samedi, novembre 10, 2007

Ma traduction en tamazight d’En attendant Godot

Après plusieurs mois de travail, je viens de boucler, enfin, la traduction en tamazight d’En attendant Godot, la célèbre pièce de l’auteur irlandais, Samuel Bekcett ! Mon défi était simple, et les lecteurs pourront en juger au moment venu, est d’exprimer toute la complexité occidentale que ce texte charrie dans la langue de Hemmou Outtalb. Encore faut-il qu’elle soit accessible au plus grand nombre.

Pour ce faire, j’ai essayé au maximum de ne pas succomber à la mode néologiste toujours très en vogue. Parce que, à mon humble avis, très facile et nullement intéressante. À trop forcer la dose, l’on crée carrément une nouvelle langue sans aucune assise sociologique et, partant, déconnectée de la réalité, de sa réalité. Donc forcément hermétique sauf peut-être pour quelques très rares initiés un peu têtus.

Pour autant, pour que le travail de traduction ne soit pas trop harassant, il faut impérativement avoir des outils –dictionnaires bilingues à titre d’exemple- à sa disposition. Comme vous le savez tous, dans le cas de notre langue, ils n’existent tout simplement pas ou pas encore. L’on n’espère bien entendu que les choses n’en resteront pas là. Comment faire alors ? Il ne faut donc compter que sur soi-même. En fait, cela fait plusieurs années que je glane, minutieusement, patiemment, le lexique amazigh en m’appuyant sur toutes sortes de supports. Qu’ils soient écrits ou oraux. À ce jour, en plus du fait que je maîtrise la langue amazighe, j’ai pu rassembler assez de matière pour pouvoir m’attaquer à En attendant Godot, un texte que d’aucuns n’hésiteraient pas à qualifier de particulièrement ardu. En réalité, j’ai en ma possession un lexique bilingue français/amazigh de ma propre fabrication. Qui sait ? Peut-être, il sera l’objet d’une publication lorsqu’il sera fin prêt. Il peut toujours être d’un grand secours pour ceux qui veulent, le cas échéant, traduire d’autres œuvres littéraires.

Quelle sont donc les difficultés que j’ai rencontrées pour réaliser ce modeste travail ? Primo, il y a effectivement la problématique, lancinante du reste, de la transcription. Si le choix de l’alphabet latin allait de soi, reste à savoir si ces différentes utilisations sont accessibles au plus grand nombre. Deux importantes possibilités- les plus connues- se sont présentées à moi. D’une part, il y a bien évidemment la plus ancienne, la transcription de Dda Lumulud avec ses lettres grecques partout. Que mes amis kabyles ne s’en offusquent pas, celle-ci n’est pas du tout simple. D’autant plus qu’elle n’est nullement prise en charge par les différents supports technologiques à notre disposition. D’autre part, il y a celle des Aït Souss, un peu plus récente, popularisée par le site bien connu, mondeberbere.com. Là aussi, elle n’est absolument pas pratique. Car avec les accents circonflexes partout, les sons emphatiques ne sont jamais bien précisés. En fait, il faut déjà connaître parfaitement bien le tamazight pour pouvoir le lire correctement. Pour ma part, pour ne pas rebuter le lecteur potentiel, j’ai résolu le problème en soulignant les sons emphatiques. Simplement. Tout en gardant les sons qui ne posent plus de problèmes ( x=kh, gh= r grasseyé…).

Secundo, comment faire d’une langue essentiellement orale, une langue d’écriture ? De fait, cette transition n’était pas vraiment un problème. Le tamazight devient de plus en plus une langue écrite. Disons-le franchement, et c’est à l’honneur de ceux qui griffonnent inlassablement leurs idées avec cette langue, elle n’est déjà plus uniquement orale. La preuve : nous pouvons maintenant être fiers d’avoir une production littéraire (création ou traduction) fort importante qu’il faut bien évidemment voir et regarder avec, systématiquement, un œil critique. Ce que j’ai fait. D’autant plus que j’ai déjà traduit en français nombre de poèmes amazighs. Et inversement. Par ailleurs, quelles sont donc les erreurs à éviter? Il faut toujours se dire si on se fait comprendre. Car lorsqu’on écrit on ne le fait pas que pour soi-même, mais pour les autres aussi. Il faut systématiquement être clair et sobre. Sinon d’un point de vue essentiellement technique, il faut éviter les répétitions qui alourdissent le texte, mais aussi les phénomènes linguistiques propres à l’oralité : « ay lligh » donnera « ar lligh » ; « jjenjem » donnera « ssenjem »; « ghwwad » donnera « wwad » … Il est bien évident que pour toute présentation, il faut renouer avec l’oralité. Histoire de se faire comprendre sans forcément sacrifier la rigueur.

Tertio, il y a lieu de résoudre ce dilemme : adaptation ou traduction ? Je sais qu’une adaptation de ce texte a été déjà réalisée que je n’ai pas jamais vue d’ailleurs. Je n’ai pas voulu faire la même chose. La raison est on ne peut plus simple : la pièce de théâtre existe dans bien de langues de part le monde. Sans que l’on n’y change absolument rien. Pourquoi ne pas faire de même avec le tamazight ? De plus, à titre personnel, si l’on adapte un texte, il vaut mieux aller plus loin : pourquoi ne pas en créer un autre ? Je dis cela sans vouloir jeter la pierre et encore moins préjuger des efforts de quiconque. Par ailleurs, sur quel texte donc je me suis appuyé pour ce modeste travail de traduction ? À dire vrai, j’ai vu et lu la pièce en anglais, mais c’était le texte français que j’ai retenu. Parce que tout simplement c’était, à ma connaissance, la première version écrite par Samuel Bekectt- il y a quelques différences minimes entre les deux. Même si, à mon sens, les deux se complètent. Il faut impérativement lire les deux pour pouvoir comprendre parfaitement bien le texte. Car l’influence de la culture anglaise de Bekcett sur son texte français est plus qu’une évidence.

Pour conclure, ne soyez pas du tout découragés, il n’y a pas que des difficultés dans l’écriture dans le tamazight. En plus de ce rapport affectif sincèrement valorisant que j’ai toujours eu avec ma langue maternelle, il y a cette jouissance difficilement descriptible d’y réfléchir, d’y penser, de chercher nerveusement un mot que l’on avait sur la langue, une expression idiomatique que l’on n’a pas utilisée depuis des années... Bref, il y a tout cet effort intellectuel et ce retour salutaire sur la langue, ma langue avec laquelle, pour la première fois de ma vie, j’ai découvert et nommé le monde. Une langue, que ce soit dit en passant, pleine d’énormément de ressources et d’une richesse qui en surprendra plus d’un.

Je conseille à tout un chacun de vivre une telle expérience au moins une fois dans sa vie. Il en gardera, éternellement, fondamentalement, un délicieux souvenir. Parole d’un Soussi !!