mercredi, octobre 31, 2007

Le colonel Justinard ressuscité par Rachid Agrour

Né en France, Rachid Agrour n’a jamais oublié d’où il vient. Digne fils de parents amazighs, originaires du Souss- Lakhsas pour être plus précis-, ce doctorant en histoire a consacré toutes ses études universitaires à décrypter justement le passé de ce bastion de l’amazighité, malheureusement pas très connue. C’est dans cette perspective que s’inscrit la publication de son livre sur un exceptionnel berbérisant français, le fameux colonel Justinard. Pour en savoir davantage, nous lui avons posé quelques questions… Mais le mieux, bien entendu, ce serait d’acheter le livre.


Vous venez de sortir un livre sur Justinard que peu de gens connaissent, mais qui est cet homme ?

Le colonel Justinard, plus connu par son surnom de "qebtan chelh" ( le capitaine chleuh) pour nombre de nobles vieillards originaires du Souss, est un officier français de l'époque coloniale qui a passé la plus grande partie de sa carrière au Maroc. Il est l'auteur de deux Manuels d'apprentissage de deux variantes de langue amazigh, la tachelhit (1914) et la tarifit (1926), et de nombreux ouvrages et articles ayant trait à la littérature tachelhit (orale et écrite).

C'est donc un parfait berbérisant, comment a-t-il appris le berbère ?

En fait, il a abordé le Maroc en 1911 où il était chargé de l'instruction d'un « tabor » (bataillon) de l'armée du sultan Moulay Hafid. Cette troupe était composée essentiellement d'Amazighs originaires de la région de Marrakech, donc tachelhitophones. Venant d'Algérie, Léopold Justinard était déjà arabisant, mais la troupe qu'on lui a confiée était partiellement et imparfaitement arabisante. D'où sa volonté d'apprendre la langue maternelle de ces hommes pour mieux les connaître. Le résultat était un Manuel de tachelhit, le premier du genre, où il cite nommément plusieurs de ces soldats qui lui ont appris cette langue, en grande partie en prenant appuie sur la poésie chantée (amarg) qu’ils fredonnaient les soirs de bivouac au coin du feu.

Cette découverte de la tachelhite a été un début d’une longue aventure, n’est-ce pas ?

En effet, à partir de là la passion de la tachelhit l'a saisi. Lorsque éclate la Grande Guerre il fait des pieds et des mains pour être affecté auprès des bataillons de tirailleurs marocains où il retrouve ses compagnons des anciens « tabors ». De retour au Maroc, rappelé par Lyautey, il est affecté à Tiznit pour une longue mission de renseignements au pied de l'Anti-Atlas. Après de nombreuses affectations à Marrakech et Rabat, il a eu un grave accident d'avion. Il en est sorti vivant par miracle, mais défiguré sérieusement. À partir de ce moment-là, il est nommé à l'Institut des Hautes Études Marocaines, ancêtre de l'université de Rabat, où il s'attelle à un gros travail de recherche : recueil de manuscrits rares en tachelhit et en arabe qu'il traduit et annote inlassablement. Tout son travail est centré sur le domaine tachelhit: culture, histoire, poésie…

Vous avez certainement effectué une longue recherche pour votre livre…

En effet, j'ai dû parcourir l'ensemble de la production de Justinard où j'ai retrouvé nombres d'informations importantes. Je suis allé au Service Historique de l'Armée de Terre (SHAT) à Vincennes où j'ai pu aussi consulter le dossier militaire du colonel Justinard. Enfin, dans la région de Tiznit, j'ai pu "récolter" auprès de plusieurs nobles vieillard des informations sur ce "qebtan chelh".

Est-ce que vous pouvez évoquer, succinctement bien entendu, le contenu de votre livre ?

Cet ouvrage est le résultat d'un travail de réédition. Elle est précédée d'une présentation du parcours de Justinard et de la culture tachelhit. Les œuvres réédités sont composés d'une part du dernier livre de Justinard "Tazeroualt" (1954) et de nombreux articles choisis en raison, pour l'essentiel, de leur pertinence historique .

