samedi, janvier 26, 2008

Jacques Vergès : l’avocat de tous les mystères

Si vous allez voir L’Avocat de la terreur, le dernier documentaire de Barbet Schroeder sur l’avocat Jacques Vergès, avec l’espoir de lever, enfin, le voile, tous les voiles qui cachent encore, tenacement, des pans entiers de la vie de cette personnalité très énigmatique, il y a de fortes chances que vous soyez déçu. Hormis son âge d’or algérien plus que mis en valeur, au lancement du générique final, le mystère Vergès reste encore et toujours entier. Il s’est même épaissi à certains égards. Et ce malgré tout le savoir-faire qui a fait jusqu’ici la réputation de Barbet Schroeder, réalisateur entre autres d’un portrait d’un autre personnage non moins célèbre, l’ex-dictateur ougandais le général Idi Amin Dada.

Quant à la présente œuvre de ce cinéaste atypique, elle pose en réalité plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Pour preuve, celui-ci n’a pas pu nous dire qui est réellement Vergès. Peut-être que ce n’était même pas son intention. Toujours est-il que cet avocat on ne peut plus controversé est loin d’être n’importe qui. Et c’est le moins que l’on puisse dire. Orateur redoutable bouillonnant d’intelligence, il a toujours su utiliser ou se jouer- pour ne pas dire manipuler- des médias pour servir ses causes ou ses procès du moment. Là encore, dans ce film, un imposant cigare constamment entre les doigts, il a réussi l’impossible gageure de ne jamais piper mot sur ce qu’il est réellement même s’il a été, comme à son habitude, loquace et même, par moment, très bavard.

Mais une chose est sûre, ce digne fils d’un couple vietnamo-réunionnais a eu et a toujours une aversion on ne peut plus forte contre tous les colonialismes et toutes les dominations. Sa vie entière est marquée ad vitam aeternam par ce sentiment. C’est même le fil d’Ariane qui traverse dans tous les sens sa très longue existence- il a 82 ans. Même si ces dernières années, certains de ses engagements ont fini par sérieusement ternir cette image. Qui aurait imaginé qu’il plaiderait un jour pour un collaborateur nazi de le trempe de Claus Babrie ? Absolument personne. Autant dire que les principes d’hier sont rangés au rang des accessoires. Le temps a eu sans doute raison de ses idéaux de jeunesse, pourrait-on dire. Qu’il se rassure, il n’est ni le premier ni certainement le dernier à changer ainsi de veste.

Par ailleurs, il faut bien que l’on apprenne quelque chose pendant les deux heures et quart que dure le film, n’est-ce pas ? À titre personnel, je n’ai retenu que deux points : primo, Vergès a un faible pour les prisonnières. C’est carrément un trait de sa personnalité -même si cela confine parfois au burlesque. Décidément, que des amours – parfois très platoniques- dans l’adversité ! Pendant la guerre d’Algérie c’était Djamila Bouhired, la pasionnaria de la lutte pour l’indépendance de son pays, avec laquelle il a fini- quand même- par convoler en justes noces et par la suite c’était l’ancienne compagne du fameux terroriste Carlos, Magdalena Kopp. Secundo, Vergès fricotait allègrement et sans aucun scrupule avec les génocidaires et les tenants du terrorisme et du banditisme internationaux.

Mais il n’était pas le seul dans ce cas. Le régime algérien avec lequel il est resté très lié n’était pas mieux. Si étonnant que cela puisse paraître, l’on voyait à un moment des images rares de Bouteflika sur le tarmac de l’aéroport d’Alger, fringant, étincelant, ivre de bonheur, au milieu d’une bande de dangereux terroristes qu’il a accueillis, personnellement. Ce qui en dit long sur la nature des détenteurs du pouvoir en Algérie, un pays qui n’a que trop souffert de leurs errements grotesques !

Eu égard donc à ce qui précède, est-ce que l’Avocat de la terreur vaut vraiment le détour ? Assurément. Indiscutablement. Histoire au moins de découvrir- si vous ne le connaissez pas encore- ou de revenir sur le parcours nébuleux de Vergès, plus que jamais le symbole d’une époque qui n’est déjà plus, et voir surtout un travail cinématographique d’une grande valeur esthétique et technique. Ne faut-il pas qu’il y ait au moins une raison, si petite soit-elle, qui justifie le déplacement en cette période de froid, par moment, plus que polaire ?