lundi, juin 12, 2006

La chanteuse Saida Akil est de retour



Avant de sombrer injustement dans l’oubli, elle a indéniablement marqué la chanson amazighe au début des années 90. Et pour cause. Elle est l’une des rares femmes auteurs-compositeurs au Maroc et même en Afrique du Nord. D’autant plus qu’elle a été très originale, révolutionnaire même, avec son jeu de guitare, ses textes engagés et sa voix incroyablement belle. Pour une artiste amazighe, elle peut s’enorgueillir d’avoir un CV pour le moins impressionnant. Si vous ne l’avez pas deviné, il s’agit de la fille terrible du Moyen-Atlas Saida Akil, plus connue sous son nom d’artiste Titrit. Nous l’avons contactée pour s'enquérir de ses nouvelles. Avec beaucoup d'amabilité, elle a bien accepté de répondre à nos questions.

L. Oulhadj : cela fait des années que l’on ne vous a plus entendu…

S. Akil : c'est vrai, cela fait longtemps que l’on n'a plus entendu parler de moi. Tout simplement parce qu’on ne m’invite plus. C’est malheureusement aussi simple que cela. Pendant tout ce temps-là, aussi injuste que cela puisse être, une seule association amazighe, et je l’en remercie infiniment, s’est rappelé mon bon souvenir.

Mais qu’avez-vous donc fait pendant toutes cette période ?

Je reconnais quand même que j'ai arrêté un moment pour consacrer mon temps à mon mari et mes enfants. Mais j'ai repris exactement ma carrière après la mort de Maâtoub Lounès en 1998. D’ailleurs j'ai gardé précieusement sa lettre dont laquelle il m'invite, personnellement, à chanter avec lui. Mais comme vous le savez, il est mort avant que l’on puisse réaliser ce projet. Toujours est-il que je n’ai pas oublié son geste envers moi. En guise de reconnaissance, je lui ai rendu hommage lors d'une conférence animée par M. Arezki Hammami, un grand militant kabyle, au siège du Journal Agraw le 31 juillet 1998. Aït Mengellet a eu une petite pensée pour moi. Lui aussi m’a écrit pour me dire tout le bien qu’il pensait de mon travail.

Avez-vous produit du nouveau ?

En effet, j’ai un nouvel album tout prêt tout frais. Il faut juste l’enregistrer.

Avez-vous contacté des producteurs ?

Bien sûr que je ne suis pas restée les bras croisés. J’en ai contacté plusieurs, mais bizarrement, au dernier moment, ils se défilent sans aucune raison valable. Mais à force de persévérance, j’en ai trouvé un. Je vais donc commencer l’enregistrement dans le courant de cette même semaine.

Et les différents festivals du Maroc, avez-vous réellement effectué des démarches pour y participer ?

Bien évidemment. Par contre, là aussi, je n’ai eu que des fins de non-recevoir. Même si je ne suis pas paranoïaque, j’ai vraiment la nette impression que l’on me boycotte. J’espère que je me trompe ! Mais une chose est sûre, pour un artiste, ma situation n’est pas vraiment l’idéal. Mais rassurez-vous, je ne vais pas déposer les armes aussi facilement. De fait, paradoxalement, toutes ces épreuves ne m'ont donné que plus de force pour aller de l’avant. Je suis sûre que je vais en sortir encore plus forte. En tout cas, ce que je possède est un don de Dieu, et c'est sa volonté qui décide du destin de chacun et non pas un quelconque être humain.

Quel est le titre de ce nouvel album et qu'est-ce que vous y abordez ?

Je n'ai pas encore décidé de son titre. Même si j’en ai deux, mais je préfère attendre son enregistrement et voir l'avis d'autres musiciens. Il comprend six chansons : la première est " smuqqel iyyi ! " ( regarde-moi !). Interprétée sur les rythmes gnawa, c’est à la fois une invite à l’espoir dans la vie et une sorte d’appel à l'attachement à son identité et ses racines, surtout à cette époque de mondialisation uniformisante.

Et les autres titres ?

