vendredi, janvier 05, 2007

Oudaden : les éternels rois de la pop amazighe

C’est au moment où l’on pense qu’Oudaden sont finis, qu’ils nous surprennent avec du nouveau. Il y a quelques années c’était Dif llah a tarwa n tmazirt inu, un album qui a eu un succès phénoménal. Il n’y a même pas une semaine, c’est rebelotte. Ces vieux baroudeurs de la chanson amazighe récidivent avec un opus d’une extrême fraîcheur et d’une jeunesse surprenante.

Baroudeurs dites-vous ? Eh oui ! Il faut savoir, mine de rien, qu’ils ont au compteur plus de 25 ans de carrière. Une longévité pour le moins exceptionnelle faite de beaucoup de succès et rarement de ratés. Un vrai succes story musical que le parcours des ces enfants terribles du quartier populaire de Benseragaou.
Ce nouvel album comporte 7 titres (a kun ig Rebbi d lqqlum ay aghalim, awa hann ddunit, nsaqqsa, aH a titrit, nsaqqsa iZri, i Rebbi a lànber, , igider, bark allah ay ajdaà, ad ur tallat ay ul inu). Que du pur Oudaden, c’est-à-dire ce style bien connu, qui les a toujours caractérisés et dont ils sont les initiateurs, le tawdadant. Un style fait de paroles légères, de rythmes tout aussi légers et même endiablés par moment. Tous les mordus de la danse vont une fois de plus être servis. Abondamment. À profusion.
Malgré sa très longue carrière, El Foua Abdellah, chanteur du groupe et " benjoiste " hors pair, n’a rien perdu de sa verve et de son immense talent. Cet homme a quelque chose de fondamentalement inoyxdable, indémodable. Que dire, éternel ! Sa prestation dans ce nouvel album est pour le moins parfaite. En un mot, il est toujours aussi majestueux. D’ailleurs beaucoup ont essayé de l’imiter, mais en vain. Il faut dire qu’Oudaden ont ouvert la porte à une myriade de formations, mais, dans la majorité des cas, elles n’ont pas fait long feu. Sauf quelques-unes, qui n’ont jamais pu les détrôner. Même si elles ont essayé.

Ma rencontre avec ces musiciens agadirois ( dans ce mot il y a rois) pur sucre remonte à ma plus tendre enfance. Et depuis, c’est une longue et grande histoire d’amour. J’ai écouté presque tous leurs albums. Dont je peux deviner toutes les chansons juste par les petites notes du début. Grâce à leurs reprises, j’ai découvert tant et tant de nos anciens artistes.

Écoutez- les lorsqu’ils chantent Haj Belaid ou Said Achtouk ! Leurs interprétations sont parfois plus vraies que natures, terriblement magnifiques. Que dire, sublimes. D’ailleurs j’en ai gardé un souvenir. Indélébile. Inoubliable. Encore très jeune, en plein milieu d’Agadir, pendant je ne sais plus quelle fête nationale, une bonne partie de l’assistance a carrément pleuré lorsqu’Oudaden ont chanté atbir umlil de Haj Belhaid. C’est vous dire…

Que ces chevaliers de la chanson amazighe, comme ils aiment bien se faire appeler, continuent à nous donner le plus longtemps possible de la joie ! Ce qui ne peut se faire qu’en achetant leur album chez le disquaire le plus proche. A ce jour, on ne connaît pas encore meilleure manière de les remercier et de les encourager à continuer. Espérons que je serais écouté !

