lundi, septembre 05, 2005

Une légende nommée Izenzaren

Lahsen Oulhadj (Montréal )

Qui n’a jamais vibré aux rythmes envoûtants de ce groupe légendaire, Izenzaren ? Qui n’a jamais été conquis par la beauté de ses textes racontant toujours l’Amazigh et ses problèmes ? Aucun probablement ! Il est certain qu’à un moment ou à un autre, les Amazighs, et même les étrangers, ont été subjugués par cette troupe musicale pas comme les autres. Nonobstant son énorme succès, le groupe est resté très discret ; ce qui a probablement amplifié le halo de mystère qui l’entoure.

L’avènement des groupes musicaux dans le Souss n’est nullement une incongruité qui peut seulement être expliqué à l’aune d’un mimétisme de l’Occident. Ce concept a toujours été présent dans la culture des Amazighs du Souss. Les grands rways, Hadj Belàid, Boubakr Anchad, Lhousayn Janti, etc, ont chacun formé leur propre troupe avec laquelle ils sillonnaient les villages et les villes du Souss et même d’ailleurs. Hadj Belàid est allé jusqu’en France à titre d’exemple.

Pour autant, le groupe musical, dans son acception moderne, n’est apparu qu’avec les changements profonds, qu’a connus la société amazighe du Souss à l’aube des années 60. Une époque caractérisée par une ébullition créative musicale avec notamment la création d’un groupe moderne et avant-gardiste, tabghaynuzt (araignée). À en croire Aziz Chamkh, l’un des fondateurs d’Izenzaren: " tabghaynuzt a été le premier orchestre au Maroc ; pour notre génération, elle a été une première école où l’on a beaucoup appris ."

Cette formation musicale et humoristique (un peu à l’exemple d’une troupe tout aussi mythique, Ayt Lmzar, parce qu’originaires de Lmzar d’Ayt Melloul) a été fondée en 1960 par des artistes dont les noms ne disent plus rien au commun des mortels. Parce qu’ils sont tous presque décédés ou vivotent dans l’anonymat le plus total. On peut citer : Abellah El Madani, Farkou, Brahim n Ssi Hmad, Bihmaden, Mohamed Bouslam et Jamaâ Outznit. Ce dernier, paraît-il, était un prodige. Il était un multinstrumentiste phénoménal. Pratiquement tous les instruments de musique (l’accordéon, le banjo, le rribab, la guitare) n’avaient de secret pour lui.

C’était grâce à cette troupe donc que les futurs fondateurs d Izenzaren ont eu l’idée de fonder en 1970 un groupe qu’ils ont appelé Laqdam (les pas). Une formation qui n’a pas fait long feu, mais ce n’est que partie remise. Car nos jeunes musiciens sont bien décidés à donner corps à un autre groupe qui vivra plus longtemps.
Succès

Après moult appellations, le choix a été finalement arrêté sur Izenzaren. La naissance de cette formation s’est faite d’une manière tout à fait spontanée, à la différence d’Osman (éclairs) qui était plutôt une entreprise artistique très réfléchie dont les fondateurs étaient les premiers militants du mouvement culturel amazigh (Brahim Akhiat, Moustaoui, Azaykou, Eljechtimi, Amarir…).

Le groupe Izenzaren a été très original à tous les points de vue. Il a même inventé un nouveau courant musical, " tazenzart ", avec ses rythmes, ses poèmes et sa propre thématique. Il a cristallisé pendant des années, à l’échelle du Souss, la querelle entre les Anciens et les Modernes, entre les tenants de " tarrayst ". Autrement dit, la pratique traditionnelle de la musique. Et les tenants de cette nouvelle tendance de la musique amazighe, " tazenzart ".

Si le groupe a eu un énorme succès auprès de la jeunesse, les adultes ont bien évidemment été, pendant longtemps, réticents à cette nouvelle forme de musique avec des musiciens rebelles aux cheveux très longs et aux méthodes qui rompent totalement avec ce qui est connu jusqu’à présent.

Il n’était pas rare que les rways, s’imaginant que le groupe Izenzaren était une menace pour eux, les prenaient en dérision. Said Achtouk par exemple. Mais avec le temps tout s’est arrangé, vu que leur public n’était pas le même. Izenzaren s’adressaient plutôt à un public jeune, souvent scolarisé, et, qui écoutait plutôt la musique occidentale. On pourrait même affirmer que beaucoup de ces jeunes ont su apprécier la musique des rways en faisant un détour par les groupes amazighs modernes. Ce qui est mon cas et tant d’autres amazighs de ma génération.

La rupture avec les rways est visible à certains niveaux. L’apparence physique et vestimentaire : une chevelure qui va jusqu’aux épaules, des habits modernes ( des jeans, des chaussures …). Les instruments de musique : le banjo qui détrône le ribbab, le violon, la basse (agembri),etc. Les chants qui épousent les soucis de toute une génération de jeunes amazighs, déroutée par les métamorphoses rapides de la société. Enfin, les rythmes qui ne ressemblent en rien à ce qui avait cours chez les rways.

La première cassette du groupe a été commercialisée au début de 1974. Le succès a été fulgurant. C’est devenu un phénomène de société. Une légende a vu le jour en d’autres termes. Tout le monde ou presque fredonnait, et, même plus, connaissait par cœur leurs premières chansons culte, teintées de cette nostalgie et de cette mélancolie qui caractérisent tant la musique amazighe du Souss : immi henna, wad itmuddun, wa zzin, etc.

Le talent musical d’Izenzaren ne saurait suffire pour faire de ce groupe ce qu’il est sans l’apport d’un parolier qui a écrit la majorité de leurs chansons, Hanafi Mohamed. " Un homme de l’ombre et un poète extrêmement timide, mais ô combien doué ", selon l’expression même de Aziz chamkh.

