dimanche, février 12, 2006

Canada: haro sur la tanshumance politique !

Tous les observateurs de la chose politique canadienne ont été pris de court en voyant David Emerson, l’ex-ministre libéral de l’Industrie, faire partie le plus naturellement du monde du cabinet conservateur formé par Stephen Harper à Ottawa. Alors qu’il vient d’être élu pour le compte du parti libéral, lors des élections du 23 janvier 2006, dans la circonscription de Vancouver-Kingsway, en Colombie britannique.

Il faut dire qu’il n’est pas le premier à changer de camp subitement et rejoindre l’autre bord. On se rappelle tous Blinda Stronach qui s’était présentée justement contre Stephen Harper et Peter Mckay pour la présidence du parti conservateur et qui a rejoint, aussi surprenant que cela puisse être, le parti libéral de Paul Martin pour occuper, elle aussi, un poste ministériel.

Un phénomène que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Aucune démocratie moderne n’est ainsi. Le seul pays où j’ai observé ce phénomène est le Maroc qui n’est pas vraiment, précisons-le, très connu pour ses mœurs démocratiques. Le jeu politique est tellement biaisé dans ce pays que ce n’est pas surprenant. Mais que ce soit le cas au Canada aussi, cela me laisse bouche bée.

Comment se fait-il qu’il y ait des phénomènes de la sorte dans une démocratie aussi aguerrie que le Canada ? Comment un député peut-il changer de parti politique du jour au lendemain ? N’y a-t-il pas là un marché de dupes, bien plus, une trahison de tous les électeurs qui ont cru en lui et qui l’ont élu sous une bannière et qui se trouve du jour au lendemain dans le camps adverse ?

C’est peu dire que cette situation jette de l’opprobre sur la démocratie et la classe politique canadiennes. C’est tellement malsain qu’il est impératif de songer à trouver immédiatement un cadre juridico-légal qui interdit ce genre de comportement pour le moins inadmissible. Car cela fausse pratiquement tout le jeu politique et fait de l’engagement un mot vide de sens.

D’ailleurs, et c’est vraiment salutaire, les sympathisants et les militants libéraux de la circonscription de Vancouver-Kingsway où M. Emerson a été élu, ont mille fois raison d’exiger sa démission et le remboursement de près de 97 000 $. Car ils pensent à juste titre qu’ils ont été trompés; beaucoup de donateurs ont voulu élire non pas un conservateur, mais un libéral.

La Nouveau parti démocrate de Jack Layton n’est pas en reste; il entend déposer incessamment un projet de loi privé pour forcer les transfuges à démissionner de leur poste de député, et exige même la tenue d'une enquête du commissaire à l'éthique.

At last but not least, un citoyen du sud-ouest de l’Ontario, excédé par ce comportement des politiciens, a lancé une pétition pour que les députés fédéraux ne puissent plus changer d’appartenance politique sans obtenir l’assentiment de leurs électeurs. Ce qui est on ne peut plus juste.

Encore faut-il que le gouvernement fédéral suive. Ce qui n’est pas vraiment sûr, car cette situation pour le moins étrange l’arrange tout à fait.
Lahsen Oulhadj

mardi, février 07, 2006

Caricatures : problème ou manipulation ?

Une bonne partie des musulmans est chauffée à blanc. La raison ? La publication par un obscur journal danois il y a cinq mois déjà, mais passées totalement inaperçues à l’époque, de quelques caricatures de piètre qualité –il faut le préciser- représentant le prophète Mohammed.

Il est vrai que quelques musulmans danois, qui se comptaient sur les bouts des doigts, s’en sont offusqués à juste titre, mais sans plus. Tout le monde ou presque a oublié cette affaire avant qu’on la déterre, non sans calculs politico-religieux, et qu’on lui donne une dimension quasiment planétaire.

En fait, c’était l’Arabie Saoudite qui, cherchant une légitimité tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, s’est lancée la première à corps perdu dans cette surenchère. Elle a mobilisé ses puissants médias, son gouvernement, son clergé et même son propre peuple.

Pour comprendre les tenants et les aboutissants de tout cela, il est intéressant d’avoir une idée de ce qui se passe réellement, en ce moment, dans le monde islamique. En plus d’une délégitimation chronique de bon nombre de régimes dans les pays le composant, nous y assistons à une course à qui mieux mieux pour son leadership. Et tous les moyens sont bons pour s’y maintenir ou pour y accéder.

Il y a encore une décennie et demie, l’Arabie Saoudite dominait du haut de sa superbe tout ce beau monde pour deux raisons : d’une part, elle est le berceau de l’Islam et abrite quasiment tous ses lieux saints ; d’autre part, elle est immensément riche grâce ses réserves en pétrole. Ce qui lui permet naturellement d’avoir les moyens d’une politique étrangère assez constante.

