dimanche, novembre 12, 2006

Maroc : enfin une ONG amazighe des droits humains

25 ans, enseignant, Said Ezzaoui est un fervent militant qui n’a de cesse de lutter pour les droits du peuple amazigh. Il a été membre des plus grandes organisations amazighes avant de décider avec ses amis- tout aussi actifs- qu’il est temps de mettre sur pied une ONG amazighe des droits humains. Il faut dire qu’elle en manquait terriblement. Ce qui fut concrétisé en peu de temps. Et c’est en tant que son coordinateur général que nous l’avons contacté pour répondre à quelques-unes de nos interrogations. À lire impérativement !


Pourquoi une Ligue amazighe des droits humains ( LADH) ?
Nous sommes un groupe de jeunes militants, pratiquement tous issus du mouvement culturel amazigh (MCA), qui étaient conscients, depuis longtemps, de la nécessité de créer une structure organisationnelle à même de défendre le peuple amazigh non seulement au Maroc, mais dans l'ensemble des pays du Tamazgha. Ainsi, le plus logiquement du monde, la Ligue amazighe des droits humains (LADH) a vu le jour dans le courant de mois juillet dernier. Les raisons sont les suivantes : les violations continues des droits du peuple amazigh (droits culturels, droits linguistiques, droits économiques, droit à la vie et à l'existence...) ; le mutisme total de toutes les associations et autres organisations des droits de l’homme- d’obédience arabiste- œuvrant au Maroc par rapport à la situation inique que vivent les Amazighs ; la participation dans la dynamique internationale du mouvement des droits de l'homme. Ce qui passe, à mon avis, par le biais de deux modes d’emploi : intégrer, d’une part, les revendications amazighes dans le processus mondial de défense des droits humains et, d’autre part, les faire connaître le plus possible aux organisations internationales comme l’ONU…

Pour quelle raison vous dites que les ONG des droits de l’homme sont d’obédience arabiste ?

Nous, membres de la Ligue amazighe des droits humains, ne nions en aucun cas le rôle historique important de ces organisations dans la défense et l’amélioration des droits de l’homme au Maroc. Mais nous nous sommes rendu compte qu’elles font totalement litière des droits culturels, linguistique et historique du peuple amazigh. Leur vision de la défense des droits de l’homme est théoriquement globale et n’exclue personne, mais dans la réalité, c’est tout autre chose. Et ce, pour des raisons idéologiques plus qu’évidentes. Nous n’oublierons jamais l’attitude scandaleuse de Abderrahman Ben Amrou, l’ex-président de l’Association marocaine des droits de l’homme ( AMDH) et l’un des ténors du parti de l’Avant-garde socialiste lors du congrès de la Confédération internationale des droits de l’homme (FIDH) tenu à Casablanca en janvier 2001. Il avait refusé catégoriquement de soutenir une proposition appelant le régime marocain à officialiser la langue amazighe. Pire encore, lors des Congrès de ses ONG marocaines, nous savons également que bon nombre de nos militants amazighs y sont souvent l’objet de pressions tous azimuts et d’intimidations diffuses. En fait, ces ONG restent encore et toujours tributaires des courants arabo-baâthistes, qui dominent toutes leurs structures et tous leurs appareils exécutifs. À telle enseigne qu’il est parfois très difficile de les distinguer de tous ces partis arabo-islamistes présents sur l’échiquier politique marocain. Des partis qui ne ratent jamais aucune occasion de s’enorgueillir d’être très dépendants du Moyen-Orient. Vous pouvez en juger vous-même. Lisez juste leurs communiqués pour savoir à quel point, pour ces organisations, seuls les problèmes arabes ou des Arabes sont dignes d’être évoqués !

Peut-on dire que ce sont donc des ONG pour la défense des droits de l’homme " arabe " ?

