mardi, décembre 25, 2007

Le Souss quatre ans après....

Voilà quatre ans que je ne suis pas revenu dans le Souss, le seul coin au monde, et je le dis en toute franchise, où je me sens réellement chez moi. Moi le citoyen du monde qui n’est dans son élément qu’hanté, peut-être jusqu’à la fin de ses jours, par le nomadisme et la transhumance. Certains penseront, et diront même, que c’est beaucoup quatre longues années ? Ils ont tout à fait raison. Car en l’espace de ce temps, mon Souss natal a changé. De fond en comble. Littéralement. Radicalement.

Sauf les gendarmes et les policiers du Makhzen qui y sévissent. Toujours aussi impitoyablement. Il ne faut même pas espérer que ceux-là changent un jour. Ils sont d’ailleurs partout. En mettant, parfois, leur vie et celle des autres en danger. Imaginez qu’ils peuvent être au milieu de la chaussée, à des heures extrêmement tardives de la nuit, sans qu’aucune plaque lumineuse ne signale leur présence. Comme cela se fait normalement ailleurs. Vous ne pouvez savoir qu’il s’agit d’eux que lorsqu’ils se font remarquer avec une petite et minuscule lampe. Qu’il faut impérativement voir. Sinon, c’est la catastrophe. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs perdu leur vie ainsi. Bêtement.

Vitesse

Mais une chose est plus que sûre, ils sont toujours aussi fourbes et trouvent même un malin plaisir, une jouissance extatique, pour ne pas dire sadique, à vous arrêter. Et ce pour vous rappeler, le plus souvent, que vous roulez à une vitesse excessive. Parce que vous avez le malheur de ne pas voir une très discrète plaque limitant la vitesse qu’un buisson touffus, une carriole surchargée, un clochard avec ses haillons ou même un animal errant a caché, comme par hasard, lors de votre passage à sa hauteur.

Une question vous trotte certainement dans la tête : comment diable peuvent-ils savoir que vous roulez vite ? Ils n’ont quand même pas le don d’ubiquité ! En fait, c’est très simple : on les a, enfin, équipés de caméras avec lesquelles elles scrutent constamment la route ou ce qui lui ressemble (les routes marocaines sont en piteux état). Mais dans le cas où vous êtes arrêté, ne demandez surtout pas une preuve écrite comme cela se fait sous d’autres cieux. C’est votre parole contre la leur.

Qui plus est, il paraît que dans les lois marocaines, le témoignage d’un homme détenant n’importe quelle autorité, petite soit-elle, équivaut à 12 personnes. Bonjour l’égalité des sujets ! (pour les citoyens, revenez peut-être dans cinq siècles et encore !) Autrement dit, dans tous les cas vous êtes cuit. Il faut donc obtempérer. Et que ça saute. Et tout de suite.

En réalité, il ne sert à strictement à rien de chercher une échappatoire, il faut casquer de l’argent « a messiou » avec un regard exorbité à la clé. Histoire de vous intimider bien évidemment. Mais contrairement à toutes les polices du monde, ici, on ne fait jamais dans les règles. Si surprenant que cela puisse être, on a toujours le choix de négocier, sur place, une solution à l’amiable.

Décidément rien n’étonne plus dans ce royaume qui n’arrête pas de déchanter. Une petite confidence : j’ai eu personnellement droit de la part d’un policier au fameux « la fête du sacrifice est sur les portes ». Une manière détournée, voire même subtile, pour quémander de l’argent. Ce qui m’a laissé bouche bée, car habituellement c’est plutôt le style le plus direct qui est de rigueur.

Halte !

Disons-le franchement, ce n’est pas demain la veille que le Makhzen va se débarrasser de cette petite corruption, comme il le claironne hypocritement dans ses médias où il a quasiment élu domicile. Tout seul. Il faut savoir qu’il y a une grande, une très grande corruption. Celle des marchés publics à titre d’exemple. A signaler qu’elle brasse non pas quelques piécettes mais bel et bien des millions et des millions ! Mais là c’est une autre paire de manche. Passons ou plutôt revenons à notre petite « talkhcha » gendarmesque ou cauchemardesque. A vous de choisir !

Votre véhicule immobilisé, il faut savoir que vous aurez droit à cette question, ô combien significative, systématiquement posée dans je ne sais quel idiome des Aroubis – la police et la gendarmerie sont leur chasse gardée- : « que ferait-on ‘’a ssi’’ ? » en montrant des gencives avariées, des dents complètement ravagées par un « tsunami » bucal à base de cigarettes de mauvaise qualité et, peut-être même, de bières frelatées au milieu d’un visage complètement carbonisé par l’implacable soleil de ce coin du Tamazgha ? Sans vouloir exagérer, certains d’entre eux peuvent aisément avoir les premiers rôles dans les films d’horreur les plus effrayants. Tellement ils sont laids, hideux et repoussants ! On dirait que c’est la condition sine qua non pour qu’ils soient embauchés.

D’ailleurs, lorsque nous étions petits, ma petite maman, dépassée qu’elle était par nos multiples débordements enfantins, a trouvé une parade imparable pour y mettre le holà. Il suffit qu’elle fasse allusion à la figure du gendarme pour qu’on reste coi non seulement pendant une journée, mais pendant des semaines. A telle enseigne qu’elle désespérait, carrément, de nos longs silences non moins inquiétants. A la fin, elle nous suppliait pour renouer avec nos cacophonies d’antan. C’est vous dire.

Il faut reconnaître que nos multiples ogres locaux n’ont plus aucun effet sur nos petites têtes. Même s’ils tout autant redoutables, ils ont fini par nous paraître on ne peut plus doux comparés aux « ogres » faits de gendarmes et de policiers. Ceux-là même que le Makhzen a envoyés spécialement pour dresser, bien comme il faut, ces radins de « Grabz », chez eux, dans le Souss. L’objectif est plus que clair : il faut tuer en eux toute velléité de remise en question du système et de ses magnifiques « valeurs » que le monde entier n’a de cesse de lui envier. A-t-il réussi dans cette entreprise on ne peut plus « civilisatrice » ? Largement. Amplement.

Corruption

Quant à l’amende, et c’est là que le bât fait plus que « taillader », les « très fins stratèges » de Rabat n’ont nullement fait les choses à moitié. Comme d’habitude. Il faut savoir que vous devez payer sur place 400 dh (presque la moitié du smic marocain s’il en existe réellement un) ou bien 100 dh ou même parfois moins de « dehna », un autre mot arabe pour désigner la corruption. Il semblerait que le tristement célèbre « rechwa », un terme tout aussi arabe, « walhdoulillah » comme diraient certains faux bigots un peu idiots, est devenu usé à force d’être utilisé. En tous les cas, vous aurez beau cherché, il n’existe aucun mot en tamazight pour exprimer ce fléau qui fait des ravages dans la société et l’installe définitivement dans le sous-développement.

Quelque incroyable que cela puisse être, on vous laisse même un temps de réflexion pour prendre une sage… décision, c’est-à-dire corrompre. Comment cela ? Je sais qu’en racontant tout cela, je n’apprends certainement rien aux indigènes qui doivent en savoir plus que quelque chose. En fait, c’est presque un rituel, les gendarmes et les policiers marocains ont presque tous la manie de prendre vos papiers pour les glisser, le plus naturellement du monde, sous leurs casquettes suantes en vous laissant poireauter pendant de longues minutes à côté de la chaussée. Histoire de vous accorder toute la latitude pour cogiter à une solution idoine. Encore faut-il comprendre tout ce vicieux manège. Sinon, il y a de quoi avoir une crise de nerf immédiate et même attraper un diabète insulinodépendant sur place.

Mais à force, on apprend, on s’habitue, on s’intègre en quelque sorte. Doucement. La socialisation fera son effet d’une manière inconsciente comme dirait emphatiquement n’importe quel sociologue averti. Surtout que vous aurez toutes les chances, si vous roulez souvent, d’être arrêté plusieurs fois dans la journée. Et vos vacances, que vous espériez calmes et paisibles, peuvent être synonymes d’un perpétuel jeu de cache-cache, au demeurant très fatigant, avec les forces de « l’ordre ». Qu’elles soient en bleu ou en gris.

Cinéastes amazighs : haro sur le piratage !

Ils sont trois mousquetaires du cinéma amazigh, tous très connus : Rachid Aslal, Abdellatif Atif et Abdelaziz Oussayh. Rencontrés dans le siège de la maison de production Ayouz Vision, ils ne cachent nullement leur inquiétude vis-à-vis du terrible fléau du piratage. Ils lancent à ce propos un appel pressant à tous les cinéphiles pour le combattre autant que faire se peut. Car il risque de mettre un terme à la très belle aventure du cinéma amazigh. Espérons qu’ils soient entendus !

Le bal est ouvert par l’humoriste R. Aslal qui n’a pas trouvé de termes assez durs pour dénoncer ce fléau extrêmement malheureux et tout autant dangereux : « Ce n’est plus ni moins qu’un crime contre notre travail. Que ceux qui piratent viennent nous rendre visite pour voir les efforts que nous déployons pour mettre nos produits sur le marché ! ». « Et pourtant, répond en écho le réalisateur et l’acteur A. Oussayh, nos films ne coûtent absolument rien, car accessibles à toutes les bourses. Je comprendrai si l’on était encore à la cassette VHS qui valait beaucoup plus chère, mais là…

« Autorités »… dépassées

Tout d’abord, ces cinéastes amazighs pointent, tous, du doigt Internet où certains n’hésitent pas à mettre des films un jour ou deux jours après leur sortie. Ce qui est en lui-même une terrible injustice pour tout le monde. Y compris pour le téléspectateur, qui, à force de privilégier cette méthode illégale, se réveillera un jour sans films à voir. Car tout simplement les sociétés de production ont déjà mis la clé sous la porte. Autrement dit, elles ont fait faillite. Ce que certainement personne ne souhaite.

En second lieu, il y a ceux qui gravent systématiquement les films pour les faire couler dans le marché. A terme, c’est leur cinéma dont ils sont probablement fiers qu’ils vont couler. Autre temps, autre méthode. Certains faussaires ne reculent absolument devant rien. Ils font carrément, surtout dans les villages, du porte-à-porte pour proposer leur marchandise à des prix défiant toute concurrence.

Et les autorités dans tout cela ? Elles sont tout simplement désarmées. Car elles ont énormément de difficultés à prouver que tel ou tel à pirater tel ou tel produit. « Même si elles nous soutiennent dans des campagnes anti-piratage », explique Oussayh. Subitement plein d’espoir, il ajoute « qu’il faut absolument une loi extrêmement draconienne pour combattre ce cancer qui ronge notre jeune et dynamique cinéma. Ou du moins en limiter les dégâts. Surtout que l’on ne peut espérer aucune aide publique».

Scandales… à n’en pas finir

Ce qui est on ne peut plus vrai. Lors de la dernière réunion de la très fameuse Commission d’aide au cinéma « arabe », comme l’a si justement appelé la très dynamique Fatim Alahyane, il n’a été accordé au cinéma amazigh qu’un million de dh et des poussières. Autant dire des clopinettes. Par contre, le cinéma arabe, lui, a raflé la mise, à savoir la bagatelle de plus de 11 millions de dh. Un choix que d’aucuns considèrent comme totalement absurde, car animés uniquement par des considérations éminemment ethniques, raciales et idéologiques.

