mardi, juin 27, 2006

Raymond Devos tire sa « dernière » révérence

Ainsi donc Raymod Devos est mort ! Tous les théâtres où il a l'habitude de se produire et tous ses admirateurs doivent certainement le regretter et même le pleurer. Ils ont mille fois raison, car c'est une véritable bête de scène, une icône du comique qui s'en va, à jamais.

Raymond Devos peut se targuer d'avoir l'une des carrières les plus longues –50ans- et les plus riches. Son secret : un humour sui generis, très particulier, très personnel. Bien plus, je dirais un style unique dont il ne s'est jamais départi jusqu'à ce que les jambes lui jouent un énième tour – pas du tout marrant cette fois-ci- et le lâchent, progressivement, pour s'éteindre dans sa maison de la banlieue parisienne à 83 ans. Son vœu de rendre l'âme sur scène ne s'étant pas réalisé.

Soliloques absurdes

L'humoriste aux éternels costume bleu et nœud papillon vit le jour le 9 novembre 1922 à Mouscron en Belgique de parents français. Peu de temps après, sa famille rentre, pour des raisons peu connues en France, et s'installe, dans un premier temps, au Nord du pays avant de décider de s'établir, définitivement, en 1931 à Paris.

Malgré une citoyenneté française en bonne et due forme, Devos a découvert dernièrement qu'il n'est même pas inscrit aux registres du service central de l'état civil. Parce que ces parents avaient tout simplement omis, à sa naissance, de le déclarer auprès du consulat français. Comme on peut bien l'imaginer, cette situation ubuesque, absurde même, n'aurait pas manqué de l'inspirer. Sauf que le destin est venu s'en mêler pour décider autrement du cours des choses.

En fait de l'absurde, il est un trait saillant de son humour –et même de sa vie. Influence à coup sûr de son époque et de ses penseurs, Ionesco entre autres. Même physiquement, Devos a quelque chose d'étrange. Avec son regard halluciné, ses grosses lunettes fumées, une silhouette pour le moins impressionnante -surtout à la fin de sa vie-, une voix rauque, le côté " absurde " du personnage ne s’en trouve qu’accentué. Toujours est-il que Devos est l'un des rares si ce n'est le seul comique français à le cultiver, et de quelle manière !

Comment procède-t-il ? Voici son explication : " Écrire n'a jamais été laborieux. C'est l'esprit qui joue sur les mots. Ce sont des jeux d'esprit où la sonorité des mots est primordiale. Brusquement, on franchit les limites de la logique. Ça tombe dans l'absurde. Faire croire aux gens qui m'écoutent que le vert est rouge. Ils doivent traverser avec moi cette frontière. D'où mon immense admiration pour Marcel Aymé et Antoine Blondin qui arrivaient à inscrire l'imaginaire dans le réel. ".

Cette vocation du clown de l’absurde, il se l’est découverte un peu tardivement, par le plus grand des hasards. Âgé de 33 ans et vivant d'expédients, – il a fait presque tous les métiers- et au moment où il se posait vraiment des questions sur l'orientation à donner à sa vie, le déclic lui est venu, aussi étonnant que celui puisse être, lors d'une conversation pour le moins anodine. Alors qu'il était dans un hôtel sur la côte – à Biarritz plus précisément- un jour de tempête, un serveur lui a annoncé qu'il ne pouvait pas voir la mer parce que démontée. " Et vous la remontez quand ? ", lui a répliqué du tac au tac Raymond Devos.

Cet échange allait changer de fond en comble sa vie et l'inspirera dans l'écriture d'un premier sketch intitulé justement, la mer démontée. Enfin, le filon est trouvé ! Et sa carrière démarrera sur les chapeaux de roue. Le succès ne le quittera presque jamais.

