dimanche, mars 25, 2007

Iggout, le roi du sens et du banjo

Beaucoup gens peuvent soutenir, indiscutablement, sans la moindre hésitation, qu’Iggout Abdelhadi est réellement un enfant terrible du Souss. L’un des plus terribles de sa génération… Comme cette région, désespérément et rageusement, amazighe -c’est-à-dire libre et fière- sait en enfanter. Épisodiquement. Régulièrement. Vous avez probablement en mémoire feu Mohamed Khaïr-Eddine. Ce baroque-ciseleur-avant-gardiste pour le moins unique. Ce guérillero gaulophile, descendu tout droit de son « maquis » inexpugnable de Tafraout, a fait, pendant des décennies, la gloire de la poésie française. Il en a même chamboulé les dogmes… dans un big-bang créateur qui en a réjoui, jusqu’au nirvana, plus d’un. Iggout est de la trempe de cet immense homme. À juste titre. Légitimement. Mais dans son domaine. La musique. Ce fils prodige-virtuose de Dcheira a fait et fait toujours- même si c’est rarement malheureusement- la joie de tous les mélomanes férus des sons sortis des tréfonds douloureux d’un peuple irréductiblement insoumis, les Amazighs.
C’est un génie de la musique, une légende vivante, une icône connue et reconnue. Il a d’ailleurs, dans une rigueur implacable, créé son propre style musical, le « tazenzart ». Les succès les plus retentissants du groupe mythique Izenzaren porteront, éternellement, sa marque et sa flamme. Ad vitam aeternam. Or, et c’est vraiment étonnant, ce multi-instrumentiste autodidacte, incroyablement doué, difficilement imitable, « impossiblement » classable, n’a jamais mis les pieds dans aucune école de musique. Et pourtant tous les instruments à corde n’ont plus aucun secret pour lui. Depuis belle lurette. Grâce à son unique et seul talent. Et à sa rage de tout maîtriser. Coûte que coûte. Tout y passe, la guitare, le violon et surtout le banjo. Cet instrument de la douleur- et de la joie aussi- par excellence. Et pour cause. Ce sont les esclaves africains qui l’ont trimbalé dans le Nouveau Monde dans leur exodus cruellement forcé. En effet, c’est quelque part un instrument amazigh, parce que historiquement africain. Reste qu’Iggout en est, sans trop se perdre dans les méandres du détail , un indiscutable maître, pour ne pas employer un qualificatif propre aux universitaires, une véritable sommité.

Ses compositions sont extrêmement bien élaborées. Je dirais même très sophistiquées. En fait, elles sont tellement complexes que peu de gens peuvent l’imiter. Sauf quelques très rares initiés. Et encore ! Lors de ses spectacles, il y a toujours là, entassée, une pile de banjos de toutes sortes. Il y en a à quatre cordes, à six cordes… En fait, chaque chanson est jouée avec un type différent de banjo. En bandoulière, majestueusement au milieu de la scène, il le manie comme pas un. Dans une frénésie à vous couper le souffle. Dans une fusion-confusion exulto-extato-jubilatoire indéfinissable. L’un et l’autre finissent presque par se confondre. Pour ne plus être qu’un. Dans une ambiance qui vous transbahute, malgré vous, hors du temps. Le nôtre. Et vous transporte dans un autre temps fondamentalement musical. Aussi anciennes que soient ses odes et autres ballades, aussitôt qu’elles effleurent nos oreilles, on dirait que c’est la première fois. Elles ne vieillissent presque jamais. Elles sont statiques, inoxydables, intemporelles. En d’autres termes, elles sont éternellement jeunes. De cette jeunesse propre aux grandes œuvres de l’humanité.
Et que dire des paroles ? Interprétées avec sa voix sublime, elles suggèrent- et ne disent pas- un nombre infini de sens ! Plus que cela, ils sont « sens ». Car elles charrient toute la geste amazighe qui remonte à la nuit des temps. Elles sont telles des flèches qui taquinent, dans un désintéressement permanent, les plus réfractaires au questionnement. Avec leur côté hermétique. Pour les éprouver, il faut carrément une démarche intellectuelle, réfléchie, philosophique même. Autrement dit, il faut ni plus ni moins qu’être versé dans l’heméneutique amazighe. Car pas n’importe quel auditeur lambda peut en percevoir les signes et les messages. Et c’est le moins qu’on puisse dire. Ce qui est finalement tout à fait normal. Il faut savoir que c’est Mohamed Hanafi, un grand versificateur mais ô combien discret, voire même timide, qui en est, le plus souvent, l’auteur. Un homme de l’ombre, artisan surdoué du verbe, tailleur génial du vers et épanneleur tatillon de la rime, qui a toujours brillé par son anonymat. Le plus total. Comme si la poésie, la bonne poésie, ne s’accommodait pas avec la célébrité et la renommée.

Que vous soyez rassuré, Iggout ne rebute absolument pas. La preuve, à chacune de ses présentations, ce sont des milliers d’irréductibles aficionados qui se déplacent. Une fois sur scène, c’est un délire général. Une communion magique s’installe entre lui et la marée humaine, qui lui tient toujours lieu de public. Une chimie permanente, comme diraient certains, s’opère entre les deux. Les débordements sont vite arrivés. Heureusement jusqu’à ce jour, aucun dégât n’est à regretter. Mais il n’est pas rare qu’un fan très déterminé arrive par je ne sais quel subterfuge à le rejoindre. Sur scène. Pour l’embrasser, chaleureusement, rageusement, comme on le ferait pour un grand maître. Et même pour prendre une photo ou lui offrir de l’argent. Chose qu’il refuse systématiquement. C’est normal, il est l’un des rares artistes, si ce n’est le seul, à avoir une haute idée de la musique, de sa musique. D’autant plus que le côté solitaire, marginal, nomade, anticonformiste, bohémien, fier, indomptable même du personnage lui donne carrément un halo de mystère. On est carrément dans ce qui a de plus profond dans l’humain : le sacré. Iggout, par sa personnalité pour le moins frondeuse, par sa musique originale, par sa poésie impénétrable, à réussi à secouer, crûment, violemment, les arcanes de l’âme amazighe et même à en saisir le sens. Un sens qui ne s’accommode jamais, comme vous êtes censé le savoir, avec la capitulation et le renoncement. Longue vie à toi l’artiste!