Voici les coordonnés complète des Éditions Bouchene,
115 r Danielle Casanova
93200 SAINT DENIS (France)
Tel: 0 871 50 25 61
edbouchene@wanadoo.fr

mardi, octobre 30, 2007

Au festival de la tolérance d’Agadir, les artistes amazighs ne sont pas les bienvenus

La tolérance n’est pas qu’un joli mot, elle est aussi et surtout vitale. Depuis des temps immémoriaux, elle est la condition sine qua non du bon vivre ensemble. Autrement dit, elle est plus que fondamentale pour toute communauté humaine. Sans exception. Quelle qu’elle soit. Si c’est valable partout dans le monde, certains responsables arabo-marocains font figure d’exception. Comme toujours lorsqu’il s’agit de l’amazighité. En fait, ceux-ci, encore une fois, ont montré qu’ils font peu de cas de cette notion. Ils crachent même dessus après s’être raclé horriblement la gorge. À causer une nausée immédiate aux plus insensibles des hommes. Certains sceptiques doivent probablement se dire que je suis mal luné, qu’ils continuent la lecture ! Je parie qu’ils changeront d’avis.

Dressons le décor et parlons des faits ! TF1 a organisé un festival prétendument de la " tolérance " à Agadir, la capitale d’une région on ne peut plus amazighe, le Souss. Pour notre part, on ne peut que saluer ce genre d’initiatives, même si cette chaîne de télévision française, pour ceux qui la connaissent, n’a vraiment pas de leçons de tolérance à nous donner, nous autres Amazighs. Elle qui n’a de cesse de stigmatiser, des décennies durant, les immigrés (dont une grande partie est amazighe) et leurs enfants lors de ses messes de 20h. Passons ! Ce n’est pas vraiment cela que l’on va traiter dans ce papier. Peut-être une autre fois.

Pour autant, là où le bât blesse, c’est qu’avec ce festival à la sauce gauloise, seuls les Arabes et les Français -bien sûr- ont eu l’insigne honneur d’être invités. N’ont-il pas trouvé mieux pour se tolérer que chez nous, dans le Souss ? La terre de Dieu n’est pas aussi large. Il faut vraiment le croire. Quid des indigènes dans toutes ces manifestations de tolérances plus que douteuses ? Si étonnant que cela puisse être, personne n’a pensé à eux. Ne savent-ils pas à ce point chanter ? Les Ammouri, les Amarg Fusion, les Oudaden, les Hassan Id bassaid, les Yuba et autres Izenzaren ne comptent-ils que pour du beurre ? Ou sont-ils juste bons à faire des clowns pour amuser des touristes en mal d’exotisme… sexuel ?

Même si on se doute fort bien qu’ils iraient jusque-là. Les connaissant, ils préféreraient mourir que de brader leur honneur à vil prix. En tous les cas, certains irresponsables sadiques du Souss, ramenés de je ne sais quel bled, ne trouveraient rien à redire de les voir arriver à une telle déchéance. Pire, ils seraient même hystériquement aux anges. Car ce serait la preuve de la réussite de leur projet diabolique : la destruction de l’amazighité dans le Souss, l’un de ses bastions historiques qui tient encore nolens, volens.

Revenons à nos " gentils petits ‘’ihray’’ " ! Les partenaires locaux de TF1, 2M, le maire d’Agadir et le président de la région du Souss, connus comme vous le savez pour leur amazighopholie légendaire, n’ont pas oublié les leurs, les artistes… arabes. Bien évidemment. Il ne faut profiter de leur passage à TF1 pour faire la promotion de leur chanson arabe. Ce que d’aucuns trouveraient tout à fait logique. Le Maroc n’est-il pas un pays arabe, membre de la ligue arabe et d’un nombre infini d’organisations qui portent le même qualificatif ? Même si certains de ces mêmes artistes n’ont vendu qu’un ou deux albums pendant toute leur vie. Et encore ! Et tout cela avec les moyens de la ville d’Agadir et du Souss. C’est plus que de la tolérance tout cela, c’est carrément jeter l’argent par la fenêtre. Le pire c’est qu’en même temps le Souss est une région sinistrée. À cause de la sécheresse endémique et surtout des rapaces humanoïdes qui y sévissent. Dans l’impunité totale. Et depuis longtemps.