Ils sont une sorte de folk songs sur des textes amazighes. " A tamettut a ur tettut awal nem " ( ô femme, n’oublie pas ta langue !) est une ballade spécialement dédiée à la femme amazighe qui souffre beaucoup, énormément. Je l’invite à s'ouvrir pour s'enrichir et surtout à ne pas faire l’erreur d’oublier sa langue et sa culture. Car si c’est le cas, c'est comme si elle était symboliquement morte. Pour ce qui est " tagitart inu " ( ma guitare), comme son titre l’indique, je chante en fait ma guitare à laquelle j’ai un attachement très particulier. Car elle fait partie de mon moi le plus profond et mon cœur vibre à ses rythmes qui m'arrachent, souvent, continuellement, à ma solitude et à mes soucis. En fait, pour tout vous dire, c’est ma meilleure amie.

Ensuite…

Quant à " maxx ? " ( pourquoi ?), elle traite du fléau du terrorisme qui, comme vous le savez, est une terrible menace pour la planète tout entière. J’en parle avec mes propres mots, selon ma vision des choses en tant que femme amazighe et en tant qu’artiste. Dans " icirran Ityattun " ( les enfants abandonnées), c’est une complainte où j’évoque la désastreuse situation des enfants délaissés, qui vivent aux marges de la société. J’y décris leur détresse, leur rêves, leurs espoirs. Elle constitue par-là, un appel urgent aux âmes charitables pour que ces pauvres enfants puissent bénéficier d’un minimum d'amour, de tendresse et de soins.

Et le dernier titre ?

Avec " mani c tella tiddet ? " ( où est la vérité ?), je me laisse emporter par une méditation en posant un certain nombre d’interrogations quasiment existentielles, philosophiques à laquelle je ne trouve d’ailleurs aucune réponse. Mais j’ai quand même le mérite de les poser.

Coupe du monde : une autre manière de taquiner le « cuir »

Pour peu que vous portiez de l'intérêt à la mythologie grecque, Artémis doit certainement vous être familière. Si dans le cas contraire, je vous dis de quoi elle retourne, immédiatement. Il s'agit en fait de la déesse de la virginité et de la chasteté. Si paradoxal que celui puisse être, c'est ce joli nom qui a été donné à l'immense maison close ouverte non loin du grand stade de la capitale allemande, Berlin. Et ce à l'occasion de la Coupe du monde de soccer.

Prosaïquement, ce bordel des temps modernes est une sorte de « centre d'achat » du sexe. Il est composé d'un imposant édifice de quatre étages et s'étend sur une surface de quelque 3000 m2. Selon les pronostics, 650 clients vont y défiler chaque jour pour une centaine de prostituées. Si ces dernières doivent s'acquitter d'un droit d'entrée de 50 euros, les consommateurs, eux, c'est 70.

Après quelques mois d'exploitation, cette entreprise d'un nouveau genre est on ne peut plus prospère. Elle est tellement rentable que déjà l'investissement de 6,4 millions d'euros est totalement remboursé, avant même le commencement de la Coupe du monde. Il faut dire que pour attirer la clientèle, on n'a pas lésiné sur les moyens : pendant plusieurs semaines, les Allemands ont été la cible d’une campagne de publicité pour le moins agressive.

Profitant d'une législation par trop permissive, - la prostitution est légale en Allemagne- les promoteurs du sexe s'en donnent à coeur joie. Ils ont investi tout le territoire avec une attention particulière pour les 12 villes où se disputent les matchs: des lupanars temporaires y sont montés, appelés par euphémisme des « cabines de prestation ». On a pensé à tout pour y assurer l'anonymat et le confort au client potentiel : préservatifs, douches et stationnements sont mis à sa disposition. Fidèles à eux-mêmes, les Allemands n'ont pas fait dans la demi-mesure. Ils sont tellement « efficaces » qu'ils peuvent se targuer d'être les premiers à avoir « taylorisé » le sexe, comme dans n'importe quelle unité manufacturière.