Reste que son premier " baptême du feu " a eu lieu en 1956 lors d'un spectacle de Maurice Chevalier malgré les réticences de ce dernier. " Maurice Chevalier, se rappelait-il, ne voulait pas de moi. Me prenant pour un guignol, il craignait que le public n'apprécie pas mes différents passages scène. Jacques Canetti a insisté. Tout de suite ça a marché, mes sketches passaient la rampe. "

la langue française à l’honneur

Ses monologues humoristiques, qu'il interprète toujours en compagnie de son pianiste préféré Hervé Guido, sont extrêmement bien travaillés, extrêmement bien ficelés, extrêmement bien ciselés. Rien n'est laissé au hasard. Il les travaillait un peu comme le ferait un joaillier expérimenté à ses bijoux. C'est un perfectionniste comme on n'en connaît pas un. Ils sont chacun un hymne à la langue française tellement qu'ils la célèbrent.

Fin connaisseur de la langue de Molière, il en connaît toutes les subtilités, tous les secrets. Il se joue avec une facilité déconcertante avec ses mots, ses homonymes, ses figures de style, ses expressions idiomatiques pour en sortir toute l'absurdité et provoquer des sourires, des rires et des fous rires, à n'en pas finir.

Quant au rire à proprement parler, il en a une définition intéressante : " Le rire permet de chasser le réel pendant un certain temps, d'oublier les choses qui sont pesantes, qui vous préoccupent, qui vous gênent. C'est ça le rire, c'est fait pour ça, pour oublier la mort. "

Pour juger de ses prouesses, florilège de quelques-uns de ces exploits : " Il paraît que quand on prête l'oreille, on entend mieux. C'est faux ! Il m'est arrivé de prêter l'oreille à un sourd. Il n'entendait mieux " ; " Quand j'ai tort, j'ai mes raisons, que je ne donne pas. Ce serait reconnaître mes torts. " ; " Si ma femme doit être veuve un jour, j'aimerais bien que ce soit de mon vivant "…

Qui mieux est, il était l'un des rares comiques à ne pas succomber à la trivialité et à la vulgarité qui caractérisent tant le comique français de ces dernières années. Il faut donc être bien concentré pour saisir toutes ses allusions, ses sous-entendus, ses insinuations, ses calembours, ses gags... Il est clair que Raymond Devos n’est pas n’importe qui. Car nous avons affaire avec lui à du haut niveau. Pour vous donner une idée de ses lectures : ses livres de chevet sont ceux de Gaston Bachelard, Michel Serres et Marcel Aymé. Que de grosses pointures de la pensée ! C'est vous dire...

En signe de reconnaissance, il a été nommé au Conseil supérieur de la langue française. De son vivant, ce qui est très rare dans la vie d’un artiste, un prix portant son nom a même été créé pour récompenser tout travail d'excellence en langue française. Bien plus, et c'est vraiment la plus belle des consécrations, il a carrément fait son entrée dans les programmes scolaires français. Jacques Chirac en lui rendant hommage l'a évoqué ainsi : " Un artiste immense, dit-il, (...) un irrésistible funambule des mots, un éblouissant magicien de la langue française, un très grand poète de l'humour. "

Saltimbanque doué

" Le formidable clown de la syntaxe ", selon l'expression de maire de Paris, Betrand Delanoë, est aussi un as du mime. Il a eu longtemps l'occasion de le découvrir et par le fait même de le pratiquer pour maintenir le moral de ses camarades d'infortune, lors de sa déportation en Allemagne en 1943 par les forces nazies au titre de STO ( service du travail obligatoire). Parfois certaines expériences dramatiques ont du bon, pourrait-on dire. Une fois libéré, il ira sur-le-champ perfectionner son penchant pour le mime et le théâtre dans une école spécialisée afin d'embrasser, tel qu'il le désirait, le métier du comédien. Il va d'ailleurs jouer dans " Médecin malgré lui ", " Knock " et dans d'autres pièces non moins connues.

Il sait aussi toucher à pas mal d'instruments de musique. Il joue merveilleusement bien à la clarinette, au violon, à la harpe, apprise à l'âge cinquante cinq ans, et à la flûte. Il faut dire que c'est un peu atavique. Ses parents étaient, selon plusieurs témoignages dont celui de Raymond, des multinstrumentistes hors pair. Si son père jouait à l’orgue et au piano, la mère maniait très bien le violon et la mandoline. À voir les exploits scéniques du fils, on ne peut dire que leur influence est pour le moins déterminante.

