mercredi, août 04, 2010

Aslal ou le miel de l’euphorbe

Il y a plusieurs années, j’avais écrit un petit papier sur Aslal- cela veut dire miel pur ou rayon de miel en tamazight- après avoir écouté l’un de ses one man shows. Si la mémoire m’est encore fidèle, j’avais dit textuellement qu’il était un prodige unique en ce genre. En effet, je n’avais vraiment pas tort et encore moins exagéré. Car la tournure des événements m’a amplement donné raison.

En peu de temps, Aslal est devenu une figure majeure de notre paysage culturel. Il va sans dire qu’il est un artiste plus que complet. Dans la mesure où il est comédien, acteur, chanteur et même... réalisateur. Et tout cela est conjugué, bien naturellement, avec beaucoup de talent que peu de gens oseraient remettre en question. Pour tout vous dire, nous avons affaire à un artiste qui marquera probablement son époque. Indélébilement.

Rencontre

Dès que l’occasion s’est présentée de le rencontrer, je n’ai pas hésité un seul instant. Mais j’ai vite fait de ranger mes idées préconçues au placard. En fait, l’homme, tout en étant affable, est extrêmement sérieux, sobre même. Autrement dit, il ne faut pas vous attendre à ce qu’il vous fasse une blague à chaque coin et recoin de phrase.

Reste que la discussion est extrêmement fluide avec lui, mais il faut impérativement, c’est du moins ma propre impression, faire un net distinguo entre l’Aslal de la scène et l’Aslal de la vie réelle. En vérité, ils ne se confondent pas forcément. Ils peuvent même être par moment très différents, antagoniques même.

Assis donc autour d’un café au centre bruyant, grouillant et brouillon d’Inezgane, nous avons commencé notre discussion par parler de tout et rien. Mais une fois reconnu par les badauds, des sourires fusent de partout. L’homme est indiscutablement une célébrité, une star même. Un fait cocasse a même eu lieu ce jour-là : un petit bambin, a carrément accouru pour l’enlacer. Chaleureusement. Sa mère, venue en trombe et vraiment gênée aux entournures, s’est perdue littéralement pendant un moment dans ses mots pour lui représenter ses excuses les plus plates.

Scène

Même s’il est originaire d’Imtougga, dans la région de Taroudant, Aslal -Rachid Boulmazghi de son vrai nom- a vu le jour à Dcheira en 1975. Orphelin de père- qui était fquih de profession- à l’âge de deux ans, c’était sa mère et son frère aîné qui l’ont pris sur leurs propres ailes. Contrairement à ce que vous aurez pu imaginer, sa vie n’a absolument pas été un drame perpétuel. Loin s’en faut. « Mon enfance a été très heureuse, car Dcheira à l’époque était encore marqué par la ruralité. Il y avait une ambiance très fraternelle et cordiale, marquée par la solidarité sans faille entre tous les habitants », se rappelle-t-il, avec une pointe de nostalgie dans la voix.

Élève brillant, le petit écolier qui était Aslal était un accro des activités scolaires. Il était toujours le premier à vouloir y participer. Avec un enthousiasme qui ne se démentait jamais. En fait, il y a des vocations qui s’annoncent très précocement, pourrait-on dire. Et c’est le moins que l’on puisse dire. Toujours est-il que pour rien au monde, il n’aurait raté sa participation aux manifestations culturelles de son école. Pour cela, il a une petite explique. « Sur une scène, n’importe quelle scène, je sens toujours ce que je suis vraiment, je me retrouve en fait », explique-t-il, laconique et sans aucunement vouloir forcer le trait.

Blessure

En 1983, lors d’une manifestation à la municipalité d’Agadir, le nouveau directeur de son école a voulu l’empêcher de monter sur scène avec la chorale scolaire sous le fallacieux prétexte que son djellaba -qu’il avait d’ailleurs emprunté à un voisin- n’était pas vraiment convenable. C’était ce qu’il ne fallait pas faire. Le petit Aslal a immédiatement fondu en larmes. Devinant ce qui s’est passé, son maître est allé directement faire toute une scène au directeur en lui rappelant qu’Aslal était son meilleur élément. « Voyons, ce n’est pas l’habit qui compte, mais le travail fourni ! », ajouta le maître complètement remonté à l’adresse du directeur.