Sa descente aux enfers a été progressive. Elle a commencé avec la première guerre du Golfe. Sa crédibilité, sa légitimité et son rayonnement en ont pris un terrible coup. L’accueil sur son sol, considéré comme sacré par tous les musulmans, de troupes américaines " mécréantes " afin de déloger Saddam Hussein du Koweït, a été pareil à un coup de grâce. Non seulement d’un point de vue économique, car elle a été obligée de régler une grande partie de la facture plus que salée de la guerre, mais aussi et surtout en terme d’image et de prestige. Jusqu’à ce jour, elle ne s’en est pas encore réellement remise.

Arrivent alors les terribles attentats du 11 septembre qui ont été préparés et exécutés par la "multinationale" terroriste d’Al-Qaïda, composée majoritairement de Saoudiens. Pire, des hommes éminents de la famille régnante ont été soupçonnés à un moment de les avoir financés directement. Ce qui lui a causé nombre de déconvenues avec son allié de toujours, les États-Unis. Qu’elle s’en sorte indemne relève quasiment du miracle !

Et comme cela ne suffisait, voilà que le terrorisme d’Al-Qaïda qui s’invite carrément à la maison. Le pouvoir est ouvertement contesté et accusé d’apostasie à cause de ses liens on ne peut plus privilégiés avec l’Occident. Des attentats impressionnants les uns que les autres, des chasses à l’homme et des arrestations d’individus soupçonnés ou convaincus de terrorisme sont presque monnaie courante.

N’eût été la guerre en Irak, la situation aurait été pire : la majorité des candidats au " jihad " y est partie pour croiser " les bombes " avec les Américains et massacrer, au passage, les services de sécurité et les chiites irakiens dans une suite lancinante et macabre d’attenants suicides.

Si, d’un part, cette deuxième guerre du Golfe a fait que le terrorisme est quasiment résiduel en Arabie Saoudite, d’autre part, et c’est le revers de la médaille, elle l’a enfoncée, définitivement. Non seulement elle ne s’y est posée que mollement, mais elle a aussi permis aux forces aériennes américaines de survoler son territoire et bombarder l’Irak. Sans oublier d’autres facilités qu’on ne connaît pas. Mais tout le monde sait qu’elle a apporté une main discrètement forte aux Américains.

L’irruption fulgurante d’une autre puissance régionale et musulmane mais chiite, l’Iran, vient changer totalement les équilibres déjà très fragiles dans la cette région du monde ô combien sensible ! Son nouveau président Mahmoud Ahmadinijad a deux atouts majeurs : primo, il est pourvu d’une légitimité politico-religieuse incontestable, parce qu’élu contrairement en Arabie Saoudite où le pouvoir est héréditaire, ce qui est, et on a tendance à l’oublier, une transgression flagrante de l’une des recommandations essentielles de l’Islam. Secundo, il ose défier et l’Occident et Israël réunis, et tente même de se procurer sa bombe nucléaire. Aussi sa cote a-t-elle grimpé en flèche, ces derniers temps, auprès des masses musulmanes humiliées qui voient en lui presque un homme providentiel.

L’Iran et accessoirement le Pakistan ont donc éclipsé irrémédiablement l’Arabie d’où son instrumentalisation forcenée de cette affaire des caricatures pour rappeler au monde et surtout aux musulmans qu’elle est, quoiqu’on puisse dire, la garante de l’Islam et de ses valeurs. Mais tout cela ne trompe personne, sauf…
Lahsen Oulhadj

vendredi, février 03, 2006

Amazighité en Libye : « Il y a beaucoup de chemin à parcourir... »

À l'invitation du chef d'État libyen, Mouammar Kaddafi, une délégation du Congrès mondial amazigh (CMA) a pris la destination de Tripoli pour une visite qui a pris au dépourvu presque tout le monde. Énormément de choses ont été dites de ce périple, mais rien de vraiment crédible. Notre entretien avec Abdellah Fandi, militant actif au sein de Tamaynut-France et membre du bureau fédéral du Congrès mondial amazigh, arrive à point nommé. Pour, d'une part, remettre les choses au clair et, d'autre part, couper court à toutes les rumeurs et autres interprétations hâtives.

L.Oulhadj : Pourquoi le Congrès mondial amazigh (CMA) a-t-il été invité en Libye ?

A. Fandi : Nous avons été invités pour discuter principalement de tous les sujets ayant trait au tamazight et aux Amazighs en Libye. En fait, les autorités libyennes considèrent le CMA comme une organisation sérieuse et un partenaire crédible qui peut apporter une nouvelle dynamique dans la construction de l’union des États de cette région du monde.

Pouvez-vous nous raconter les circonstances de cette invitation ?