Pour ceux qui ne le savent pas encore, la préférence arabe est consubstantielle au régime marocain. Ils se confondent même pour ne former qu’un tout. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que ce soit les descendants des réfugiés andalous aux commandes, chez qui, comme on le sait tous, l’amazighophobie et le racisme anti-amazigh font quasiment partie de leur patrimoine génétique, qui y mettent fin. Eux qui ont toujours prôné et cru, dur comme fer, dans la supériorité éternelle de l’homme arabe et de sa culture. Les pauvres, ils ne doivent pas être au courant que le nazisme hitlérien a disparu depuis belle lurette. Passons !

Plus grave encore, le scandale du dernier festival du cinéma international de Marrakech est encore frais dans toutes les mémoires (ne parlons même du scandale des célèbres films amazighs devenus subitement arabes produits par Nabil Ayouch à… 100 million de centimes l’unité). Enfin, chez ceux qui ont un peu d’esprit critique et qui sont encore jaloux des intérêts de ce pays quasiment à la dérive.

A franchement parler, comment un pays extrêmement pauvre que le Maroc (129e en terme de développement humain) puisse se permettre le luxe d’organiser une manifestation, d’un faste absolument choquant, pour prétendument célébrer le cinéma… des Egyptiens ? N’est-ce pas une honte absolue que l’on mette à mal les finances publiques, dont les indicateurs sont tous au rouge, alors que des Marocains meurent encore de froid, de maladies bénignes ou se suicident par groupes entiers dans le Détroit ? N’allez surtout pas la question à un certain El Araichi qui se pavanait dans la capitale des Almoravides comme un nabab, lui, qui ne trouve bizarrement subitement jamais l’argent lorsqu’il s’agit de la culture originelle et authentique du Maroc.

Quant aux pauvres amazighs, qui se souciera de leur misérable vie et à plus forte raison de leur cinéma ? Même si celui-ci est l’objet d’un engouement qui ne se dément jamais. Ce qui est en lui une grande révolution culturelle. Il faut savoir que l’électrification d’une grande partie des régions amazighes et le développement technologique (lecteurs DVD à bon marché) ont fait qu’une immense clientèle essentiellement rurale s’est ajoutée à la citadine, locale ou émigrée, déjà acquise à ce cinéma on ne peut plus amazigh. Et ce pour créer un marché plus qu’important.

Tant mieux donc pour l’amazighité et que tous les Amazighophobes fascistes de tout poil, que Dieu sait très nombreux et puissants, aillent boire « toute l’eau de la mer avec une petite cuillère ». Il va sans dire que ça leur fera un très grand bien !

mardi, décembre 18, 2007

Aslal : le Maroc a fait le plus grand joint au monde

Après le plus grand couscous, le plus grand tajine, la plus grande babouche, le Maroc a réalisé une autre grande première : le plus grand joint au monde. Vous piaffez certainement d’impatience pour en savoir davantage sur cette histoire abracadabrantesque. En fait, c’est très simple : allez vite et tout droit chez le plus proche bon disquaire pour vous procurer le dernier opus du terrible humoriste, Aslal. Produit par la très dynamique maison de production, Ayouz Vision, lafiray làaib, son titre, est disponible sur le marché depuis déjà quelques jours.

Il n’y a pas que cette histoire du plus grand joint au monde dans ce terrible man one show. Enregistré dans un décor minimaliste et avec son accent propre aux gens d’Aksimen et d’Imsgginen, Aslal n’en rate aucune pour laisser libre court à son ironie pour le moins acerbe, au goût très amer (aslal voulant dire le miel très sucré en tamazight). Bien évidemment la situation déplorable de l’homme amazigh est dans sa ligne de mire. Pas seulement : ceux aussi qui l’empêchent de s’exprimer aussi n’ont pas échappé à ses griffes… comiques.

Parce qu’ils monopolisent la parole, toutes les paroles. Autrement dit, les politiciens véreux, locaux ou nationaux, qui sont passés maîtres dans une seule et unique spécialité : vendre, fièrement, à tour de bras, le pays, tout le pays au plus offrant. En fait, fidèle à lui-même, les sujets évoqués par Aslal sont graves, très graves même. Mais il propose une solution qui ne coûte strictement rien, gratuite même : en rire.

Si vous voulez donc passer un moment de franche rigolade, regardez et surtout écoutez en laissant grandes ouvertes vos oreilles ce dernier produit de notre bête de scène, l’inimitable Aslal. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, ce serait franchement une très belle occasion de le connaître et le découvrir. Ils ne le regretteront jamais.

vendredi, décembre 14, 2007

Le drapeau amazigh dans un fourgon de la police française


L’hypocrisie diplomatique, une spécialité de la France

Infatigable militante franco-amazighe, Aicha El Hassani- parente du poète et du grand activiste Brahim Oubella- a été parmi les personnes qui ont tout fait pour manifester contre la venue du fou de Tripoli en France, Mouammar Kadhafi. Aveuglée par les milliards qu’il trimbale avec lui, la France officielle ne voulait en aucun cas l’offusquer. Il faut donc interdire toute voix le dénonçant. Quitte à cracher sur les principes qu’elle n’a de cesse de faire siens. Lisons sans trop tarder le témoignage de Aicha El Hassani !

Pourquoi manifester contre Kadhafi ?

Tout individu portant atteinte aux droits de l’homme par des actions violentes ne mérite aucun respect. Le colonel Kadhafi, nous le savons bien de par son CV impressionnant, est une dictateur qui n’a fait que cautionner des actes terroristes depuis son coup d’Etat en 1969.Il a été écarté par la communauté internationale en 1992. La population libyenne a souffert de sa cruauté. A titre d’exemple, l’emprisonnement injuste des infirmières bulgares libérées cet été. Par ailleurs, nous avons manifesté plus particulièrement en soutien à la communauté amazighe libyenne. En effet, le colonel ne donne aucun intérêt et ne respecte pas les minorités de son pays. Signalons à juste titre qu’en décembre 2005 une délégation du CMA s’était rendue en Libye, cette rencontre avait été convenue entre le chef de l'Etat libyen et le Président du Congrès Mondial Amazigh. Le but étant de faire, sur le terrain, un bilan sur la situation socioéconomique, politique, culturelle et linguistique des Imazighen de Libye ; celui-ci aurait été transmis aux hautes autorités Libyennes dont l’issue était de réhabiliter les droits fondamentaux des Imazighen de Libye. M. Kadhafi avait pris des engagements à cette époque et ne les a jamais respectés ni appliqués.


Pourquoi les autorités françaises ne veulent-elles pas qu'on manifeste contre lui?

Il y a évidement des intérêts en jeu puisque visiblement un certains nombres d’accords « économiques » ont été conclus entre la France et la Libye dans le but de rapprocher les deux pays au détriment des valeurs républicaines. En agissant ainsi les autorités française ont cautionné l’avènement et la progression du terrorisme et ont bafoué ce en quoi les citoyens ont toujours cru : La France pays des droits de l’homme.

Racontez-nous les circonstances de votre arrestation?

Nous avions prévu de manifester à la place St Augustin à Paris mais les autorités avaient déjà pris des mesures pour empêcher toute action. Nous nous sommes alors rendus au Trocadéro mais à la sortie du métro un comité d’accueil composé de CRS nous attendait ; ils nous ont encerclé et nous n’avons pas pu nous rendre plus loin. Nous nous sommes contentés de manifester à notre manière sur place. Nous avons été fouillé puis embraqué dans un fourgon et avons attendu d’être conduit au centre de rétention du 18e à Paris.
Nous avons été informés que les partisans pro-kadhafi, eux ont bénéficié d’un droit de « manifester » leur enthousiasme. Ce qui nous a révolté !

Vous a-t-on interrogé au commissariat ?

Oui, après avoir subit une seconde fouille et retiré tout accessoire (bijoux, portables, etc.), nous avons été interrogé individuellement sur les motifs de notre action.

Que vous a-t-on dit ?

Ils ont relevé nos coordonnées et demandé les raisons de notre manifestation. Si celle-ci était dans le but de troubler l’ordre public, chose qui m’a surprise, les manifestations existent depuis la nuit des temps et ont toutes des motifs propres, et je citerais la référence qui est à l’origine de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La Révolution Française de 1789 ». La notre étant pacifique face à un dictateur je ne vois pas en quoi l’ordre public peut être troublé. La personne qui m’a interrogé avait un avis défavorable quant à la visite du dictateur et n’a pas hésité à me le confier.

Quand et comment avez-vous été libérée ?

L’interrogatoire en lui-même a été de courte durée et n’était qu’une simple formalité, nous l’avons plutôt vécu comme une sorte de sondage vu le peu de question posées, Nous avions été interpellé vers 15h au Trocadéro et avons été libérés à 17h.

Votre dernier mot…

La décision de Nicholas Sarkozy à se rapprocher des chefs d’Etat dictateurs comme ce fut le cas récemment avec Vladimir Poutine est inadmissible et inacceptable compte tenu des valeurs de la France. « L’hypocrisie diplomatique » est devenue une spécialité en France !

mercredi, novembre 28, 2007

Iguidar ou les hérauts de "tazgna"

Écoutez Iguidar- les aigles en amazigh- un tantinet soit peu, et vous aurez, illico presto, non seulement la conviction que vous avez affaire à un vrai poids lourd de la musique, mais aussi à une troupe pourvue d’une forte personnalité. C’est-à-dire qu’elle a ce quelque chose difficilement définissable qui fait la différence. Iguidar c’est aussi et surtout un style sui generis, facilement décelable, inspiré essentiellement par un genre poético-chorégraphique spécial mais ô combien riche en couleurs et en rythmes, les Ignawen. Résultat des multiples rencontres, pas toujours heureuses, entre les deux versants de notre continent africain.

Mais majestueux qu’ils sont, Iguidar (l’aigle n’est-il pas majestueux?) n’en ont jamais fait une fixation. Ils n’en ont même pas cure pour tout vous dire. Leur seul et unique but, c’est de relever le défi de la célébration poético-musicale de l’amazighité, de leur amazighité. Un pari qu’ils ont d’ailleurs réussi. Merveilleusement bien. De l’aveu même des connaisseurs de la musique soussie. Avec en plus cette capacité, pas toujours évidente, de mettre le feu à la scène, à toutes les scènes. De fait, avec eux, l’ennui n’est jamais présent, toujours absent. Sans vouloir faire dans le cliché facile : il faut les voir pour les croire.

Pour autant, Iguidar, hélas, ne sont pas aussi connus qu’Izenzaren. Dont ils doivent se considérer, normalement naturellement, comme les dignes successeurs. Et cela sans jamais succomber à leur imitation béate ou aveugle. En fait, ils ont toujours fait dans la création pure. Mais, comme on le sait tous, la vie n’est pas toujours juste. Lors de leur passage à la télévision marocaine, le bassiste du groupe, le très talentueux Brahim Irouf, le rappelle à qui veut l’entendre : « Je trouve terriblement injuste qu’Iguidar ne soient pas assez connus et reconnus. » Pour ma part, il a tout à fait raison de lancer son coup de gueule. Il faut savoir que, en trois décennies, lui et ses compères ont énormément apporté à la chanson amazighe. Que ce soit au niveau des rythmes, des paroles, des voix... Enfin tout. À l’en croire, leur quintette n’a jamais eu «le coup de pouce » qui change le cours d’une vie ou d’une carrière vers des horizons plus prometteurs. Dommage !

