lundi, septembre 05, 2005

Les Berbères: ruée vers Internet

Lahsen Oulhadj (Montréal)


Le seul fait de taper le mot "amazigh" ou "berbère" dans n’importe quel moteur de recherche, on se trouve automatiquement avec une foule de sites qui traitent, sous tous les angles, de l’amazighité. Les plus connus, et qui sont souvent les plus anciens, sont : Kabyle.com, mondeberbere.com, tamazgha.nl, syphax.com, etc. Ils ont été lancés par des Amazighs qui ont roulé leur bosse des années durant sur le terrain du militantisme amazigh.

Entre temps, d’autres sites amazighs (berbères) qui ne manquent aucunement de sel ont vu le jour : chez.com/asafu, souss.com, leschleuhs.com, arifino.com, asays.com, etc. Ils ont en commun le fait d’être lancés par des jeunes amazighs nés ou ayant grandi en Europe - parfois même issus des mariages mixtes.

Leurs origines régionales sont essentiellement le Souss et le Rif. Seul le Moyen Atlas manque à l’appel. Ce qui peut être facilement expliqué pour des raisons éminemment historiques. Les gens de cette partie du pays n’ont pas émigré aussi massivement à l’étranger comme c’était le cas pour les Rifains et les Soussis.

L’appel de l’amazighité (berbérité)

On est en droit de se poser la question sur les raisons de ce phénomène. Alors que normalement rien ne prédisposait ces jeunes amazighs, qu’on disait complètement assimilés ou même "aliénés", à s’évertuer à confectionner des sites sur leur culture. Il faut savoir qu’ils ignoraient, presque pour la plupart, l’existence même du mouvement culturel amazigh (MCA) qu’ils ne découvrent que par la suite. Exit donc une quelconque influence de la littérature militante de ce mouvement !

Ce ne sont donc pas des militants amazighs purs et durs qu’on s’attend à voir. Ce sont des jeunes étudiants ou déjà dans la vie active dont le profil ne diffère en rien avec leurs camarades européens. Ils sont généralement informaticiens ou ingénieurs en informatique. D’où la facilité déconcertante avec laquelle ils ont monté leurs sites.

Leurs motivations à proprement parler sont tout autres. Ils ont un constaté qu’il y avait un vide. En pragmatiques qu’ils sont, il n’y sont pas allés par quatre chemins. Ils se sont mis à le combler. Leur culture, l’une des plus anciennes du bassin méditerranéen, ne mérite-t-elle pas d’être connue et reconnue ? N’est-il pas temps d’éclairer ces Européens qui ignorent tout sur les Amazighs et qui ne les voient qu’à l’aune de préjugés complètement faux ? Internet, dont l’accès se démocratise de plus en plus en Europe, et même au pays, est une aubaine extraordinaire qu’il faut exploiter au maximum.

Selon, Lahcen, le webmaster de leschleuhs.com, l’idée qui a présidé à la confection de son site est très simple. "J’ai remarqué, se rappelle-t-il, en procédant à une recherche sur le web, que l’on parle peu de nous contrairement aux Kabyles. C’est là que l’idée du site a germé dans ma tête." La motivation de Mohamed, le co-wembaster du site d’arifino.com (il le gère avec son frère, Majid) diffère légèrement, même si la quête identitaire y est pour quelque chose. "J’ai été très surpris de découvrir, se souvient-il, que le tarifit - une variante de la langue amazigh - s’écrivait en consultant les pages d’un site Internet de Rifains résidant en Hollande. Cela a été, pour moi, un déclic qui m’a poussé non seulement à penser à faire de même, mais aussi à m’interroger sur mon identité culturelle".

Il faut dire que ce n’est pas si difficile que cela de se poser des questions sur soi pour cette jeunesse qui a accompli sa scolarité dans une école où la finalité est de créer chez l’élève un esprit critique.

Conscients d’énormes possibilités qu’offre Internet et surtout de la liberté qui y règne, nos jeunes amazighs n’ont pas laissé traîné les choses. D’ailleurs, comme l’explique si bien Mohamed d’arifino.com, "Internet est le seul média accessible aux Amazighs. La télévision est condamnée et les journaux sont surveillés par les autorités d’Afrique du Nord".