mercredi, janvier 03, 2007

Pendaison de Saddam : grossière erreur de timing

Je ne regretterais jamais la mort d’un homme aussi brutal, aussi sanguinaire, aussi inhumain que le défunt dictateur irakien, Saddam Hussein. Je suis farouchement contre la peine capitale, mais au vu de tous les horribles crimes horribles qu’il avait commis, dans son cas je suis plus qu’indécis. Car ses victimes se comptent par millions. En plus de son propre pays qu’il a mis à genou et l’avenir de tous ses compatriotes qu’il avait compromis. Peut-être pour toujours. À franchement parler, il mérite amplement d’être pendu. Pas une fois, mais plusieurs. Sauf qu’il y a un élément à ne jamais négliger. C’est la date de sa mise à mort. Tellement que c’est symbolique. Pour moi, la pendaison de Saddam samedi dernier a été un choix pour le moins déplacé. Que dire ! Une bourde monumentale. Et ce n’est pas les raisons qui manquent.
D’abord, parce que c’est la fête du mouton chez plus d’un milliard et trois cents millions de musulmans. Selon la tradition coranique, cette pratique est célébrée en souvenir du prophète Abraham. Pour le mettre à l’épreuve et tester sa foi, Dieu lui a recommandé de sacrifier son fils unique. Ce qu’il s’apprêtait naturellement à faire. Sans protester. Mais in extremis, il en a été empêché. Au lieu du fils, il faut égorger le mouton. Désormais, il en sera ainsi. C’est facilement constatable, il y a là, bien patente, l’idée de la miséricorde, de la clémence et même du pardon. D’ailleurs, ce jour-là chez tous les musulmans, pratiquants ou pas, il en est ainsi. Si l’on avait un quelconque conflit avec un voisin, un ami, un frère... c’est le moment idéal de le régler et de se réconcilier. Bref, de faire la paix et d’envisager l’avenir sur de nouvelles bases.

Ensuite, la mort de l’ex-raïs coïncide également avec un autre cérémoniel musulman, qui est tout aussi important. Je suis sûr qu’à un moment ou un autre, vous avez certainement aperçu ou entendu, au travers des médias, qu’en ce moment c’est le pèlerinage à la Mecque, le 5e pilier de l’Islam. Environ trois millions de pèlerins originaires des cinq continents sont réunis en Arabie Saoudite. Et ce pour accomplir cette obligation religieuse. C’est le jour le plus intense, le plus important du rite qu’on décide d’en finir avec Saddam. " Ceux qui ont pris la décision de le pendre ne se rappellent-ils pas le moment de l’arrivée des pèlerins à Minan ? ", se demande, dépité, un éditorialiste bien connu du Golfe persique.

Enfin, il faut savoir qu’on est pendant le mois de " dou-elhijja ". Selon le calendrier lunaire musulman, il fait partie des quatre mois les plus sacrés de l’année. Qu’on appelle d’ailleurs " al-hurum ". Il s’agit d’une tradition authentiquement arabe, reprise et sacralisée par l’Islam à son avènement. Elle y est totalement interdit de faire la guerre. Même à un ennemi, sauf dans le cas où il aurait été le premier à attaquer. Et encore ! En d’autres termes, toute effusion de sang y est fondamentalement prohibée. À l’époque préislamique, celui qui viole cette convention sociale, est cloué au pilori. Son honneur est définitivement entaché. Pire, la communauté tout entière le rejette. Pour toujours. Pendant la période islamique, c’est en terme de péché qu’on parle. Gare à celui qui la transgresse. La malédiction divine le poursuivra ad vitam aeternam. Sans possibilité de rachat.

Est-ce que les Irakiens qui ont décidé précipitamment de mener Saddam au gibet sont au courant de tout cela ? Certainement. Parce qu’ils sont arabes et musulmans. C’est d’ailleurs pour cette raison que beaucoup de gens, même les pires ennemis du dictateur, ont vu dans la date de sa pendaison une provocation pure et simple. " On aurait pu quand même attendre quelques jours... ", est un leitmotiv qui revient souvent dans les forums de discussion arabes et musulmans. Un sondage réalisé par le site Internet de la chaîne qatarie Al-Jazira va dans le même sens. Si ce n’est plus. 92.6 % des participants ont été littéralement scandalisés par la date choisie pour la mort de l’ex-homme fort de l’Irak. Ils l’ont vécue comme une humiliation. Une autre de plus. Que les médias amplifie douloureusement.