Sauf qu'il y a un hic, la « matière première » risque de manquer vu que la demande va exploser incessamment. Selon la police berlinoise, le nombre des prostituées dans une période normale ne dépasserait pas les 2000. Ce qui est déjà peu pour une agglomération comme Berlin, et a fortiori si elle va accueillir plusieurs millions de mordus de soccer. Il faut donc penser à en « importer » dans les pays moins lotis économiquement. Principalement l'Europe de l'Est et même l'Amérique latine. D'ailleurs, la presse allemande parle d’un besoin de 40 000 femmes. Pire, un rapport du Conseil de l'Europe a évoqué le chiffre encore plus vertigineux de 60 000.

Le plus étonnant, et certainement dans le souci de pallier à toute « pénurie », le gouvernement fédéral allemand s'y est mis aussi. Il est allé jusqu'à mettre sur le marché un prospectus de voyage destiné aux prostituées étrangères. Il y explique pêle-mêle les meilleures manières d'éviter les réseaux de proxénètes et de passeurs. Ce qui est en soi est très bonne chose. Mais en même temps, et c’est vraiment kafkaïen comme situation, il se permet, d’une part, le luxe de transgresser ses propres lois en conseillant aux intéressées de traverser la frontière là où il n'y a pas de douane et il exige, d’autre part, l’acquisition des papiers de séjour pour pouvoir exercer dans le pays de Goethe.

Reste que la seule possibilité de se les procurer est de contracter un mariage d'autant plus que, au vu de la loi de ce pays, tout mari a le droit de mettre sa femme sur le marché de la prostitution, sans rien risquer. Un vrai filon pour bon nombre d'hommes allemands qui vont chercher des épouses à l’étranger en leur promettant monts et merveilles. Mais une fois sur place, le cauchemar commence. Un phénomène que la Coupe du monde va certainement accentuer. Ce qui suppose des drames de toutes sortes, car beaucoup de ces femmes ne sont pas du tout au courant des desseins purement mercantiles de leurs princes charmants.

Sur ces entrefaites, on pourrait aisément imaginer que la situation des femmes en situation irrégulière est pire encore. Il faut savoir qu’elles sont complètement démunies par rapport à la loi. À tout moment, elles risquent l'expulsion immédiate pour cause de séjour illégal. En cas de traitement dégradants qu'elles subiraient, elles n'ont tout simplement aucun recours. Qui plus est, elles ont souvent affaire à des réseaux de proxénètes extrêmement puissants, extrêmement bien structurés. Dans ce cas précis, qu’on se le dise une fois pour toute, il s'agit ni plus ni moins que d'une traite humaine dans un État qui se permet de faire la leçon aux autres pays. La Chine entre autre.

Mais que vous voulez, la prostitution engrange des sommes absolument fabuleuses. On ne parle plus là en terme de millions, mais de milliards de dollars. Le gouvernement allemand, pragmatique à l’extrême, n’a tout simplement pas fait la fine bouche devant une telle manne. Mais au passage, il a piétiné allègrement la dignité humaine.

Et qu'en est-il de l'attitude de la fédération internationale de soccer ? Pressée par le Conseil de l'Europe de s'expliquer, Joseph Blatter son président, a affirmé, dans un communiqué publié le 14 avril dernier, que « la question de la prostitution et du commerce des femmes n'est pas du ressort d'une fédération sportive internationale ».

Seules les organisations de femmes, en Allemagne même et un peu partout dans le monde, se sont insurgées contre cette situation intolérable. La célèbre avocate et le porte-parole de la cause féministe en France, Gisèle Halimi, a pris sa plume pour adresser une lettre de protestation à la chancelière allemande, Angela Merkel. Quant aux États, seule la Suède a tenu à protester officiellement. Des voix y ont même appelé l'équipe nationale à boycotter ce Mondial et à retourner illico presto au bercail. Mais comme vous pouvez l’imaginer, toutes ces initiatives sont restées lettre morte.

Au total, si à ce jour le vainqueur de cette Coupe du monde nous est complètement inconnu, les perdantes on les connaît déjà : ce sont les femmes, toutes les femmes.