Diplôme d’informatique en poche, Lahcen n’a pas hésité à mettre les mains à la pâte en concrétisant son idée d’un site amazigh, leschleuhs.com, le premier du genre. Mohamed-Ali Jallouli a suivi par la suite avec son excellent site, sousss.com, l’un des plus engagés dans la défense de l’amazighité. Il faut dire que ce n’était pas les compétences informatiques qui leur manquaient.

En revanche, pour Mohamed et Majid d’arifino.com, qui ne sont pas vraiment informaticiens, il y a un apprentissage à faire. Il était impérieux, dans un premier temps, de maîtriser Internet et ses langages avant de se lancer dans la conception d’un site. Ce qui fut dit, fut fait. Arifino.com a vu le jour quelques mois plus tard.

La découverte de soi

Une fois que les sites sont lancés, le succès a été immédiat. Des centaines, si ce n’est des milliers, de " surfeurs " affluent sur ses sites. Pour souss.com à tire d’exemple, c’est plus de mille visiteurs par jour et des milliers d’inscrits. Dans ces sites, tous les sujets sont évoqués, mais la palme revient naturellement à l’amazighité. C’est un thème qui est de loin le plus important. Mais il faut reconnaître que ce n’était pas toujours évident. Surtout au début. Des mois et des mois de débats, très houleux, et qui tournent souvent au pugilat, ont été nécessaires pour ouvrir les yeux à beaucoup de jeunes sur la nécessité de la défense de la culture amazighe.

D’ailleurs, des mises au point sont souvent nécessaires. Dans arifino.com à titre d’exemple, l’antagonisme entre Islam et amazighité maintenu par certains Internautes, par ignorance ou à dessein, revient tellement que le webmaster, pour mettre les pendules à l’heure, a rédigé un texte au vitriol à l’adresse de ceux qu’il a appelé les imams amateurs.

Ceci dit, le message amazigh passe de plus en plus. Beaucoup de jeunes découvrent, surpris et parfois carrément déçus, une autre facette de leur pays qui ne rime pas forcément avec le soleil, les belles plages, les paysages paradisiaques…. Un pays où tout ce qui est amazigh est synonyme d’interdit. L’absence de l’amazighité dans les média, l’interdiction des prénoms, l’arabisation des toponymes, les agressions inqualifiables des étudiants amazighs un peu partout au Maroc, l’exclusion des régions amazighs sont autant de preuves qui ont fini par convaincre les plus rétifs. Les Amazighs vivent décidément une situation plus qu’anormale.

La sensibilisation fonctionne donc à plein régime. On voit des jeunes amazighs, le plus souvent ne parlant que l’amazigh et la langue de leur pays d’accueil, user, le plus naturellement du monde, de tous ces mots anciens remis au goût du jour. Les azul, les tanmmirt, les asurf, etc, ne sont plus un secret pour personne. Des pseudonymes typiquement amazighs voient le jour : les Yuba, les Yugurten, les Masnissa, les Tihya, les Tilila…
Bien plus, on commence à revisiter le patrimoine culturel amazigh. Les proverbes, les contes, les légendes, les poèmes, les mots tombés en désuétude, l’Histoire et les anciens chanteurs sont des sujets les plus abordés. Tout y passe.Aussi paradoxal que cela puisse paraître, des chanteurs-poètes morts depuis des décennies deviennent, comme par magie, des stars adulées. Hammou Outtalb, Omar Wahrouch, Said Achtouk, Mohamed Albensir, Bouakr Anchad, et tant d’autres, sont désormais des noms familiers pour nos Internautes.

Quant aux visiteurs non-amazighophones, ils sont de deux catégories : des non-Amazighs qui espèrent découvrir la culture et des Amazighs déracinés qui se cherchent. Cet appel bouleversant, diffusé sur leschleuhs.com d’une jeune fille amazigh ne parlant plus sa langue, est très révélateur d’une ardente recherche identitaire. "Au Maroc, je me sens complètement perdue. Tout ce qui se dit en tachelhite - une variante de la langue amazigh - m’est incompréhensible. Et c’est vraiment frustrant! Je viens donc sur ce site pour connaître davantage la langue et la culture de mes parents", espère-t-elle.