Dcheira encore et toujours !

Issus pratiquement tous de Dcheira, cette pépinière bien connue de talents qui a plus que donné à la musique amazighe traditionnelle et moderne, les membres de la formation sont actuellement au nombre de cinq : Brahim Irouf, Lahoucine Hamidi, Mohamed Oubella, le nouveau membre Rédouane, un ancien respectivement d’Iâchaqen et de Nass El Ghiwan, et bien évidemment le fondateur du groupe Smail Semlali. D’ailleurs, quel personnage haut en couleur est celui-ci ! Jugeons-en : naissance à Casablanca, retour dans le Souss, infatigable fondateur de troupes musicales comme Iqqendaren devenus Imariren en 1976, Lmjadil en 1977 et Indouzal en 1978. Mais de cette frénésie créatrice seuls Lmjadil ont pu survivre et pas pour longtemps. Malheureusement. Car le décès de l’un de leurs éléments les plus doués, moustapha Oufkir, a été vécu comme un traumatisme personnel. Ils ont été terriblement affectés. En fait, le cœur n’y était plus. Il fallait lâcher la musique.

C’est l’éclipse totale jusqu’en 1984. Là, Lmjadil ont ressuscité, mais sous un autre nom : Iguidar. Grâce à la volonté de Smail et au coup de main salutaire d’un magicien du verbe et de la rime, Abderrahman Agwad. Réunissant des musiciens chevronnés venus tous de troupes qui ont marqué les années 70 comme Iâzray, Lajhad, Timitar…, c’est le départ sur les chapeaux de roue. Et c’est le cas de le dire. Iguidar ont ainsi produit leur premier opus justement en 1984. Et ce pour marquer leur territoire sur une scène artistique difficile, surchargée, qui a déjà commencé sa mue avec l’apparition de nouvelles tendances musicales plus occidentalisées. Il faut donc se distinguer. Impérativement. D’où le style on ne peut particulier qui leur est propre. Et ça plaît. Beaucoup même. Avec, en plus, un jeu très complexe et des textes extrêmement bien écrits. Nul besoin de chanter les sujets rebattus. Que l’on soit percutants, tel est leur philosophie.

Depuis le temps que j’en parle, qu’est-ce qu’il peut bien avoir de particulier leur style ? Pour nous en parler, il n’y a pas mieux que leur leader, Smail Semlali : « Notre style, et comme vous pouvez le constater, est quelque peu différent de celui d’Izenzaren. Ainsi, nous nous sommes d’ailleurs évertués à lui trouver une désignation convenable. Après moult recherches, nous avons retenu « tazgna ». Ce terme exprime en effet le mieux le genre de notre musique, un savant mélange entre le style tazenzart et le style d’ignawem

Sombreur rythmée

La condition sine qua non de la réussite d’un groupe musical, en plus naturellement du talent, c’est une certaine constance. C’est peut-être cela qui a fait défaut à Iguidar pour qu’ils ne soient pas reconnus à leur juste valeur. Car ils ont eu quand même un trou de dix ans où ils n’ont presque rien produit. Et dix ans ne sont jamais rien dans une carrière musicale. Mais pourquoi ce décrochage plus que malheureux ? Parce que leur poète attitré A. Agwad est parti s’installer en France. « Cette rupture est due surtout à son absence. Pour notre formation il était plus qu’un parolier, on le considérait et on le considère toujours comme notre père spirituel. Il faut savoir qu’il a même composé quelques chansons telles Dlali dlali … », regrette amèrement Smail Semlali.

Par ailleurs, si Izenzaren ont fait connaître aux aficionados amazigh l’engagement, Iguidar- c’est là qu’ils ont magnifiquement brillé- l’ont mis au centre de leur travail musical, en ont fait même une manière d’être. En fait, sans vouloir exagérer, ils lui ont donné son véritable sens, ses lettres de noblesses. Bref, ils l’ont porté à son faîte. Mieux encore, Iguidar ne sont pas qu’engagés, ils se sont carrément embarqués pour paraphraser un certain Albert Camus. Embarqués dans quoi ? Dans la défense de l’Amazigh, de sa terre et de sa culture. Les sujets que les deux pôles d’Izenzaren (Chamkh et Iggout) n’ont fait que survoler. Et même lorsqu’ils les ont évoqués, ils sont restés plus qu’ambigus, Iguidar, eux, s’y sont attardés. Les ont creusés davantage. Pour les « faire parler » et dire les choses clairement et franchement. Exit l’autocensure ! Et le résultat est plus que remarquable. Les titres de leurs cinq albums (abenkal, inmuttar, terza ttaàt, amhdar et tamazight) peuvent déjà vous en donner une petite idée.

Il faut savoir qu’ils étaient les premiers, et c’est vraiment à leur honneur, à chanter les malheurs de l’étudiant confronté à la misère, à la mal-vie et aux horizons bouchés. L’identité amazighe, menacée d’une mort quasi subite, n’a pas été non plus omise. Ils l’ont célébrée comme pas un. Ils l’ont portée au firmament. Il n’y a que le très connu Archach qui peut leur faire concurrence. Si l’on reste dans le même style de musique. Et encore ! Il faut dire qu’ils ont la chance d’avoir à leur service de terribles paroliers de la scène amazighe, Agwad et Hanafi. Ceux-là mêmes qui ont écrit les plus belles chansons des irréductibles Izenzaren et même des pionniers Lakdam surtout pour ce dernier. Tout cela sans succomber aux rythmes tristes malgré la gravité des sujets abordés. Ils ont toujours tenu à extrêmement les travailler. Joyeusement. À la perfection. Comme des ciseleurs façonnant pour l’éternité des œuvres de collection. D’ailleurs, à chaque fois que j’ai eu l’occasion d’assister à leur concert, le public n’hésite jamais de danser. Hystériquement parfois. Il faut dire que leurs compositions dégagent quelque chose qui titille non seulement le corps mais aussi l’âme. Leurs mélodies sont fondamentalement spirituelles.

En fait, il ne peut pas en être autrement. Il faut savoir que nous avons affaire à des as de la musique amazighe : leur jeu extrêmement élaboré au banjo, leur maniement terriblement original de la percussion (tam-tam), leur utilisation judicieuse de la basse (agmbri) et même des castagnettes traditionnelles ( tiqarqawin) la présence lumineusement olympienne d’un Smail Semlali armé de son « allun » ne peuvent être qu’un mariage fécond. Exubérant. Jubilatoire même. Mais dont les chants nous renvoient sans ménagement à notre triste réalité, celle d’un peuple en quête désespérée de reconnaissance. Il est tout simplement regrettable qu’autant de talents n’aient pas l’occasion de s’exprimer. D’ailleurs, la seule fois, à ma connaissance, qu’ils ont été évoqués dans les médias marocains c’était dans le cadre du très minusculissime JT amazigh de 2M. À part cela, c’est le désert du Kalahari. Les causes ? Ils sont fiévreusement fiers de leur identité, ils « déflolklorisent » courageusement leur culture, ils produisent aussi et surtout une chanson amazighe de qualité. Au fait, ils font tout ce qui peut leur fermer les portes, toutes les portes.

**********************
Pour ceux qui ne connaissent pas ce groupe, ils peuvent cliquer sur ce lien pour voir ce dont il est capable. Même si le son n'est pas vraiment terrible :)

http://fr.youtube.com/watch?v=VsUwfo_iboM

jeudi, novembre 22, 2007

Maroc : tir de barrage groupé contre l’usage du tamazight au parlement

Tout d’abord, parlons des faits ! Au parlement marocain, même si ce n’est pas la première fois, un député d’Inezgane a osé poser une question en tamazight à un ministre... arabo-andalous (le gouvernement marocain actuel est composé majoritairement d’Arabo-andalous avec, en plus, des liens de parentés entre ses membres). Cela a été suffisant pour provoquer un terrible tollé dans le petit landerneau des amazighophobes déclarés et même cachés. Ce n’est plus ni moins qu’un sacrilège, un blasphème, un péché impardonnables. En plus, transmis en direct par la télévision marocaine. Mais quelle ultime provocation de la part de ce « sale garbouz » de parlementaire !

Comme toujours, nous avons eu droit à toutes sortes de réactions évidemment... négatives : tout fier de ses préjugés anachroniques et dans un français trituré pour ne pas dire massacré (puisqu’il est à ce point jaloux de l’arabe classique, le sien, pourquoi ne l’a-t-il pas choisi pour vomir ses conneries ?), un certain N.R – il n’a pas eu le courage de signer avec son vrai nom- a commis un article d’une extrême virulence dans libération, le journal francophone de l’USFP. Le PJD, un parti connu par son extrémisme islamo-baâthiste et sa sacralisation délirante de tout ce qui est moyen oriental (il n’a jamais dénoncé les pervers sexuels du Golfe qui sévissent librement au Maroc), n’est pas non plus en reste. Peut-il en être autrement? Dans un papier de quelques lignes, au ton haineusement fielleux, le « comportement inacceptable » du dit député a été réprouvé naturellement véhémentement.

Même Internet n’a pas échappé à cette féroce cabale anti-amazighe. Sur le site hesspress.com, un obscur scribouillard aroubi- dont le nom m’échappe- a failli s’étouffer de rage. Comme un méchant caniche, il a sorti ses incisives, ses canines et même ses molaires. Enfin, toute sa dentition que l’on imagine très jaunie à force, probablement, de mordre dans le ca… Imaginez que cet effronté est même allé- il faut vraiment le faire- jusqu’à mettre son nez dans la vie du «parlementaire chelh » - c’est ainsi qu’il a intitulé son torchon nauséabond- pour affirmer que c’est un véritable voyou qui ne mérite ni plus ni moins que la prison... à vie. Non, c’est carrément la peine capitale pendant qu’on y est.

Certains seraient peut-être étonnés, mais toutes ces réactions en chaîne sont une très bonne chose. Car elles révèlent au grand jour la perception que se font, encore et toujours, de l’amazighité ceux qui décident de tout et de rien au Maroc. Or, il est sûr que si on les interroge, tous vont répéter en chœur, hypocritement, qu’ils ne sont pas contre elle. Il y en a même qui affirmeront, sans avoir froid aux yeux, qu’elle fait partie de leur identité et tout un tas de blabla fatigant. Mais à une seule et à unique condition et c’est l’enseignement que l’on tire de cette dernière affaire : qu’elle reste, ad vitam aeternam, le plus loin possible de l’État et ses institutions. Et c’est là que le bât blesse. Gravement. Ceux, d’ailleurs, qui espèrent encore une officialisation effective et non formelle du tamazight peuvent aller se rhabiller. Tout de suite.