Engagement

Avec Izenzaren, l’engagement dans la musique, une notion peu connue jusqu’à alors dans les mœurs musicales marocaines, prend toute sa signification. Et cela pour deux raisons. Primo, le groupe, qui n’a jamais succombé à l’argent - ses membres ne roulent pas forcément sur l’or -, a toujours eu une grande idée de l’art musical à qui il a donné ses lettres de noblesse. On peut dire que cette attitude est vraiment unique dans tout le Tamazgha. Secundo, la chanson izenzarienne a cette caractéristique particulière de ne pas traiter de sujets rebattus. C’est vrai que le groupe a traité de l’amour à ses débuts, mais sans pour autant tomber dans la facilité et encore moins dans la vulgarité. Je dirais même que leurs chansons d’amour étaient pourvues de ce " je ne sais quoi ", ce mystère qui donne aux œuvres artistiques une vie éternelle. Wa zzin (ô beauté), tasa ittutn ( le cœur blessé), àawd as a tasa nu (ô mon cœur, raconte) , etc, font désormais partie du répertoire classique de la chanson amazighe.


Chemin faisant, Izenzaren épousent progressivement les soucis concrets du public. Exit la thématique sentimentale ! Désormais, leurs thèmes, caractérisés par un traitement pour le moins pessimiste voire même noire, tournent autour de la contestation sociale et politique, la revendication identitaire, la dénonciatation de toutes les injustices, etc. Pour preuve, on a qu’à voir les titres de leurs chansons: tillas (obscurités), gar azmz (mauvaise époque), lmeskin ( le pauvre), izillid (l’orage), tuzzalt (le poignard), tixira ( fin du monde), etc.

Séparation

Le succès venant, les dissensions n’ont pas tardé à éclater au sein du groupe. Résultat. Il se scinde en deux parties portant le même nom : la première autour d’Aziz Chamkh; la deuxième autour d’Iggout Abdelhadi. D’ailleurs tout ou presque a été dit sur cette séparation. Beaucoup croient à ce jour qu’il s’agit d’un complot ourdi par ceux-là même que le succès de ce groupe amazigh dérangeaient au plus haut point. Mais, il semble que les raisons soient plus personnelles qu’autres choses. Incompatibilité d’humeur entre les membres du groupe certainement ! D’ailleurs, pour en savoir davantage, j’ai posé la question à Aziz Chamkh qui a eu cette réponse éloquente : " mais nous n’étions pas mariés pour parler de séparation ! d’ailleurs je ne comprends jamais pourquoi on m’interroge souvent à ce sujet. " Belle manière d’éviter de raviver des souvenirs qu’on préfère taire à jamais.


Si le premier groupe a fait un travail de recherche approfondie sur le patrimoine musical amazigh en remettant au goût du jour- et de quelle manière !- le répertoire classique des grands rrays, notamment Hadj Belâid, et en créant de temps en temps, le deuxième groupe a toujours fait dans la création pure. Il est d’ailleurs le plus apprécié non seulement à cause de la personnalité rebelle, marginale et anticonformiste, de son chanteur vedette, Iggout Abdelahadi, mais aussi à cause de cette façon unique à manier le violon et surtout le banjo. D’aucuns l’appellent volontiers le magicien de cet instrument, voire son plus grand spécialiste dans tout le Tamazgha. Il faut dire que ses compositions sont inimitables. Jusqu’à présent personne n’a pu l’égaler, même si nous avons assisté à l’avènement d’une multitude de groupes, aussi divers que variés, et qui ne manquent nullement de talent : Archach, Titar, Izmawen, Laryach, Oudaden, Ibarazen, Igidar…

Les influences musicales d’Izenzaren sont pour le moins nombreuses. Pourvu qu’on y prête bien l’oreille, cela peut aller du patrimoine musical amazigh présenté par l’Ahwach, l’ajmak, l’ahyad, l’ismgan ou l’ignawen, les rywas, des rythmes afro-sahariens et même du Country américain.

A quand du nouveau ?

Izenzaren, avec leurs textes caractérisés par une langue des plus recherchées et leurs arrangements originaux, resteront toujours un mythe qui a marqué toute une génération d’Amazighs. Jusqu’à présent, à chaque spectacle du groupe, ce sont des milliers de fans qui se déplacent pour y assister, et, souvent, tout le monde reprend collectivement les paroles de leurs chansons.

Cette formation musicale est souvent plébiscitée comme le meilleur groupe amazigh. Mais on regrette presque le fait qu’il n’ait pas produit aucun album depuis 1990. En 1998, dans l’un de leurs concerts à Agadir, le public entonnait collectivement à l’adresse du groupe : " Nera amaynu ! " (Nous voulons du nouveau ! ). La réponse d’Iggout Abdelahadi a été pour le moins cinglante : " il faut déjà que vous compreniez les anciens albums pour en exiger un nouveau ", lâcha-t-il.

En effet, ce n’est pas donné à tout le monde de comprendre la poésie izenzarnienne souvent qualifiée d’ "ésotérique ", mais en tant que public amoureux de ce groupe, du nouveau est toujours le bienvenu. Même si on ne se lasse jamais d’écouter leurs anciennes chansons qui ne perdent jamais de leur magie. Bien plus, elles sont carrément des repères identitaires pour une jeunesse amazighe assoiffée de reconnaissance et, surtout, à la recherche de symboles. Ce qui peut aisément se vérifier de visu à chacun de leurs spectacles.

Longue vie donc à Izenzaren et merci à eux ! Car ils nous ont donné, en plus de l’émotion, la fierté d’être amazighs.

La seule nouveauté du groupe reste cette chanson, izd ghik ad a tram ?

izd ghik ad a tram ?
ghik ad ran?
a ggisen ukan iligh
izd ghik ad a tram?
ghik ad ad ran ?
ad yyi nit ittjrun
ar temtatent
ayt ma-k gh iswak
ur lsan, bbin asen w adan,
ilih asen asafar
lkem yyi-n s ugharas!
zund nekkin, zund keyyin
zund keyyin, zund nekkin
yan iga lhsab
yan ay iga w awal
war lmal igh gguten
amya ur sis llin
izd ghik ad a tram?
ghik ad ran?
wa ad yyi nit itjrun
* * * *
wa f yyi-d afus!
anmun gh ugharas
nffagh kem, a tamazirt
nfl tt i wiyyadv

wa nstara gh tmizar
tilli lligh ur nlul

Aux origines de la télé-réalité

Lahsen Oulhadj (Montréal )
L’apparition de la télé-réalité - " Loft Story " et autre " Star Academy " - n’est pas le fruit du hasard. L’idée a subi un cheminement très particulier. La littérature, le cinéma, l’évolution de la télévision, Internet et les penchants des téléspectateurs pour l’exhibitionnisme et le voyeurisme, ont tous permis, d’une manière ou d’une autre, l’éclosion de l’idée des émissions de la télé-réalité et par la suite leur succès phénoménal.