mardi, janvier 02, 2007

Massinissa : l’art et la manière

Il y a quelques années déjà, au cours de l’une de mes pérégrinations agadiroises, s’échappait de la chaîne d’un disquaire, dans je ne sais plus quelle ruelle grouillante de monde, les mélodies captivantes de l’un des morceaux de Tifilla (lueur en amazigh), le premier album de Massinissa. Si mes souvenirs sont encore bons, c’était la chanson avec des enfants, tamazirt inu (mon pays). Le coup de foudre a été immédiat. Je n’ai pas hésité un seul instant à me le procurer. D’autant plus que je n’étais pas au bout de mes agréables surprises. Les chansons restantes étaient toutes de la même facture. Un vrai bijou musical que j’écoute encore au jour d’aujourd’hui avec un plaisir jamais démenti.

Massinissa, qui nous a gratifiés de ce ravissant opus, a donc bien réussi son coup. Et c’est le moins qu’on puisse dire. Mais d’où nous vient-il ? En fait, c’est un pur produit du mouvement culturel amazigh (MCA). Il est de la lignée des Agizul, Titrit, Mellal, Aza, Izri, Yuba… Ses membres fondateurs ne sont pas nés de la dernière couvée. Loin de là. En fait, ils ont roulé leur bosse, des années durant, sur le terrain du militantisme. Au sein de la section agadiroise de l’organisation de Tamaynut pour être plus précis. Même s’ils sont tous les dignes fils de Dcheira. Cette petite cité fort célèbre de la banlieue marginalisée de la capitale du Souss, considérée à juste titre comme un passage obligé de tous les noms, passés et actuels -et même à venir-, qui comptent –et qui compteront peut-être- dans la chanson amazighe. Et la source n’est pas près de tarir. Même si elle ne paye vraiment pas de mine, Dcheira continue à fournir des vagues successives d’artistes extrêmement doués. À la plus grande satisfaction de la faune nombreuse des mélomanes et autres aficionados des sonorités musicales des hommes libres.

« Chaises musicales »

Plus que jamais le cœur battant de la musique amazighe, «Dcheira, a connu la naissance de Massinissa plus exactement en 1994. Grâce à trois musiciens, tous des copains de classe et tous militants associatifs : Larbi Bouzrab, Aissa Habboune ( qui n’est autre que le grand frère du chanteur bien connu Yuba) et moi-même », nous confie modestement l’excellent guitariste et leader de la troupe, Abdellah Chafiq. « Quant au nom, enchaîne-t-il, notre choix n’est pas dû au hasard. C’était très réfléchi. Parce que Massinissa était un personnage important dans l’histoire de notre peuple. Et ce pour au moins deux raisons : politiquement, il a été le premier roi qui a voulu réaliser sous sa bannière l’unité de l’Afrique du Nord. Culturellement, il était un mordu de la musique et s’entourait de beaucoup de chanteurs, qui venaient parfois de tout le pourtour méditerranéen. Sans oublier un autre argument qui n’en est pas moins important : nous trouvons que c’est un nom qui sonne très bien à l’oreille. »

Le baptême du feu de la troupe, qui a été on ne peut mieux accueilli, a eu lieu lors d’une soirée organisée l’été de 1995 par Tamaynut au théâtre de la Verdure à Agadir. Il a été assuré merveilleusement bien par A. Chafiq et L. Bouzrab à la guitare, A. Habboune au violon et trois choristes : Khadija, Amina et Ijjou. Mais comme toutes les jeunes troupes qui cherchent constamment leurs marques, Massinissa a connu une véritable valse de musiciens. Des membres l’ont rejoint pour rester et d’autres pour partir. Et ce sans jamais renoncer un tantinet soit peu à sa personnalité musicale sui generis. Celle qui a présidé à sa fondation.