En fait, tout cela n’augure rien de bon ni pour le pays ni pour l’amazighité. Comme on l’a vu avec ce député, les ennemis de celle-ci sont tellement puissants (ils ne s’empêchent jamais d’utiliser leurs différents dialectes arabes dans ce même parlement) qu’ils ne baisseront jamais les mains pour l’étouffer. L’occire même, sadiquement, sauvagement, collectivement, sur l’autel de leur fascisme moribond. Tellement leur haine contre elle est enracinée dans leurs petites cerveaux. Mais est-ce que les Amazighs vont les laisser faire ? Rien n’est moins sûr. Les demandes d’autonomie et même d’indépendance de leurs régions respectives - celles-ci sont encore timides- fusent déjà de toute part. Il est même à craindre qu’elles aillent crescendo si la situation ne change pas. Ce qui est finalement tout à fait normal. L’on ne construit jamais rien de bon, et c’est l’histoire qui nous l’apprend, avec les tenants de l’appartheid linguistique pourvus, en plus, d’une exécrable mentalité de minus colonialistes d’un autre âge. En sont-ils conscients ? Pas si sûr. Ce qui aggrave encore leur cas.

Internet : le Maroc est amazigh, l’Algérie est berbère

Ce n’est pas moi qui le dit, c’est le moteur de recherche www.google.com/trends. C’est ces deux mots que les Internautes des deux pays font leurs recherches sur Internet. Ceux qui s’attendaient à ce que les régions amazighes arrivent en tête, seront peut être déçus ! Dans le cas du Maroc, c’est Casablanca, confirmant ainsi son titre de l’une des plus grandes métropoles amazighes au monde. Pour l’Algérie, c’est la Capitale Alger qui surclasse indiscutablement toutes les villes de Kabylie. Cette région connue pourtant par son son irrédentisme et son activisme amazighs quasiment historiques.

Par ailleurs, ces résultats appellent trois petites remarques :

Primo, ceux qui ont l’habitude d’aller sur Internet sont toujours des Amazighs citadins, mais ne renoncent jamais à leur amazighité ; ils leur collent même à la peau pour dire les choses autrement bien qu’ils vivent dans des milieux pas forcément amazighophiles.

Deuxio, au vu de ces statistiques, l’on croirait facilement que l’amazighité s’est massivement définitivement déterritorialisée. Rassurez-vous, ce n’est pas vraiment le cas. En fait, c’est juste que les Internautes amazighs qui ont les moyens, qui sont familiers avec Internet et qui ont accès à un ordinateur connecté au réseau des réseaux se trouvent plus dans les grandes villes que dans les villages reculés de l’Atlas ou du Rif ou du Djurdjura.

Tertio, un combat symbolique, et c’est vraiment une très bonne nouvelle, a été gagné surtout au Maroc. Le mot « amazigh » s’est imposé définitivement au détriment de « berbère ». Et cela pour au moins deux raisons : d’une part, il est totalement inconnu de la majorité des Amazighs, sauf peut-être de l’élite intellectuelle. D’autre part, c’est un mot étranger qui recèle une charge dépréciative très patente surtout en arabe. D’ailleurs, certains amazighophobes, que ce soit en Algérie ou au Maroc, continuent à l’utiliser pour les raions que vous pouvez facilement deviner.


Khadija Azalam : l'engagement au féminin

Née de parents soussis immigrés aux Pays-bas, Khadija Azalam, jeune femme on ne peut plus dynamique, est d'une efficacité à complexer plus d'un mâle. Jugez-en : mère de famille, présidente de Tamaynut-Hollande, féministe convaincue, « nomade » pour les besoins de la cause ; bref, une vraie militante pourvue d'une volonté non seulement de fer mais carrément d'acier. Et c'est vraiment le cas de le dire. Un parcours vraiment à méditer. Pourvu que l'on en prenne de la graine !

Vous êtes née et avez grandi en Hollande, comment devient-on militant amazigh dans ces conditions ?

J'ai commencé à m'intéresser à la culture amazighe très jeune, à partir de l'âge de 12 ans pour être plus précis. En fait, je ne parlais que le néerlandais jusque-là. Pour ne pas être coupée de mes racines, ma mère a pensé qu'il était plus qu'important que je maîtrise aussi le tachelhit. Presque à la même époque, j'ai essayé d'apprendre parallèlement l'arabe à l'école publique, mais en vain. Pour la simple raison qu'il s'agit d'une langue extrêmement complexe et compliquée en même temps. D'autant plus qu'elle ne ressemble en rien à notre bonne vieille langue que mes parents parlaient et parlent toujours à la maison.

Il faut aussi reconnaître que j'avais la chance d'avoir une famille très portée sur la culture amazighe. Mes parents raffolaient des nouveautés du cinéma amazigh et écoutaient énormément la musique des rways, Izenzaren, ahwach... Mon père était même un rrays à la fin des années cinquante. À ce propos, il voue, encore et toujours, une grande admiration pour feu Haj Belaïd dont il aimait reprendre le répertoire musical. Quant à ma mère, elle n'était pas non plus en reste. Elle cousait beaucoup de broderies à base de symboles amazighs. Comme notre fameuse fibule (tazerzit). Elle préparait aussi toutes sortes de plats typiquement de chez nous : amlou, lebsis, tajine... Qui plus est, mes parents discutaient beaucoup de la situation des Amazighs au Maroc. D'après eux, s'ils étaient victimes de tant de discriminations, c'était justement parce qu'ils n'étaient pas arabes.

Est-ce que vous avez eu un déclic ?

Bien sûr, mais ce qui l'a provoqué en moi était un simple film amazigh dont le titre était quelque chose avec Tilila. Et plus précisément sa pochette sur laquelle il y avait des signes calligraphiques qui n'étaient ni arabes ni néerlandais. Toute curieuse, j'ai demandé immédiatement à mon père, qui m'a expliqué que c'était le tifinagh, l'alphabet avec lequel nos ancêtres transcrivaient notre langue. En réalité, j'ai pris conscience très jeune que notre langue n'est pas l'arabe, mais bel et bien le tamazight. J'ai commencé ainsi à me documenter en allant à la bibliothèque pour en savoir davantage sur mon propre peuple. Aux vacances d'été, lorsque je rentrais au Maroc, j'aimais beaucoup me ressourcer dans les montagnes d'Ida-ou-Tanane où mon père a vu le jour.

Chemin faisant, je me suis rendu compte que les Amazighs sont un peuple à part avec une culture riche et une histoire très ancienne qu’il faut impérativement protéger et préserver contre les aléas de la vie et surtout contre les dangers qui les guettent. En grandissant, je me suis alors intéressée à la politique. C'est là que je suis devenue plus consciente de la véritable situation sociale et politique des Amazighs. Depuis, j'ai pris l'engagement de tout faire pour améliorer leur situation et garder leur culture vivante en usant de ma double appartenance amazigho-européenne. Pour mes études, je fais beaucoup de recherches dans le domaine amazigh en rapport avec ma spécialisation : l'archéologie. À l'avenir, je ne vais me consacrer qu'à cela. Surtout que les possibilités qu'offre cette discipline sont encore malheureusement largement sous-estimées par nos étudiants amazighs.

At last but not least, mon souhait est que l'amazighité soit moderne sans rien perdre de ses spécificités qui la caractérisent tant. Beaucoup de gens pensent, à tort bien évidemment, qu'elle est dépassée et synonyme d'analphabétisme et d'autres préjugés du même genre. Nous avons une belle culture et une histoire riche que nous devrions préserver et les montrer, sans aucun complexe, au monde entier. Il faut que l'on soit fier de ce que nous sommes, à savoir des gens de la montagne. D'ailleurs, si notre culture et notre langue existent encore c'est justement grâce à ces valeureux montagnards et bien sûr grâce aussi- il ne faut jamais l'oublier- à la gent féminine, la gardienne par excellence de la culture amazighe.

Quelles sont les actions que vous avez entreprises en faveur de l'amazighité aux Pays-Bas ?

Nous faisons beaucoup de choses. Nous organisons à titre d’exemple des séances d'informations sur la culture amazighe dans les écoles et dans d'autres établissements éducatifs. Nous mettons aussi sur pied des rencontres entre Amazighs eux-mêmes et avec des étrangers s'intéressant à la culture amazighe. J'ai préparé quelques émissions pour la télévision néerlandaise et BRTV. D'ailleurs, cet été, j'ai réalisé un documentaire sur le Souss en collaboration avec la télévision néerlandaise. J'étais très contente de passer six semaines à concocter un bon travail sur la culture, la politique et la situation sociale des Amazighs du Sud.

De plus, nous avons mis au point des supports éducatifs pour apprendre le néerlandais pour les amazighophones. Il faut savoir qu'aux Pays-Bas, il y a une forte communauté d'immigrés de la première génération qui ne parlent pas du tout ou très peu le néerlandais. Il y a aussi les nouveaux arrivants pour qui ce doit être une très bonne méthode pour apprendre le néerlandais, c'est-à-dire le parler et l'écrire assez correctement. Mais il faut beaucoup d'efforts pour informer les gens et leur permettre ainsi de s'intégrer facilement en maîtrisant la langue de leur pays d'accueil.

Nous faisons également beaucoup d'activités à l'étranger, comme la création de Tamaynut-Îles Canaries à Tenerife. Il va sans dire que tout cela demande énormément d’efforts. Mais nous sommes très heureux de coopérer avec nos amis guanches. Notre dernier projet consiste dans la création de la Fondation Tamaynut de la femme amazighe pour le Forum féministe européen. À ce propos, c'est moi-même qui suis la coordinatrice de ce projet. Pour d'amples informations, vous pouvez cliquer sur le lien suivant :

http://europeanfeministforum.org/spip.php?article181&artsuite=0&lang=fr

J'espère de tout cœur que vous allez trouver tout cela intéressant. Même si c'est un projet qui est très prenant, car je suis amenée à voyager très souvent.

Et quoi encore ?

Nous collaborons aussi avec les hôpitaux en leur fournissant, à titre d’exemple, des renseignements en tamazight pour les diabétiques. En ce moment, nous travaillons sur un projet visant à préparer des informations au profit des écoles élémentaires sur l'histoire commune entre le Maroc et la Hollande. Ce projet est appelé "Mail uit Barbarije" inspiré par un livre écrit par M. Peter van Beek. Celui-ci y raconte l'histoire d'Abdel, un jeune garçon originaire d'Agadir, et d'une fille néerlandaise nommée Anne ; mais l'ensemble de l'ouvrage est sur le célèbre marchand néerlandais Michiel de Ruyter, qui a séjourné à Agadir durant plus de 8 mois en 1650. En fait, l'histoire entre les Pays-Bas et le Maroc a commencé avec lui. De fait, la relation historique entre le Maroc et la Hollande a commencé dans le Sud il y a plus de 400 ans, mais actuellement la plupart des immigrants marocains en Hollande sont originaires du Rif. Voici le lien si vous voulez en savoir davantage : http://www.mailuitbarbarije.nl/

Est-il vrai que la communauté amazighe en Hollande est rongée par l'extrémisme religieux ?