L’on n’a pas besoin de répéter que cette manifestation est un vrai scandale, qui n’a ému d’ailleurs que certaines associations amazighes. Le citoyen moyen, il ne faut pas trop lui demander, il n’a pas trop la tête à tout cela. Il faut déjà qu’il mange à sa faim ! En fait, c’est juste certains militants soussis qui ont décidé d’en découdre, pacifiquement, avec les responsables de ce festival. Et ils ont mille fois raison. Ils ont donc décidé d’organiser un sit-in pour protester contre l’intolérance plus que caractérisée dont sont victimes les artistes amazighs du Souss, chez eux, à Agadir. Légalistes à l’extrême, ils ont adressé une demande en bonne et due forme aux autorités locales, qui de leur côté, leur répondent par écrit, pour leur interdire, naturellement, tout rassemblement. Car on s’étonnerait vraiment du contraire.

Les raisons ? Si elles sont toutes cocasses les unes que les autres, il y en a une qui doit certainement faire rire jaune ou carrément faire pleurer les intéressés. Le lieu choisi, justifient-elles, pour organiser le sit-in est trop visité par les touristes, il ne faut donc pas les indisposer avec les doléances de quelques " sales Grabz "- on sait tous ce qu’elles pensent de nous. En réalité, et c’est à leur " honneur ", les autorités marocaines s’inquiètent beaucoup pour la quiétude des touristes, de leurs touristes, mais elles n’en ont rien à cirer de l’injustice faites aux Amazighs, chez eux, sur leur terre. En reprenant les propos de la diva kabyle Malika Domrane, on dira exactement comme elle : " Même chez nous, on n’est plus chez nous. " Je sais que c’est triste, mais cette grande dame a terriblement raison.

Et pourtant, les entrées en devises et le dynamisme économique (commerce, agriculture et pêche) de ces mêmes " Chleuhs puants " sont une source plus qu’importante pour la trésorerie – plus que le tourisme avec ses pervers sexuels et ses dégâts collatéraux- du Makhzen raciste. Il est même certain que sans eux, certains responsables de ces mêmes autorités seraient déjà morts de faim. Depuis belle lurette. En réalité, comme tout le monde le voit, les Soussis nourrissent à satiété, dans la joie et la bonne humeur pour certains, les bourreaux de leur propre identité et de leur culture. S’ils ne veulent pas se ressaisir, qu’ils continuent à baisser la tête jusqu’à leur fin. D’ailleurs très proche. Un peuple qui applaudit la " bouche grande ouverte " toutes les humiliations possibles et inimaginables qu’on lui fait subir, ne mérite guère d’exister.

Maroc : bienvenue à tous les pervers sexuels !

Dans les environs d’Agadir, un Irlandais quasiment sénile impliqué, dernièrement, dans la prostitution enfantine -abus sexuel sur deux garçons de moins de 16 ans- a écopé d’un an de prison -on ne sait pas si c’est ferme ou avec sursis- et 10 000 dh d’amende. Autant dire rien du tout. Sous d’autres cieux, ce sinistre pédophile aurait vraiment risqué gros. Il aurait été probablement coffré pour le restant de ses jours. Illico presto. Sans discuter. Car l’on ne s’amuse jamais à laisser des malades de cet acabit libres dans la nature. Le danger qu’il pose à la société, surtout aux plus faibles de ses membres, étant extrêmement important.

Mais qui s’en soucie ? En tous les cas pas le régime de Rabat et son système d’ " in-justice(s) ", qui n’est mobilisé, comme vous le savez certainement, que pour bâillonner les voix discordantes et mater impitoyablement les crève-faim désespérés. En réalité, par ces condamnations horriblement insignifiantes et scandaleusement laxistes, le Makhzen lance un appel d’air à tous les pervers sexuels du monde. " Au royaume désenchanté, nous avons une surpopulation féminine et surtout enfantine que vous pouvez violer à votre guise, sans rien risquer", tel est son message on ne peut plus… racoleur. Vous devez trouver tout cela on ne peut plus triste et insupportable, je vous le concède tout à fait. Mais que faire !

Des années durant, les officiels de Rabat ont tellement fermé l’œil s’ils n’ont pas encouragé, allègrement, le tourisme sexuel que le Maroc peut aisément se targuer d’être la Thaïlande de la Méditerranée. En fait, à y regarder de plus près, ce n’est nullement usurpé. C’est tellement vrai ! Tous ceux qui veulent assouvir leurs désirs les plus vils sont les bienvenus. Et comme cela ne suffisait pas, le régime fait même des compagnes de promotion en… Arabie. Ce qui est quand même le comble. L’on sait tous qu’une bonne partie des touristes provenant de cette région du monde, sexuellement refoulés, ne sont que des Abou Nouas –sans forcément être des poètes-, obnubilés que par une seule et unique chose : les plaisirs de la chair. D’autant plus qu’ils peuvent s’adonner, au Maroc, à leur sport favori dans l’impunité la plus totale. Au vu et au su de la plèbe complètement dépassée et totalement impuissante.