En 1997, c’était Omar Akhatar qui l’a intégré en tant que guitariste et chanteur. Pour former une sorte de véritable dream team. Mais juste après l’enregistrement du premier album, il s’en est allé pour des raisons qui lui sont propres. Il n’en demeure pas moins que sa « patte » dans l’album Tifilla a été on ne peut plus importante. Son jeu de guitare y a été déterminant. D’autant plus que son interprétation de pratiquement tous les titres, avec sa voix suavement sensible et franchement attachante, a été une réussite totale. Si vous voulez vous en convaincre, l’album est entièrement disponible gracieusement sur le site officiel de Massinssa : http://www.massinissanet.tk/ Vous pouvez donc l’écouter à votre guise.

Comme toujours dans ce genre de situation -le départ d’O. Akhatar-, il faut impérativement s’adapter. Rien que pour continuer d’exister. À partir de 2001, avec d’autres nouveaux musiciens comme J. Boumadkar à la basse, M. Qamchich à la batterie, A. Chafiq a pris les choses en mains. C’est lui qui allait dorénavant chanter. Un choix pour le moins judicieux. Car cette nouvelle formule avait le mérite de plaire. Énormément. La preuve, Massinissa est systématiquement invité à toutes les manifestations culturelles organisées dans la grande région du Souss. Et même ailleurs. Mais comme les choses ne sont jamais éternelles, voilà que trois éléments essentiels qui décident à leur tour de décrocher. Si le guitariste L. Bouzrab – remplacé sur-le-champ par Hassan Id Mhand-, est parti provisoirement à Rabat pour y poursuivre ses études musicales, le batteur M. Qamchich et le violoniste A. Habboune –remplacé par Mohamed Amal- ont définitivement quitté le groupe.

Après ces multiples «défections », il faut donc trouver une autre solution. Immédiatement. Car le temps presse. Massinissa devait en fait se produire dans la version off de Timitar 2004, l’un des plus grands festivals dédiés à la musique au Maroc. Deux grands musiciens sont venus lui donner un coup de main : Jamal Oussfi qui n’est autre que le batteur talentueux d’Amarg Fusion et Adil Aissa au clavier. La prestation de Massinissa y a été telle qu’il a été réinvité naturellement l’année suivante. Mais cette fois-ci à titre officiel. Une occasion de montrer ce qu’il a dans les tripes et par le fait même de convaincre. Afin de ne pas se répéter, il était impérieux de s’accorder les services de nouveaux talents. Comme noms, on peut citer : le batteur Habib Kaâkaâ du groupe Jouwala, Brahim Irouf, le virtuose d’agmbri ( une sorte de basse traditionnelle) des célèbres Iguidar, le percussionniste Hamid Ettahi.

Quid de tout ce chassé-croisé pour le moins incessant ? « Massinissa, affirme A. Chafiq, n’est pas un groupe dans son acception traditionnelle. Même s’il y a toujours quelques membres qui ne changent jamais, les autres musiciens qui les rejoignent épisodiquement ne sont que des exécuteurs- sans diminuer rien de leur talent- qui participent selon les circonstances et les musiques jouées. Cette manière de faire est loin d’être négative. Bien au contraire. Car la contribution de chacun d’eux permet d’enrichir à coup sûr nos compositions. »

Chemin faisant, les choses commencent réellement à se fixer. Il faut impérativement s’inscrire dans la continuité. Tel est le premier souci des responsables de Massinissa. En tous les cas, ils y travaillent fortement. Appelée à durer, la composition actuelle du groupe, réunie autour du noyau central, A. Chafiq, L. Bouzrab et J. Boumadkar, compte des musiciens pas vraiment connus mais qui ne manquent aucunement de talent : Jawad Elhiri au clavier, Younes Teftal à la batterie, M. Chmirou à la guitare et K. Berkaoui à la percussion.

Difficile parturition

Produire son premier album a été un véritable chemin de croix. « Cela n’a pas été facile, mais il fallait le faire », se rappelle encore A. Chafiq un brin nostalgique. En fait, rien que par les efforts déployés et les sacrifices consentis, Massinissa mérite tout notre respect. Tellement les difficultés ne manquent pas.