Il existe effectivement une minorité dans la communauté amazighe néerlandaise, qui est fortement influencée par l'extrémisme, le fanatisme et même le terrorisme. Mohamed Bouyeri est célèbre à ce sujet. Mais nous avons également le Groep Hofstad, Samir A., etc, qui sont aussi des Amazighs pur sucre. À mon avis, la raison pour laquelle tous ces jeunes choisissent de se rebeller, en optant malheureusement pour le fanatisme, est due, en grande partie, à la discrimination qu'ils subissent aux Pays-Bas. Ils se trouvent donc seuls et n'ont personne pour leur tendre la main. Mais malheureusement, ils rencontrent toujours des extrémistes sur leur chemin. D'un autre côté, il y a ceux qui choisissent un autre extrémisme, l'athéisme. Comme vous pouvez le remarquer, le problème avec les nôtres, c'est qu'ils ont une attirance étrange pour les extrêmes. Il ne faut même pas leur parler de juste milieu.

En fait, tout cela n'est jamais positif. Être musulman et amazigh est possible. Comment ? En prenant les avantages de l'un et de l'autre. Je crois fermement que les gens ne devraient en aucun cas exploiter l'Islam ou toute autre religion pour leurs propres intérêts personnels ou politiques. La religion doit être respectée. C'est quelque chose qui appartient à la personne et doit impérativement rester dans le domaine privé. Mais ce qui me dérange le plus avec la communauté marocaine en Hollande, c'est qu'elle se définit plus comme musulmane que marocaine ou amazighe. Oui, l'islam est sa religion, mais pas son identité. En fait, elle mélange tout d'où les dérives parfois meurtrières de certains de ses membres en rupture de ban.

Comment voyez-vous l'avenir de cette communauté amazighe en Hollande ?

Mon but dans la promotion et la défense de l'identité amazighe est d'amener les gens à comprendre qu'il est possible d'être musulman et amazigh, que nous pouvons faire une différence entre les deux. Si nous ne faisons rien, les choses iront de pis en pis. Plus grave encore, l'avenir de notre communauté ici sera compromis dans un proche avenir. Dans ce cas, les parents sont très importants dans notre stratégie. Ils doivent être systématiquement inciter à faire, désormais, la différence entre la culture et la religion et à ne plus confondre les deux. C'est pourquoi Tamaynut-Hollande travaille d'arrache-pied sur différents projets avec les écoles primaires. Mais il faut beaucoup de temps pour que les parents amazigho-néerlandais saisissent nos objectifs. Ils pensent, souvent malheureusement, que l'amazighité ne représente qu'une partie intégrante de l'identité arabe. Les pousser à renoncer à de telles idées, au demeurant absurdes, est extrêmement difficile, mais nous y travaillons, vaille que vaille.

Que pensez-vous de la place de la femme dans le combat amazigh que ce soit au Maroc ou à l'étranger ?

La place de la femme dans cette lutte est très importante, parce que la culture amazighe est et reste féminine dans une large part. Mais la plupart des femmes n'ont pas conscience de l'importance de leur rôle dans la préservation et la promotion de la culture amazighe. À cause des politiques, sociales et religieuses suivies le rôle de la femme amazighe est devenu aujourd'hui très infime. Elle doit travailler deux fois plus pour obtenir la reconnaissance de ses droits et de sa culture. Je pense qu'il est en général très difficile pour une femme de réussir au Maroc, même si ses droits civils se sont un peu améliorés avec la nouvelle "mudawwama" promulguée dernièrement.

Il est regrettable de constater que beaucoup de femmes amazighes ou arabisées sont encore analphabètes, mais tout cela est en train de changer dans un sens positif. L'éducation et une plus large prise de conscience de son identité sont, à mon point de vue, les choses les plus importantes pour une femme amazighe pour réussir dans cette lutte. De plus, nous avons des féministes au Maroc qui font ce qu'elles peuvent. En tous les cas, le combat des femmes n'est pas près de finir. Savez-vous qu'en Hollande, considérée comme progressiste à ce niveau, la femme gagne toujours un salaire inférieur à celui de son collègue masculin pour le même travail et avec les mêmes qualifications ? Vous devez aussi comprendre une chose, la situation de la femme amazighe en Europe est doublement difficile : elle doit travailler deux fois plus durement dans un environnement politique et social où le racisme et les discriminations sont, hélas, monnaie courante.

Quel type de rapport entretient Tamaynut–Hollande avec Tamaynut-Maroc ?

Nous avons de très bonnes relations professionnelles. Nous considérons notre association comme une section européenne de Tamaynut-Maroc, même si elle reste indépendance car elle a ses propres objectifs. Je pense qu'il est très important qu'une organisation comme Tamaynut obtienne une plus grande reconnaissance en raison de son travail et son sérieux. C'est pourquoi j'ai participé à la création de Tamaynut-Îles Canaries il y a quelques mois. Il y a d'autres qui travaillent sur le projet d'une association Tamaynut en Libye. J'espère que nous pourrons également mettre en place une section de Tamaynut dans le Nord du Maroc et même, pourquoi pas, en Algérie. Il est plus que vital que nous, tous, mettions la main dans la main parce que nous nous battons pour exactement les mêmes objectifs : la reconnaissance officielle de l'identité et la culture amazighes. Mon message personnel donc à tous les militants amazighs à travers le monde : nous devons sensibiliser nos populations pour les impliquer davantage dans notre combat. C'est la condition sine qua non de notre réussite. Il ne faut pas qu'il soit indéfiniment prisonnier aux mains de l'élite. Il faut le rendre davantage populaire.

Pour finir, que pensez-vous des dernières violences dans les universités marocaines ?

Je pense que nous devrions tous respecter les idées de tout un chacun sans jamais utiliser une quelconque violence même verbale. Le monde serait un endroit extrêmement ennuyeux si nous partageons tous les mêmes opinions. Aux militants amazighs d'avoir une approche plus intelligente des agressions dont elles seraient victimes et même les ignorer même si je sais que c'est très difficile. En tous les cas, je crois fermement qu'il ne faut jamais user de la violence comme un moyen d'expression.

mercredi, novembre 14, 2007

L'écrivain M. Akounad s'invite sur la toile planétaire

Enfin, Mohamed Akounad, l'un des plus talentueux romanciers amazighs, a son site Internet. C'est tout simplement une initiative à applaudir des quatre mains. Pas seulement des deux. Il faut impérativement que nos créateurs en prennent de la graine. Il faut qu'ils investissent Internet. Tous. Immédiatement. Il ne faut plus qu'ils restent dans leurs coins et compter, indéfiniment, sur les médias publics aux mains de ceux que vous savez. Définitivement peut-être.

Quant au site à proprement parler, il n'est qu'à ces débuts, mais ça promet. Beaucoup. Déjà. Quelques enregistrements de sa célèbre émission Tawssna tamazight, que l'auteur de Tawargit d'imik présente régulièrement sur les ondes de la radio régionale d'Agadir, y sont déjà disponibles. C' est sûr, les amoureux d'une prose vivante, de mots revivifiés, des expressions dépoussiérées, bref, de l'éloquence bien de chez nous, seront servis. À gogo. Les adeptes de la poésie non plus ne sont pas oubliés. Mais ils n'ont droit pour l'instant qu'à quatre poèmes. Il est certain que l'on ne va pas se contenter de si peu. Il y en aura probablement d'autres. Aux plus pressés, il faut savoir attendre.

Pour ceux qui ne connaissent pas encore ce militant-écrivain tout en modestie, mais ô combien un bourreau du travail, une petite visite à son site s'impose. C'est l'occasion ou jamais. Pour ce faire, vous n'avez qu'à cliquer sur ce lien : http://www.akunad.com Comme toujours, certains ne vont pas rater l'occasion de nous reprocher d'être très et même trop dithyrambiques. Pour en avoir le cœur net, il ne leur reste qu'une seule et unique chose : aller dans la librairie la plus proche et se procurer ses romans. Une fois lus, ils sauront que nous n'exagérons rien. En réalité, au vu de ses efforts pour la littérature amazighe, ce digne fils d'Ihahan mérite tous les honneurs. Pas seulement quelques modestes mots élogieux griffonnés à la va-vite !

samedi, novembre 10, 2007

Ma traduction en tamazight d’En attendant Godot

Après plusieurs mois de travail, je viens de boucler, enfin, la traduction en tamazight d’En attendant Godot, la célèbre pièce de l’auteur irlandais, Samuel Bekcett ! Mon défi était simple, et les lecteurs pourront en juger au moment venu, est d’exprimer toute la complexité occidentale que ce texte charrie dans la langue de Hemmou Outtalb. Encore faut-il qu’elle soit accessible au plus grand nombre.

Pour ce faire, j’ai essayé au maximum de ne pas succomber à la mode néologiste toujours très en vogue. Parce que, à mon humble avis, très facile et nullement intéressante. À trop forcer la dose, l’on crée carrément une nouvelle langue sans aucune assise sociologique et, partant, déconnectée de la réalité, de sa réalité. Donc forcément hermétique sauf peut-être pour quelques très rares initiés un peu têtus.

Pour autant, pour que le travail de traduction ne soit pas trop harassant, il faut impérativement avoir des outils –dictionnaires bilingues à titre d’exemple- à sa disposition. Comme vous le savez tous, dans le cas de notre langue, ils n’existent tout simplement pas ou pas encore. L’on n’espère bien entendu que les choses n’en resteront pas là. Comment faire alors ? Il ne faut donc compter que sur soi-même. En fait, cela fait plusieurs années que je glane, minutieusement, patiemment, le lexique amazigh en m’appuyant sur toutes sortes de supports. Qu’ils soient écrits ou oraux. À ce jour, en plus du fait que je maîtrise la langue amazighe, j’ai pu rassembler assez de matière pour pouvoir m’attaquer à En attendant Godot, un texte que d’aucuns n’hésiteraient pas à qualifier de particulièrement ardu. En réalité, j’ai en ma possession un lexique bilingue français/amazigh de ma propre fabrication. Qui sait ? Peut-être, il sera l’objet d’une publication lorsqu’il sera fin prêt. Il peut toujours être d’un grand secours pour ceux qui veulent, le cas échéant, traduire d’autres œuvres littéraires.

Quelle sont donc les difficultés que j’ai rencontrées pour réaliser ce modeste travail ? Primo, il y a effectivement la problématique, lancinante du reste, de la transcription. Si le choix de l’alphabet latin allait de soi, reste à savoir si ces différentes utilisations sont accessibles au plus grand nombre. Deux importantes possibilités- les plus connues- se sont présentées à moi. D’une part, il y a bien évidemment la plus ancienne, la transcription de Dda Lumulud avec ses lettres grecques partout. Que mes amis kabyles ne s’en offusquent pas, celle-ci n’est pas du tout simple. D’autant plus qu’elle n’est nullement prise en charge par les différents supports technologiques à notre disposition. D’autre part, il y a celle des Aït Souss, un peu plus récente, popularisée par le site bien connu, mondeberbere.com. Là aussi, elle n’est absolument pas pratique. Car avec les accents circonflexes partout, les sons emphatiques ne sont jamais bien précisés. En fait, il faut déjà connaître parfaitement bien le tamazight pour pouvoir le lire correctement. Pour ma part, pour ne pas rebuter le lecteur potentiel, j’ai résolu le problème en soulignant les sons emphatiques. Simplement. Tout en gardant les sons qui ne posent plus de problèmes ( x=kh, gh= r grasseyé…).

