Lahsen Oulhadj (Montréal)
Omar Aktouf est un atypique dans le domaine de la pensée économique. Inquiet des dérapages du néolibéralisme, il n’hésite pas à le brocarder. Marqué par les vicissitudes de la fortune et élevé dans une famille de révolutionnaires, il est un révolté devant l’Eternel. Imprégné d’idéaux humanistes et pourvu d’une immense culture, ses idées sont loin d’être des improvisations.
Omar Aktouf est un atypique dans le domaine de la pensée économique. Inquiet des dérapages du néolibéralisme, il n’hésite pas à le brocarder. Marqué par les vicissitudes de la fortune et élevé dans une famille de révolutionnaires, il est un révolté devant l’Eternel. Imprégné d’idéaux humanistes et pourvu d’une immense culture, ses idées sont loin d’être des improvisations.
Pour accéder au bureau d’Omar Aktouf, le professeur de management le plus médiatisé au Québec, il faut traverser un labyrinthe de couloirs emmêlés au 5ème étage du pavillon des HEC. Je l’ai retrouvé en train de préparer une conférence qui aura lieu le soir même à McGill. Son bureau, soigneusement rangé, est un peu trop petit pour un penseur prolifique comme lui. J’imagine qu’il devrait s’y sentir un peu à l’étroit.
M. Aktouf a la cinquantaine passée. Le front est déjà dégarni. La moustache est toute blanche. Les traits sont burinés. Le teint est bronzé. C’est un peu normal, il n’arrête pas de prendre son bâton de pèlerin pour dispenser ses idées de pourfendeur invétéré du néolibéralisme. On peut facilement deviner qu’il a été dans un pays chaud ces derniers temps.
Il a pris de l’âge par rapport à ses portraits publiés dans les journaux. Il dégage une sérénité particulière qui rappelle ces sages des villages berbères d’Afrique du Nord. En effet, il est originaire de la Kabylie. Cette région berbérophone d’Algérie, très réfractaire, depuis la plus haute histoire, à tout pouvoir central. Elle s’est soulevée à plusieurs reprises que ce soit avant ou après l’indépendance.
Le bannissement
Le destin du professeur est pour le moins singulier. Il en parle sans laisser transparaître aucune émotion et aucun trémolo dans sa voix : " Je suis né en petite Kabylie non loin de la ville de Sétif, précise-t-il. Je devais avoir deux ou trois ans lorsque mon père a été soumis à une sorte d'exil par les autorités françaises vers le Maroc à cause des ses activités anticolonialistes. Nous avons vécu réfugiés au Maroc jusqu’à l’indépendance en juillet 1962 quand nous sommes rentrés en Algérie. C’est là que j’ai découvert mon pays. "
En exil au Maroc, et contrairement à la majorité des réfugiés algériens qui s’est installée dans les villes frontalières, la famille Aktouf a opté pour Safi, une ville sur la côte atlantique au sud de Casablanca. Elle y vivait d’expédients. Le père n’était qu’un simple tout petit fonctionnaire après avoir été métayer d'une ferme de la région. Ce qui n’a pas empêché le jeune Omar d’aller à l’école.
" Mon grand frère était parti au maquis, ce que je n’aurais pas hésité à faire si j’étais un peu plus âgé, dit-il. Mais j’ai pris part à ma façon à la guerre de libération. J’ai été scout algérien et à ce titre je participais à toutes les manifestations pour l’indépendance de mon pays et à la collecte des aides pour nos combattants. "
De retour au pays après l’indépendance, la famille n’est plus retournée en petite Kabylie, mais elle a choisi la capitale, Alger. "C’est là, se souvient-il, que j’ai continué mes études au lycée, ensuite à la faculté où j’ai préparé des diplômes de littérature, de philosophie et d’économie. "
La désillusion
L’époque d’après indépendance a été vécue par les populations locales comme une promesse d’un avenir meilleur après des décennies d’humiliation et de domination. Les étudiants, dont faisait partie Omar Aktouf, ne sont pas en reste. L’Université a été le théâtre d’une ébullition extraordinaire d’idées progressistes et socialistes.