La première trace romanesque de la surveillance par le biais des caméras est attestée dans un roman intitulé 1984 –inversion de sa date de publication à savoir 1948- de l’écrivain anglais, Georges Orwell. C’est une œuvre de science-fiction qui a été écrite dans le contexte particulièrement difficile de la guerre froide, marqué surtout par la terrible chape de plomb imposée par les régimes communiste à leurs propres peuples.

G. Orwell y raconte l’histoire d’une Angleterre gouvernée par les socialistes et faisant partie d’un continent imaginaire, l’Océanie. La société est formée de prolétaires, qui ne sont pas "vraiment importants " ; des membres du parti ; de " Big Brother ", qui dirige le pays ; et de la police de la pensée, chargée de maintenir l’ordre. La population y est constamment espionnée par des " telescreens " placés partout. Un exemple de cette implacable surveillance : dans sa chambre, Winston, le héros du roman, renâcle à faire ses exercices matinaux obligatoires. La monitrice, qui l’a à l’œil, le lui reproche immédiatement et le somme de les faire sans atermoiement.

Les gens ne peuvent en aucun cas échapper au contrôle de " Big Brother ". Et si jamais ils transgressent les lois en vigueur, qui du reste sont très oppressives, ils sont sur-le-champ arrêtés et torturés. Tous les opposants sont systématiquement éliminés ; ou encore "vaporisés ", selon l’expression même de G. Orwell, sans que personne ne s’en aperçoive.

Jacques Blociszewski, qui s’est penché sur la problématique du totalitarisme, parle ainsi de cette œuvre : " relire le roman de 1984, c’est plonger au cœur des mécanismes totalitaires. Considéré comme indissociable de l’univers communiste, 1984 va au-delà et nous éclaire sur la censure et l’oppression - à la fois interne et externe- que l’homme contemporain s’inflige à lui-même".

Pour autant, la première illustration visuelle de la télé-réalité se trouve probablement dans Rear Widndow, un film réalisé, en 1954, par d’Alfred Hitchcock. Le cinéaste y montre le quotidien d’un reporter photographe, James Stewart, cloué au fauteuil roulant à cause d’une facture à la jambe. Pour tuer le temps, il observe de sa fenêtre les faits et gestes de ses voisins et des passants. On dirait presque que c’est un spectateur qui assiste à un film ou un spectacle quelconque. Bref, ce film met très largement en lumière ce penchant propre à l’homme qui veut tout voir et tout connaître, quitte parfois à violer l’intimité d’autrui.

L’ancêtre télévisuel de Loft Story

Le premier programme de télé-réalité, baptisé " An American Family ", a été diffusé en 1973 sur la chaîne publique PBS. Il s'agissait de filmer sur une longue période la "vraie " vie de "vraies " gens, et de la raconter sur plusieurs épisodes. Malgré sa banalité, cette émission a attiré beaucoup de téléspectateurs.

Chemin faisant, le concept du documentaire intimiste filmant des anonymes plaît et se propage. En 1974, " The Family " débarque en Grande-Bretagne, sur la BBC. En 1992, on le retrouve avec " Sylvania Waters " en Australie (ABC) et, par la suite, au Royaume-Uni, encore sur la BBC, qui ne cesse plus de diffuser de tels programmes. En 1996, l'audience atteinte par " Airport " permet aux premiers anonymes - en l'occurrence un jeune steward -, d'accéder à une notoriété qui dépasse le seul contexte de l'émission. Leurs visages s'étalent, pendant plusieurs jours, dans la presse. Et les chaînes comprennent qu'il y a là un bon filon qu’il faut encore affiner pour l’exploiter au moment venu.

Cependant, l’émission qui se rapproche le plus de " Loft Story " est certainement " The real world ", créée et produite, il y a une dizaine d’année, par la télévision américaine. Son principe consiste à filmer, chaque année et dans chaque ville américaine, des jeunes gens volontaires, dont le choix répond toujours à des conditions bien précises : une fille très sexy, un jeune très normal, un homosexuel… Tout ce beau monde est filmé dans sa vie quotidienne : à la maison, au travail, à la faculté, etc. Le soir, un montage dramatisé des moments forts de la journée est diffusé à une heure de grande écoute.

Mais le virage majeur est pris en 1997 avec l'ancien chanteur écossais Bob Geldof. Il propose "Expedition Robinson " à la télévision suédoise : divertissement devient jeu. Les candidats s'éliminent entre eux, le gain en argent est très élevé. Ce qui a donné un caractère on ne peut plus haletant au déroulement de l’émission.

Télé-poubelle et Internet

L ‘évolution de la télévision -vers plus de sensationnalisme, de voyeurisme et d’exhibitionnisme- a eu pour corollaire la production d’émissions qu’on a coutume de qualifier de " Trash tv " ou de télé-poubelle. Elles mettent en scène des gens qui racontent, sans aucune gêne, leurs secrets les plus intimes, le plus souvent à un moment de grande écoute. Ce genre de programmes a eu un succès absolument phénoménal dans presque tous les pays occidentaux.

" Jerry Springer Show ", une production de la télévision américaine est de loin l’émission la plus célèbre. Des invités viennent sur le plateau et, devant une foule en délire, ils avouent leurs confidences scabreuses ou font des révélations scandaleuses sur leur vie. La fin de l’émission vire toujours au pugilat ou en bagarres violentes. D’ailleurs, en 2000, un couple qui a participé à une émission dont le thème est " Le face-à-face des maîtresses rivales ", a été impliqué dans l’assassinat de l’ex-femme du mari.