Secundo, comment faire d’une langue essentiellement orale, une langue d’écriture ? De fait, cette transition n’était pas vraiment un problème. Le tamazight devient de plus en plus une langue écrite. Disons-le franchement, et c’est à l’honneur de ceux qui griffonnent inlassablement leurs idées avec cette langue, elle n’est déjà plus uniquement orale. La preuve : nous pouvons maintenant être fiers d’avoir une production littéraire (création ou traduction) fort importante qu’il faut bien évidemment voir et regarder avec, systématiquement, un œil critique. Ce que j’ai fait. D’autant plus que j’ai déjà traduit en français nombre de poèmes amazighs. Et inversement. Par ailleurs, quelles sont donc les erreurs à éviter? Il faut toujours se dire si on se fait comprendre. Car lorsqu’on écrit on ne le fait pas que pour soi-même, mais pour les autres aussi. Il faut systématiquement être clair et sobre. Sinon d’un point de vue essentiellement technique, il faut éviter les répétitions qui alourdissent le texte, mais aussi les phénomènes linguistiques propres à l’oralité : « ay lligh » donnera « ar lligh » ; « jjenjem » donnera « ssenjem »; « ghwwad » donnera « wwad » … Il est bien évident que pour toute présentation, il faut renouer avec l’oralité. Histoire de se faire comprendre sans forcément sacrifier la rigueur.

Tertio, il y a lieu de résoudre ce dilemme : adaptation ou traduction ? Je sais qu’une adaptation de ce texte a été déjà réalisée que je n’ai pas jamais vue d’ailleurs. Je n’ai pas voulu faire la même chose. La raison est on ne peut plus simple : la pièce de théâtre existe dans bien de langues de part le monde. Sans que l’on n’y change absolument rien. Pourquoi ne pas faire de même avec le tamazight ? De plus, à titre personnel, si l’on adapte un texte, il vaut mieux aller plus loin : pourquoi ne pas en créer un autre ? Je dis cela sans vouloir jeter la pierre et encore moins préjuger des efforts de quiconque. Par ailleurs, sur quel texte donc je me suis appuyé pour ce modeste travail de traduction ? À dire vrai, j’ai vu et lu la pièce en anglais, mais c’était le texte français que j’ai retenu. Parce que tout simplement c’était, à ma connaissance, la première version écrite par Samuel Bekectt- il y a quelques différences minimes entre les deux. Même si, à mon sens, les deux se complètent. Il faut impérativement lire les deux pour pouvoir comprendre parfaitement bien le texte. Car l’influence de la culture anglaise de Bekcett sur son texte français est plus qu’une évidence.

Pour conclure, ne soyez pas du tout découragés, il n’y a pas que des difficultés dans l’écriture dans le tamazight. En plus de ce rapport affectif sincèrement valorisant que j’ai toujours eu avec ma langue maternelle, il y a cette jouissance difficilement descriptible d’y réfléchir, d’y penser, de chercher nerveusement un mot que l’on avait sur la langue, une expression idiomatique que l’on n’a pas utilisée depuis des années... Bref, il y a tout cet effort intellectuel et ce retour salutaire sur la langue, ma langue avec laquelle, pour la première fois de ma vie, j’ai découvert et nommé le monde. Une langue, que ce soit dit en passant, pleine d’énormément de ressources et d’une richesse qui en surprendra plus d’un.

Je conseille à tout un chacun de vivre une telle expérience au moins une fois dans sa vie. Il en gardera, éternellement, fondamentalement, un délicieux souvenir. Parole d’un Soussi !!

jeudi, novembre 08, 2007

Amazighité : armons-nous de nos… caméras !

C’est une lapalissade que de dire qu’Internet a été et est toujours une immense chance pour la culture amazighe. Et c’est vraiment le cas de le dire. Nul ne peut nier l’apport indéniable des sites amazighs. Que ce soit au militantisme ou à la promotion de notre si belle et riche culture. Grâce à eux, nous avons pu nous exprimer. Librement. Par écrit. Et même par la parole. Sauf qu’il y a un hic. Il ne faut jamais omettre que nous sommes, fondamentalement, dans une civilisation de l’image ou, du moins, dominée par l’image.

Pour ne pas être largués, il faut que nos Amazighs s’y investissent. Dare-dare. En fait, il faut tout faire pour relever ce défi on ne peut plus important. Comme vous le savez tous, les régimes arabistes au pouvoir dans nos pays ne veulent surtout pas que l’amazighité accède au monde magique de l’image... télévisuelle. La preuve : malgré les protestations silencieuses ou bruyantes de nos militants et de nos simples citoyens, ils renâclent encore et toujours à créer des télévisions amazighes. Car très conscients de leur impact massif sur les esprits et les consciences.

Eu égard à ce qui précède, comme toujours, il y aura certains lecteurs, négateurs par nature des évidences, qui peuvent être tentés par le scepticisme ? C’est leur droit le plus absolu, sauf qu’il faut qu’ils nous expliquent, pour quelle raison prend-on autant de retard à mettre sur pied la télévision amazighe au Maroc ? Manque de ressources financières nous décline-t-on sous tous les tons. Mais bizarrement le gouvernement de Rabat ne lésine jamais sur les moyens lorsqu’il s’agit de tout ce qui a trait à l’arabité, son arabité. Et même ce qui a trait à la francité- le scandale du festival de l’intolérance d’Agadir est d’ailleurs un bon exemple.

Idem pour l’Algérie. Si vous vous rappelez bien, l’on avait annoncé à un moment, pompeusement, la création d’une chaîne amazighe. Mais il semble que le projet soit tombé à l’eau. Définitivement. D’ailleurs, personne n’ose encore en parler. Et pourtant, ce n’est pas l’argent qui fait défaut. Comme vous le savez, si la junte militaire au pouvoir à Alger ne fait pas attention, elle risque, carrément, incessamment, de se noyer dans une mer de milliards de dollars. Des sommes colossales amassées non, hélas, en raison d’une quelconque créativité économique, mais grâce seulement et uniquement au pompage massif du pétrole... touarègue. Passons !

Et la vidéo fut

Les Amazighs n’ont aucunement le droit d’omettre l’importance de l’image. Il faut absolument qu’ils apprennent à l’utiliser. À bon escient. Il faut même qu’ils l’apprivoisent. Totalement. Et la faire la leur. Entièrement. Par tous les moyens. Il va sans dire que c’est une arme terrible. Les Soussis ont déjà montré l’exemple et tracé le chemin- ce n’est pas parce que je suis soussi que je dis cela. Il faut dire ce qu’il y a et rendre à César ce qui est à César.

Pragmatiques à l’extrême, ils étaient les premiers à user massivement de la vidéo. Depuis le début des années 80 du siècle passé. Ils ont produit un nombre incalculable de films, qui se vendent, précisons-le, comme des petits pains. Que ce soit bien évidemment dans l’immigration ou chez eux, dans le Souss. Et même ailleurs. Il faut savoir que tous les Amazighs du Sud du Maroc et même du Moyen Atlas raffolent de ces produits Made in Souss. Même certains Arabes pur sucre ne s’empêchent pas de se les procurer. Il faut reconnaître qu’ils ont, eux aussi, succombé au phénomène.

Quelles sont les raisons de cet engouement sur la production visuelle amazighe ? En fait, c’est très simple. Parce que les Amazighs s’y reconnaissent. Ils leurs parlent et parlent leur langue. N’ayons pas peur des mots, c’est ni plus ni moins qu’une petite révolution culturelle. Permise certes par l’évolution technologique. Surtout Internet et le DVD. Avec cette dernière technologie, l’accès de la majorité des Amazighs à leur production visuelle est devenue une réalité. Parce que facilement accessible. Ce qui n’était pas le cas de la cassette VHS, qui coûtait relativement cher.

Résultat des courses : les Soussis sont maintenant de parfaits professionnels de l’image. Ils ont même fait des envieux parmi les amazighophobes de tout poil. Pire encore, ils attisent carrément les convoitises. Exemple : avec la complicité scandaleuse du Makhzen, Ayouch fils s’est mis indûment dans la poche une grosse cagnotte sous prétexte de produire des films… amazighs. Devenus subitement et honteusement arabes sur les ondes de 2M, une chaîne -comme vous l’aurez remarqué- connue par son « amazighophilie » plus que désarmante.

Et les associations amazighes dans toute cette ébullition « imagière » ? Il y en a qui ont compris l’importance de l’image. C’est tout à leur honneur. D’ailleurs, l’on trouve facilement leurs vidéos sur Internet. C’est surtout les étudiants du Mouvement culturel amazigh (MCA) qui sont des pionniers dans ce domaine. Avec une simple caméra, ils filment toutes leurs manifestations. Ce qui est une idée on ne peut plus géniale. D’ailleurs, beaucoup parmi nous ont suivi les derniers événements sanglants des universités marocaines via Internet.

Mieux encore, qui aurait soupçonné l’existence de Tilmi et ses habitants oubliés et démunis ? Personne. Mais grâce au reportage sur leurs protestations, tout le monde a senti, sincèrement, de l’empathie, et même de la sympathie, pour eux. Touchées au plus profond d’elles-mêmes par la situation miséreuse de ces populations on ne peut plus amazighes, quelques âmes charitables pensent déjà à monter des structures associatives pour les aider. Tout cela grâce à la magie de… l’image.

Que l’on communique avec… l’image !

Revenons à nos associations amazighes ! Vous savez tous qu’elles organisent, régulièrement, des colloques qui traitent de toutes les thématiques. Parfois extrêmement intéressantes. Mais malheureusement, si vous n’y assistez pas, parce que vous habitez loin ou à l’étranger, vous n’en saurez jamais rien. Ce qui est dommage et triste en même temps ! Donc, pour que ces structures associatives se départissent de cette « rétention » non volontaire de l’information et de la connaissance, il faut impérativement qu’elles sensibilisent leurs jeunes militants à l’importance déterminante de l’image. Et pourquoi n’auraient-elles pas, carrément, des plans de communication ? Qu’elles se rassurent, cela ne demande que peu de moyens. Mais il exige beaucoup de volonté.

Comment doivent-elles procéder ? En réalité, c’est extrêmement simple. Étant donné que la vieille garde est dépassée à ce niveau, il faut penser à la jeunesse. Il faut donc former des équipes composées de jeunes militants au fait des techniques informatiques et Internet. Leur procurer une caméra ou même plusieurs. Si c’est possible bien évidemment. En tous les cas, chez nous, les caméras ne manquent guère. Il faut voir leur nombre dans les mariages même dans les patelins les plus reculés !

Toujours est-il que la mission qui sera assignée à ces équipes serait de filmer, systématiquement, toutes les activités associatives et les mettre prestement sur les incontournables dailymotion et autres youtube. Simplement. On ne leur demande pas de faire des reportages à la BBC. Même si avec le temps, ces reporters en herbe vont assurément s’améliorer. Ne dit-on pas que c’est en forgeant qu’on devient forgeron ? Et pourquoi tous ces jeunes ne deviendraient-ils pas de grands journalistes par la suite ? En tous les cas, rien n’est impossible. Il suffit d’un peu d’acharnement. Et tabler sur un changement politique, radical ou progressif, dans nos pays. Vers davantage de démocratie et de liberté pour notre peuple qui n’a que trop souffert.