Ce bateleur haut en couleur, ce touche-à-tout extrêmement talentueux, ce prestidigitateur des mots qu'est Raymond Devos, s'est aussi essayé à l'écriture romanesque. Il a d'ailleurs publié pas mal de romans dont Les quarantièmes délirants, qui est un succès de librairie, La chenille nommée Vanessa, Sans titre de noblesse. Seul ombre au tableau, le cinéma l'a boudé. Malgré un potentiel énorme, il n'a joué que quelques rôles secondaires dans quelques films dont Pierrot le fou de Jean-Luc Godard. Dommage donc !

Il serait fastidieux de citer toutes les distinctions qu'il a raflées. On va en citer que quelques-unes : Grand Prix du théâtre de l'Académie française, officier et commandeur de la légion d'honneur, molière du meilleur one-man-show… ! Même le Québec ne l'a pas oublié et c'est à son honneur. Il lui a décerné deux prix : celui de l'humour en 1987 et celui du Mérite artistique en 1996. En parlant justement du Québec, parmi ses meilleurs amis figuraient le grand chansonnier québécois Félix Leclerc. Une amitié qui date de 1961 lorsque Devos a effectué une tournée au Canada.

Tous ces titres, tous honneurs sont la preuve que Raymond Devos a une place de choix dans le Panthéon des humoristes qui ont marqué le 20e siècle. Il est donc tout à fait normal que l’on regrette sa disparition. Adieu l’artiste !

jeudi, juin 22, 2006

Yuba : rencontre avec un grand artiste



Yuba est un nom à retenir, mais surtout un chanteur à écouter. Artiste doué, il a su s'imposer et imposer en même temps un nouveau style qui ne manque pas d'originalité, fait d'un savant mélange entre la musique amazighe et des influences étrangères très diverses. Loin de dérouter les mélomanes amazighs, il a été positivement accueilli au point de faire des émules. Bon nombre de jeunes musiciens en ont pris de la graine et ont commencé à imiter son style. À ce jour, il a à son actif deux albums très réussis : tawargit et Itran azal. Dans cet entretien, il s'épanche en évoquant ses débuts, ses influences, ses amis… À lire et à relire.

L. Oulhadj : Est-ce que vous pouvez vous présenter en quelques lignes ?

Yuba : Je suis né à Dcheira, un gros bourg populaire entre Inzggane et Agadir. J'y avais passé les plus belles années de ma vie et une enfance on ne peut plus heureuse. À cette époque, les gens se connaissaient presque tous et étaient tellement insouciants ! Ce que, vous en conviendrez, n'est plus le cas maintenant malheureusement. Aussi loin que je m'en souvienne, presque tous les après-midi étaient l'occasion d'improvisations musicales très endiablées.

Comment se passaient ces improvisations et qui en étaient les organisateurs ?

C'était exclusivement la gent féminine. Autour d'un verre de thé bien mentholé, les femmes de tout âge profitaient de la moindre occasion pour se rassembler et organiser des spectacles de chants auxquels nous, les enfants, participions avec beaucoup de joie, même si nous étions très turbulents. Comme instruments, elles se servaient de "tagganza" (tambourin sur cadre), de leurs vaisselles et de tout ce qu'elles leur tombaient sous la main. À ce moment-là, j'avoue que le sens de tout cela m'échappait. Il n'y a qu'aujourd'hui que je me suis rendu compte que derrière le côté ludique, festif de la chose, il y a toute une tradition de grande richesse. En réalité, c'était tout cela qui a sauvegardé une grande partie de notre culture musicale et qui a donné ensuite naissance, même si c'est d'une manière indirecte, à notre chanson moderne.

Comment cela ?

Tout simplement en créant la vocation musicale chez beaucoup de nos jeunes, qui, une fois adultes, ont donné la pleine mesure à tout leur talent en fondant des groupes aussi mythiques que Tabghaynuzt, Imurigen, Inzezanren (Chamkh et Iggout), Igidar… Dcheira, comme chacun sait, est la capitale des artistes par excellence.