La première, c’est le style. Il faut savoir que la chanson dominante dans le Souss à la fin des années 90 est principalement celle des rways et celle des groupes (de la trempe d’Oudaden et autres Inerzaf... ) Les chances d’être produit pour tous les artistes qui osent apporter quelque chose de nouveau, sont quasiment nulles. Ce qui est encore plus vrai dans le cas de Massinissa. Il faut donc ramer. Douloureusement. En ne comptant que sur soi-même.

La deuxième, c’est les producteurs. « Ils optent pour la facilité, explique fort à propos A. Chafiq, en ne visant que le profit commercial au détriment de la qualité et l’originalité musicales. En fait, ils n’ont aucune compétence technique et à plus forte raison artistique. Ils se sont déclaré producteurs tout simplement parce qu’ils ont l’argent. » Effectivement, au Maroc, si aberrant que cela puisse être, c’est malheureusement le cas. Qui plus est, l’industrie du disque est une véritable jungle. À tous les niveaux. Aucune transparence. Aucune règlementation. Aucun sérieux. En fait, rien de rien. Résultat : la sempiternelle victime est malheureusement souvent l’artiste lui-même. Et ne demandez surtout pas à l’État de mettre de l’ordre dans tout cela. C’est le dernier de ses soucis.

Sur ces entrefaites, Massinissa n’avait pas vraiment le choix. Il s’est tourné naturellement comme tant d’autres troupes amazighes modernes, Amarg Fusion pour ne citer que celle-là, à l’autoproduction. Les ressources financières étant très limitées, il faut bien tenir ses comptes. Avec rigueur. Sans pour autant perdre de vue la qualité. D’ailleurs, l’informatique a été une véritable bénédiction. Ses possibilités sont quasiment infinies. « On a fait appel, note A. Chafiq, à la technologie de la M. A. O (musique assistée par ordinateur) pour travailler les structures de base tout en sachant que l’enregistrement de chaque morceau avec tous les arrangements prendrait beaucoup de temps dans un studio analogique, donc des frais de plus. »

Pour l’enregistrement à proprement parler, à défaut de se déplacer à Casablanca où se trouvent le nec plus ultra des studios au Maroc, Massinissa a opté pour une structure locale, El-Maâarif. En fait, à l’époque c’est ce qu’il y avait de mieux à Agadir. Le budget étant plus que serré, une course contre la montre est quasiment engagée. Le moindre retard est payé immédiatement rubis sur ongle. A. Chafiq précise que «l’enregistrement et le mixage- que nous avons fait nous-mêmes car le technicien ignore tout de notre style- n’a duré en tout et pour tout que cinq jours. Ce qui est en lui-même un temps record. À raison de sept heures de travail par jour. Chaque tranche horaire n’étant pas gratuite. On a donc déboursé 2000 dirhams chacune. La bande magnétique valant, à elle seule, 1000 dh alors que la DAT ( digital audio tape) pas moins de 150 dh. Sans oublier la rémunération de 200 dh pour un employé du studio, chargé de répondre aux petits besoins du staff technique ».

Quant à l’album lui-même, sorti en 2000 et distribué par Itri music, il comporte en tout et pour tout 7 titres ( taferdut w unufl, immi, tadwarit, yat tizi, azetta, kemmin, tamazirt inu). Ce dernier – c’est mon préféré- a été enregistré avec des enfants. D’ailleurs A. Chafiq ne tarit jamais d’éloges sur leurs parents. Sans leur coopération, la chanson tamazirt inu n’aurait jamais vu le jour. Du moins sous sa forme actuelle.