mercredi, mars 21, 2007

Moha Mallal: l'artiste total

Artiste total dites-vous ? Ce n’est absolument pas usurpé dans le cas de Moha Mallal. Pour preuve, il est musicien, chanteur, auteur-compositeur, poète, peintre, plasticien, caricaturiste, portraitiste... Ce n’est pas pour faire de l’esbroufe que de dire cela, ce professeur d’art plastique haut en couleur – c’est le cas de le dire- est effectivement et réellement tout cela à la fois. Il trouve même un certain plaisir à jouer avec toutes ces casquettes. Entre nous, j’avoue qu’il a bien raison. Qui peut prétendre avoir autant de dons en même temps ?

C’est en cette année bénie de 1965 qu’il voit jour à Tamlalte, un village du Dadès, une région au pied de l’Atlas ô combien fascinante ! Avec quasiment un pinceau à la main. Et je n’exagère absolument rien. Encore très jeune, sa vocation de portraitiste talentueux s’est éclose. Avec délices et orgues. Comme tous les artistes innés, il est vite passé maître dans la reproduction de tout ce qui lui passe sous les yeux. Il est presque atteint d’une boulimie de croqueur insatiable. « J’ai dessiné sur tous les supports possibles et je me suis servi de tous les pigments qui me tombent sous la main », se rappelle-t-il un tantinet nostalgique. Aux premières lueurs de l’adolescence, son art est même utilisé « à bon escient », à savoir séduire la gent féminine. Reconnaissons que c’est un argument de taille. Entre nous, qui n’aurait pas fait de même ? « Toujours est-il que toutes les jolies filles du village ont eu droit à un portrait », confesse-t-il avec une pointe de malice dans les yeux.

Parents prévenants

Quant à ses parents, ils n’ont jamais joué aux castrateurs et encore moins aux gêneurs. Ce qui est quand même extrêmement rare dans les mœurs de nos familles amazighes. En fait, ils ont toujours béni ses choix s’ils ne lui ont pas prêté main forte. Pour preuve, le premier modèle qu’il s’est amusé à peindre n’était autre que sa propre maman. « Elle s’est toujours prêtée au jeu, le plus normalement du monde », déclare Mallal très reconnaissant. Bien plus, Idir, son père, mineur de profession, voyant que son rejeton est pour le moins doué, l’encourageait autant qu’il pouvait. « Il n’hésitait pas à me ramener un tas de bandes dessinées que je recopiais avec un plaisir immense », confie Moha un léger trémolo dans la voix. Bien plus, il ne refusait jamais de lui acheter des couleurs et des feuilles de dessin. Même si la famille ne roulait pas forcément sur l’or.

D’une année à une autre, l’immense talent de Mallal se confirme. Ses efforts d’autodidacte acharné donnent leurs premiers fruits. La reconnaissance du public est enfin au rendez-vous. Ce qui s’est matérialisé par une première exposition en 1984, grâce au soutien d’Anwar Souss, une association bien connue à Agadir. Vers la même période, il a organisé, tout seul, une autre exposition portant sur toutes ses caricatures dans l’enceinte de l’université des sciences de la même ville. Suivent d’autres participations tant au Maroc qu’à l’étranger. « Mais ma meilleure expérience, raconte-t-il, est lorsque j’ai été choisi parmi tant d’autres jeunes artistes pour travailler, en 1991, avec les étudiants de l’École des beaux-arts de Grenoble à Marrakech et ensuite, pour deux fois, en France. Depuis, je n’ai jamais coupé les ponts avec les responsables de cette école, car nous sommes continuellement en contact. »

Comment définit-il son style surtout que depuis 1998, il s’est lancé dans l’aquarelle gestuelle (travailler directement au pinceau) ? « Mon style est de ne pas avoir un style bien précis. Je déteste par-dessus tout les contraintes dans l’art. Je représente tout ce qui me plaît comme je le sens. Que ce soit par l’abstraction ou la figuration ou d’autres techniques esthétiques. Mais j’ai quand même une constante : les motifs et les signes de ma culture amazighe sont toujours et systématiquement présents », explique-t-il d’une manière quasi didactique. Nonobstant son temps chargé, il n’a pas oublié ses confrères peintres. Chaque année, et ce depuis l’an 2000, il les réunit régulièrement au moins d’avril pour une exposition à la Kasbah de Taourirt à Ouarzazate. Par ailleurs, dernièrement, il s’est trouvé un autre centre d’intérêt : l’écriture sur l’art et sur les artistes de sa région. Et pour peu qu’il soit sollicité, il anime également des conférences et des ateliers de création. Avis donc aux intéressés !

Comme tout grand artiste, il rayonne autour de lui. Que dire, il irradie carrément. Sa famille en entier a succombé, avec délectation, à son influence. Toute sa fratrie en a pris, peu ou proue, de la graine. Sa sœur Fatima est devenue une grande plasticienne que s’arrachent les galeries les plus cotées au pays et à l’étranger. En effet, peu de femmes et même peu d’hommes artistes peuvent s’enorgueillir d’avoir un CV aussi complet que le sien. De fait, elle a exposé non seulement au Maroc, mais aussi un peu partout sur le globe : Espagne, Bahreïn, France, États-Unis... Son frère Lahcen est styliste en Hollande alors que Driss, son dernier frère, en plus d’être artiste et chanteur il s’intéresse beaucoup à la culture amazighe dans ses interactions avec le fond civilisationnel méditerranéen. Même Amnay, son petit bout de choux de 2 ans et demi, commence déjà à peindre. Tel père, tel fils, dirons-nous. J’ai vu quelques-unes de ces œuvres, et ce que je peux vous dire, c’est que ça promet beaucoup !