Votre famille a-t-elle eu un quelconque rôle dans votre vocation musicale ?

Ma famille n'a joué qu'un rôle déclencheur dans ma « révolte » musicale. Le fait de chanter n'est pas seulement quelque chose qu'elle a provoqué en moi, mais un devoir vis-à-vis de ma culture et ma cause. Si ma mère ne m'a jamais rien interdit, mon père, lui, a été quand même très réticent : pour l'anecdote, il m'a déjà amoché la tête avec la guitare que j'avais bricolée avec un bidon d'insecticide. En fait, et pour être bref, je dirais que par la suite la décision de chanter relève enfin de compte d'un choix purement personnel. Certes, nous avions une « taggenza » à la maison, mais c'était chez ma tante que j'avais vu les femmes chanter presque chaque jour. Les danses folkloriques (ahiyyad, ahwach, …) et les groupes musicaux modernes ou traditionnels, je les ai découverts aux fêtes familiales des amis et des voisins ( mariages, baptêmes…) et aux différents festivals qui ponctuent l'année.

J'ai appris que votre arrière-grand-père est feu rrays El-Houssayn Amzil, que pouvez nous en dire ?

El-Houssayn Amzil était un grand musicien de la chanson amazighe traditionnelle. Il était le rrays incontournable d'Aksimen et d'Imsgginen ( la région d'Inezggan, Dcheira, Benrsrgao…). On lui prêtait même la paternité de certaines œuvres de Boubakr Anchad et même de Lhaj Belâid. Je n'avais pas la chance de le voir, car il est déjà décédé en 1964, c'est-à-dire plusieurs années avant ma naissance. Mais j'avais l'occasion de connaître de près tous ses descendants dont ma grand-mère qui est sa fille aînée et qui m'a fait l'honneur d'interpréter certaines de ses chansons. Il s'était surtout distingué par un style propre, sa parole forte, ses textes d'amour, son jeu de « tallount » (tambourin sur cadre), et son feeling musical. J'espère que l'on arrivera un jour à collecter tout le patrimoine poétique et musical de cet homme, car il est resté encore au stade de l'oralité. Ce serait vraiment dommage qu'il se perde à jamais.

Comment en êtes-vous arrivé à la guitare ? Je sais que chez nous, c'est plutôt le banjo qui prédomine.

Je ne faisais par vraiment exception par rapport à ma génération. Dans mon enfance, j'étais un fan des légendaires Izenzaren. J'ai donc naturellement appris, dans un premier temps, à manier le banjo et même à interpréter le répertoire de ce groupe mythique. J'ai aussi été un inconditionnel du groupe phare de la scène amazighe pendant la décennie des années 70, Ousman, et toute la vague musicale qui s'est ensuivie. Et comme tout Amazigh qui se respecte, j'ai quand même beaucoup écouté les indétrônables rways. Je ne vois pas d'ailleurs comment il peut en être autrement tellement qu'ils sont présents dans notre quotidien. Chemin faisant, au moment où je me suis décidé de faire carrière dans la musique, j'ai été conscient du fait qu'il fallait impérativement se distinguer, être original, et non seulement se contenter de rabâcher ce qui a été déjà fait. Ainsi, je me suis mis à la guitare d'autant plus que c'est un instrument pourvu d'un potentiel énorme. Sans oublier bien entendu toute la symbolique révolutionnaire qui lui est inhérente. Musicalement s'entend.

Qu'est-ce que vous pouvez nous dire du duo que vous avez formé avec Asid ?

Mon expérience avec Asid a été très positive. On utilisait deux guitares et un harmonica. Ce qui était très original. On avait interprété les chansons tirées du répertoire d'Ousman, Ammouri M'bark, Idir, etc. Mais il faut rappeler que nous étions à nos débuts. Donc à une époque où chacun de nous se cherchait. C'est d'ailleurs pour cette raison que notre collaboration a fait long feu ; car nous avions pas mal de divergences. J'ai choisi par voie de conséquence de voler de mes propres ailes en jouant soit en solo soit avec mon premier groupe. Même si on s'est séparé, j'ai gardé de très bonnes relations avec Asid. Je dirais que nous sommes restés toujours très proches, des frères en quelque sorte.