Il faut savoir que ces touristes arabes, qui ne sont sortis du Moyen Âge qu’à la faveur de la richesse de leur sous-sol, ont carrément un traitement de faveur de la part des autorités marocaines. Et c’est le cas de le dire. Ils sont on ne peut plus gâtés. Il ne faut jamais les fâcher. Ceux par exemple qui sont impliqués dans des scandales sexuels qui ont fait les manchettes de la presse ne sont jamais traduits devant la justice. On les invite juste à rentrer chez eux. Gentiment. Sans plus. Comme si de rien n’était. De mémoire de Marocain, aucun Saoudien n’a jamais été inquiété et à plus forte raison emprisonné. Aussi graves que puissent être ses déboires… sexuels ! Nos " frères d’Arabie ", comme les appellent une bonne partie de Marocains sans aucune once d’honneur, peuvent donc " niquer " - il faut dire les choses telles qu’elles sont- autant d’enfants et de femmes qu’ils veulent, personne ne va le leur reprocher et encore moins les déranger.

Plus grave encore, atteindre le chiffre de 10 millions de touristes mérite tous les sacrifices, pourrait-on dire. Même au dépens de milliers de vies d’indigènes brisées. On l’a vu avec le scandale du Belge, le tristement célèbre Philippe Serfati, qui a défrayé la chronique en son temps. Voilà la personnification de la perversité " inhumaine " dans sa forme la plus hideuse. Malgré la gravité des faits qui sont reprochés à ce malade diabolique, il n’a jamais été inquiété par le régime marocain. C’est connu celui-ci n’excelle, bizarrement, que dans la répression tous azimuts de tous ceux qui lui tiennent encore un peu tête, comme c’est le cas des pauvres étudiants amazighs, jetés et quasiment oubliés dans ses geôles glauques de Meknès et d’Imtghern.

Il faut être aveugle pour ne pas le voir : depuis belle lurette, les mafias- très liées au pouvoir- de la prostitution et du proxénétisme ont tout simplement fait main basse sur tout un pays, dont les habitants, jusqu’à hier, auraient préféré mettre fin à leurs jours que de voir leur honneur et leur dignité salies, traînées dans la frange de l’opprobre. En fait le Maroc a changé. Complètement. Totalement. Mais en pire, hélas ! Il est même devenu un exportateur inégalable de chair fraîche pour les pays du Golfe. La presse marocaine a rapporté pas plus qu’il y a quelques mois que plus de 35 mille marocaines se prostituent en... Jordanie. Impressionnant, n’est ce pas ? Et pourtant le royaume hachémite est encore plus pauvre que le Maroc.

Toujours est-il que le phénomène a pris de telles proportions que ce pays a décidé d’interdire une fois pour toute l’entrée de son territoire aux Marocaines de moins de 35 ans. Sans que la diplomatie marocaine ne s’en offusque ! Par ailleurs, et c’est vraiment intéressant à savoir, par quel subterfuge toutes ces femmes décrochaient si aisément les visas pour l’eldorado… jordanien ? Toujours selon la presse marocaine, elles reçoivent, dans la majorité des cas, des contrats pour " chanter " dans les cabarets interdits, semble-t-il, à la gent féminine locale.

C’est là, mes chers lecteurs, qu’on voit l’utilité de Studio 2M & co si jamais elle vous a échappé. Comme quoi les millions de fonds publics que ces émissions ont englouti ont quand même servi à quelque chose. Ils ont permis- et c’est le cas de le dire- l’éclosion de vocations on ne peut plus prometteuses. Pour le plus grand bonheur des " frères libidineux " du Golfe. Pauvre Maroc et pauvres Marocains !

lundi, octobre 08, 2007

Brahim Labari : « N’oublions pas que les fondateurs de l’Istiqlal étaient des salafistes… »

Brahim Labari est un sociologue amazigho-marocain installé en France. Il est l’auteur de deux livres jusqu’à présent : Recettes islamistes et appétits politiques et le Sud face aux délocalisations. Connaissant fort bien les mœurs politiques de son pays d’origine, nous l’avons sollicité pour répondre à quelques-unes de nos interrogations sur les récentes élections législatives marocaines. Voici le résultat de notre échange. À lire et à relire !

