11,
rue Monticelli, 75014 Paris
Prix : 30 euros frais de port gratuit

Sahara occidental : le colon et l'autochtone

Chaque année, pendant le mois d’avril, et à cause principalement du passage du dossier du Sahara occidental devant les instances de l’ONU, l’Algérie et le Maroc deviennent en l’espace de quelques jours les pires ennemis « fraternels » de la planète. Permettez-moi d’user de cet oxymore, car, quelque hypocrite que soit cette situation, ils n’hésitent pas à se dire, en même temps, bizarrement, frères, qui en plus ont tant de choses en commun. Toujours est-il que la tension devient tellement extrême, aiguë que l’on réussit la gageure d’éclipser définitivement le Polisario, le soi disant mouvement de libération de ce même territoire, plus que jamais le dindon de la farce. Même si les gesticulations désespérées de sa kyrielle d’ambassadeurs, téléguidés et financés par qui vous savez, essayent de convaincre du contraire. En vain.

En réalité, tout le monde sait que c’est un règlement de compte entre les deux principaux régimes baâthistes d’Afrique du Nord, l’Algérie et le Maroc. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ne se font pas de cadeaux. D’ailleurs, toutes les armes sont permises. Y compris les plus absurdes. En plus de la confrontation diplomatique où chacun essaye de s’attirer, par tous les moyens, les faveurs de l’ « ennemi occidental » en lui bradant quasiment ses richesses nationales ( l’Algérie, pauvre qu’elle est, se permet de vendre son gaz à des prix préférentiels à l’Espagne, un pays extrêmement riche), il y a l’autre guéguerre non moins importante, digne d’une dispute dans un bain maure un jour de dimanche, qui se poursuit à un rythme effréné dans les journaux des deux pays, plus que jamais à des années lumières des règles les plus élémentaires du journalisme.

Dans cette ridicule confrontation sémantique, il y a deux termes qui viennent souvent, plus précisément dans la presse algérienne, qui nous revoient étrangement à la période de la lutte anticoloniale : le colon et l’autochtone. Comprenez donc qu’au Sahara occidental les Sahraouis sont de gentils autochtones et les Marocains sont de méchants colons. Or, il faut vraiment faire très attention à l’utilisation abusive de genre d’expressions. Car leur emploi est autant aberrant que le conflit artificiel du Sahara occidental, vestige du fanatisme arabiste triomphant, qui a eu et qui a encore, hélas !, beaucoup de succès auprès des régimes tyranniques algérien et marocain.

Dans ce contexte délirielle, rappeler certaines vérités est toujours positif. N’en déplaise à certains, en Afrique du Nord, les seuls autochtones qu’on connaisse ce sont les Amazighs. Et les Marocains justement sont majoritairement amazighs. S’il arrive à un Amazigh d’élire domicile, pour une raison ou une autre, au Sahara occidental, qui fait partie jusqu’à preuve du contraire de l’Afrique du Nord, ne peut être pour la presse algérienne qu’un horrible colon. Risible n’est-ce pas? Plus que cela, c’est carrément pathétique. Car on insulte allègrement l’histoire, dans toute sa longueur, que certains scribouillards haineux, si ridicule que cela puisse être, veulent à tout prix faire commencer avec l’époque coloniale européenne.

Que ceux qui tiennent un tel discours lisent un peu la littérature du Polisario ! Tous les petits théoriciens de son idéologie s’accordent à dire, tout en étant extrêmement fiers, que leur peuple descend directement des tribus barbares des Banou Maâqqil, des Banou Hilal et des Banou Soulaîm. Celles-là même qui ont envahi l’Afrique du Nord au 12e siècle et que le grand sociologue nord africain, Ibn Khaldoun, a décrites avec des termes extrêmement péjoratifs. Comment alors de parfaits étrangers, et qui le répètent à qui veut l’entendre, peuvent être colonisés sur une terre qui n’est pas la leur ? J’en conviens, tout cela est une véritable quadrature du cercle !

Et si vraiment on est de bonne foi, on va faire un peu d’effort en relisant un peu la longue histoire de cette partie du monde. La dynastie amazighe des Almoravides, qui, elle, a réuni toute l’Afrique du Nord sous sa bannière, n’est pas venue du Mozambique mais bel et bien du fin fond du Sahara occidental. Mais si on veut carrément en avoir le cœur net, qu’on regarde un peu les toponymes et même les noms de certaines tribus de cette région. D’ailleurs, je défie le plus grand des Polisariens de nous les expliquer si c’est vraiment sa terre. Je suis sûr qu’il en sera incapable. Mais un fin connaisseur de l’amazigh du fin fond du Rif à titre exemple n’aura aucune difficulté de le faire. D’où l’incroyable mystification de cette énième république arabe, plus que jamais illégitime, que l’on veut nous transplanter coûte que coûte chez nous, sur notre terre amazighe.