Et l'influence du Mouvement culturel amazigh ( MCA), qu'en est-il ?

J'ai fait partie de ce mouvement depuis tout petit. J'ai même été membre très actif au sein de l'organisation de «Tamaynut ». Il est donc évident que je ne peux qu'être influencé par ses idées et ses valeurs. Maintenant, lorsque je fais un flashback, je peux vous dire que sans le MCA, il n'y aurait pas de Yuba tel que le public le connaît maintenant. A titre de rappel, nous étions un groupe de militants très engagés, très soudés, chacun travaillant dans son domaine de prédilection. Si je me suis consacré à la musique, il y en avait qui faisait de l'écriture comme Amazigh B.Lâsri, de la peinture comme Idus Zaki…

Qui écrit les paroles de vos chansons ?

Les paroles de tawargit et Itran azal sont les miennes sauf là où c'est indiqué. Dans mon dernier album, le septième titre « tazrart» est un texte tiré de notre patrimoine poétique de l'Anti-Atlas.

Qu'en est-il du rôle de vos collaborateurs les plus proches, Jamal Boumadkar et Abdellah Chafik ?

Que ce soit tenu pour acquis, je n'ai jamais nié la contribution de J. Boumadkar et A. Chafik. Leur aide est on ne peut plus précieuse et je les en remercie infiniment. Ma relation avec ces deux frères était, est et sera toujours excellente. C'est A. Chafik qui a par exemple apporté des retouches avec «taggenza » au titre d'« Imal » de tawargit, avec ses jeux de guitare à « tazrart », sa voix à « urt igi » et « anzâr d udrar » d' Itran azal... Et J. Boumadkar, c'est la sagesse même, l'homme orchestre et l'organisateur hors pair. Sa collaboration m'est tellement importante que je ne peux vous citer tout d'une manière circonstanciée. Mais je peux vous dire juste que son jeu de basse et sa voix sont présents presque dans tous mes titres. En tous les cas, tout cela est cité sur la pochette de mes albums. Et je pense que c'est la moindre des choses.

Dans quelles conditions avez-vous produit votre dernier album ?

Tout s'est fait entre l'Allemagne et le Maroc. J'avoue que ce n'est pas toujours évident, parce que je n'ai pas beaucoup de moyens. Il fallait donc savoir bien gérer les choses, au millimètre près. En fait, dès le début, j'avais souhaité la présence de mes amis musiciens restés au pays d'où mes aller-retour entre Agadir et Hambourg. Sinon j'aurais bien choisi de rester et faire tout en Allemagne. Car c'est là que l'on a accès aux meilleurs moyens. Résultat : plus de dix musiciens de différentes nationalités ont collaboré et participé à la réalisation de cet Album. À titre d'exemple Aneta. qui a chanté avec moi en tamazight.

Qui est-elle ? Et comment en est-elle arrivée à chanter en une langue qu'elle ignore?

Aneta est une chanteuse Allemande. C'est elle qui avait interprété, avec sa très belle voix, le titre « tfelt iyyi ». Pour cela, je peux vous dire que c'est très simple. Il suffit d'avoir un esprit libre, sans aucun complexe et ouvert sur l'autre et sa culture. À partir de là, rien n'est impossible.

Et maintenant, que faites-vous ?

Je travaille d'arrache-pied sur de nouvelles chansons. J'essaie concomitamment de créer des contacts avec de nouveaux musiciens ayant d'autres styles et d'autres cultures musicales. Tout cela afin d'échanger et changer les idées tout en ayant le souci de faire connaître ma musique. Je donne également des concerts avec mon groupe en Allemagne où j'ai élu domicile. Sinon, je suis parfois invité d'honneur d'autres groupes amis…

Votre dernier mot.