Nous avons été contactés pour la première fois par les autorités libyennes, à la fin du mois d'août, juste après notre dernier congrès à Nador. Elles nous ont par la suite invités, si surprenant que cela puisse être, pour carrément visiter la Libye. Ce qui a donné lieu, comme vous pouvez l'imaginer, à un débat très animé au sein du bureau fédéral au cours duquel la décision a été prise d'y répondre positivement. Pour tâter le pouls des officiels libyens, un premier déplacement à Tripoli, qui s'est d'ailleurs déroulé dans de bonnes conditions, a été effectué du 4 au 7 novembre 2005. Ce qui a incité notre Président, Lounès Belkacem, à faire part à M. Kaddafi, lors de leur tête-à-tête du 5 novembre 2005, de sa volonté de revenir en décembre, mais avec une délégation plus élargie. Ce à quoi Kaddafi a répondu : " Venez quand vous voulez, vous êtes chez vous ! " Ainsi s'est envolée pour la Libye, afin d'y séjourner du 17 au 26 décembre 2005, une délégation composée de membres du bureau fédéral et de responsables régionaux du CMA.

Quels sont les sujets que vous avez évoqués avec Kaddafi ?

L'entretien avec le chef d'État libyen a duré plus de trois heures au cours duquel nous avons rappelé les fondements et les fonctions du CMA, ainsi que ses principales revendications. Les membres de la délégation ont manifesté leur joie de se trouver sur le sol de cette partie du Tamazgha. Et ce, afin de poursuivre les discussions entamées le 5 novembre 2005, en vue de chercher des solutions appropriées à la situation difficile que vivent les Amazighs libyens et pourquoi ne pas accomplir, de concert, des projets tangibles visant la promotion et la réhabilitation réelles de l'identité amazighe. Les membres du CMA ont tenu à souligner que cette visite était suivie de près par tous les Amazighs du monde, et qu'ils en attendent des décisions concrètes qui mettront un terme aux multiples discriminations anti-amazighes. Pour que, enfin, l'égalité des citoyens et le respect de la diversité culturelle et linguistique en Libye ne soient plus un vœu pieux, mais une réalité palpable.

Kaddafi est-il bien informé sur la question amazighe ? Autrement dit, lit-il la littérature du mouvement amazigh ou se contente-t-il des préjugés habituels ?

Lorsque nous sommes entrés dans sa tente, nous avons remarqué, placés sur une table, plusieurs ouvrages sur le tamazight et l'histoire des Amazighs. Vraisemblablement, il a essayé de se préparer pour notre rencontre. Mais, malheureusement, seules les thèses saugrenues de son compatriote Fahmi Khachim ( un spécialiste un peu farfelu de la question amazighe, NDLR) ont chez lui force de vérité. Ce qui s'est confirmé bien des fois lors de nos échanges. Il n'a eu de cesse de répéter ses arguments et ses idées. Or, si étonnant que cela puisse être, sur les grandes lignes de nos analyses et revendications, et c'est mon impression personnelle, nous avons eu beaucoup de points de convergence. Quant aux réalisations, précisons-le, c'est une autre paire de manches. Nous savons que les choses ne peuvent être changées d'un coup de baguette magique, car le chemin est pavé de beaucoup d'embûches. Mais l'espoir est permis : nous avons convenu de nous revoir fréquemment pour faire le point et faire avancer progressivement la question amazighe. Par ailleurs, et c'est un signe de reconnaissance de notre combat, le leader libyen nous a avoué à la fin de nos entretiens qu'il voue beaucoup de respect et d'admiration pour ceux qui croient dans une cause et qui ne ménagent rien pour la défendre. Ce qui est bien évidemment le cas des Amazighs.

Y aura-t-il des projets communs entre le CMA et le gouvernement libyen ? J'ai lu quelque part qu'un colloque international sur les Amazighs aurait lieu à Tripoli, est-ce vrai ?

En effet, nous nous sommes mis d'accord avec les autorités libyennes sur l'organisation d'un colloque ou d'une conférence internationale sur l'histoire et la culture amazighes (ou globalement sur l'Afrique du Nord, socialement, économiquement et culturellement). Mais nous ne pouvons pas vous donner plus de détails pour l'instant, car nous n'avons pas eu le temps d'en discuter d'une manière approfondie avec nos partenaires libyens. Ce qui est sûr, c'est qu'une commission paritaire permanente verra le jour incessamment. Elle aura pour mission d'assurer le suivi de ce projet ainsi que d'autres à venir. Elle se réunira d'ailleurs pour la première fois dans le courant du premier trimestre de 2006.

Ne croyez-vous pas que faire crédit à un homme aussi inconstant que Kaddafi, au point d'envisager avec lui des projets bilatéraux, risque de porter atteinte à votre crédibilité?