L’on n’a pas besoin de dire et de répéter que sans l’image nous n’existons tout simplement pas. Il faut croire dans notre propre publicité, comme disent les Anglo-saxons. Sinon, on est « dead ». Direct. Il faut impérativement penser aux modalités d’exploiter, à défaut d’une télévision en bonne et due forme, les possibilités infinies offertes par Internet. D’ailleurs, et c’est vraiment rassurant, la Coordination des Berbères de France en a pris conscience. Plusieurs de ses activités sont filmées et diffusées sur la toile planétaire. Pour notre plus grande joie. Un exemple simple : cela fait des décennies que l’on nous parle de Salem Chaker, mais peu d’entre nous ont eu l’occasion de le croiser. Mais grâce à cette association dynamique qui l’a interviewé, nous avons pu, enfin, le voir et même l’entendre.

Que tous les Amazighs et leurs associations pensent sérieusement et réellement à investir l’image ! Massivement. Ils ont tout à y gagner et rien à y perdre.

jeudi, novembre 01, 2007

Un trouvère kabyle au « pays du soleil froid »

Rencontré chez lui en plein milieu de Montréal, Belkacem Ihidjaten est un homme de sens rassis, sagace et bien dans ses « babouches ». Comme diraient certains pince-sans-rire. Le sourire aux lèvres, il m’accueille les bras ouverts. Et m’invite to de go à m’attabler derrière sa demeure, dans ce qu’il aime appeler «son petit coin de Kabylie », un jardin soigneusement entretenu où poussent des figuiers, des poiriers et quelques légumes. Le front prématurément dégarni, la chevelure entièrement grise, le teint légèrement bronzé, le geste naturellement mesuré, l’homme inspire le respect et en impose en même temps. À cause peut-être de ce je ne sais quoi, difficilement définissable, consubstantiel aux personnalités des poètes, de tous les poètes.

Il faut savoir que dans la culture berbère, les croyances populaires, encore très vivaces, les assimilent encore et toujours à des êtres surnaturels ou du moins en contact, permanent ou épisodique, avec toutes sortes de génies du verbe et de la rime. Sans vouloir être excessif, ils ne sont pas seulement que révérés, mais carrément craints. Il ne faut même pas penser les offusquer. On ne sait jamais !

Même si je ne l’avais jamais rencontré auparavant, le courant passe immédiatement entre nous. Pour être tout à fait sincère, j’avais l’étrange impression que l’on se connaît depuis des lustres. Tellement sa manière d’être m’est familière. Un peu comme de vieux amis qui se retrouvent après des années de séparation. S’exprimant, indifféremment, en français et en berbère, notre discussion part sur les chapeaux de roue. Et c’est vraiment le cas de le dire. Car, par moment, afin de ne pas trop s’éparpiller en vaines digressions, je me battais les flancs, autant que faire se peut, pour cadrer notre échange. Sans forcément incommoder mon interlocuteur. L’appréhension du poète peut-être !

Sans affectation aucune et sans jamais se départir de ce bagout propre aux Méditerranéens, nous n’avons de cesse de discuter, des heures durant, de son cheminement créatif. Même si vraiment rien, de son propre aveu, ne le prédisposait à devenir un versificateur verveux et prolixe. Il se surprend lui-même, sincèrement, encore aujourd’hui, de tous les échos positifs qu’a rencontrés son œuvre ici et là. En tous les cas, pour lui, devenir poète «n’était dû qu’au hasard ». Un peu comme toutes les bonnes choses de la vie «ça n’a jamais été une entreprise mûrement réfléchie, c’est venu comme ça, tout naturellement».

Guerre et « vie »

Ouidja Boussad, de son vrai nom, est né un 11 juillet 1956 à Guendoul, un petit village, au fin fond de la Kabylie. Connue pour être extrêmement jalouse de son identité et de sa liberté, cette région du Nord de l’Algérie, désespérément et rageusement berbère, en a fait voir des vertes et des pas mûres à tous les colonisateurs qui osaient s’en approcher et a fortiori l’assujettir. Encore au jour d’aujourd’hui, elle continue à donner du fil à retordre au pouvoir central algérien. Bien que celui-ci use et abuse, tantôt, de la politique du bâton et, tantôt, de l’achat tous azimuts des consciences et des âmes. En fait, aussi loin que l’on remonte dans le temps, la Kabylie a sans cesse eu des rapports conflictuels avec toutes les forces qui voulaient lui mettre le grappin dessus. Et ce n’est pas près de changer.

D’ailleurs, la naissance de notre habitant du Pinde a coïncidé avec un autre conflit, autrement plus cruel. Il s’agit de celui qui a été lancé contre la France, la puissance occupante d’alors. Un véritable casse-pipe où se sont engagés les meilleurs enfants de la Kabylie. Sans aucune hésitation, massivement, corps et âme. « Ce n’est pourtant pas du fait de cette guerre que j’ai perdu mon père», m’avoue-t-il sans aucun trémolo dans la voix. « Je ne l’ai jamais connu, car il est décédé alors que je n’avais en tout et pour tout que 40 jours », ajoute-t-il. Placidement. Froidement. Sans que cela soit vécu comme un drame. C’est du moins l’impression qu’il donne.

À quelque chose malheur est bon, le petit Belkacem, en «sa qualité » d’orphelin et grâce -il faut quand même le préciser- au coup de piston salutaire d’un cousin éloigné, a été inscrit en 1962 à l’école primaire d’Imzizou, non loin de son village natal. Dans une Kabylie, appauvrie et saignée à blanc par huit longues années de guerre. Ce qui était à l’époque, comme on peut bien l’imaginer, un privilège que peu d’enfants de son âge pouvaient s’offrir. «Si je n’étais pas entré à l’école, en ce moment où je vous parle, j’aurais déjà une longue ‘’carrière’’ de berger derrière moi », reconnaît-il, ironiquement. « Ce qui n’aurait pas été vraiment grave. Qui sait ? Mon destin aurait peut-être été mieux », continue-t-il en esquissant un sourire fugace.

À la bonne école

Même s’il était scolarisé, il avait eu malgré tout sa part dans le «dur » métier de berger. Puisqu’il était le plus jeune de la fratrie, il devait donc garder les animaux domestiques de la famille. Comme tous les petits campagnards berbères de son âge. Mais rassurez-vous, ce n’était nullement une perte du temps. Loin s’en faut. Car, tout en gardant ses moutons, il a eu l’occasion de découvrir en même temps, grâce notamment aux bergers plus âgés, le patrimoine poétique kabyle.

Un précieux trésor charriant, depuis des temps immémoriaux, le génie créateur du peuple berbère et célébrant, dans toute sa splendeur, sa geste immensément riche. Dont bien évidemment les poèmes de l’aède légendaire Ssi Mhend Ou Mhend. D’ailleurs, à y regarder de plus près, la patte de ce dernier est on ne peut plus patente dans la poésie de notre amant des Muses. « Être berger était une petite école où j’ai appris énormément », résume-t-il, laconiquement, en assumant pleinement ce qu’il était.

Qui plus est, «les Kabyles sont tous quelque part des poètes », énonce-t-il très affirmatif. En fait, il n’a pas vraiment tort. Comme dans toutes les sociétés traditionnelles de par le monde, la poésie a eu et a de tout temps une place prépondérante dans toute production symbolique. Et les Kabyles, dans ce cas précis, ne dérogent pas vraiment à la règle. La poésie balise systématiquement tous les moments tristes ou heureux de leur vie. Pour les sceptiques, qu’ils testent le premier kabyle qu’ils croisent. Ils seront vraiment surpris !

Il ne faut pas non plus omettre le rôle de la radio dans cette initiation poético-musicale. Pour la télévision, elle n’était pas encore en vogue à cette époque-là. En tous les cas, même lorsqu’elle a été créée des années plus tard, les Kabyles n’y avaient tout simplement pas accès. En raison de l’idéologie intrinsèquement et ouvertement anti-berbère (feu Boumediène par exemple avait interdit l’usage en public du berbère) du régime algérien. La situation a-t-elle évolué depuis ? Oh que non ! Hélas, elle n’a pas bougé d’un iota. Nonobstant les discours pléthoriques et les promesses sans lendemain.

Reste que les premières années de l’indépendance, la radio publique algérienne- la chaîne 2 plus exactement- passait la musique berbère à des moments où justement le petit Belkacem gardait, tranquillement, ses moutons dans les hauteurs spacieuses de la Kabylie. « C’est-à-dire entre 6 heures et 9 heures du matin ; 15 heures et 21 heures. On écoutait Cheikh Nourdine, Chérif Khaddam, Nouara, Mohamed Saïd Ou Saïd... Mais Aït Mengelluet, malgré les reproches que l’on peut faire à l’homme, reste le poète qui m’a le plus marqué, car c’était et c’est toujours, à mon propre avis, un très fin connaisseur de l’âme berbère », explique-t-il admiratif.

Plus que fasciné par toute cette génération de chanteurs plus doués les uns que les autres, Belkacem, en autodidacte qui en veut, a décidé, en 1968, de fabriquer, tout seul, son instrument à cordes -une petite mandoline pour être plus précis- avec des matériaux de récupération. « C’était suffisant pour jouer mes premières notes », se rappelle-t-il les traits subitement rieurs. Et comme le hasard arrange bien les choses, son frère aîné a réussi, par on ne sait quel miracle, à se procurer une guitare qu’il cachait, indiquons-le, dans un galetas en dehors de la maison familiale. « Car il est hors de question de jouer de la musique en famille et encore moins en public. À cause de l’image dépréciative, voire péjorative, qu’ont les chanteurs dans l’imaginaire populaire. En fait, ce n’est pas les enfants bien nés qui deviennent des chanteurs. À telle enseigne que c’est quasiment assimilé à un déshonneur ineffaçable », précise-t-il sans épouser le moins du monde cette vision éculée des choses.

« Je n’avais pas trop le choix : si je voulais continuer ma passion, il fallait donc faire les choses, systématiquement, en cachette et me méfier de tous ceux qui pouvaient me dénoncer à la famille, se souvient-il amusé. Un jeu du chat et de la souris s’engagea alors avec mon entourage. Un exemple. En pleine chaleur torride de l’été, même si c’était cocasse comme situation, je n’hésitais pas à mettre mon burnous de laine épaisse pour une seule et unique raison : y dissimuler, discrètement, la guitare que je dérobais à mon frère, car lui non plus n’était point au courant. »

Écolier consciencieux

Chemin faisant, pour suivre sa scolarité, il est obligé de rejoindre tout naturellement le collège de Mekla, à quelques encablures de son village. En même temps, sa maîtrise de la guitare étant devenue assez suffisante, il était donc systématiquement sollicité pour animer les fêtes scolaires. « Ma première présentation publique a été dans le cadre des activités culturelles de mon collège : j’ai accompagné une camarade de classe, très douée d’ailleurs, pour interpréter l’une des dernières chansons d’Aït Menguellet à cette époque-là ; nous avions fait, tous les deux, bonne impression », note-t-il, un rien fier de son exploit.