Je tiens à rendre hommage, par le biais de cette interview, à tous ceux qui n'ont de cesse de m'aider et de m'encourager à aller de l'avant. Même si la liste est longue, je vais citer B.Azwaw Rami, Agoram Itri, Karim Aguenaou, Amazigh B.Lâsri, tous les musiciens qui me soutiennent et tous ceux qui aiment et apprécient mon travail.

lundi, juin 12, 2006

La chanteuse Saida Akil est de retour



Avant de sombrer injustement dans l’oubli, elle a indéniablement marqué la chanson amazighe au début des années 90. Et pour cause. Elle est l’une des rares femmes auteurs-compositeurs au Maroc et même en Afrique du Nord. D’autant plus qu’elle a été très originale, révolutionnaire même, avec son jeu de guitare, ses textes engagés et sa voix incroyablement belle. Pour une artiste amazighe, elle peut s’enorgueillir d’avoir un CV pour le moins impressionnant. Si vous ne l’avez pas deviné, il s’agit de la fille terrible du Moyen-Atlas Saida Akil, plus connue sous son nom d’artiste Titrit. Nous l’avons contactée pour s'enquérir de ses nouvelles. Avec beaucoup d'amabilité, elle a bien accepté de répondre à nos questions.

L. Oulhadj : cela fait des années que l’on ne vous a plus entendu…

S. Akil : c'est vrai, cela fait longtemps que l’on n'a plus entendu parler de moi. Tout simplement parce qu’on ne m’invite plus. C’est malheureusement aussi simple que cela. Pendant tout ce temps-là, aussi injuste que cela puisse être, une seule association amazighe, et je l’en remercie infiniment, s’est rappelé mon bon souvenir.

Mais qu’avez-vous donc fait pendant toutes cette période ?

Je reconnais quand même que j'ai arrêté un moment pour consacrer mon temps à mon mari et mes enfants. Mais j'ai repris exactement ma carrière après la mort de Maâtoub Lounès en 1998. D’ailleurs j'ai gardé précieusement sa lettre dont laquelle il m'invite, personnellement, à chanter avec lui. Mais comme vous le savez, il est mort avant que l’on puisse réaliser ce projet. Toujours est-il que je n’ai pas oublié son geste envers moi. En guise de reconnaissance, je lui ai rendu hommage lors d'une conférence animée par M. Arezki Hammami, un grand militant kabyle, au siège du Journal Agraw le 31 juillet 1998. Aït Mengellet a eu une petite pensée pour moi. Lui aussi m’a écrit pour me dire tout le bien qu’il pensait de mon travail.

Avez-vous produit du nouveau ?

En effet, j’ai un nouvel album tout prêt tout frais. Il faut juste l’enregistrer.

Avez-vous contacté des producteurs ?

Bien sûr que je ne suis pas restée les bras croisés. J’en ai contacté plusieurs, mais bizarrement, au dernier moment, ils se défilent sans aucune raison valable. Mais à force de persévérance, j’en ai trouvé un. Je vais donc commencer l’enregistrement dans le courant de cette même semaine.

Et les différents festivals du Maroc, avez-vous réellement effectué des démarches pour y participer ?

Bien évidemment. Par contre, là aussi, je n’ai eu que des fins de non-recevoir. Même si je ne suis pas paranoïaque, j’ai vraiment la nette impression que l’on me boycotte. J’espère que je me trompe ! Mais une chose est sûre, pour un artiste, ma situation n’est pas vraiment l’idéal. Mais rassurez-vous, je ne vais pas déposer les armes aussi facilement. De fait, paradoxalement, toutes ces épreuves ne m'ont donné que plus de force pour aller de l’avant. Je suis sûre que je vais en sortir encore plus forte. En tout cas, ce que je possède est un don de Dieu, et c'est sa volonté qui décide du destin de chacun et non pas un quelconque être humain.

Quel est le titre de ce nouvel album et qu'est-ce que vous y abordez ?

Je n'ai pas encore décidé de son titre. Même si j’en ai deux, mais je préfère attendre son enregistrement et voir l'avis d'autres musiciens. Il comprend six chansons : la première est " smuqqel iyyi ! " ( regarde-moi !). Interprétée sur les rythmes gnawa, c’est à la fois une invite à l’espoir dans la vie et une sorte d’appel à l'attachement à son identité et ses racines, surtout à cette époque de mondialisation uniformisante.