Les dernières élections législatives marocaines ont été marquées par un taux record d’abstention et un grand nombre de votes blancs, quelles en sont les raisons d’après vous ?


L’abstention est devenue au fil du temps une maladie dans les vieilles démocraties occidentales, qui ont fait, que ce soit dit en passant, du mandat représentatif le pivot de leur système. Des campagnes de sensibilisation ont été organisées pour enrayer le phénomène et réconcilier le citoyen avec la politique. Souvent, un budget conséquent est consenti à cette fin. C’est dire que la démocratie représentative a un coût !

Au cours des récentes élections législatives au Maroc, l’abstention a assurément pris la forme non pas d’une maladie identifiable, mais bel et bien d’un symptôme dénotant un désintérêt certain des Marocains pour les élections et partant pour la politique. Seuls 37% ont cru bon d’user de leur bulletin pour marquer un choix politique. Ce qui est un chiffre stupéfiant quand il s’agit d’entamer la socialisation politique des masses. Les autres semblent préférer vaquer à leurs occupations plutôt que de se poser en garants des élections, qui ne changeraient en rien la précarité de leur quotidien et l’incertitude de leur avenir. Or, qui sont ces abstentionnistes qui ont volontairement boudé les urnes, qui ont refusé de confier leur secret à l’isoloir ? Quelles subjectivités mobilisent-ils ce faisant ? Une étude sociologique approfondie serait sans doute d’un intérêt majeur. À vos plumes chers sociologues !

Dans notre monde moderne la seule légitimité qui tienne est celle des urnes, le régime marocain ne s’est-il pas déligitimé en raison justement de l’élecotrat qui lui a fait, massivement, défaut ?
N’oublions pas qu’il s’agit d’élections législatives destinées à doter le pays d’un nouveau parlement ! La question de la légitimité est difficile à réduire à une opération électorale. Certes, le mandat représentatif tire sa légitimité en premier lieu du vote, mais d’autres paramètres existent en dehors de la rationalité occidentale. Si l’on revient à la sociologie de Max Weber qui distingue trois idéal-types de légitimité (charismatique, traditionnel et légal-rationnel), on pourrait dire que le troisième caractérise avant tout la démocratie représentative, qui est née et a prospéré en Occident. Nonobstant, il n’est pas rare que l’on retrouve un magma des trois dans un certain nombre de régimes. En terre d’islam, il est bien évident que le référent islamique est la première instance de légitimation. La question de la légitimité mesurée au taux d’abstention dans un pays islamique comme le Maroc me semble dénuée de portée heuristique. Il faut mettre en perspective l’avènement de ces élections, le contexte de leur déroulement, les forces politiques en présence et la lucidité des futurs députés à tenir compte des enseignements de ce scrutin. Autrement dit, sans arriver à l’explication de la déligitimation du politique, on peut raisonnablement avancer l’hypothèse d’un signal fort adressé à ceux qui sont appelés à proposer, à voter et à veiller à la bonne application des lois !

Mais est-ce que, d’après vous, on est passé d’un électorat de quantité à un électorat de qualité, comme l’a affirmé l’ami du roi et le numéro deux du régime marocain, Fouad Ali El Himma ?

Il faut remplir précisément de sens les deux catégories énoncées. Qu’est-ce qu’un électorat de quantité et de qualité ? L’électorat n’est pas une réserve classée sur le critère de sa qualité ou de son insignifiance. Une voix est une voix, peu importe le statut ou le rang de celle ou de celui qui l’exprime. C’est le fondement même du suffrage universel et du suffrage tout court. Chaque électeur accomplit, par son vote, un acte conscient et la logique veut que plus la participation au vote est massive (de quantité ?), mieux le système politique se porte et plus l’élu se voit investi de cette noble fonction : servir et non se servir !

Il n’y a strictement aucun enjeu politique majeur pendant ces élections- le Maroc est une monarchie exécutive où le roi gouverne et règne-, pourquoi donc les organiser et dépenser les deniers publics dans un pays qui en a tellement besoin ?

À mon sens, l’enjeu principal est de sonder l’état de l’opinion en temps réel, de vérifier effectivement ce que tout le monde diagnostiquait, y compris au sein du sérail politico-médiatique, à savoir que les islamistes se tailleraient la part du lion dans le scrutin et pourraient ainsi voir l’un des leurs accéder à la primature. Cet enjeu implique la prise en charge économique du scrutin dans sa préparation, son organisation et ses retombées.