En France, c’est l’émission C’est mon choix, diffusée par une petite chaîne publique, France3, qui se rapproche le plus du concept américain. Plus de sept millions de téléspectateurs la suivent quotidiennement. Les sujets traités n’ont rien à envier à " Jerry Springer Show ". Jugeons-en : " Je montre mon corps ", "J’exhibe ma vie sur Internet ", "Je me suis mariée avec une personne âgée ", "Je n’aime pas porter les vêtements ", etc.

Le succès de ce genre d’émissions a poussé les chaînes à aller encore plus loin. Ainsi, la chaîne câblée américaine Court TV, spécialisée dans la diffusion des audiences enregistrées dans les tribunaux du pays, a connu, à la fin des années 1990, son heure de gloire lors du procès d'O. J. Simpson.

À la recherche du sensationnalisme à tout prix, cette chaîne est allée jusqu’à diffuser les confessions d’un criminel, Steven Smith, qui a raconté, avec un réalisme qui donne le froid dans le dos le viol et le meurtre d’une femme médecin.

Pire, Internet démocratise, en quelque sorte, cette dérive exhibitionniste. Tout le monde ou presque peut se montrer et avouer ses secrets les plus intimes sans aller dans un studio de télévision. Grâce à des petites caméras, les webcams, les Internautes du monde entier s’exhibent à qui mieux mieux. L’engouement pour le moins massif pour ce genre de sites a surpris plus d’un spécialiste des médias.

Le succès le plus retentissant de la toile planétaire est incontestablement l’histoire de ces cinq étudiantes américaines de l’Ohio qui, pour le plaisir de se montrer, ont truffé leur appartement de webcams. Elles peuvent ainsi être observées vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Tous leurs faits et gestes sont filmés et vus par des millions de gens à travers le monde.

En somme, tous ces ingrédients ont nourri l’idée latente d’une émission mettant en scène des gens prêts à tout montrer. Il ne faut que l’homme providentiel pour lui donner corps. Ce qui ne tarde pas à arriver dans un petit pays européen, la Hollande, avec un personnage qui a beaucoup roulé sa bosse dans les médias, John de Mol.
Le déclic déclencheur

C’est en s’inspirant de " Biosphere II ", une expérience scientifique dans laquelle un groupe d’individus est enfermé en vue de créer un écosystème viable dans une bulle dans le désert de l’Arizona, que John de Mol a eu son idée géniale.

" C’est de là qu’est née l’idée de " Big Brother ", un show télévisé exporté dans plus de 27 pays, qui a fait la fortune de celui qu’on appelle " big daddy", multimilliardaire et deuxième fortune de son pays ", explique le journaliste Jean-Sébastien Stheli qui a rencontré John de Mol.

L’émission a été produite bien évidemment par Endemol (une contraction de Mol et de End), une société née en 1994 de la fusion de deux maisons de production : celle de John de Mol et celle de Joop Van Den End. Elle a été diffusée pour la première fois dans une chaîne de la télévision hollandaise, Veronika.

Le principe fondateur de l’émission de " Big Brother " est simple : filmer jour et nuit, en vase clos, des individus qui ne se connaissent pas et diffuser en prime time les meilleurs moments des 24 heures écoulées.

À l’origine, ils étaient neufs : tous jeunes et de race blanche, choisis parmi 3000 candidats. Les femmes sont plutôt jolies et les hommes avenants. Ils doivent passer cent jours dans une maison construite pour l'occasion, sans aucun moyen de communication avec l'extérieur. Aux murs, 24 caméras dont plusieurs infrarouge qui fonctionnent la nuit, et 59 microphones. Impossible d'échapper à l’œil scrutateur de l'objectif : aucun angle mort, même sous la douche. À intervalle régulier, les téléspectateurs-voyeurs sont appelés à élire le plus sympathique des habitants de cette prison nouveau genre. Celui qui rassemble le moins de voix est contraint de quitter les lieux.

Le succès ne tarde pas à venir, malgré les critiques acerbes dont l’émission a été l’objet. Chaque soir entre 20h et 20h 30, ils sont 380 000 téléspectateurs (17% des parts de marché, ce qui n’est pas négligeable) à être rivés à leur écran.

Le 21 mars 2001, Endemol a annoncé la programmation sur M6, une petite chaîne commerciale française, de " Loft story ". Le succès de cette émission a été extraordinaire. Il a même été couronné comme la meilleure émission de l’année.

Grâce à ce succès, M6 joue désormais dans la cour des grandes chaînes commerciales françaises avec six millions de téléspectateurs au dernier épisode de " Loft story ". Grâce à ses différents programmes de télé-réalité qui ont suivi " Loft story " M6, selon le journaliste économique Guy Dutheil : " a réalisé des résultats financiers historiques en 2003. Il enregistre, en effet, un chiffre d'affaires plus important dans ses activités de diversification (chaînes thématiques, édition, vidéo) que dans la publicité, respectivement 601,7 millions d'euros et 575,2 millions d'euros, pour un chiffre d'affaires total de 1,176 milliards d’euros. "

Vu la tournure des événements, TF1, la grande chaîne généraliste françaises, qui a perdu des parts importantes du marché, n’a pas hésité à suivre le courant, malgré les tergiversations de ses responsables qui ont, maintes fois, promis qu’ils ne programmeraient jamais de telles émissions. C’est ainsi que " Star Academy " est née. Même si les débuts sont difficiles, elle a eu par la suite un très grand succès. Et depuis c’est la guerre de tranchées entre les deux chaînes françaises.

Tous les pays européens ont succombé au phénomène. Ils ont eu, tous, leurs propres émissions de télé-réalité produites par Endemol. Elles ont attiré des millions de gens. Résultat, les bénéfices de cette société ont considérablement augmenté en un laps de temps.

Deux ans après la diffusion de " Big Brother ", en Hollande, Endemol est devenu un acteur majeur dans l’espace télévisuel : numéro un en Europe et numéro deux en France.

Et ça continue !

