Lahsen Oulhadj (Montréal)
Chaque année, à partir de la première moitié de mai jusqu’à la fin de juillet, Madame Wilson, de la société de production des fleurs sous serres, Wilson & fils, occupe une place aménagée comme un petit jardin d’Éden en plein milieu du Marché Jean Talon. Et ce, pour offrir à toutes les bourses un choix on ne peut plus riche de fleurs et de plantes.
J’ai eu l’occasion de la côtoyer de près, car j’ai travaillé chez elle, en tant que vendeur, pendant toute la période de sa présence sur le Marché de Jean Talon.
A 72 ans, c’est encore une jeune femme, mais ô combien dynamique ! Elle fait partie de cette génération de Québécois, élevée à la dure, qui ne peut trouver un sens à sa vie qu’en travaillant. D’ailleurs son tablier de travail ne la quitte presque jamais.
Nonobstant ses horaires d’enfer, elle est toujours soucieuse, la journée durant, de bien accueillir sa clientèle. Elle commence tôt le matin, vers 6 heures et finit tard le soir vers 20 heures. En été, c’est sur le marché de Jean Talon ; le reste de l’année, c’est aux serres à Saint Rémi, à quelques encablures de Montréal. Mais quand un travail est carrément une passion, on ne donne pas vraiment d’importance à la fatigue et au poids des années. Ce qui est le cas de Madame Wilson.
C ‘est une horticultrice hors pair, elle connaît pratiquement toutes ses plantes même si parfois la mémoire flanche. Il y a de quoi quand on sait que les Wilson produisent pas moins de 100 plantes différentes. Sont-elles adaptées au soleil, à l’ombre ou les deux ? Quelle taille auront-elles ? Quelle sorte de fleurs auront-elles ? Sont-elles vivaces ou annuelles ? , etc. À toutes ces questions Madame Wilson a toujours une réponse nette et précise.
« Je les connais pas mal toutes, excepté les nouvelles avec lesquelles j’ai un peu de misère. Mais au cas où on me demanderait des renseignements sur une plante que je ne connais pas, j’appelle immédiatement aux serres », a-t-elle reconnu tout sourire. Un sourire qui ne la quitte presque jamais.
C ’était grâce à un voisin, horticulteur de son état, que les Wilson ont eu l’idée géniale de se lancer eux aussi. « Il nous a impressionné par sa réussite sociale. Nous nous sommes dit pourquoi nous n’essayons pas de faire de même, surtout qu’à l’époque la culture des légumes nous ne rapporte presque rien », m’a confié, avec un air enjoué, la fille de Madame Wilson, Lucie, encore très jeune à l’époque.
En parlant des enfants, en plus de Lucie qui est sa seule fille, madame Wilson a eu cinq garçons. Si trois d’entre eux travaillent toujours avec elle, les deux autres ont préféré voler de leurs propres ailes. Le premier a monté sa propre affaire de production de fleurs tandis que le deuxième a fait un choix complètement différent. Il travaille en fait dans le domaine du gaz naturel.
Les débuts des Wilson n’ont pas été aussi simples que cela. « Nous avons commencé petits en 1972, même si cela ne fonctionnait pas très bien. Nous n’avons pas lâché. Nous avons persévéré. Ce qui a été payant. Maintenant, nous en sommes à beaucoup de serres dont je ne veux même pas connaître le nombre », m’a dit Madame Wilson un brin superstitieuse.
Ce n’est que Lucie qui va me dire plus tard qu’en fait la propriété s’étend sur une superficie de trois hectares avec 20 travailleurs permanents et plus de 70 saisonniers. De fait, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, pourrait-on dire. Wilson & fils n’est plus la petite structure familiale d’il y a 30 ans, mais une grosse machine. Il semble que c’est la première entreprise à produire des fleurs au Québec. Elle les commercialise même en Ontario et s’essaye depuis quelques temps à leur exportation aux États Unis.
Madame Wilson n’est dans son élément qu’au milieu de ses fleurs. On peut même dire qu’elle a un rapport quasi maternel avec elles. Quand les clients ne sont pas là, le geste toujours mesuré, elle les bichonne, elle les arrose, elle les nettoie, elle les place…Un simple coup d’œil lui suffit pour voir que telle ou telle plante manque d’engrais, d’eau ou tout simplement de lumière.
Avec ses employés, elle est indulgente et humaine. C’est un ange de bonté, pourvue de beaucoup de cœur. D’ailleurs, les rares malentendus, bénins faut-il le rappeler, qu’elle avait avec certains peuvent parfois lui causer des tourments absolument terribles. Sensible qu’elle est, il ne peut en être autrement.
De plus, c’est une femme très croyante et sa foi ne souffre d’aucun doute. Elle voue une vénération toute particulière à Jésus dont elle garde religieusement le portrait. D’ailleurs, dans la petite cabane qui lui tient lieu de bureau au Marché Jean Talon, trône majestueusement son image.
Beaucoup de ses clients sont des habitués. Ils viennent chaque année faire leurs emplettes chez elle. « En plus d’avoir un très beau choix de fleurs, Madame Wilson est une femme très attachante », m’a fait part, sous le mode de la confidence, une cliente qui vient depuis quelques années. Un autre client d’un certain âge m’a confié à peu près la même chose. « Pour ma part, c’est presque un rituel que de venir chez madame Wilson m’acheter des fleurs. J’espère qu’elle sera au rendez-vous le plus longtemps possible ! »
Bref, Madame Wilson est un peu un monument, si je reprends l’expression de l’une des ses voisines au Marché de Jean Talon. Tous les mots du monde ne décriraient pas assez précisément son petit coin de paradis. Il n’y a pas mieux qu’à se déplacer sur place.
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