Troubadour engagé

Plus que présent dans la vie de notre artiste, le père a, une fois de plus, joué un rôle déterminant dans son orientation musicale. Comme c’était le cas avec la peinture. À l’âge de 14 ans, il lui a acheté une petite guitare de son propre chef. En papa poule, il anticipe systématiquement sur les désirs de son garçon. Reconnaissez que c’est quand même exceptionnel ! Bon nombre de nos ascendants amazighs auraient eu une toute autre attitude. Beaucoup de nos grands artistes et non des moindres ont tous presque subi les foudres de la colère paternelle. Parce qu’ils ont été pris en « flagrant délit » de grattage d’une guitare ou de pratique de tout autre instrument musical. Explication : la musique et les musiciens n’ont pas toujours, quoi qu’on puisse dire, bonne presse dans l’imaginaire populaire. C‘est loin d’être le cas de Mallal père. Et c’est le moins qu’on puisse dire.

« Mais avant d’avoir cette guitare, je grattais des nuits entières un instrument de ma fabrication personnelle au bord du fleuve de Dadès. Mes premiers enregistrements datent de 1982 déjà et les artistes qui m’ont inspiré le plus étaient Jacques Brel, Idir et Aït Menguellat... », nous révèle Moha non sans un peu de fierté. Mais ce sont les cours d’histoire qu’il prenait à l’université en 1984 qui ont fini par le convaincre de s’engager, franchement et sérieusement, dans la chanson. « Car, selon lui, ils dégageaient une vision pour le moins haineuse contre tout ce qui est amazigh au Maroc. J’ai été touché au plus profond de moi-même. Je suis devenu par conséquent un autre homme avec une toute autre conception des choses et surtout de nos gouvernants. » Désormais, il s’est fait un point d’honneur de combattre l’idéologie ambiante qui charrie beaucoup de stigmates contre son peuple et son identité amazighes. Ses seules et uniques armes sont sa guitare et ses chants. Un choix pour le moins raisonnable d’autant qu’ils ont prouvé leur efficacité sous d’autres cieux.

En plus de la cause amazighe qu’il a fait sienne, ad vitam aeternam, Mallal a un autre objectif tout aussi noble. « J’essaye au maximum de donner une dimension universelle à la musique amazighe en la modernisant autant que faire se peut. Sans pour autant dénaturer les rythmes musicaux de mon Haut Atlas natal. Et même si je suis chanteur, je l’avoue, je me sens l’âme d’un poète plus qu’autre chose », avoue-t-il. Malgré sa longue carrière de chansonnier consciencieux, il n’a pu enregistrer, Asif n Dades, son premier album qu’en 1997. En fait, il en a sorti cinq à ce jour et le sixième est en route ( Sellagh en 1999, Timelillay en 2001, Uyema atwarg en 2003 et Azmul en 2005). Quid des paroles ? C’est lui-même qui en est l’auteur. À l’en croire, il a à son actif jusqu’à présent plus de 500 poèmes. En barde plus que confirmé, il en écrit depuis 1984. Résultat : il a publié dernièrement « Anzwum » ( souci), son premier recueil où sont compilés certains de ses écrits. Quelques-uns ont même été repris par le groupe amazigho-américain, AZA, et par quelques graines de stars dont Mustapha Louardi, Saïd Mourad, Mustapha Jabraoui et son frère Driss Mallal.

Bûcheur touche-à-tout

Pour éviter tous les casse-tête d’enregistrement, de production et de distribution, il s’est démené comme un diable pour monter sa propre maison d’édition (Izli Productions). Surtout qu’il a eu tout le mal du monde à faire sortir ses trois premiers albums. Équipée d’un studio d’enregistrement moderne, il ne se l’est pas accaparé à lui tout seul. Loin s’en faut. Soucieux de donner un coup d’accélérateur à la créativité en tamazight et surtout altruiste qu’il est, beaucoup de jeunes talents de la région ont pu grâce à son soutien réaliser leurs premiers albums. Le plus simplement du monde. « Le but principal étant de créer une chanson amazighe de qualité », nous dit-il très humblement. Décidé qu’il est, il met les bouchées doubles pour bien faire, en laissant dire.

Avec autant de production musicale de qualité, Mallal ne peut qu’être demandé par tous les organisateurs de concerts. Il a effectivement pris part à plusieurs grands festivals, mais ses meilleures participations, comme il le reconnaît lui-même, ont eu lieu aux Îles Canaries, Gent en Belgique, Timitar à Agadir, l’été amazigh à Rabat... Avec l’immense talent de ce grand monsieur de la chanson amazighe, il n’y a pas de raison qu’il n’y en aura pas d’autres ! Houssaine Ouâcrhine, poète, écrivain et infatigable militant des droits l’homme, en dresse ce portrait poétisé pour le moins juste : « Mallal, l'insatiable capteur des fibres qui font résonner l'amazighité avec ses sens pour la passer dans le laboratoire de la mémoire, la dépoussiérer en lui donnant sa nerveuse vigueur et la livrer dans une poétique humaniste à la conscience universelle. Il est le génie d'un lointain que porte son regard avaleur des cieux et des cimes, brillant au-dessus de sa vallée rubanaire qui berce une humanité entière et authentique. C'est l'Aragon des hauteurs marocaines, ces plateaux où le soleil éclaire les silhouettes des tombes pour y ressusciter les âmes des héros. »