Malgré quelques échecs, la télé-réalité fait toujours recette en Europe. Des millions de téléspectateurs raffolent toujours de ces programmes. Mais l'overdose guette. Car si les producteurs ne reculent devant rien pour concocter leurs programmes ou les remettre en selle, le téléspectateur commence à faire la fine bouche. Le label télé-réalité n'est plus forcément synonyme de succès. Le désaveu, encore en filigrane dans de nombreux pays comme la France, est plus perceptible aux Etats-Unis où on assiste à un repli de ce genre d’émissions.

Pendant ce temps là, dans d’autres régions du monde, soi-disant rétives à tout ce qui est occidental, le succès de ce genre d’émissions est indéniable. En Russie à titre d’exemple. Et même dans les pays islamiques où d’ailleurs les Islamistes ont vainement protesté et même manifesté dans la rue pour exiger l’arrêt immédiat de la version arabe de " Star Academy ".

Au total, l’idée de la télé-réalité a évolué au gré de l’évolution technologique et des changements des représentations que l’homme se fait de lui-même et de son milieu. Le principe de ces émissions est consubstantielle à la vie moderne et interpelle, au-delà des différences culturelles, quelque chose de profond et surtout de commun à tous les humains. On aura à faire toutes sortes de conjectures sur ce succès, mais une chose est certaine, la télé-réalité a fait le bonheur d’Endemol et des ses dirigeants.




Aza: un moment de bonheur à Montréal

Lahsen Oulhadj (Montréal)

Le samedi 16 juillet, le groupe amazigh Aza s’est déplacé à Montréal pour un spectacle au théâtre Corona. Le public québécois et amazigh a été au rendez-vous ; il s’est déplacé, nombreux, pour découvrir ce groupe atypique qui nous vient de Californie aux États Unis. Plus précisément de Santa Cruz.

À 20h 30, le spectacle commence par les chansons tirées du répertoire du groupe : Marikan, azul, amksa, aqarid… De nouvelles compositions, caractérisées encore une fois par la fusion entre la musique amazighe et les musiques du monde, ont été interprétées avec brio par le trio de musiciens qui forment le groupe : Fattah Abbou au luth et au banjo, Mohamed Aoualou à la guitare et Pett à la basse.

Il faut dire que la composition du groupe a changé de fond en comble. L’essentiel des Américains qui avaient participé à l’enregistrement du premier album du groupe sont tous partis. Une nouvelle équipe est en train de se reformer avec bien évidemment toujours le même noyau formé par Mohamed Et fattah.

Le spectacle a plus que charmé le public qui accompagnait le groupe en tapant des mains. À un moment, on a même entendu des you you. C’est vous dire ! On se croirait presque dans n’importe quelle place du village de l’Atlas.

Le jeu de Fattah sur le luth, cet instrument persan, a été extraordinaire. On sait que les Touarègues l’ont adopté depuis longtemps, mais c’était la première fois que je vois dans les mains d’un musicien amazigh du Sud du Maroc. Et de quelle manière ! Le résultat était tout simplement époustouflant. Le banjo est de la partie aussi. Qui peut encore imaginer un musicien amazigh sans cet instrument à l’origine symbole des vastes étendues de l’Amérique et des pionniers du Far west ? Personne !

Quant à Mohamed Aoualou, c’est tout simplement un virtuose de la guitare. Son jeu est d’un éclectisme qui déborde de créativité. Il surfe sur tous les genres musicaux. Et sa voix mariée avec celle de son acolyte de toujours, fattah, nous transporte aux cimes de l’Atlas et les déserts de Tamazgha. Un chant qui n’est plus ni moins qu’une invite à un voyage vers la terre natale.

De temps en temps, le spectacle est ponctué d’un jeu de percussion qui nous rappellent naturellement nos fameux ahwachs. D’ailleurs, la danse non plus n’est pas oubliée. Mohamed Aoualou a été chaleureusement applaudi en esquissant quelques mouvements chorégraphiques. Son mouvement d’épaules parfait lui a valu un tonnerre d’applaudissements. Une preuve qu’il a écumé les Ihwachen de Ouarzazat, sa ville natale.

Concernant Pett, l’Américain du groupe, en musicien chevronné, il s’est montré tout au long du spectacle très connaisseur du répertoire d’Aza. Même s’il a reconnu que les rythmes amazighs sont, parfois, légèrement difficiles. Mais à force de travail, tout est possible. La preuve, il assure comme n’importe quel musicien de chez nous. Comme quoi la musique est un langage universel qui n’a que faire des frontières.

Remercions donc les membres groupe Aza pour les moments de pur bonheur qu’ils nous ont offert dans la métropole québécoise et saluons leur engagement en faveur de la musique amazighe pour laquelle ils se sont fait un point d’honneur de la faire découvrir à tous les Nord-américains. Si ils continuent sur leur lancée, leur pari ne peut qu’être gagné.
Omar Aktouf, le mouton noir des HEC et du néolibéralisme

Lahsen Oulhadj (Montréal)

Omar Aktouf est un atypique dans le domaine de la pensée économique. Inquiet des dérapages du néolibéralisme, il n’hésite pas à le brocarder. Marqué par les vicissitudes de la fortune et élevé dans une famille de révolutionnaires, il est un révolté devant l’Eternel. Imprégné d’idéaux humanistes et pourvu d’une immense culture, ses idées sont loin d’être des improvisations.

Pour accéder au bureau d’Omar Aktouf, le professeur de management le plus médiatisé au Québec, il faut traverser un labyrinthe de couloirs emmêlés au 5ème étage du pavillon des HEC. Je l’ai retrouvé en train de préparer une conférence qui aura lieu le soir même à McGill. Son bureau, soigneusement rangé, est un peu trop petit pour un penseur prolifique comme lui. J’imagine qu’il devrait s’y sentir un peu à l’étroit.

M. Aktouf a la cinquantaine passée. Le front est déjà dégarni. La moustache est toute blanche. Les traits sont burinés. Le teint est bronzé. C’est un peu normal, il n’arrête pas de prendre son bâton de pèlerin pour dispenser ses idées de pourfendeur invétéré du néolibéralisme. On peut facilement deviner qu’il a été dans un pays chaud ces derniers temps.

