Ce que l’on craignait est enfin arrivé. Anna Politkovskaïa, l’une des plus célèbres journalistes russes, est tombée, dimanche dernier, sous les balles assassines de ses ennemis que l’on sait très nombreux. Tellement cette dame frêle, mais ô combien courageuse !, dérangeait par sa plume des milieux on ne peut plus puissants. Pourvue d’une langue bien "pendue " et une plume acerbe, elle ne s’embarrasse jamais de critiquer, d’une manière frontale, l’homme le plus puissant de Russie, Poutine, et la politique pour le moins meurtrière qu’il mène tambour battant en Tchéchénie.
Rentrant tranquillement chez elle ses courses à la main, ses tueurs l’ont liquidée, dans l’ascenseur de son immeuble, froidement, et d’une manière "professionnelle ", selon les propres termes de la police moscovite. Il faut dire qu’elle était régulièrement menacée. Elle ne le savait que trop bien. Elle a d’ailleurs été victime en 2004 d’une tentative d’empoisonnement dans l’avion qui la menait pour couvrir la fameuse tuerie de Beslan. Mais elle s’en est sortie, miraculeusement.
Enivré par les recettes astronomiques du pétrole, le président Poutine a les coudées franches et surtout des moyens immenses pour continuer d’asseoir une véritable autocratie en Russie. Après avoir fait taire tous les nouveaux riches, soupçonnés d’avoir des velléités démocratiques, et qui auraient pu, le cas échéant, lui faire de l’ombre, il s’est attaqué à la presse avec une violence inouïe. Il n’hésite pas à employer la manière la plus radicale. Il ne recule devant rien. Tous ceux qui peuvent lui poser problème sont tués. On compte d’ailleurs, selon le Comité de protection des journalistes, organisme basé à New York, 42 assassinats non élucidés de journalistes en Russie, plaçant ainsi ce pays sur le podium des pays les plus dangereux au monde après l’Irak et l’Algérie.
Pour autant, le tollé quasiment planétaire provoqué par le meurtre de Poltkovskaïa a probablement mis le maître du Kremlin dans l’embarras. Après un silence très révélateur, il a enfin brisé le silence pour promettre de faire une enquête pour confondre le criminel ou les criminels. Mais personne n’y croit réellement. Surtout la Novaïa Gazeta, le magazine où travaillait Anna Politkovskaïa. Elle a d’ores et déjà offert 1 million de dollars à toute personne à même d’aider à faire la lumière sur cette triste affaire. C’est vous dire à quel point elle fait confiance à la justice russe.
La deuxième triste nouvelle est le décès dans des conditions pas tellement claires du talentueux journaliste africain et le correspondant attitré de Radio France Internationale au Cameroun, David Ndachi Tagne. Pour ceux qui écoutaient, régulièrement, cette célèbre station, ils ne pouvaient tout simplement ne pas le connaître. Tellement ces reportages sont toujours extrêmement bien faits et très enrichissants.
Il faut dire que ce professionnel hors pair est une tête bien faite. En fait, il est titulaire d’un doctorat en littérature africaine et a même publié nombre d’ouvrages savants à ce sujet. D’autant plus que sa longue carrière journalistique, commencée en 1979, a fait de lui un homme d’expérience très respectée par ses pairs et ses auditeurs. Ce que confirme amplement cette phrase qu’on peut lire sur le site Internet de RFI : "David Ndachi Tagne, c'était l'honnête homme, un grand journaliste, une voix, une présence qui s'imposait tout naturellement. "
La dernière nouvelle tout aussi triste, mais un peu moins grave, parce qu’il ne s’agit pas, heureusement, de mort d’homme, concerne le correspondant du quotidien français le Figaro en Algérie, Arezki Aït Larbi. En allant retirer son passeport, il a été informé que son document a été bloqué par la police pour une étrange affaire de diffamation qui remonte à très loin, en 1997 plus exactement. Manque de bol, il apprend, complètement abasourdi, coup sur coup, qu’un mandat d’amener a été lancé contre lui et qu’il a même été condamné par défaut à une peine de 6 mois. Tout cela sans qu’il en sache absolument rien.
Ce qui a fait dire à l’intéressé, plus que désabusé, que "tant de coïncidences ne sauraient relever d’un simple dysfonctionnement bureaucratique, mais elles sont liées à la volonté des autorités de lui refuser son accréditation en tant que correspondant d’un quotidien étranger et aux pressions récurrentes visant à l’empêcher d’exercer son métier ".
Décidément les journalistes algériens ne sont pas au bout de leur peine. Après la décennie noire où plusieurs dizaines des leurs sont morts sous les balles de terroristes de tout poil, voilà que le régime, requinqué lui aussi par les recettes du pétrole, s’y met aussi en réprimant à tout bout de champ. D’ailleurs l’une de ces victimes les plus connues n’est autre que le directeur du défunt quotidien Le Matin, Mohamed Benichou, qui a passé deux ans en prison. Son seul et unique crime, il a écrit un livre sur le président algérien, A. Bouteflika.
Comme on peut le constater, ce qui relève de la norme dans les pays démocratiques est loin d’être le cas sous d’autres cieux. Comme quoi la lutte pour la liberté de la presse et la démocratie doit être permanente et sans relâche. Car beaucoup de régimes autoritaires n’attendent que la moindre petite occasion pour condamner illico presto les rares espaces de libertés que les démocrates ont acquis de haute lutte. À nous de les soutenir, en en parlant par exemple !