Mais la déception a été on ne peut plus grande après le coup d’Etat de Houari Boumediene en 1965. " Après cet événement, j’ai compris que l’Algérie n'allait plus être comme nous la voulions, regrette-t-il. J’ai été d’ailleurs parmi les étudiants qui ont manifesté contre ce coup de force. Ce qui nous a valus d’être passablement malmenés par les services de l’ordre. "
Les militaires vont désormais monopoliser tous les postes clé du gouvernement et de l’administration. Malgré les slogans socialisants du pouvoir, l’Algérie s’installe irrémédiablement dans une dictature militaire qui n’a plus rien à voir avoir les idéaux de la jeunesse algérienne. " On ne peut pas parler de socialisme avec Boumediene, mais plutôt d’un capitalisme d’Etat et, à la fin de son règne, c’était carrément de la corruption généralisée. D’où ma décision de partir et venir m’installer au Québec . "
Entre temps, Omar Aktouf a eu à travailler en tant qu’enseignant universitaire et à exercer dans plusieurs entreprises algériennes. " J’ai été cadre pendant 15 ans, précise-t-il. J’ai travaillé successivement à la Sonatrach, le mastodonte algérien du pétrole, au ministère de l'hydraulique, à la Société nationale des eaux et à celle de Géophysique, société algéro-américaine. Mais, j’ai été très déçu du jeu à jouer pour être dans le système. Je tenais beaucoup à ma liberté de pensée et d’action. Par voie de conséquence, j’ai choisi l’enseignement et le conseil. "
L’exilé révolté
Omar Aktouf est l’un des rares intellectuels en Amérique du Nord à critiquer sans ambages le capitalisme financier à l'américaine et ses avatars. Il peut même paraître comme une curiosité dans cet océan de néolibéralisme. Il revendique haut et fort l’étiquette du penseur qui va à contre-courant et d’anticonformiste notoire. " Je suis issu d’une famille de révolutionnaires qui s’est toujours révoltée contre l’injustice, affirme-t-il. Et c’est à mon tour de me révolter, mais cette fois-ci contre le néolibéralisme et ses conséquences. "
Bien qu’il surprenne, et parfois même indispose, par ses prises de postions qui remettent en question certains dogmes économiques par une certaine élite bien pensante, il est de plus en plus compris, voire apprécié. Le parti québécois aurait bien voulu qu’il se présente en son nom lors des précédentes élections provinciales. Faute d’accord, Omar Aktouf a accepté l’offre d’un très jeune parti de gauche, l’Union des forces progressistes. " C’est la preuve que mes idées ont un écho en Amérique du Nord, se réjouit-il, même si je ne me suis pas présenté pour me faire élire. Et ça continue ! Là je suis candidat du NPD pour le fédéral. Toujours pour défendre mes idées d’équité et de justice sociales. "
M. Aktouf a écrit plusieurs livres pour dénoncer d’une manière acerbe les errements et les déboires du néolibéralisme. Le dernier en date est La stratégie de l’autruche. Il y appelle à humaniser le système économique actuel et à mettre l’homme au centre du développement. Pour ce faire, il faut impérativement "qu’il y ait, affirme-t-il, un équilibre entre le rôle de l’Etat et le rôle de l’entreprise. Laisser trop de liberté à l’entreprise, cela donne des scandales comme Enron et Parmalat. Trop d’Etat, cela donne l’Union soviétique. "
" Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie et professeur de la même discipline à l’Université de Columbia, fait remarquer M. Aktouf, dit à peu prés la même chose. Et même parfois plus surtout dans ses deux livres La Grande désillusion et Quand le capitalisme perd la tête, d’autant plus qu’il a eu de grandes responsabilités au sein de la Banque mondiale et de l’administration Clinton. Si l’Etat continue à se désengager de son rôle, ce sera la catastrophe ! "
Comme quoi Omar Aktouf, cet esprit libre qui nous vient d’Afrique du Nord, n’est pas aussi seul à être critique vis-à-vis des dérives du néolibéralisme. Qui plus est, ses idées sont parfaitement applicables. " L’Allemagne et les pays scandinaves en sont la preuve ", aime-t-il à souligner.
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