Il a pris de l’âge par rapport à ses portraits publiés dans les journaux. Il dégage une sérénité particulière qui rappelle ces sages des villages berbères d’Afrique du Nord. En effet, il est originaire de la Kabylie. Cette région berbérophone d’Algérie, très réfractaire, depuis la plus haute histoire, à tout pouvoir central. Elle s’est soulevée à plusieurs reprises que ce soit avant ou après l’indépendance.

Le bannissement

Le destin du professeur est pour le moins singulier. Il en parle sans laisser transparaître aucune émotion et aucun trémolo dans sa voix : " Je suis né en petite Kabylie non loin de la ville de Sétif, précise-t-il. Je devais avoir deux ou trois ans lorsque mon père a été soumis à une sorte d'exil par les autorités françaises vers le Maroc à cause des ses activités anticolonialistes. Nous avons vécu réfugiés au Maroc jusqu’à l’indépendance en juillet 1962 quand nous sommes rentrés en Algérie. C’est là que j’ai découvert mon pays. "

En exil au Maroc, et contrairement à la majorité des réfugiés algériens qui s’est installée dans les villes frontalières, la famille Aktouf a opté pour Safi, une ville sur la côte atlantique au sud de Casablanca. Elle y vivait d’expédients. Le père n’était qu’un simple tout petit fonctionnaire après avoir été métayer d'une ferme de la région. Ce qui n’a pas empêché le jeune Omar d’aller à l’école.

" Mon grand frère était parti au maquis, ce que je n’aurais pas hésité à faire si j’étais un peu plus âgé, dit-il. Mais j’ai pris part à ma façon à la guerre de libération. J’ai été scout algérien et à ce titre je participais à toutes les manifestations pour l’indépendance de mon pays et à la collecte des aides pour nos combattants. "

De retour au pays après l’indépendance, la famille n’est plus retournée en petite Kabylie, mais elle a choisi la capitale, Alger. "C’est là, se souvient-il, que j’ai continué mes études au lycée, ensuite à la faculté où j’ai préparé des diplômes de littérature, de philosophie et d’économie. "

La désillusion

L’époque d’après indépendance a été vécue par les populations locales comme une promesse d’un avenir meilleur après des décennies d’humiliation et de domination. Les étudiants, dont faisait partie Omar Aktouf, ne sont pas en reste. L’Université a été le théâtre d’une ébullition extraordinaire d’idées progressistes et socialistes.
Mais la déception a été on ne peut plus grande après le coup d’Etat de Houari Boumediene en 1965. " Après cet événement, j’ai compris que l’Algérie n'allait plus être comme nous la voulions, regrette-t-il. J’ai été d’ailleurs parmi les étudiants qui ont manifesté contre ce coup de force. Ce qui nous a valus d’être passablement malmenés par les services de l’ordre. "

Les militaires vont désormais monopoliser tous les postes clé du gouvernement et de l’administration. Malgré les slogans socialisants du pouvoir, l’Algérie s’installe irrémédiablement dans une dictature militaire qui n’a plus rien à voir avoir les idéaux de la jeunesse algérienne. " On ne peut pas parler de socialisme avec Boumediene, mais plutôt d’un capitalisme d’Etat et, à la fin de son règne, c’était carrément de la corruption généralisée. D’où ma décision de partir et venir m’installer au Québec . "

Entre temps, Omar Aktouf a eu à travailler en tant qu’enseignant universitaire et à exercer dans plusieurs entreprises algériennes. " J’ai été cadre pendant 15 ans, précise-t-il. J’ai travaillé successivement à la Sonatrach, le mastodonte algérien du pétrole, au ministère de l'hydraulique, à la Société nationale des eaux et à celle de Géophysique, société algéro-américaine. Mais, j’ai été très déçu du jeu à jouer pour être dans le système. Je tenais beaucoup à ma liberté de pensée et d’action. Par voie de conséquence, j’ai choisi l’enseignement et le conseil. "

L’exilé révolté

Omar Aktouf est l’un des rares intellectuels en Amérique du Nord à critiquer sans ambages le capitalisme financier à l'américaine et ses avatars. Il peut même paraître comme une curiosité dans cet océan de néolibéralisme. Il revendique haut et fort l’étiquette du penseur qui va à contre-courant et d’anticonformiste notoire. " Je suis issu d’une famille de révolutionnaires qui s’est toujours révoltée contre l’injustice, affirme-t-il. Et c’est à mon tour de me révolter, mais cette fois-ci contre le néolibéralisme et ses conséquences. "

Bien qu’il surprenne, et parfois même indispose, par ses prises de postions qui remettent en question certains dogmes économiques par une certaine élite bien pensante, il est de plus en plus compris, voire apprécié. Le parti québécois aurait bien voulu qu’il se présente en son nom lors des précédentes élections provinciales. Faute d’accord, Omar Aktouf a accepté l’offre d’un très jeune parti de gauche, l’Union des forces progressistes. " C’est la preuve que mes idées ont un écho en Amérique du Nord, se réjouit-il, même si je ne me suis pas présenté pour me faire élire. Et ça continue ! Là je suis candidat du NPD pour le fédéral. Toujours pour défendre mes idées d’équité et de justice sociales. "

M. Aktouf a écrit plusieurs livres pour dénoncer d’une manière acerbe les errements et les déboires du néolibéralisme. Le dernier en date est La stratégie de l’autruche. Il y appelle à humaniser le système économique actuel et à mettre l’homme au centre du développement. Pour ce faire, il faut impérativement "qu’il y ait, affirme-t-il, un équilibre entre le rôle de l’Etat et le rôle de l’entreprise. Laisser trop de liberté à l’entreprise, cela donne des scandales comme Enron et Parmalat. Trop d’Etat, cela donne l’Union soviétique. "

" Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie et professeur de la même discipline à l’Université de Columbia, fait remarquer M. Aktouf, dit à peu prés la même chose. Et même parfois plus surtout dans ses deux livres La Grande désillusion et Quand le capitalisme perd la tête, d’autant plus qu’il a eu de grandes responsabilités au sein de la Banque mondiale et de l’administration Clinton. Si l’Etat continue à se désengager de son rôle, ce sera la catastrophe ! "

Comme quoi Omar Aktouf, cet esprit libre qui nous vient d’Afrique du Nord, n’est pas aussi seul à être critique vis-à-vis des dérives du néolibéralisme. Qui plus est, ses idées sont parfaitement applicables. " L’Allemagne et les pays scandinaves en sont la preuve ", aime-t-il à souligner.