Sus aux tabous !

Malgré leur ancrage régional, ses sites n’en célèbrent pas moins l’oeucuménisme amazigh. Les frontières politiques et géographiques deviennent tellement abstraites qu’elles s’annihilent d’elles-mêmes. Point de différence entre un Kabyle et un Rifain ou encore moins entre un Soussi et un Chawi. On se surprend même à découvrir que des Amazighs canariens ou libyens ou même égyptiens existent encore, et même militent pour leurs droits imprescriptibles.

Cependant, la particularité principale de ces sites, c’est leur réputation de casser tous les tabous. L’esprit libre transparaît dès la lecture des titres des sujets. Explication. C’est peut-être ce côté rebelle et anticonformiste qui a toujours caractérisé les Amazighs. Toujours est-il que tous les sujets sont abordés sans aucune autocensure. Des thèmes qui ne dépassent généralement pas le cadre du Maroc et rarement l’Afrique du Nord. Ce qui est loin d’être le cas des sites arabo-marocains dont les forums débordent plutôt de sujets sur le Moyen Orient. On peut même affirmer qu’il n’y a que cela.

Bien plus, les jeunes amazighs n’y vont pas de main morte. Souss.com a organisé un sondage, tenez-vous bien, sur la possibilité d’un Etat fédéral au Maroc. Résultat. Plus 63% de visiteurs du site ont voté pour l’autonomie de la région du Souss. Arifino.com en a réalisé à peu près le même. Le résultat est presque identique.

En revanche, Leschleuhs.com a fait un sondage sur l’Institut royal de culture amazigh (IRCAM). Le résultat ne doit certainement pas faire plaisir à nos chers académiciens amazighs. Il s’est avéré que cette prestigieuse institution, qui rassemble la crème de notre intellgentsia, n ’est pas connue par plus de 46% des sondés et 23% pensent que c’est un gadget constitutionnel. Il faut peut-être que les Ircamistes pensent à changer leur communication, si jamais ils en ont une. Car jusqu’à présent, ils ont été on ne peut plus discrets.

On peut toujours gloser indéfiniment sur la crédibilité de ces sondages, mais ils ont le mérite, quoiqu’on dise, de révéler la pensée d’une frange de la jeunesse amazigh de la diaspora. A mon point de vue, on aura tort de ne pas l’écouter si on ne veut pas la perdre à jamais. Car pour elle, l’amazighité, qui est malheureusement encore niée par l’Etat, reste un lien très fort et vivace qui la lie au pays.

Davantage de visibilité à la promotion de l’amazighité serait la bienvenue. Ce qui ne peut se faire sans un accès massif aux média. La création d’une chaîne de télévision exclusivement amazighe à titre d’exemple. Sans oublier la satisfaction des revendications amazighes dont la principale est la consitutionnalisation de la langue amazighe.
Il n’y a pas que des sondages dans ses sites. Des débats houleux ont eu lieu sur la Constitution marocaine, sur l’appellation du Maghreb arabe- d’ailleurs plus de 82% des visiteurs de souss.com, encore lui, la considèrent comme raciste -, sur la politique linguistique, la négation de l’amazighité, le cinéma amazigh, etc.

Rien n’échappe, pourrait-on dire, à la trappe de cette jeunesse amazighe qui ne demande qu’à s’exprimer et à agir concrètement et positivement pour le pays et sa culture amazighe. D’ailleurs, les membres de souss.com et de leschleuhs.com ont crée une association, Asays, pour la défense et la promotion de la culture amazigh. Et l’une des premières actions de cette nouvelle structure associative a été la collecte de fournitures scolaires pour les écoliers démunis du Souss. Tout cela est prometteur !

1 commentaire:

Am'stan a dit...

Pas mal comme analyse. Je n'ai pas pensé à plein de ces aspects, Ayyuz nek a Mass Oulhadj!