Pour finir, une question se pose quand même avec acuité : pourquoi autant de frénésie à tout faire en défiant presque le temps ? « Pour faire avancer notre cause amazighe, il faut toucher à tous les domaines possibles sans laisser en échapper aucun », précise-t-il. D’ailleurs le cinéma est dans sa ligne de mire ces derniers temps. Extrêmement entreprenant, il a rassemblé autour de lui nombre de jeunes cinéphiles pour leur donner des cours intensifs de scénario. Espérons que cela donnera des fruits le plus tôt possible ! « Mais parfois je me demande si je suis un fou ou un génie », s’interroge-t-il un peu philosophe. Qu’on le rassure toute affaire cessante, pour nous, admirateurs connus ou anonymes, il n’est plus ni moins qu’un génie. Qu’il continue à nous donner du plaisir avec sont art ! On ne demande pas mieux que cela !

dimanche, mars 18, 2007

RTM : une émission sur Izenzaren ou un hymne à Nass El Ghiwane

Enfin, la télévision marocaine a décidé de lever le boycott sur le groupe mythique Izenzaren. Après une immense carrière de plus 35 ans. Rendez-vous compte ! Mais il vaut mieux tard que jamais ! C’est l’émission " tillas " ( obscurités), pardon " tifawin " ( lumières) qui a eu l’insigne privilège de présenter pour la première ces Beatles amazighs. Je dis " tillas " à dessein bien évidemment. Car comme on s’y attendait ça a été un ratage complet, un vrai bide, une véritable connerie. Comme toujours d’ailleurs. Le reportage -si on peut cela cette chose immonde un reportage -, est une insulte à Izenzaren même et au-delà au peuple amazigh. D’ailleurs, il y en a eu plusieurs et nous allons vous parler de quelques-unes plus tard. Dans n’importe quelle école de journalisme, un tel travail de bricoleurs (et là nous sommes encore gentils) aurait certainement et automatiquement un gros " achefenj " ( zéro), comme dirait ma petite maman.

La première des insultes : dès le début du dit " reportage ", nous avons la nette impression que ce n’est plus Izenzaren dont il était question, mais plutôt Nass El Ghiwane. Oui, oui, à ce point. On parle tellement de ces derniers, en bien évidemment, que je me demande pourquoi évoquer Izenzaren. On nous sort même, et c’est vraiment le toupet, des images de je ne sais quel quartier de Casablanca. Comme si ce groupe mythique n’est plus du Souss, mais quelque part dans le Chaouia. Reste que l’idée maîtresse dans cet amas d’images sans queue ni tête est ainsi : Izenzaren ne sont qu’une pâle imitation de Nass El Ghiwane. Rien que cela ! Il s’en fallait de peu pour affirmer que sans eux il n’y aurait même plus d’êtres humains dans le Souss et, pendant qu’on y est, même sur terre. Remarquez, on n’en était vraiment pas loin. Tellement on a loué sans mesure ce groupe et sa musique. Décidément… Mais à titre personnel, et n’en déplaise à certains, comment écouter Nass El Ghiwane après avoir écouté Izenzaren ? Il n’y pas photo, ces derniers sont de loin les meilleurs. Car uniques, incroyablement doués, terriblement talentueux.

La deuxième : ce sont les deux péquenots locaux qui n’arrêtaient pas de monopoliser la parole avec leur arabe pré-islamique et leur accent d’Idaw Addi. Et ce pour raconter des énormités plus grosses qu’eux-mêmes. De parfaites têtes à claques. Franchement, en quoi Izenzaren sont des soufis ? Pendant qu’on y est, comparons Iggout avec Abdeslam Yassine et Aziz Chamkh à Moulay " je ne sais plus quoi " El Mchichi. Soyons pour une fois objectifs, en quoi Izenzaren peuvent être comparés à Nass El Ghiwan ? Ils diffèrent sur tout, ils n’ont absolument rien de commun : ni la langue, ni les paroles, ni les thèmes abordés, ni même les rythmes employés… En quoi Iggout, un multi-instrumentiste génial, un génie de la musique et une voix hors pair, peut être comparé à Larbi Batma, qui n’est qu’un simple percussionniste avec une voix qui n’a rien d’extraordinaire ? Mais c’est vraiment ahurissant de dire de telles débilités et de les soutenir. Fièrement. Avec arrogance. Sans avoir froid aux yeux. C’est ce que malheureusement nos deux bavards, et tous ceux dans leur sillage, ont fait avec une jouissance plus que visible. Quant à la présentatrice, elle était très heureuse, elle était aux anges. Totalement. Entièrement. Car elle a eu la confirmation de ces petits a priori et ces préjugés d’un autre âge : si ce n’était pas leurs maîtres arabes, les Amazighs ne seront que des sous-hommes, des sauvages et des barbares incapables de parler et à plus forte raison chanter.

La troisième : à aucun moment, il n’a été pensé faire intervenir les vrais acteurs de la saga d’Izenzaren, dépositaires de la culture musicale du Souss ( Ahwach, rways et les premiers groupes modernes dans la région : Tabghaynuzt, Imurigen, Laqdam…). Ceux qui ont été à l’origine de ce mouvement musical absolument phénoménal. Nous avons entendu beaucoup de monde, sauf eux. Parce qu’on ne leur a même pas donné l’occasion. Parce que leur point de vue n’intéresse personne. Et si par hasard on donne la parole à quelques-uns pour s’exprimer, c’est pour leur intimer l’ordre, immédiatement, de confirmer les sornettes dites et redites. Dans un flot de paroles confuses à vous causer une syncope. Mais le plus insupportable dans cette histoire, c’est la violation de l’intimité de notre grand artiste Iggout Abdlhadi. Le fait de débâcher effrontément sa voiture et montrer, crûment, honteusement, son modeste domicile est tout simplement insupportable. Parce que ça ne se fait pas. Parce qu’il y a quelque chose de particulièrement malsain et d’injurieux dans ses images. Lui a-t-on demandé son autorisation ? Au vu de ses propos, tout indique que non. En fait, le reportage, au-delà de sa médiocrité et la médiocrité de ceux qui l’ont préparé, est fait non pas pour éclairer, mais pour calomnier la légende vivante de la musique amazighe, Inzenzaren. Et on ose dire que " Tifawin " est faite pour montrer l’amazighité sous un meilleur jour ? N’importe quoi !