Pour autant, la blessure était toujours enfouie quelque part, dans les plis les plus reculés de son cœur. Comme le hasard arrange bien les choses, en 2005, justement une soirée hommage a été organisée par le corps enseignant au même directeur à l’occasion de son départ en retraite. Il s’est trouvé qu’Aslal a été invité pour présenter quelques sketchs. « Et c’est là que j’ai parlé avec lui à cœur ouvert en lui rappelant la terrible blessure qu’il m’avait infligée », se rappelle Aslal, avec un certain sentiment jouissif d’avoir, finalement, crevé l’abcès. « Il n’a pas hésité un seul instant à me prendre littéralement dans ses bras pour me supplier, sincèrement contrit, de lui pardonner», enchaîne-t-il, toujours avec ces inflexions de voix, typiques aux gens d’Aksimen et d’Imsgginen.

Destin

La vocation d’Aslal aurait pu bien s’arrêter après le comportement irresponsable du directeur de son école. Mais il n’en était absolument rien. Il faut bien reconnaître que ce n’était pas la volonté qui lui manquait. Mais le destin aussi l’a grandement aidé. Il y est même pour beaucoup. Car chemin faisant, pendant les années collège pour être plus précis, il s’est liée d’amitié avec un groupe de camarades qui partageaient les mêmes centres d’intérêt que lui. Dont bien sûr l’amour de la comédie.

« Je peux en citer A. Henna, M. Bounnachat, les frères Aït El-Bahi et S. Ouaâdim. Malgré notre jeune âge, nous faisions nos propres sketchs sans la tutelle de quiconque. Nous les soumettons par la suite à l’administration qui les accepte immédiatement. En tous les cas, notre travail plaisait beaucoup au public estudiantin », explique Aslal, le sourire aux lèvres.

La suite du parcours d’Aslal, on la connaît presque par cœur. Le mouvement culturel amazigh l’a parrainé en lui donnant une possibilité d’expression à chacune de ses activités. Ce qui lui a donné beaucoup de confiance en lui et cette sensibilité militante consubstantielle à l’ensemble de son travail.

Originalité

Mais qu’est-ce qui, de plus, caractérise l’humour d’Aslal ? Il a réussi quelque chose d’important, de très important. Et il faut vraiment le reconnaître. En fait, il a eu le mérite de donner un souffle nouveau au tabaqqchichit, l’art comique amazigh. En d’autres termes, il lui a insufflé une bonne mise à jour, en employant le jargon des informaticiens.

Il a été par exemple le premier à traiter les sujets politiques avec un courage qui en a surpris plus d’un. D’autant plus qu’il n’a jamais sa langue dans sa poche. Son sketch portant sur le parlementaire corrompu est tout simple un modèle du genre. Il n’a pas non plus ménagé les siens, les Amazighs, qu’il prend, avec énormément de plaisir, en dérision.

En fait, s’il y a une expression qui peut bien s’appliquer, à mon point de vue, à son humour aigre-doux, c’est bien celle-là : la douceur dans l’amertume. Car la rigolade est vraiment assurée avec lui. Parallèlement, il ne s’empêche jamais de vous dire ses quatre vérités en face. Avec le sourire en plus.

Si on se permet une parabole un peu osée, je dirais que l’humour aslalien est un peu comme ce miel, recherché pour ses vertus médicinales, fait à base de tikiwt ou l’euphorbe. Il est vrai que c’est très bon, mais il faut bien supporter l’irritation aiguë de la gorge et les brûlures momentanées de l’estomac qui vont avec.

En d’autres termes, et c’est le moins que l’on puisse dire, Aslal porte bien son nom de scène. En tous les cas, pour notre part, si on ne peut lui dire une chose : qu’il continue toujours sur la voie qu’il s’est choisie.