Malheureusement oui. Ces organisations n’ont jamais démontré qu’elles défendent les droits du peuple amazigh. C’est un sujet qui ne les intéresse guère. Contrairement au problèmes des Arabes et du Moyen-Orient. D’ailleurs, elles ne parlent que de cela. Dans ces conditions, on ne pouvait indéfiniment rester les bras croisés et les attendre qu’elles changent d’attitude. Nous devions agir et nous prendre nous-mêmes en charge. Nous avons donc pensé créer notre propre organisation qui aura pour tâche principale la défense des droits du peuple amazigh non seulement au Maroc, mais dans tout le Tamazgha.

Ne pensez-vous pas qu’une telle organisation devait exister depuis longtemps déjà, vu la multitude d’injustices dont est victime le peuple amazigh ?

En effet, il fallait que les militants amazighs créent une organisation des droits de l’homme propre à eux depuis longtemps. Puisque les violations des droits du peuple amazigh ne datent pas d’aujourd’hui. Si ce n’était pas fait, c’est pour ces raisons. Une bonne majorité d’entre eux ont plutôt opté pour le travail associatif qui, comme vous le savez, a toujours oeuvré d’une manière concomitante sur trois domaines : le culturel, le politique et les droits de l’homme. En parallèle, une partie de nos militants a plutôt tablé sur un changement à venir des organisations existantes au Maroc par rapport à la question de l’amazighité. Comment ? Par l’entrisme au début et en y créant des groupes de pression, par la suite, afin de les amener à s’intéresser à la situation désastreuse du peuple amazigh. Mais en vain. Nos espoirs ont été déçus, car elles sont toujours restées crispées et insensibles par rapport à tout ce qui a trait à l’amazighité. Nous n’avions plus le choix. Il nous fallait notre propre organisation. Nous avons attendu que les conditions soient réunies pour passer à l’ " acte ". Ce qui fut fait. La LADH a vu effectivement le jour. Et ce pour défendre les droits de l’homme dans leur globalité, tels qu’ils sont définis par tous les traités internationaux.

Et l'administration marocaine, ne s'est-elle pas opposée à votre projet ?

Cela fera bientôt trois mois que notre organisation est née, et à ce jour nous n’avons aucun problème avec les autorités. Il faut dire que nous avons fait les choses dans les règles. Nous avons préparé minutieusement notre dossier en respectant scrupuleusement les exigences de la loi. Nous avons reçu en conséquence notre récépissé provisoire. Sans aucun problème.

Vous habitez dans l'arrière-pays du Souss ( Bouizakarn, Taghjjijt et Timoulay…), n'est-il pas difficile de travailler dans de telles conditions ? Ne serait-elle pas mieux que vous soyez dans une grande ville comme Agadir par exemple ?

Il est vrai que les fondateurs de la Ligue amazigh sont loin des grands centres urbains du Souss, mais sachez que cette situation a du bon. Car là nous sommes des témoins directs des terribles souffrances de nos populations rurales complètement exclues. Je suis d’avis que les conditions de notre combat seraient probablement meilleures dans les villes, mais l’évolution technologique impressionnante des moyens de communication et leur accessibilité ont fait que les distances se sont grandement rétrécies. Je tiens quand même à faire une mise au point : notre combat est celui de tout un peuple. Il ne doit en aucun cas être monopolisé par nos seules élites citadines. C’est l’affaire de tous les Amazighs, sans exception aucune.

Quelles sont les réactions des autres organisations marocaines des droits humains par rapport à l’avènement de la LADH ?

La création d’organisations telles que la nôtre est un droit que protègent tous les traités et toutes les conventions internationales des droits de l’homme. Si ces organisations y croient réellement et s’y inspirent, normalement, elles sont obligées de nous respecter et même de nous encourager. Mais jusqu’à présent, nous n’avons aucune réaction, ni positive ni négative. Par ailleurs, beaucoup de militants amazighs au Maroc, dans les pays du Tamazgha et dans la diaspora se sont manifestés pour nous souhaiter leur soutien le plus ferme.

Pouvez-nous faire un bref topo sur l’essentiel de vos actions jusqu’à aujourd’hui ?