Consécutivement, il y a aussi un autre enjeu que je qualifierais d’international : montrer une image pluraliste du Maroc à l’étranger passe par l’organisation périodique des élections. D’ailleurs la présence des observateurs internationaux dépêchés sur place pour contrôler la régularité du scrutin conforte le bien-fondé de cet enjeu.

La culture électorale dispose d’un certain enracinement au Maroc, quel que soit par ailleurs le degré de l’authenticité des scrutins et la loyauté des différentes parties prenantes aux processus électoraux. Il reste qu’après la chute du mur de Berlin, la plupart des pays affichent, à défaut d’épouser formellement, les canons de la démocratie représentative et la philosophie de l’économie du marché.

Si on se fie aux résultats, le raz-de-marée islamiste n’a pas eu finalement lieu, mais par contre le vieux parti de l’Istiqlal a crée une grande surprise en devenant la première force politique du pays, comment pouvez-vous expliquer ce résultat on ne peut plus étonnant ?

Je vais encore secouer le sens commun en affirmant que la prime revient aux partis dont l’islamité est le dénominateur commun. Que ce soit l’Istiqlal ou a fortiori le PJD, le conservatisme religieux est érigé en valeur incontournable pour défendre un certain Maroc et tenter de le sortir de l’impasse.

N’oublions pas que les fondateurs de l’Istiqlal étaient des salafistes. Allal El Fassi, son véritable fondateur, s’était clairement revendiqué de l’héritage de Mohammed Abduh, Jamal Dine Al Afghani et de son contemporain Rachid Réda. Il faut aussi avoir à l’esprit que la création de ce parti remonte aux années 1940 et qu’il a survécu à une scission survenue en 1959 qui l’a vidé de ses cadres jeunes turques avec la naissance de l’UNFP. C’est dire que l’Istiqlal est un vieil parti, tantôt gouvernemental, tantôt d’opposition à doses homéopathiques, dont on peut supputer une connaissance consommée du jeu électoral et détenant de surcroît un capital inégalé en termes de responsabilités politiques.

En plaçant ce parti à la tête du scrutin, les électeurs, les rares votants, ont joué la prudence et en même temps ont offert un ticket gagnant aux coalitions gouvernementales rendues nécessaires par le fait qu’aucun parti ne peut assumer à lui seul l’alternance. C’est une constante dans les expériences électorales du Maroc indépendant. Ce thème de la prudence nous amène tout droit au sociologue américain John Waterbury qui avançait l’hypothèse, fort discutable, que « Le Marocain, qui n’est à l’aise qu’intégré à une collectivité et se sent démuni dans une action autonome, conçoit le pouvoir et l’autorité comme défensifs avant tout, servant à protéger et à conserver plus qu’à créer ou à détruire… », (Le commandeur des croyants. La monarchie marocaine et son élite, Paris, PUF, 1975.)

Par ailleurs, je peux dire que l’Istiqlal, à la faveur de sa longévité, dispose d’un socle électoral bien supérieur à celui des partis qui ne sont pas complètement aguerris au clientélisme électoral. Le PJD complète le tableau car les islamistes ont effectué assidûment pendant un certain nombre d’années un travail de terrain approfondi en direction des masses populaires. Ils ont semé leurs grains clientélistes dans les quartiers en difficulté, le contexte international et la consécration des thèmes à tonalité islamique trouvant un écho favorable auprès des diplômés désœuvrés et autres pans de la société épris d’une alternance authentique. N’étant pas associé aux expériences gouvernementales passées contrairement à l’USFP, le PJD attire les mécontents, séduit la « classe moyenne » et se pose par ailleurs en dénonciateur chevronné des retombées de la mondialisation sur le Maroc.

Le chef de l’Istiqlal, Abbas El Fassi est finalement nommé premier ministre. Beaucoup pensent que c’est une erreur en raison de ses propos anti-amazighs et de son implication directe dans le scandale "Annajat" où 30 mille jeunes marocains ont été floués ?

On sait depuis Machiavel que la moralité publique n’est pas la voie la plus empruntée pour accéder aux responsabilités. Action partisane et vertu cardinale ne font pas forcément bon ménage. Les exemples ne manquent pas de par le monde !