Pour conclure, si on regarde d’une manière objective la situation, le seul peuple vraiment réellement colonisé en Afrique du Nord ce ne sont nullement les Arabes, mais bel et bien le peuple amazigh, qui est, à ce jour, clochardisé, réprimé, méprisé, honnis, prostitué, nié dans son existence, exproprié de ses terres... Mais à qui le dire ?

Maroc : telle société, telle université

Peu de gens ont été surpris par le déchaînement de violence dans les universités marocaines ; car elle y a toujours été malheureusement banalisée. Si elle n’est pas entre étudiants de tendances idéologiques différentes, elle est, le plus souvent, entre ceux-ci et les forces de l’ordre. D’ailleurs, plusieurs étudiants croupissent encore au jour d’aujourd’hui dans la prison parce que impliqués dans les affaires de violence. Alors que les moins chanceux, ils y ont laissé carrément leurs vies. À ce phénomène pour le moins inquiétant mais ô combien révélateur, essentiellement deux raisons.

Primo, il faut savoir que la violence est présente dans toutes les strates de la société. Sans vouloir exagérer, elle structure même la personnalité du Marocain. Et cela commence à la maison, dans le milieu familial. Tout jeune déjà, au moindre écart, l’enfant est systématiquement brutalisé par les parents, les frères ou toute personne tutélaire. Dans la rue, c’est le même scénario qui se répète. Pour se défendre contre les autres et sauver sa peau, il faut absolument être brutal et agressif. La violence institutionnelle n’est pas non plus à sous-estimer. La seule manière du régime pour résoudre les problèmes est d’user, d’une manière parfois massive, de la répression. Résultat : beaucoup de Marocains ont une peur bleue de leur État.

Secundo, c’est une lapalissade que de dire qu’au Maroc, il y a un terrible déficit démocratique. Nulle part le dialogue et le débat ne sont encouragés. Même à l’école, il est quasiment impossible d’exprimer ses idées librement. L’autorité du maître étant quasiment sacrée, combien d’élèves ont été torturés ou obligés de redoubler l’année ou, dans le pire des cas, expulsé de l’école car ils ont eu le malheur d’exprimer une opinion différente. Il ne faut même pas essayer de les compter.

Par ailleurs, le pluralisme culturel et politique est combattu, car vécu comme une sorte de désordre. Tout le monde doit être pareil. Aucune tête ne doit pas dépasser. Dans ce contexte, il est bien normal que tout le monde pense que la seule manière d’imposer ses idées, c’est d’user de la violence. Car incapable de les expliquer pour convaincre les autres de leur justesse. Étant  le miroir de la société, l’université marocaine ne peut donc échapper à la règle. N’a-t-elle pas produit, par le passé, les groupes extrémistes d’obédience baâthistes (Le Polisario et tous les mouvements soit disant révolutionnaires des années 70) ? N’a-t-elle pas produit les intégristes les plus virulents (des étudiants islamistes sont encore en prison car ils ont tué d’autres étudiants qui ne partagent pas leurs opinions) ?

En résumé, la violence est, hélas !, très présente dans l’université marocaine. D’autant plus qu’elle est exacerbée par les idées totalement opposées des mouvements idéologiques qui y sont dominateurs. En toute franchise, quel lien peut-il y avoir entre les nationalistes arabes et le mouvement amazigh ? Quel rapport peut-il y avoir entre les militants du Polisario et les Islamistes ? Absolument rien.

Maroc: encore des élections...pour rien

Je ne me suis pas empêché d’avoir un rictus, naturellement sarcastique, en voyant tout le tohu-bohu publicitaire fait autour des prochaines élections législatives au Maroc- qui doivent certainement encore saigner le pauvre contribuable marocain en raison de leur coût. Non pas qu’un horrible dictateur sommeille en moi. Bien au contraire. Je crois fermement dans le système démocratique. D’ailleurs, je milite autant que faire se peu pour que le Maroc, ce magnifique pays qui se trouve justement être le mien, jouisse réellement de la démocratie et de ses bienfaits. Encore faut-il qu’il s’engage sincèrement sur son chemin. Vous en conviendrez, c’est loin d’être le cas. Car il faut bien se rendre à l’évidence : sans que le régime craigne d’être la risée du monde entier, les scrutins qu’il s’offre et qu’il nous impose régulièrement sont un véritable marché de dupes, car totalement vidés de leur sens. Et ce n’est pas les preuves qui manquent. Il y en a... à la pelle !