Malgré le jeune âge de notre organisation, elle a pu quand même suivre avec une attention particulière toutes les violations des droits du peuple amazigh que ce soit au Maroc ou dans tout le Tamazgha. Ces cas ont été signalés aux responsables gouvernementaux et ont fait également l’objet de communiqués de dénonciation, diffusés via la presse nationale et internationale. On peut en citer : l’interdiction des prénoms amazighs, l’expropriation de notre peuple de ses terres ancestrales et de ses richesses naturelles, l’empêchement scandaleux de la troupe libyenne, Ussan, de participer au festival de Tanger, la lâche tentative d’assassinat dont a été victime Dda Hmad Adgherni… Pour rehausser le niveau de ses militants, la LADH a organisé plusieurs ateliers de formation dans le domaine des droits de l’homme. Dans le courant du mois de novembre 2006, sera organisé son premier conseil national, qui est la plus importante structure en son sein après le congrès national. Il sera l’occasion pour que les membres du bureau exécutif et les coordinateurs régionaux ( 10 comités régionaux ont vu le jour dernièrement ) pour discuter et étudier les derniers développements de la situation de droits de l’homme au Maroc, la situation du peuple amazigh, les stratégies à venir de la LADH…

Quels sont les projets que vous vous êtes fixés ?

Ce n’est pas cela qui nous manque vraiment. Même si la liste est longue on peut les résumer ainsi : organiser des journées d’études et ateliers sur la situation des droits de l’homme en général, et du peuple amazigh en particulier ; préparer des rapports réguliers sur les violations flagrantes des droits de l’homme ; fonder un centre médiatique spécialisé dans la question des droits de l’homme ; mettre sur pied des rencontres avec d’autres organisations nationales et internationales qui œuvrent dans le même domaine…

Vous parlez souvent du peuple amazigh, quel sens lui donnez-vous ?

En tant que marocains, nous appartenons géographiquement et politiquement à un pays, le Maroc. Le peuple qui habite ce pays et tout le Tamazgha est amazigh par excellence. D’ailleurs, toutes les sciences ( sciences humaines, archéologie, Histoire, anthropologie…) le prouvent et le démontrent. Or au cours de l’Histoire, les royaumes amazighs ont vécu des périodes de déclin qui ont vu la venue de bon nombre de peuples ( Phéniciens, Roumains, Byzantins, Vandales, Arabes, Français…) à des fins coloniales ou pour trouver refuge chez nous. Ces groupements humains, aussi forts qu’ils pouvaient être, n’ont jamais pu imposer aux Amazighs leur culture ou leur manière de vivre. De tout temps, notre peuple a préservé farouchement ses spécificités identitaires et culturelles.

Et le peuple arabe ?

Dire qu’il y a un peuple arabe en Afrique du Nord est complètement non fondé et ne résiste pas devant les preuves de la science et de l’Histoire. Le peuple arabe existe bien évidemment, mais chez lui, en Arabie, alors que l’Afrique du Nord est la terre du peuple amazigh. Quant au fait que le Maroc est totalement islamisé, là aussi c’est un mythe plus qu’autre chose. Un mythe que les barbus et les tenants d’un État religieux savent maintenir à dessein. Notre pays a toujours connu une pluralité confessionnelle. Il y a effectivement des religions qui ont disparu, mais leurs influences est toujours aussi vivaces. En tous les cas, et c’est mon point de vue, la religion est changeante. On ne peut donc la considérer comme un paramètre stable définissant l’identité de tout un peuple. Par ailleurs, je m’étonne toujours de ceux qui parlent, à souhait, du peuple arabe, turc, perse, mais se refusent à évoquer les Amazighs, comme un peuple à part entière avec son Histoire, son identité et sa culture. Ceux qui nous considèrent comme des Arabes et intègrent notre Tamazgha à leur monde arabe montrent, de ce fait, au grand jour leur vraie nature de colonialistes et d’impérialistes.

Réalisé par Lahsen Oulhadj