On ne le dira jamais assez, tout cela est notre faute. Je veux parler bien évidemment des Amazighs. À nous de prendre nos caméras et de faire nos propres documentaires, et en tamazight, sur nos grands artistes. Il ne faut pas s’attendre à ce que de parfaits étrangers amazighophobes fassent notre travail à notre place. À nous de nous prendre en charge. Sinon, on aura toujours des navets de ce genre où on se fait copieusement rabaisser, mépriser, dénigrer. Retroussons les manches, sans plus attendre … !

mardi, mars 06, 2007

Omar Idtnayn : « Le film amazigh a un avenir prometteur... »

Le cinéma amazigh, avec une production incroyablement importante, est devenu en un laps de temps plus qu’incontournable. C’est même devenu un véritable phénomène de société tellement il est l’objet d’un engouement qui ne se dément jamais. Quelques études lui ont été consacrées dans quelques universités nord américaines, mais peu a été fait par les intéressés eux-mêmes, à savoir les Amazighs. Omar Idtnayn a été le premier à se lancer en publiant dernièrement un livre à ce sujet. Dont le titre est À propos du film amazigh : écrits et opinions. Nous l’avons contacté pour répondre à quelques-unes de nos interrogations.


Peu de gens vous connaissent, est-ce que vous pouvez vous présenter ?

Je suis né dans la ville de Masst en 1977. J’ai complété mes études secondaires à Agadir. Je me suis inscrit par la suite à l’université où je ne suis resté malheureusement qu’une seule année. J’ai fait du travail associatif très tôt. Mais ce n’est qu’en 1997 à Agadir que je me suis intéressé de très près aux associations amazighes. C’est alors que je suis devenu membre d’Afrak, une association très active chez moi à Masst. À Rabat où je me suis installé, je suis devenu adhérent de la fameuse association marocaine de recherche et d’échange culturels ( AMREC).

Pourquoi avez-vous écrit un livre sur le cinéma amazigh ?

L’idée d’une publication sur le cinéma amazigh n’est pas le fruit du hasard. En fait, j’ai été toujours proche de ce milieu. Un intérêt qui remonte à mes années d’études au lycée. Plus tard, j’ai écrit nombre d’articles critiques que j’ai publiés par la suite dans la presse nationale. J’ai même été à l’origine d’un ciné-club au sein de l’association Afrak, qui se penche régulièrement sur les questions du 7e art et de l’audiovisuel d’une manière générale. Mon livre vient donc à point nommé en essayant de remplir, modestement, un vide criant concernant le travail critique sur le très jeune cinéma amazigh. Je dis jeune parce qu’il n’a en fait que 16 ans, à savoir depuis la sortie du film de « Tamghart ww urgh » en 1991, dont le réalisateur n’est autre qu’ El-Houssayn Bizgaren.

Mais qu’est-ce qui vous a motivé le plus pour aller de l’avant ?

La raisons qui m’a poussé le plus pour publier ce livre est le désintérêt total manifesté par les critiques marocains vis-à-vis de ce cinéma, qui, à ce jour, a à son actif un nombre phénoménal de titres. Et ce en un temps record. Tous les articles que j’ai déjà publiés à ce propos dans la presse ont fini par me convaincre d’aller de l’avant. Et ce pour sortir cette expérience cinématographique originale de l’exclusion et du mépris que lui vouent certains. D’ailleurs, j’ai remarqué dernièrement que beaucoup de films amazighs sont déjà introuvables sur le marché alors que la bibliothèque nationale, ce qui est quand même son rôle, n’a fait pas le moindre effort pour réaliser même une liste approximative de cette production cinématographique et à plus forte raison en garder des copies pour des objectifs de recherche.

Quels sont les sujets que vous avez évoqués dans votre livre ?

Le livre se compose de deux grandes parties. Si dans la première j’ai analysé quelques exemples de films de réalisateurs différents, dans la deuxième je me suis penché plutôt sur les thèmes abordés dans ces films : l’émigration, les tabous de la société...

D’après vous, quelles sont les raisons du succès du cinéma amazigh ?

Les succès relatifs du film amazigh peut s’expliquer pour des raisons objectives : la frustration du public amazigh à cause de l’exclusion totale dont il a été l’objet par les médias publics. Ainsi, le film amazigh a été une sorte d’exutoire et un espace qui a permis, enfin, de se voir et d’être vu. D’autant plus que la démocratisation de l’accès à la vidéo, à la fin des années 80 et le début des années 90, a été une bénédiction pour une grande partie de la population incapable de comprendre ce qui se dit dans les télévisions nationales. Il y a également des raisons subjectives qu’il ne faut pas oublier. En fait, elles sont tellement nombreuses qu’elle serait vain de toutes les citer, mais on va juste se contenter d’en évoquer une : l’homme amazigh avait, pour la première fois de son histoire, le sentiment d’être proche de ces films que ce soit au niveau de la langue, du contenu et même de l’espace.

Quels sont encore les défauts de ce cinéma ?

