On sait tous que le journal le Matin est le porte-voix du régime marocain à telle enseigne que l’on l’appelle ironiquement le Matin du Makhzen. Si inaccoutumé que cela puisse être, c’est sur ses colonnes qu’est publié un article d’une rare objectivité et sans concession aucune sur l’enseignement de la langue amazighe. Au début, je n’en croyais pas mes yeux tellement que cela semblait inimaginable que ce soit le Matin, passé maître dans l’infantilisation de son lectorat, qui ose publier un tel papier. En fait, ce n’est pas que l’on ait à cœur la réussite de l’intégration de l’amazigh à l’école. Oh que non ! Le message presque direct que l’on veut transmettre est ainsi : on a fait de l’enseignement du tamazight un vrai bide et on le crie sur tous les toits.
Rédigé par une certaine Dounia Z. Mseffer, celle-ci nous égrène presque en détail toutes les entraves mises, volontairement et délibérément, - il faut dire ce qu’il y a- pour faire de l’enseignement de la langue de Hemmou Outtalb et autre Haj Belaid une véritable mascarade, qui ne doit certainement pas faire rire les Amazighs et leurs intellectuels. Mais de qui se moque-t-on ? Les officiels marocains doivent certainement penser que nous, les Amazighs, sommes tellement bêtes et cons que nous allons gober leurs manigances cousues de fil blanc. A mon sens, qu’on se le dise franchement, il n’y a pas d’autre explication et je défie quiconque de m’apporter une autre que celle-là.
La liste des obstructions est un véritable chapelet de duperies : les enseignants n’ont qu’une petite formation de 15 jours, ce qui n’est aucunement suffisant ; les manuels scolaires ne sont nullement disponibles à cause d’un " oubli " - je n’ai pas pu m’empêcher de rire- du ministère de " l’Éducation nationale ", ce qui n’arrive, vous en conviendrez, que lorsqu’il est question de l’amazighité ; l’inexistence d’un emploi du temps pour l’enseignement de l’amazigh ; la promesse fumeuse et sans lendemain du même ministère de la distribution gratuite des livres scolaires.
Et ça continue, malheureusement : certains directeurs d’école, et cela n’arrive qu’au Maroc, refusent simplement et naturellement- là je ne suis pas empêché d’avoir carrément un fou rire-, comme de capricieux dictateurs tyranniques, de permettre l’enseignement de l’amazigh, et même si c’est le cas ils en réduisent drastiquement les heures qui lui sont consacrées ; et si par le plus grand des hasards, l’enseignement est dispensé en 1ère année, en 2e année ils le suppriment sans aucune explication, et parfois c’est le contraire ; le refus du gouvernement marocain d’intégrer l’amazigh à l’université bien que l’hébreu y soit on ne peut plus présent, ce qui ne peut être expliqué que par la haine héréditaire, viscérale et constante de l’autochtone amazigh et de sa culture.
Enfin, et c’est vraiment le comble des combles, et là on a atteint carrément les summums de la bêtise, imaginez qu’on a fait appel aux Arabes, qui représentent dans certaines régions parfois 40% des professeurs, pour enseigner une langue qui est quasiment du chinois pour eux … Il faut le faire et au Maroc, on le fait, le plus naturellement du monde. Et comme le dit si bien le fameux dicton arabe et dans le texte, " ida kunta fi biladi almaghribi, fala tastaghrib " ( lorsque tu es au Maroc, il ne faut pas trop t’étonner ).
C’est ce qui a fait dire au Professeur Meryam Demnati, membre de l’Institut royal de culture amazighe ( IRCAM), que tout le monde ( les cadres, les délégués et même le plus petit des fonctionnaires) dans le ministère de " l’Éducation nationale " ( on se demande vraiment qu’est-ce qu’il a de national) s’est allié pour mettre en échec toute possibilité d’un enseignement réellement acceptable et véritablement viable de l’amazigh. Les recommandations du dahir du roi, qui ont normalement force de loi, s’en trouvent frappées de nullité– et c’est une première dans l’histoire contemporaine du Maroc. Est-ce que le roi est au courant ? Certainement. L’IRCAM l’a probablement informé, mais jusqu’à présent rien n’est fait pour remettre les choses à l’endroit. Et rien ne nous dit que quelque chose va être fait. On laisse donc faire, jusqu’à quand ? Seul Dieu connaît la réponse.
Pour notre part, l’on ne va pas expliquer cette situation par un quelconque complot- en tous les cas les complots ne font pas partie de notre culture-, qui est par nature secret, mais là nous avons une stratégie implacable d’échec, visible au monde entier, appliquée avez zèle et beaucoup d’ardeur par le régime marocain et ses sbires. On méprise allègrement les Amazighs chez eux, sur leur terre, et on l’étale, avec beaucoup d’esbroufe, sur ses propres journaux. Et comme disait nos anciens qui doivent certainement se retourner dans leur tombes, " wanna ur yummern, isu ilil s tghnjawt " ( celui qui n’est pas content, qu’il aille boire la mer entière avec une petite cuiller).
On va donc subir cette énième humiliation, en silence, comme on l’a toujours fait, en attendant des jours meilleurs. Pendant ce temps là, le régime marocain n’a des yeux que pour ses frères, sa langue et sa culture arabes. Parce qu’il est fondamentalement arabe, si ce n’est carrément arabiste. Pour les Amazighs, qu’ils aillent se faire cuire un œuf ailleurs, comme dirait l’écrivain Fouad Laroui. Mais une chose est sûre, et même si je suis convaincu que je prêche presque dans le désert, en s’entêtant à rabaisser tout un peuple pacifique, accueillant, on ne fait qu’insulter l’avenir. Qui vivra verra !