Dans le village, et surtout dans les mariages pendant les vacances estivales, c’était lui qui faisait systématiquement de l’accompagnement, mais toujours en retrait, en catimini. « Il faut tout faire pour que cela ne se sache pas, à cause de cet interdit absurde qui frappe la musique et les musiciens », explique-t-il. En disant cela, il se lève tout d’un coup et part, à la hâte, chercher sa guitare d’une prestigieuse marque à l’intérieur de la maison. Et ce pour interpréter, excellemment bien, quelques morceaux de son répertoire musical. Avec ses rythmes berbères délicatement tristes, qui arrachent forcément une larme ou deux si on est un tantinet sensible. Un moment après, il s’arrête tout d’un coup et dit, pédagogue : « En langue berbère, on ne joue pas la guitare, mais on la frappe ( kkat), pour en sortir peut-être toute la tristesse qui nous habite et toutes les blessures qui se cachent dans les plis de notre âme. »

Exceptionnellement doué en mathématiques, le jeune Belkacem s’inscrivit, en 1974, au lycée technique de Dellys, l’un des hauts lieux de formation de la future élite algérienne post-indépendance. Et qui dit élite, dit forcément un traitement de faveur. « Vu le programme très chargé à coups de matières scientifiques (mathématiques et physique), le lycée était pourvu d’un corps enseignant très compétent et de toutes sortes de commodités pour y rendre notre passage moins ardu. D’ailleurs, il possédait une salle de musique extrêmement bien équipée où j’avais l’occasion, pour la première fois de ma vie, de toucher à tous les instruments de musique : mandoline, banjou, luth, basse... », se remémore-t-il, timidement rêveur.

À ses débuts au lycée, il a commencé à tâter le terrain de la création. Il n’a donc pas hésité à griffonner sur papier ses premiers vers. Sur quoi portent-ils ? « Les amours de jeunesse bien évidemment, les contingences de la vie et les soucis quotidiens, souligne-t-il. Certains de ces poèmes sont sous forme de chansons que je vais un jour éditer. En tous les cas, je vais saisir tout ce que j’ai écrit dans les années 70 pour en faire un recueil. J'en ai gardé une grande partie dans mes archives personnelles. »

Émoi

Pour autant, comme on l’a souvent appris nous-mêmes à nos dépens, la vie n’est malheureusement jamais un long fleuve tranquille. Le lycéen privilégié qu’était Belkacem, a eu le premier choc de sa vie. Il faut bien que cela arrive, comme diraient certains cyniques. C’était en raison de l’arrestation du groupe de Mohamed Haroun en 1976, un ancien élève du lycée de Dellys, accusé d’avoir posé des bombes dans certains édifices de l’État algérien. Justement pour protester, dans un geste désespéré, contre la politique anti-berbère du régime de l’ex-président Boumediène.

Ce jour-là, tous les services de sécurité que comptait le régime algérien ont fait une descente impressionnante dans ce fameux lycée d’habitude on ne peut plus paisible. Encerclé de toutes partes, il est passé méticuleusement au peigne fin et ses 400 élèves, tous kabyles, terrorisés des heures durant. Pour preuve, ils ont subit toutes sortes d’interrogatoires, plus musclés les uns que les autres. Ce qui ne pouvait ne pas laisser des traces indélébiles sur de jeunes adolescents à la fleur de l’âge.

« Pour vous donner une idée de ce que nous avons subi : tous nos matelas ont été mis en charpie à la recherche de tout document en berbère. Pour éviter tout problème, j’ai été obligé, la mort dans l’âme, de jeter le seul dictionnaire berbère que je possédais», regrette notre troubadour des temps modernes. Toutefois, tout n’était pas noir, car à cette même époque il s’essayait au métier de compositeur. « En 1976 plus exactement, j’ai écrit, rapporte-t-il, quelques chansons dans notre bon vieux style traditionnel que j’ai données gracieusement à quelques chanteurs que je connaissais. »

Son baccalauréat en poche, il dut encore une fois déménager en quittant, cette fois-ci, sa Kabylie natale. Direction l’université d’Alger. Issu d’un lycée prestigieux à cheval sur l’excellence, son passage y a été quasiment une promenade de santé. Il a même été dispensé de plusieurs matières. C’est vous dire. Ayant plus de temps libre, il ne s’est jamais séparé de sa guitare. Toujours en bandoulière, il écumait systématiquement les soirées estudiantines. Sans jamais négliger ses études. Bien évidemment. Car, au bout d’un parcours forcément sans faute, il décrocha, haut la main, son diplôme d’ingénieur.

Il fallut donc penser à l’inéluctable service militaire. Et là, sa guitare allait lui être d’un grand secours. « Lors d’une présentation musicale privée, un haut gradé de l’armée, kabyle lui-même, qui était présent par le plus grand des hasards, a trouvé mon jeu de guitare excellent. S’informant sur mon cas, il a décidé que je devais passer mon service militaire à Alger même. Et pas n’importe lequel. J’ai été chargé d’une mission extrêmement délicate et importante : avoir la responsabilité du transport de tous les impressionnants engins destinés à la construction du monument dédié aux martyrs en plein centre d’Alger», explique notre rimailleur des monts du Djudjura. « Sinon, dans la caserne, nous ne sommes pas restés les bras croisés, ajoute-t-il, nous avions monté un orchestre qui participait, régulièrement, à toutes sortes de festivités à caractère officiel. »

Libéré, enfin, de ses obligations militaires et encore pratiquement frais émoulu, il est nommé immédiatement à Djelfa, aux confins du Sahara. Mais au bout de neuf ans de bons et loyaux services, il demanda sa mutation qu’il n’a obtenue qu’après avoir mis sa démission sur la table. Un homme de caractère ? Certainement. Même s’il va s’en défendre. Muté donc au Nord-Ouest algérien, et plus exactement à Oran, il est promu directeur d’une entreprise publique. Avec… 150 personnes sous sa responsabilité.

Vu qu’il en avait les moyens, il ne s’est jamais empêché de voyager un peu partout. Parmi ses destinations les plus prisées : l’Europe et l’Afrique figurent en haut de la liste. Sans vouloir succomber au cliché, ne dit-on pas que les voyages sont formateurs ? Ce n’est certainement lui qui va le nier. Mais côté poésie, c’était une très longue traversée de désert. En revanche, la guitare était fréquemment présente. Peut-il en être autrement ? Car il faut voir comment il en parle. Que des éloges à n’en pas finir ! Toujours est-il qu’avec des amis ou des collègues, kabyles ou pas, des soirées sont régulièrement organisées. « Histoire de passer un bon moment ».
Et le terrorisme s’en mêle

Il en sera ainsi jusqu’à l’irruption violente, au début des années 90 du siècle passé, de l’hydre terroriste, qui a fauché, impitoyablement, des milliers de vies innocentes. Dont celles de deux des plus proches amis de notre chansonnier. « Massacrés d’une manière on ne peut plus barbare ». Ayant reçu lui-même des menaces de mort, il fallait donc sauver sa peau. Aucun autre choix, il faut déguerpir. Dare-dare. Hic et nunc. Il vint s’installer avec femme et enfant- il en a juste un seul- «au pays du soleil froid », le Québec.

Passés les premiers mois de son établissement à Montréal, la désillusion commença à pointer son nez. Comme tout immigrant nouvellement arrivé, il a eu énormément de difficultés à trouver un travail correspondant à ses qualifications. Il a fallu en conséquence se trouver une occupation pour tuer le temps, lui, qui était toujours occupé. En fait, il n’avait jamais imaginé qu’il se trouverait, un jour, dans une telle situation. « J’ai commencé, relève-t-il, à écrire des poèmes que je ne prenais jamais la peine de finir. Si je les avais tous finis, j’aurais certainement publié 100 livres. » À la même période, la rencontre avec un compatriote kabyle, et poète de son état, changera radicalement l’idée qu’il se faisait de lui-même. « Une petite comparaison entre nos poèmes m’a convaincu que je faisais mieux, se rappelle-t-il. Cela m’a encouragé à aller de l’avant et à penser sérieusement à la publication. »

Même s’il refuse, avec beaucoup d’entêtement, de temps à autre, l’étiquette de poète, passer à l’écriture était loin d’être une chose aisée. Au fond, moins pour le caractère essentiellement oral de la culture berbère, qu’en raison du poids oppressant du contrôle social et des traditions avec leur lot d’interdits. « Car je brise cette tradition, absurde au demeurant, qui veut que je ne fasse pas de la poésie, note-t-il. D’ailleurs le premier livre a été, pour moi, une torture parce que la brisure est profondément ancrée en moi ». « Écrire est un problème, publier en est un autre », résume-t-il nerveusement.

« Hymne à ma culture »

Que ses fidèles lecteurs le tiennent pour acquis, en ce moment même, il est en train de faire un livre témoin où il va compiler ses meilleurs poèmes, choisis par quatre personnes différentes. « Alors que je m’attendais à ce qu’il n’en y ait pas suffisamment, je me suis trouvé avec un nombre important de poèmes », s’étonne-t-il, pas encore convaincu par la qualité de sa poésie. Peut-être à cause de cette modestie chevillée au corps de tous les Berbères. Pas toujours, il faut le dire et le répéter, de bon aloi.

Par ailleurs, comment peut-il expliquer cette frénésie poétique –cinq recueils en peu de temps ? À l’en croire, l’inspiration ne le quitte presque jamais. Tout est prétexte à l’écriture. Parfois le mot le plus simple peut être source d’un jaillissement poétique. « Quelque étonnant que cela puisse être, 90% de mes poèmes me viennent à l’esprit en roulant en voiture. Dès que j’en ai l’occasion, je griffonne tout sur un petit calepin qui m’accompagne tout le temps », souligne-t-il. Et pourquoi la poésie et en kabyle ? La réponse est on en peut plus simple : « Je veux transmettre ma berbérité aux générations futures. »

Quant à la forme traditionnelle du poème berbère qu’il a fait sienne et qu’il a remise au goût du jour, il s’en explique ainsi : « Un poème de neuf vers est non seulement facilement mémorisable, mais aussi ramassé, nerveux, car on va à l’essentiel, sans tourner indéfiniment autour du pot. » Et quid des mots crûs qu’il n’hésite pas à employer dans sa poésie et que certains qualifieraient de choquants ? « Je ne me suis pas exilé au Québec pour m’autocensurer », dit-il en balayant d’un revers de main ce genre de critiques qui, «en oubliant souvent l’essentiel, font une fixation sur les détails ».

Pour conclure, on ne peut ne pas évoquer avec notre poète la solution de la question berbère extrêmement sensible pour les régimes nord africains. Il a d’ailleurs un avis sur le sujet. « Il ne faut pas se nourrir indéfiniment d’illusions. Tant et aussi longtemps que notre langue n’est pas officialisée, notre peuple restera ad vitam aeternam non-reconnu, c’est-à-dire inexistant », tranche-t-il, péremptoire. D’après lui, il faut donc tout faire pour que « notre reconnaissance soit, réellement, officielle et institutionnelle ». Avec bien entendu une démocratisation en bonne et due forme. Ce serait, à coup sûr, le début de la résolution de notre problématique. Même si beaucoup s’inscriraient en faux par rapport à sa vision, seul l’avenir est à même de la confirmer ou de l’infirmer. Wait and see.