Et les autres titres ?

Ils sont une sorte de folk songs sur des textes amazighes. " A tamettut a ur tettut awal nem " ( ô femme, n’oublie pas ta langue !) est une ballade spécialement dédiée à la femme amazighe qui souffre beaucoup, énormément. Je l’invite à s'ouvrir pour s'enrichir et surtout à ne pas faire l’erreur d’oublier sa langue et sa culture. Car si c’est le cas, c'est comme si elle était symboliquement morte. Pour ce qui est " tagitart inu " ( ma guitare), comme son titre l’indique, je chante en fait ma guitare à laquelle j’ai un attachement très particulier. Car elle fait partie de mon moi le plus profond et mon cœur vibre à ses rythmes qui m'arrachent, souvent, continuellement, à ma solitude et à mes soucis. En fait, pour tout vous dire, c’est ma meilleure amie.

Ensuite…

Quant à " maxx ? " ( pourquoi ?), elle traite du fléau du terrorisme qui, comme vous le savez, est une terrible menace pour la planète tout entière. J’en parle avec mes propres mots, selon ma vision des choses en tant que femme amazighe et en tant qu’artiste. Dans " icirran Ityattun " ( les enfants abandonnées), c’est une complainte où j’évoque la désastreuse situation des enfants délaissés, qui vivent aux marges de la société. J’y décris leur détresse, leur rêves, leurs espoirs. Elle constitue par-là, un appel urgent aux âmes charitables pour que ces pauvres enfants puissent bénéficier d’un minimum d'amour, de tendresse et de soins.

Et le dernier titre ?

Avec " mani c tella tiddet ? " ( où est la vérité ?), je me laisse emporter par une méditation en posant un certain nombre d’interrogations quasiment existentielles, philosophiques à laquelle je ne trouve d’ailleurs aucune réponse. Mais j’ai quand même le mérite de les poser.

Coupe du monde : une autre manière de taquiner le « cuir »

Pour peu que vous portiez de l'intérêt à la mythologie grecque, Artémis doit certainement vous être familière. Si dans le cas contraire, je vous dis de quoi elle retourne, immédiatement. Il s'agit en fait de la déesse de la virginité et de la chasteté. Si paradoxal que celui puisse être, c'est ce joli nom qui a été donné à l'immense maison close ouverte non loin du grand stade de la capitale allemande, Berlin. Et ce à l'occasion de la Coupe du monde de soccer.

Prosaïquement, ce bordel des temps modernes est une sorte de « centre d'achat » du sexe. Il est composé d'un imposant édifice de quatre étages et s'étend sur une surface de quelque 3000 m2. Selon les pronostics, 650 clients vont y défiler chaque jour pour une centaine de prostituées. Si ces dernières doivent s'acquitter d'un droit d'entrée de 50 euros, les consommateurs, eux, c'est 70.

Après quelques mois d'exploitation, cette entreprise d'un nouveau genre est on ne peut plus prospère. Elle est tellement rentable que déjà l'investissement de 6,4 millions d'euros est totalement remboursé, avant même le commencement de la Coupe du monde. Il faut dire que pour attirer la clientèle, on n'a pas lésiné sur les moyens : pendant plusieurs semaines, les Allemands ont été la cible d’une campagne de publicité pour le moins agressive.

Profitant d'une législation par trop permissive, - la prostitution est légale en Allemagne- les promoteurs du sexe s'en donnent à coeur joie. Ils ont investi tout le territoire avec une attention particulière pour les 12 villes où se disputent les matchs: des lupanars temporaires y sont montés, appelés par euphémisme des « cabines de prestation ». On a pensé à tout pour y assurer l'anonymat et le confort au client potentiel : préservatifs, douches et stationnements sont mis à sa disposition. Fidèles à eux-mêmes, les Allemands n'ont pas fait dans la demi-mesure. Ils sont tellement « efficaces » qu'ils peuvent se targuer d'être les premiers à avoir « taylorisé » le sexe, comme dans n'importe quelle unité manufacturière.