Il souffre toujours de nombre d’imperfections sur plusieurs niveaux : l’essentiel de la production se fait encore en vidéo, ce qui est vraiment dommage ; les décors restent toujours rustiques et les personnages sont pour le moins niais, ce qui a pour résultat de provoquer et maintenir un tas de préjugés sur l’homme amazigh ; la primauté de l’amateurisme loin de tout professionnalisme ; le traitement des mêmes sujets ennuyeux sans faire aucun effort d’aller explorer d’autres horizons ; les conditions de travail du personnel sont loin de répondre aux normes légales et professionnelles, on travaille avec la même équipe sur plusieurs productions avec des contrats pas toujours clairs ; le soucis du gain rapide au détriment des exigences artistiques, esthétiques et civilisationnelles... Toutes ces raisons ont fait que l’engouement du public risque, à terme, de diminuer si rien n’est fait.

Comment peut-on faire pour atteindre le niveau international ?

On peut y arriver si nous avons des œuvres qui répondent aux exigences de qualité professionnelle et artistique mondialement reconnues. J’en veux pour preuve, le film de « Sat taddangiwin » de Abdellah Dari, qui a raflé deux importants prix au festival de la radio et de la télévision du Caire. En tous les cas, à mon point de vue, l’avenir du cinéma amazigh est très prometteur. Surtout avec l’avènement d’une nouvelle génération de jeunes cinéastes pourvus de formations dans le domaine et ayant de nouvelles idées qu’ils s’impatientent d’appliquer.

Ne serait-il pas intéressant de créer une école de cinéma à Agadir ou Tiznit pour accompagner cet emballement pour le cinéma ?

Je pense que ce serait une très bonne idée de créer une école de cinéma dans le Souss. Car cela va permettre d’aller encore plus loin. Surtout que la région possède tous les atouts à même de permettre le développement d’une véritable industrie cinématographique : des décors merveilleux, des talents nombreux et un marché important. Je pense que la construction d’un complexe de salles de cinéma à Agadir n’est que la conséquence logique de toute cette effervescence créatrice.

Comment expliquez-vous la persistance du boycott des médias publics marocains de la productions amazighe ?

Il ne faut pas avoir peur de dire que la qualité est loin d’être une caractéristique de la production nationale et pas seulement amazighe. Je suis convaincu que seule la qualité ouvre toutes les portes. Pour preuve, le film de Hemmou Ou Namir de Fatim Boubekdi qui a été programmé par 2M. Parce qu’il a eu un succès fantastique auprès du public qu’il soit amazighophone ou pas. En fait, pas que cela, c’est aussi et surtout un film extrêmement bien fait.

La commission d’aide à la production cinématographique a accordé la bagatelle de plus de 11 millions de dirhams au film arabe alors qu’elle n’a donné qu’un petit million et des poussières à un seul et unique film amazigh, qu’en pensez-vous ?

Je ne pense pas que la dite commission a exclu le tamazight. En fait, il faut voir les choses autrement, à savoir que le darija s’est imposé. Malheureusement dans la production amazighe, nous avons encore des faiblesses qu’il faut absolument corriger. Le scénario par exemple. Et justement l’IRCAM a vu juste en organisant en partenariat avec le ministère de la communication des sessions de formation au profit des scénaristes amazighs. Je suis intimement convaincu que le film amazigh a toutes ses chances à condition bien évidemment de proposer des dossiers bien ficelés. Ça va venir certainement !

Le piratage n’est-il pas une épée de Damoclès au-dessus du cinéma amazigh ?

En effet, le film amazigh est victime du piratage à grande échelle. Dans l’absence totale de tout soutien public, sa seule ressource reste la commercialisation sous forme de DVD. D’où les menaces terribles qui pèsent sur lui. Malgré les efforts des autorités pour en finir avec ces pratiques frauduleuses, la situation est toujours la même malheureusement. À mon sens, il faut que les producteurs se mettent au 35 mm pour assurer d’autres ressources en projetant leurs films dans les salles obscures.

Que pensez-vous du marché accordé à Nabil Ayyouch par le minsitre de la communication ?

Cette affaire a provoqué une levée de bouclier de beaucoup de professionnels du cinéma à cause de l’absence de tout appel d’offre. Surtout que la somme en jeu est on ne peut plus importante. Il s’agit en fait de plus d’un milliard de centimes. Mais ce qui m’intéresse personnellement, c’est le niveau technique des films produits jusqu’à maintenant. J’ai remarqué qu’il y a eu nombre de maladresses au niveau du tifinagh dans le générique par exemple. Ajoutons à cela que la qualité n’est pas toujours au rendez-vous.

dimanche, mars 04, 2007

H. Id Belkacem : un militant modèle

Qui ne connaît pas Hassan Id Belkacem ? Tous les Amazighs qui se respectent peuvent répondre par l’affirmative. Il a été le fondateur de la plus grande organisation amazighe, Tamaynut. En 1978 déjà. A un moment où peu de ses contempteurs peuvent se dire amazigh et à plus forte raison le revendiquer. Il a été le premier à internationaliser la question amazighe. Et le premier à parler le tamazight au sein de l’ONU. Il a été également l’un des rares avocats à défendre feu Ali Azaykou lors du fameux procès de 1982. En raison de son engagement, il a subi des menaces de toutes sortes. Il a même été emprisonné. Tout cela parce qu’il croit dans la cause amazighe. Malgré des années harassantes de militantisme, Dda Hassan pour ceux qui le connaissent personnellement, est toujours là. Il en faudra beaucoup pour qu’il renonce. Alors que beaucoup de nouveaux militants, au bout de quelques mois de combat, sont devenus déjà des blasés. Oui, c’est un exemple à suivre. C’est un modèle de la trempe de tous les autres grands militants amazighs. Car lorsqu’il s’agit de défendre l’amazighité, il répond toujours présent. Avec tous les inconvénients que cela occasionne à sa petite famille. D’ailleurs, c’est ce qu’il a fait dernièrement. En allant défendre l’amazighité dans le temple du fascisme arabiste, Al Jazira. Il était là, toujours fidèle à lui-même. Il a défendu sa cause bec et ongle. Il a même parlé le tamazight qu’on n’entend même pas dans les médias marocains dont nous sommes injustement, éternellement exclus. Oui, Dda Hassan a montré aux Arabes que le peuple amazigh ne va pas plier de sitôt. Il a démontré à son contradicteur, un " docteur " diplômé ès science politique –arabe bien sûr-, que son nationalisme arabe relève du nazisme le plus mortifère. En avocat de l’humanisme, il a fait une leçon mémorable à son vis-à-vis. Nous ne pouvons que le remercier pour tous ses efforts dans la défense de l’amazighité et des valeurs démocratiques qu’elle sous-entend. Longue vie donc vie à ce grand homme que les Amazighs, ceux qui n’ont pas la mémoire courte bien évidemment, n’oublieront jamais.

