Tous les observateurs de la chose politique canadienne ont été pris de court en voyant David Emerson, l’ex-ministre libéral de l’Industrie, faire partie le plus naturellement du monde du cabinet conservateur formé par Stephen Harper à Ottawa. Alors qu’il vient d’être élu pour le compte du parti libéral, lors des élections du 23 janvier 2006, dans la circonscription de Vancouver-Kingsway, en Colombie britannique.
Il faut dire qu’il n’est pas le premier à changer de camp subitement et rejoindre l’autre bord. On se rappelle tous Blinda Stronach qui s’était présentée justement contre Stephen Harper et Peter Mckay pour la présidence du parti conservateur et qui a rejoint, aussi surprenant que cela puisse être, le parti libéral de Paul Martin pour occuper, elle aussi, un poste ministériel.
Un phénomène que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Aucune démocratie moderne n’est ainsi. Le seul pays où j’ai observé ce phénomène est le Maroc qui n’est pas vraiment, précisons-le, très connu pour ses mœurs démocratiques. Le jeu politique est tellement biaisé dans ce pays que ce n’est pas surprenant. Mais que ce soit le cas au Canada aussi, cela me laisse bouche bée.
Comment se fait-il qu’il y ait des phénomènes de la sorte dans une démocratie aussi aguerrie que le Canada ? Comment un député peut-il changer de parti politique du jour au lendemain ? N’y a-t-il pas là un marché de dupes, bien plus, une trahison de tous les électeurs qui ont cru en lui et qui l’ont élu sous une bannière et qui se trouve du jour au lendemain dans le camps adverse ?
C’est peu dire que cette situation jette de l’opprobre sur la démocratie et la classe politique canadiennes. C’est tellement malsain qu’il est impératif de songer à trouver immédiatement un cadre juridico-légal qui interdit ce genre de comportement pour le moins inadmissible. Car cela fausse pratiquement tout le jeu politique et fait de l’engagement un mot vide de sens.
D’ailleurs, et c’est vraiment salutaire, les sympathisants et les militants libéraux de la circonscription de Vancouver-Kingsway où M. Emerson a été élu, ont mille fois raison d’exiger sa démission et le remboursement de près de 97 000 $. Car ils pensent à juste titre qu’ils ont été trompés; beaucoup de donateurs ont voulu élire non pas un conservateur, mais un libéral.
La Nouveau parti démocrate de Jack Layton n’est pas en reste; il entend déposer incessamment un projet de loi privé pour forcer les transfuges à démissionner de leur poste de député, et exige même la tenue d'une enquête du commissaire à l'éthique.
At last but not least, un citoyen du sud-ouest de l’Ontario, excédé par ce comportement des politiciens, a lancé une pétition pour que les députés fédéraux ne puissent plus changer d’appartenance politique sans obtenir l’assentiment de leurs électeurs. Ce qui est on ne peut plus juste.
Encore faut-il que le gouvernement fédéral suive. Ce qui n’est pas vraiment sûr, car cette situation pour le moins étrange l’arrange tout à fait.
Lahsen Oulhadj