Je ne regretterais jamais la mort d’un homme aussi brutal, aussi sanguinaire, aussi inhumain que le défunt dictateur irakien, Saddam Hussein. Je suis farouchement contre la peine capitale, mais au vu de tous les horribles crimes horribles qu’il avait commis, dans son cas je suis plus qu’indécis. Car ses victimes se comptent par millions. En plus de son propre pays qu’il a mis à genou et l’avenir de tous ses compatriotes qu’il avait compromis. Peut-être pour toujours. À franchement parler, il mérite amplement d’être pendu. Pas une fois, mais plusieurs. Sauf qu’il y a un élément à ne jamais négliger. C’est la date de sa mise à mort. Tellement que c’est symbolique. Pour moi, la pendaison de Saddam samedi dernier a été un choix pour le moins déplacé. Que dire ! Une bourde monumentale. Et ce n’est pas les raisons qui manquent.
D’abord, parce que c’est la fête du mouton chez plus d’un milliard et trois cents millions de musulmans. Selon la tradition coranique, cette pratique est célébrée en souvenir du prophète Abraham. Pour le mettre à l’épreuve et tester sa foi, Dieu lui a recommandé de sacrifier son fils unique. Ce qu’il s’apprêtait naturellement à faire. Sans protester. Mais in extremis, il en a été empêché. Au lieu du fils, il faut égorger le mouton. Désormais, il en sera ainsi. C’est facilement constatable, il y a là, bien patente, l’idée de la miséricorde, de la clémence et même du pardon. D’ailleurs, ce jour-là chez tous les musulmans, pratiquants ou pas, il en est ainsi. Si l’on avait un quelconque conflit avec un voisin, un ami, un frère... c’est le moment idéal de le régler et de se réconcilier. Bref, de faire la paix et d’envisager l’avenir sur de nouvelles bases.
Ensuite, la mort de l’ex-raïs coïncide également avec un autre cérémoniel musulman, qui est tout aussi important. Je suis sûr qu’à un moment ou un autre, vous avez certainement aperçu ou entendu, au travers des médias, qu’en ce moment c’est le pèlerinage à la Mecque, le 5e pilier de l’Islam. Environ trois millions de pèlerins originaires des cinq continents sont réunis en Arabie Saoudite. Et ce pour accomplir cette obligation religieuse. C’est le jour le plus intense, le plus important du rite qu’on décide d’en finir avec Saddam. " Ceux qui ont pris la décision de le pendre ne se rappellent-ils pas le moment de l’arrivée des pèlerins à Minan ? ", se demande, dépité, un éditorialiste bien connu du Golfe persique.
Enfin, il faut savoir qu’on est pendant le mois de " dou-elhijja ". Selon le calendrier lunaire musulman, il fait partie des quatre mois les plus sacrés de l’année. Qu’on appelle d’ailleurs " al-hurum ". Il s’agit d’une tradition authentiquement arabe, reprise et sacralisée par l’Islam à son avènement. Elle y est totalement interdit de faire la guerre. Même à un ennemi, sauf dans le cas où il aurait été le premier à attaquer. Et encore ! En d’autres termes, toute effusion de sang y est fondamentalement prohibée. À l’époque préislamique, celui qui viole cette convention sociale, est cloué au pilori. Son honneur est définitivement entaché. Pire, la communauté tout entière le rejette. Pour toujours. Pendant la période islamique, c’est en terme de péché qu’on parle. Gare à celui qui la transgresse. La malédiction divine le poursuivra ad vitam aeternam. Sans possibilité de rachat.
Est-ce que les Irakiens qui ont décidé précipitamment de mener Saddam au gibet sont au courant de tout cela ? Certainement. Parce qu’ils sont arabes et musulmans. C’est d’ailleurs pour cette raison que beaucoup de gens, même les pires ennemis du dictateur, ont vu dans la date de sa pendaison une provocation pure et simple. " On aurait pu quand même attendre quelques jours... ", est un leitmotiv qui revient souvent dans les forums de discussion arabes et musulmans. Un sondage réalisé par le site Internet de la chaîne qatarie Al-Jazira va dans le même sens. Si ce n’est plus. 92.6 % des participants ont été littéralement scandalisés par la date choisie pour la mort de l’ex-homme fort de l’Irak. Ils l’ont vécue comme une humiliation. Une autre de plus. Que les médias amplifie douloureusement.