Les Berbères: ruée vers Internet

Lahsen Oulhadj (Montréal)


Le seul fait de taper le mot "amazigh" ou "berbère" dans n’importe quel moteur de recherche, on se trouve automatiquement avec une foule de sites qui traitent, sous tous les angles, de l’amazighité. Les plus connus, et qui sont souvent les plus anciens, sont : Kabyle.com, mondeberbere.com, tamazgha.nl, syphax.com, etc. Ils ont été lancés par des Amazighs qui ont roulé leur bosse des années durant sur le terrain du militantisme amazigh.

Entre temps, d’autres sites amazighs (berbères) qui ne manquent aucunement de sel ont vu le jour : chez.com/asafu, souss.com, leschleuhs.com, arifino.com, asays.com, etc. Ils ont en commun le fait d’être lancés par des jeunes amazighs nés ou ayant grandi en Europe - parfois même issus des mariages mixtes.

Leurs origines régionales sont essentiellement le Souss et le Rif. Seul le Moyen Atlas manque à l’appel. Ce qui peut être facilement expliqué pour des raisons éminemment historiques. Les gens de cette partie du pays n’ont pas émigré aussi massivement à l’étranger comme c’était le cas pour les Rifains et les Soussis.

L’appel de l’amazighité (berbérité)

On est en droit de se poser la question sur les raisons de ce phénomène. Alors que normalement rien ne prédisposait ces jeunes amazighs, qu’on disait complètement assimilés ou même "aliénés", à s’évertuer à confectionner des sites sur leur culture. Il faut savoir qu’ils ignoraient, presque pour la plupart, l’existence même du mouvement culturel amazigh (MCA) qu’ils ne découvrent que par la suite. Exit donc une quelconque influence de la littérature militante de ce mouvement !

Ce ne sont donc pas des militants amazighs purs et durs qu’on s’attend à voir. Ce sont des jeunes étudiants ou déjà dans la vie active dont le profil ne diffère en rien avec leurs camarades européens. Ils sont généralement informaticiens ou ingénieurs en informatique. D’où la facilité déconcertante avec laquelle ils ont monté leurs sites.

Leurs motivations à proprement parler sont tout autres. Ils ont un constaté qu’il y avait un vide. En pragmatiques qu’ils sont, il n’y sont pas allés par quatre chemins. Ils se sont mis à le combler. Leur culture, l’une des plus anciennes du bassin méditerranéen, ne mérite-t-elle pas d’être connue et reconnue ? N’est-il pas temps d’éclairer ces Européens qui ignorent tout sur les Amazighs et qui ne les voient qu’à l’aune de préjugés complètement faux ? Internet, dont l’accès se démocratise de plus en plus en Europe, et même au pays, est une aubaine extraordinaire qu’il faut exploiter au maximum.

Selon, Lahcen, le webmaster de leschleuhs.com, l’idée qui a présidé à la confection de son site est très simple. "J’ai remarqué, se rappelle-t-il, en procédant à une recherche sur le web, que l’on parle peu de nous contrairement aux Kabyles. C’est là que l’idée du site a germé dans ma tête." La motivation de Mohamed, le co-wembaster du site d’arifino.com (il le gère avec son frère, Majid) diffère légèrement, même si la quête identitaire y est pour quelque chose. "J’ai été très surpris de découvrir, se souvient-il, que le tarifit - une variante de la langue amazigh - s’écrivait en consultant les pages d’un site Internet de Rifains résidant en Hollande. Cela a été, pour moi, un déclic qui m’a poussé non seulement à penser à faire de même, mais aussi à m’interroger sur mon identité culturelle".

Il faut dire que ce n’est pas si difficile que cela de se poser des questions sur soi pour cette jeunesse qui a accompli sa scolarité dans une école où la finalité est de créer chez l’élève un esprit critique.

Conscients d’énormes possibilités qu’offre Internet et surtout de la liberté qui y règne, nos jeunes amazighs n’ont pas laissé traîné les choses. D’ailleurs, comme l’explique si bien Mohamed d’arifino.com, "Internet est le seul média accessible aux Amazighs. La télévision est condamnée et les journaux sont surveillés par les autorités d’Afrique du Nord".

Diplôme d’informatique en poche, Lahcen n’a pas hésité à mettre les mains à la pâte en concrétisant son idée d’un site amazigh, leschleuhs.com, le premier du genre. Mohamed-Ali Jallouli a suivi par la suite avec son excellent site, sousss.com, l’un des plus engagés dans la défense de l’amazighité. Il faut dire que ce n’était pas les compétences informatiques qui leur manquaient.

En revanche, pour Mohamed et Majid d’arifino.com, qui ne sont pas vraiment informaticiens, il y a un apprentissage à faire. Il était impérieux, dans un premier temps, de maîtriser Internet et ses langages avant de se lancer dans la conception d’un site. Ce qui fut dit, fut fait. Arifino.com a vu le jour quelques mois plus tard.

La découverte de soi

Une fois que les sites sont lancés, le succès a été immédiat. Des centaines, si ce n’est des milliers, de " surfeurs " affluent sur ses sites. Pour souss.com à tire d’exemple, c’est plus de mille visiteurs par jour et des milliers d’inscrits. Dans ces sites, tous les sujets sont évoqués, mais la palme revient naturellement à l’amazighité. C’est un thème qui est de loin le plus important. Mais il faut reconnaître que ce n’était pas toujours évident. Surtout au début. Des mois et des mois de débats, très houleux, et qui tournent souvent au pugilat, ont été nécessaires pour ouvrir les yeux à beaucoup de jeunes sur la nécessité de la défense de la culture amazighe.

D’ailleurs, des mises au point sont souvent nécessaires. Dans arifino.com à titre d’exemple, l’antagonisme entre Islam et amazighité maintenu par certains Internautes, par ignorance ou à dessein, revient tellement que le webmaster, pour mettre les pendules à l’heure, a rédigé un texte au vitriol à l’adresse de ceux qu’il a appelé les imams amateurs.