Sauf qu'il y a un hic, la « matière première » risque de manquer vu que la demande va exploser incessamment. Selon la police berlinoise, le nombre des prostituées dans une période normale ne dépasserait pas les 2000. Ce qui est déjà peu pour une agglomération comme Berlin, et a fortiori si elle va accueillir plusieurs millions de mordus de soccer. Il faut donc penser à en « importer » dans les pays moins lotis économiquement. Principalement l'Europe de l'Est et même l'Amérique latine. D'ailleurs, la presse allemande parle d’un besoin de 40 000 femmes. Pire, un rapport du Conseil de l'Europe a évoqué le chiffre encore plus vertigineux de 60 000.

Le plus étonnant, et certainement dans le souci de pallier à toute « pénurie », le gouvernement fédéral allemand s'y est mis aussi. Il est allé jusqu'à mettre sur le marché un prospectus de voyage destiné aux prostituées étrangères. Il y explique pêle-mêle les meilleures manières d'éviter les réseaux de proxénètes et de passeurs. Ce qui est en soi est très bonne chose. Mais en même temps, et c’est vraiment kafkaïen comme situation, il se permet, d’une part, le luxe de transgresser ses propres lois en conseillant aux intéressées de traverser la frontière là où il n'y a pas de douane et il exige, d’autre part, l’acquisition des papiers de séjour pour pouvoir exercer dans le pays de Goethe.

Reste que la seule possibilité de se les procurer est de contracter un mariage d'autant plus que, au vu de la loi de ce pays, tout mari a le droit de mettre sa femme sur le marché de la prostitution, sans rien risquer. Un vrai filon pour bon nombre d'hommes allemands qui vont chercher des épouses à l’étranger en leur promettant monts et merveilles. Mais une fois sur place, le cauchemar commence. Un phénomène que la Coupe du monde va certainement accentuer. Ce qui suppose des drames de toutes sortes, car beaucoup de ces femmes ne sont pas du tout au courant des desseins purement mercantiles de leurs princes charmants.

Sur ces entrefaites, on pourrait aisément imaginer que la situation des femmes en situation irrégulière est pire encore. Il faut savoir qu’elles sont complètement démunies par rapport à la loi. À tout moment, elles risquent l'expulsion immédiate pour cause de séjour illégal. En cas de traitement dégradants qu'elles subiraient, elles n'ont tout simplement aucun recours. Qui plus est, elles ont souvent affaire à des réseaux de proxénètes extrêmement puissants, extrêmement bien structurés. Dans ce cas précis, qu’on se le dise une fois pour toute, il s'agit ni plus ni moins que d'une traite humaine dans un État qui se permet de faire la leçon aux autres pays. La Chine entre autre.

Mais que vous voulez, la prostitution engrange des sommes absolument fabuleuses. On ne parle plus là en terme de millions, mais de milliards de dollars. Le gouvernement allemand, pragmatique à l’extrême, n’a tout simplement pas fait la fine bouche devant une telle manne. Mais au passage, il a piétiné allègrement la dignité humaine.

Et qu'en est-il de l'attitude de la fédération internationale de soccer ? Pressée par le Conseil de l'Europe de s'expliquer, Joseph Blatter son président, a affirmé, dans un communiqué publié le 14 avril dernier, que « la question de la prostitution et du commerce des femmes n'est pas du ressort d'une fédération sportive internationale ».

Seules les organisations de femmes, en Allemagne même et un peu partout dans le monde, se sont insurgées contre cette situation intolérable. La célèbre avocate et le porte-parole de la cause féministe en France, Gisèle Halimi, a pris sa plume pour adresser une lettre de protestation à la chancelière allemande, Angela Merkel. Quant aux États, seule la Suède a tenu à protester officiellement. Des voix y ont même appelé l'équipe nationale à boycotter ce Mondial et à retourner illico presto au bercail. Mais comme vous pouvez l’imaginer, toutes ces initiatives sont restées lettre morte.

Au total, si à ce jour le vainqueur de cette Coupe du monde nous est complètement inconnu, les perdantes on les connaît déjà : ce sont les femmes, toutes les femmes.