vendredi, mars 02, 2007

Mohamed Dammou : le père de l'orchestre symphonique amazigh

Il ne se peut pas que vous n’ayez vu ou écouté, même une seule fois, dans les médias ou ailleurs l’orchestre symphonique amazigh. Composé d’une cinquantaine d’instrumentistes, tous des violonistes émérites, des "lotaristes " confirmés et des percussionnistes chevronnés, il en a impressionné plus d’un. Bien plus, ses prestations pour le moins originales ont été d’un brio magistral et d’une perfection accomplie. Même les indécrottables récalcitrants à toute innovation dans la musique des rways ont été séduits. C’est vous dire…

Qui a été à l’origine de cette idée pour le moins géniale ? Comme toujours lorsqu’il s’agit de créativité et d’inventivité dans l’amazighité, elle est du cru d’un seul et unique homme : Mohamed Dammou, un sémillant artiste qui n’est pas vraiment un inconnu du grand public. Et pour cause : il est leader du groupe du même nom et, qui plus est, ex-membre d’Izmaz, un groupe non moins mythique qui a marqué nombre de mélomanes de ma génération. Autant dire, un grand mordu devant l’Éternel des chants et des rythmes du Souss et un vieux routier du milieu artistique amazigh casablancais.

Rencontré par le plus grand des hasards chez un ami parisien, il a tenu à préciser, affable et avenant, que son projet n’est pas le résultat d’un simple coup de tête. Oh que non ! Ne faisant jamais les choses dans la précipitation, il a laissé l’idée mûrir avant de la concrétiser. Le plus simplement du monde. " Il ne faut jamais aller plus vite que la musique. En fait, ça m’a pris quatre ans de réflexion avant que tout aboutisse. J’ai eu tout le temps d’analyser le projet sous tous les angles ", avoue-t-il avec son charmant accent typique d’Achtouken des hauteurs.

Au-delà de l’aspect artistique, ce qui l’a motivé le plus c’est le côté humaniste et social de l’entreprise. " Il faut savoir, ajoute-t-il le geste toujours très mesuré, que nos musiciens, malgré leur immense talent, végètent indéfiniment presque tous dans la misère et l’exclusion, je me suis dit pourquoi ne pas les rassembler et faire quelque chose de positif et de bénéfique. Étant donné qu’ils sont nombreux, j’ai pensé sur-le-champ à l’idée de monter un orchestre symphonique amazigh. "

C’est un véritable défi que cet artiste à tous crins, qui a toujours fait la musique en dilettante- il est commerçant de profession -, avait la ferme intention de surmonter. Coûte que coûte. Que dire, une véritable gageur qui aurait taillé les croupières, illico presto, au plus décidé des hommes. Mais c’est peu le connaître. Il n’est pas du genre à se laisser décourager au moindre pépin. Bien au contraire, c’est quelqu’un qui croit toujours fermement dans ce qu’il entreprend. " À partir du moment où j’ai une idée de projet, il ne faut pas trop parier que je vais tourner casque, car je suis intimement et intuitivement convaincu qu’il va marcher ", avoue-t-il le regard très confiant.

" En tous les cas, j’ai toujours fonctionné ainsi dans les affaires où le risque est autrement plus important. Pourquoi ne pas faire de même dans la musique? ", s’interroge-t-il. Sans jamais avoir fait des études de marketing, il a toujours su, de son propre aveu et tout en restant modeste, anticiper comme pas un sur les besoins et les désirs de sa clientèle. Ce n’est pas pour rien qu’il est un homme d’affaire très à l’aise financièrement. Dans le cas de la musique, il applique exactement le même principe. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ça lui réussit plutôt bien.

Succès

Profitant d’un passage à la radio régionale d’Agadir, il lance un appel à tous les rways en vue de le contacter. Le bouche à oreille ayant bien évidemment fait le reste. En quelques semaines, l’orchestre est mis sur pied. Reste que cela coûte de l’argent, beaucoup d’argent. Il faut savoir que pratiquement tous les musiciens se trouvent dans le Souss. Payer leurs indemnités, assurer leur déplacement et leur séjour à Casablanca peut facilement monter à plusieurs milliers de dirhams. Autant dire que la facture est vraiment salée. " Rien que pour le voyage je suis obligé de louer tout un bus, je vous laisse donc imaginer le reste ", nous apprend-il avec son sourire qui ne le quitte presque jamais. Mais tout cela il n’en a cure, il faut aller de l’avant. Sans trop se poser de questions.