Ceci dit, le message amazigh passe de plus en plus. Beaucoup de jeunes découvrent, surpris et parfois carrément déçus, une autre facette de leur pays qui ne rime pas forcément avec le soleil, les belles plages, les paysages paradisiaques…. Un pays où tout ce qui est amazigh est synonyme d’interdit. L’absence de l’amazighité dans les média, l’interdiction des prénoms, l’arabisation des toponymes, les agressions inqualifiables des étudiants amazighs un peu partout au Maroc, l’exclusion des régions amazighs sont autant de preuves qui ont fini par convaincre les plus rétifs. Les Amazighs vivent décidément une situation plus qu’anormale.

La sensibilisation fonctionne donc à plein régime. On voit des jeunes amazighs, le plus souvent ne parlant que l’amazigh et la langue de leur pays d’accueil, user, le plus naturellement du monde, de tous ces mots anciens remis au goût du jour. Les azul, les tanmmirt, les asurf, etc, ne sont plus un secret pour personne. Des pseudonymes typiquement amazighs voient le jour : les Yuba, les Yugurten, les Masnissa, les Tihya, les Tilila…
Bien plus, on commence à revisiter le patrimoine culturel amazigh. Les proverbes, les contes, les légendes, les poèmes, les mots tombés en désuétude, l’Histoire et les anciens chanteurs sont des sujets les plus abordés. Tout y passe.Aussi paradoxal que cela puisse paraître, des chanteurs-poètes morts depuis des décennies deviennent, comme par magie, des stars adulées. Hammou Outtalb, Omar Wahrouch, Said Achtouk, Mohamed Albensir, Bouakr Anchad, et tant d’autres, sont désormais des noms familiers pour nos Internautes.

Quant aux visiteurs non-amazighophones, ils sont de deux catégories : des non-Amazighs qui espèrent découvrir la culture et des Amazighs déracinés qui se cherchent. Cet appel bouleversant, diffusé sur leschleuhs.com d’une jeune fille amazigh ne parlant plus sa langue, est très révélateur d’une ardente recherche identitaire. "Au Maroc, je me sens complètement perdue. Tout ce qui se dit en tachelhite - une variante de la langue amazigh - m’est incompréhensible. Et c’est vraiment frustrant! Je viens donc sur ce site pour connaître davantage la langue et la culture de mes parents", espère-t-elle.

Sus aux tabous !

Malgré leur ancrage régional, ses sites n’en célèbrent pas moins l’oeucuménisme amazigh. Les frontières politiques et géographiques deviennent tellement abstraites qu’elles s’annihilent d’elles-mêmes. Point de différence entre un Kabyle et un Rifain ou encore moins entre un Soussi et un Chawi. On se surprend même à découvrir que des Amazighs canariens ou libyens ou même égyptiens existent encore, et même militent pour leurs droits imprescriptibles.

Cependant, la particularité principale de ces sites, c’est leur réputation de casser tous les tabous. L’esprit libre transparaît dès la lecture des titres des sujets. Explication. C’est peut-être ce côté rebelle et anticonformiste qui a toujours caractérisé les Amazighs. Toujours est-il que tous les sujets sont abordés sans aucune autocensure. Des thèmes qui ne dépassent généralement pas le cadre du Maroc et rarement l’Afrique du Nord. Ce qui est loin d’être le cas des sites arabo-marocains dont les forums débordent plutôt de sujets sur le Moyen Orient. On peut même affirmer qu’il n’y a que cela.

Bien plus, les jeunes amazighs n’y vont pas de main morte. Souss.com a organisé un sondage, tenez-vous bien, sur la possibilité d’un Etat fédéral au Maroc. Résultat. Plus 63% de visiteurs du site ont voté pour l’autonomie de la région du Souss. Arifino.com en a réalisé à peu près le même. Le résultat est presque identique.

En revanche, Leschleuhs.com a fait un sondage sur l’Institut royal de culture amazigh (IRCAM). Le résultat ne doit certainement pas faire plaisir à nos chers académiciens amazighs. Il s’est avéré que cette prestigieuse institution, qui rassemble la crème de notre intellgentsia, n ’est pas connue par plus de 46% des sondés et 23% pensent que c’est un gadget constitutionnel. Il faut peut-être que les Ircamistes pensent à changer leur communication, si jamais ils en ont une. Car jusqu’à présent, ils ont été on ne peut plus discrets.

On peut toujours gloser indéfiniment sur la crédibilité de ces sondages, mais ils ont le mérite, quoiqu’on dise, de révéler la pensée d’une frange de la jeunesse amazigh de la diaspora. A mon point de vue, on aura tort de ne pas l’écouter si on ne veut pas la perdre à jamais. Car pour elle, l’amazighité, qui est malheureusement encore niée par l’Etat, reste un lien très fort et vivace qui la lie au pays.

Davantage de visibilité à la promotion de l’amazighité serait la bienvenue. Ce qui ne peut se faire sans un accès massif aux média. La création d’une chaîne de télévision exclusivement amazighe à titre d’exemple. Sans oublier la satisfaction des revendications amazighes dont la principale est la consitutionnalisation de la langue amazighe.
Il n’y a pas que des sondages dans ses sites. Des débats houleux ont eu lieu sur la Constitution marocaine, sur l’appellation du Maghreb arabe- d’ailleurs plus de 82% des visiteurs de souss.com, encore lui, la considèrent comme raciste -, sur la politique linguistique, la négation de l’amazighité, le cinéma amazigh, etc.

Rien n’échappe, pourrait-on dire, à la trappe de cette jeunesse amazighe qui ne demande qu’à s’exprimer et à agir concrètement et positivement pour le pays et sa culture amazighe. D’ailleurs, les membres de souss.com et de leschleuhs.com ont crée une association, Asays, pour la défense et la promotion de la culture amazigh. Et l’une des premières actions de cette nouvelle structure associative a été la collecte de fournitures scolaires pour les écoliers démunis du Souss. Tout cela est prometteur !