D’abord, quelle est exactement leur utilité ? Qu’on se le dise en toute franchise, absolument rien. Et je ne suis pas le seul à le penser. Quoi de mieux que le jugement du principal architecte de la démocratie de façade que nous avons au Maroc, Feu Hassan II en personne. Ce n’était pas lui qui avait affirmé, solennellement, dans les années 80 du siècle passé que le parlement était un véritable cirque ? Si étonnant que cela puisse être, avec deux décennies de retard, probablement pour mettre le maximum de dirhams dans son bas de laine, Mohamed Ait Idder, qui s’est plus illustré dans la défense des « loosers » du Moyen-Orient qu’autre chose, est arrivé, enfin, au même terrible constat. Même si le personnage m’est particulièrement antipathique, je tiens quand même à saluer son aveu plein de franchise quoique tardif. Comme le dit si bien l’adage, il vaut mieux tard que jamais.

Ensuite, est-ce que le parlement a un quelconque rôle dans la « vie politique » marocaine- si réellement il y en a une ? À y regarder de près, il n’en a aucun. Sauf celui d’être une caisse enregistreuse des décisions du roi et de son gouvernement. Toutes ses prérogatives de contrôle s’en trouvent complètement virtuelles. Simplement parce qu’il ne les a jamais exercées faute d’autonomie. En fait, il est juste là pour donner le change. Tout observateur -même non-averti- de la politique marocaine, remarquera immédiatement que la confusion-concentration-accumulation des pouvoirs est malheureusement la règle. Et l’on sait tous que la condition sine qua non d’une vie parlementaire et démocratique saine est leur séparation claire et nette ; le tout devant être soumis à des règles draconiennes bien précises et communément admises. Pour que ce soit le cas au Maroc, il faut peut-être encore attendre, hélas !, quelques décennies, si ce n’est plus. De fait, la transition démocratique dont on nous rebat les oreilles risque de devenir éternelle. Autrement dit, qu’on « range » vite fait nos espoirs, une réelle démocratie au Maroc n’est certainement pas pour demain !

Enfin, si le parlement n’a aucune utilité, quid alors de celle des partis dits politiques. Complètement déconnectés de la réalité, on ne les voit revivre qu’à l’approche des pseudo élections que l’on nous offre. La ruée de leurs notables vers les maroquins très confortables du parlement se fait à coups d’achat de voix, de fraudes massives et de tripatouillages du ministère de l’Intérieur ( le Monde avait annoncé le résultat des élections de 2002 une semaine à l’avance). Une fois que ceux-ci sont assurés d’en avoir un, ils retournent illico presto à leurs vieilles habitudes : les affaires, que les affaires, rien que les affaires. En plus des émoluments importants qu’ils se mettent indûment dans la poche, il faut savoir qu’ils ont des avantages infinis ( des crédits sans intérêt, immunité parlementaire, retraite à vie, de multiples indemnités occasionnelles...). En fait, cette « institution parlementaire » pas comme les autres est quasiment un pays de Cocagne en plein milieu de Rabat. Combien de riches « députés »- car il faut quand même être riche pour être « élu »- y sont entrés, pour y rester ad vitam aeternam ou en sortir encore plus riches ? On ne les compte même plus.

Eu égard donc à ce qui précède, tout Marocain normalement constitué ne peut que boycotter cette énième parodie d’élections. S’il participe, ce serait brader à vil prix non seulement ses convictions et ses principes- s’il en a bien évidemment-, mais sa dignité tout court. Que dire alors des Amazighs, qui, aux yeux du régime et de ses partis politiques, ne méritent, au mieux, que mépris, rejet et exécration, s’ils ne sont, au pire, niés dans leur existence même ? Pour ceux parmi eux qui ont un minimum de conscience identitaire et politique, il ne leur passerait jamais à l’esprit de cautionner une telle mascarade électorale. Celui qui fait le contraire, c’est qu’il n’est certainement plus du monde des hommes… libres.