S’il n’a aucune difficulté à démarrer, un seul souci existe : il faut savoir bien gérer tout ce beau monde. Car "il y a, fait-il observer en homme orchestre versé dans la connaissance de l’âme humaine, énormément de jalousies, de dissensions, de rancunes, parfois très anciennes, entre tous ces musiciens ". Il a donc été impérieux d’instituer un code d’honneur qu’il faut impérativement et rigoureusement respecter. " Tout contrevenant est immédiatement mis au rancart sans possibilité de pardon, et je peux vous assurer que ça fonctionne très bien. À partir de là, il faut juste les habituer à quelques petits détails, mais ô combien importants ! Se mettre debout d’un seul coup pour saluer le public à titre d’exemple. Sinon, musicalement parlant, ils sont déjà on ne peut mieux parfaits, il n’y a absolument rien à leur apprendre ", explique-t-il non sans être fier de son bébé.

Une fois lancé, l’orchestre symphonique amazigh est devenu un succes story musical. Même les médias marocains, d’habitude extrêmement allergiques à tout ce qui est amazigh, s’en sont passionnés. D’ailleurs, il a été programmé plusieurs fois dans les deux chaînes publiques TVM et 2M et, une fois n’est pas coutume, à des heures de grande écoute. Quant aux festivals, c’est un véritable engouement auquel nous avons assisté. Tout le monde se l’arrachait. Jugeons-en : en un laps de temps, il s’est produit au festival des musiques sacrées de Fès, celui des rways, Timitar, Tata, Tahala… L’étranger n’est pas en reste. L’OSA a assuré plusieurs présentations un peu partout dans le monde : au Qatar, en Russie, en Chine… Pour ceux qui ne l’ont pas encore eu l’occasion de le voir, qu’ils soient rassurés, un DVD enregistré dans des conditions techniques optimales et un décor naturel féerique d’Ait Baha dans les environs d’Achtouken sera disponible incessamment sur le marché.

Une vie vouée à la musique

Dammou n’est pas né de la dernière couvée. Musicalement s’entend. Tout jeune déjà, il était un as du "naqqus ". Il assurait tellement que les femmes faisaient systématiquement appel à ses services. Il n’hésitait d’ailleurs pas à sécher les cours religieux dispensés par le fqih du village pour aller mettre du feu -c’est le cas de le dire- à leurs "spectacles de musique absolument mémorables ", selon sa propre expression. Par ailleurs, et comme tout Achtouk qui se respecte, ce serait une incongruité qu’il ne fasse pas ses classes dans de l’école on ne peut formatrice d’ajmak, cette célèbre tradition poético-chorégraphique propre à sa région d’origine.

À l’en croire, des années durant, il y a usé ses " fonds de babouches ". Comme tant d’autres grands artistes avant lui et non des moindres : El-Houssayn Janti, Said et Brahim Achtouk, Boubakr Anchad, El-Houssayn Bihtti… pour ne citer que les plus connus. D’autant plus que sa famille est très portée sur la poésie. Ses parents lui composaient carrément des poèmes qu’il a d’ailleurs interprétés par la suite dans ses albums. À la maison, il ne dérangeait aucunement en grattant à longueur de journée son "lotar " de fabrication personnelle. Ce qui est rare dans les mœurs des familles de la région connues plutôt pour leur rigorisme moral pas toujours de bon aloi.

Débarqué à l’âge de 16 ans à Rabat, il peut s’offrir les cassettes des stars amazighes de l’époque. Car, enfin, il a un peu d’argent qu’il gagne de son travail dans un commerce. " Je me rappelle à cette époque-là je regardais de longues heures les photos des artistes sur des jaquettes tellement j’étais fasciné par eux", s’épanche-t-il un peu nostalgique. Au bout de deux ans, il part à Casablanca où il va exercer la même activité. Mais le déclic ne viendra qu’à l’écoute des deux groupes phares de la scène amazighe pendant les années 70 : Izenzaren et Ousman. Le plus logiquement du monde, depuis ce jour-là, l’idée de former une troupe musicale n’a de cesse de lui trotter dans la tête. Il faut attendre juste son moment et surtout compter sur le hasard.

Dans l’intervalle, il pratiquait continuellement la musique entre amis. Pour passer le temps et se rappeler le Souss natal. Mais ce n’est que lors de la fête du trône de 1978, organisée par la Chambre du commerce de Casablanca, qu’il a eu son baptême du feu. Un peu malgré lui, car il a été carrément obligé par l’un de ses amis à monter sur scène devant au moins 800 personnes. Interprétant l’une des chansons de rrays Bihtti, et devant son succès auprès de l’assistance, l’un des membres du groupe qui l’aidait, dans un accès de jalousie certainement et faisant litière de tout respect, n’a pas hésité à lui arracher violemment le "lotar " des mains. Au grand dam du nombreux public qui a exigé ni plus ni moins qu’il continue de chanter.

Et comme une " bonne nouvelle " n’arrive jamais seule, vient alors, un peu plus tard ce jour-là, l’événement qui va changer radicalement sa vie. En fait, il a eu, enfin, rendez-vous avec son propre destin. Un groupe musical inconnu jusqu’alors, présenté comme Izenzaren probablement pour attirer le plus de monde, est monté sur scène. " Mais il était très faible, il lui fallait impérativement du soutien. C’est là que j’ai pensé proposer mes services à ses membres. Ce qui fut fait ", se rappelle Dammou un tantinet nostalgique. En fait, la troupe en question n’est autre que le fameux Izmaz dont faisait partie le très talentueux poète Ali Chouhad. Et c’est une grande aventure musicale qui commence et qui ne s’arrêtera que dix ans plus tard. Avec des succès dont on se rappellerait probablement pour toujours : wa lhênna tghmit afus, ay Agadir, titt inu tgit akw làin, ikunt is ghid illa zzin... Que de merveilleux souvenirs !
Si vous voulez voir à quoi cela ressemble, vous pouvez visionner cette video :