En fait, nous nous ne berçons pas d'illusions. La réhabilitation de l'amazighité passe et passera, sans aucun doute, par le travail et l'obstination des militants amazighs. Toutefois, toutes les initiatives qui peuvent apporter plus de visibilité et davantage de légitimité à notre cause, sont les bienvenues. Dans le cas de la Libye, c'est la première fois que le CMA est invité officiellement et au plus haut niveau par l'un des États du Tamazgha. Ce qui constitue - et il faut s'en réjouir- une reconnaissance de fait non seulement pour notre Organisation, mais aussi pour la question amazighe. Les discussions que nous avons eues avec M. Kaddafi sont d'autant plus importantes que nous avons là l'occasion d'approcher la personne la plus à même d'apporter rapidement les solutions aux problèmes posés. Qui mieux est, nos déplacements en Libye nous ont permis d’y rencontrer nos frères, de discuter avec eux et de nous rendre compte, par nous-mêmes, de la réalité amazighe dans ce pays. Nous pouvons vous dire que, depuis notre dernière visite, notre vision de la Libye a complètement changé et qu’elle occupera désormais une place de premier plan dans nos préoccupations.

Dans quel contexte avez-vous rencontré les militants du mouvement amazigh libyen ?

Il faut avouer, en toute modestie, qu'avant de nous rendre en Libye, nous ne les connaissions que très peu. Sauf le plus connu parmi eux, feu El-Mahroug Sifaw, et ceux qui se sont installés à l’étranger. Nous avions, en conséquence, nombre d'interrogations concernant la réalité amazighe dans ce pays. La visite effectuée dans la région de Nefoussa, située dans le Nord-Ouest, a donc été pour nous d'une très grande richesse et d'une immense satisfaction. Énormément de gens sont venus nous voir : ils nous ont parlé avec beaucoup d'audace. Nous avons vu de nos propres yeux que l'amazighité est bien vivante dans ce pays et qu'elle est défendue par un mouvement amazigh fort, dynamique et courageux. Nous avons été très agréablement surpris de voir qu'il est pourvu d'une conscience forte et partagée par toutes les générations. Et également par la convergence de ses vues avec ceux des autres pays du Tamazgha. Même les slogans sont exactement pareils que ceux que l'on peut entendre en Algérie ou au Maroc. Ce qui nous a donné un grand espoir et des arguments importants à faire valoir lors de nos prochains entretiens avec les dirigeants libyens.

Sont-ils aussi opprimés comme l'ont rapporté bon nombre d'Organisations des droits de l'homme ?

Les discussions entre M. Kaddafi et les membres de la délégation du CMA, ont été vives et intensives. Ce qui prouve au moins son intérêt pour la question amazighe. Nous n'avons pas omis de mettre l'accent sur les revendications de notre Organisation et ses recommandations fondamentales pour une coopération saine et sérieuse, à savoir : primo, une déclaration officielle du leader libyen en faveur de la reconnaissance de l'identité amazighe ; secundo, la levée de toutes les formes d'interdits et autres obstacles qui entravent l'expression de la culture et la langue amazighes ; tertio, la création d'une instance de coordination et de suivi de projets en vue de la réhabilitation effective et définitive de l’amazighité. Comme vous pouvez le remarquer, la deuxième recommandation porte sur l'abrogation des interdits et des obstacles qui entravent l'expression de la culture et la langue amazighes. Ce qui a le mérite de montrer qu'il y a encore beaucoup de chemin à parcourir.

Ont-ils des revendications différentes ou, finalement, ce sont exactement les mêmes que celles de tous les autres Amazighs ?

Leurs revendications ne se distinguent pas vraiment de celles de leurs frères dans le reste des pays du Tamazgha. La seule distinction, c'est que les porte-parole de ce mouvement amazigh se trouvent tous ou presque à l'étranger et tout le travail se fait dans la clandestinité la plus totale. En un mot, ils demandent la revalorisation de leur identité, dans toutes ses dimensions, et le respect de tous leurs droits culturels et linguistiques.

Votre dernier mot ?

L'aspect le plus important est que nos différentes activités en Libye étaient perçues positivement et avec beaucoup d’enthousiasme par les Amazighs de ce pays. Cette ouverture sur la question amazighe de Kaddafi est une chance pour nous. Il faut savoir la saisir pour aller le plus loin possible sur la voie de la coopération. Nous avons assuré aux officiels libyens qu'à partir du moment où l'on ne nous considère plus comme une source de division -ce qui passe forcément par l'acceptation pleine et entière de notre identité et de tous nos droits-, nous sommes prêts à œuvrer pour le développement et l'unité de l'Afrique du Nord et même de l'Afrique tout entière.
Lahsen Oulhadj