Langue châtiée

Sensible à la qualité des textes interprétés, Massinissa n’a pas fait les choses dans la demi-mesure. Et c’est le moins qu’on puisse dire. Il a fait appel aux plus grandes plumes du Souss. Comme Mohamed Akounad, qui est de l’avis de nombre de critiques, un grand écrivain dont les subtilités et les secrets de la langue amazighe n’ont plus aucun secret. C’est de loin celui qui y écrit le mieux en ce moment. Ce qui ne diminue en rien du talent, indéniable au demeurant, des autres poètes qui ont apporté leur pierre à l’édifice : Mohamed Oussous, Brahim Farssi et Afoulay. Étant encore plus jeunes, ils feront assurément reparler d’eux-mêmes. En tous les cas, l’avenir nous le confirmera.

À la question s’il n’y pas un risque que les auditeurs ne saisissent pas tout le sens des paroles, A. Chafiq ose une explication on ne peut plus juste. « Vu la marginalisation chronique de la culture amazighe dans les médias et à l’école, argumente-t-il, le vocabulaire est devenu tellement faible chez nos compatriotes que nos textes apparaissent, de premier abord, d’une complexité insurmontable. Mais ne comptez pas sur nous pour tomber dans la banalité et chanter cette même thématique de l’amour avec laquelle on nous rebat continuellement les oreilles. » Quels sujets avait-on traité dans le dernier album ? « Nos textes évoquent, ajoute-t-il, les différents aspects de notre réalité (questions culturelles, existentielles et émotionnelles, l’identité, la situation de la femme... »

À en croire A. Chafiq, le 2e album restera fidèle à cette même ligne. La même thématique va être une fois de plus abordée. D’autant plus que maintenant à Agadir, ce qui est en soi une très bonne nouvelle, il y a des studios où l’on peut enregistrer dans des contions optimales. Techniquement donc cette dernière création sera plus acoustique. Bien plus, des instruments traditionnels ( rribab, lotar, agmbri...) vont être employés pour la première fois. Histoire de ne pas trop s’éloigner des racines probablement. « Ses recherches musicales s’enracinent, lit-on sur le site Internet du groupe, davantage dans le patrimoine musical traditionnel et s'ouvrent intelligemment sur les expériences musicales universelles. » Tout un programme !

Par ailleurs, il ne faut pas penser que le quotidien de Massinissa n'est pas de tout repos. Loin s’en faut. En fait, il a un programme plus que chargé. Son leader A. Chafiq peut se targuer d’avoir un CV qui grossit à vue d’œil. Grâce au cinéma d’expression amazighe qui vit en ce moment un développement pour le moins exponentiel. En musicien confirmé, il est régulièrement sollicité pour composer la musique de plusieurs films. Il a déjà à son actif une liste pour le moins longue : Tayri Issiwidn, T.V.T , Wacc, Lqadi, Tiwwurga, Sidi Mhend ou Ali, Tizza w ul... « C’est une expérience très intéressante qui m’a ouvert, se réjouit-il, d’autres horizons. Elle m’a permis de connaître les rouages de la production cinématographique. Même si je travaille dans l’urgence et sous pression, car on ne me contacte souvent qu’à la dernière minute. Alors que j’ai besoin de plus de temps et surtout de moyens. » A. Chafiq a également travaillé sur le générique d’un documentaire qui va sortir incessamment sur la vie de l’intellectuel engagé et non moins connu, feu Ali Azaykou. Sans oublier ses multiples participations à la réalisation d’albums et de spectacles de plusieurs artistes : Yuba, Aslal, Ikabaren...

Le seul ombre du tableau. C’est l’attitude inique des médias marocains. Malgré cette nouvelle vague musicale, extrêmement créative, représentée justement par Massinissa et autres Yuba, Aza, Titrit, Mellal, Amarg Fusion, Tafsut..., ils continuent à l’ignorer superbement. En tous les cas, c’est ce qu’ils ont toujours fait. Tellement que dans l’esprit de tous ceux qui sont à leurs têtes, l’amazighité ne peut rimer qu’un avec un folklore préhistorique. Donc pas digne de passer dans les télévisions et les radios publiques. Un vrai scandale. Permanent en plus.