dimanche, mai 25, 2008

Mbark Ayssar est de retour

Mbark Ayssar est un immense artiste. Que dire, une icône de la chanson amazighe. Après une longue et terrible maladie, il revient pour notre plus grand plaisir. La journaliste Khadija Bouâcrhine a eu l’intelligence et l’amabilité d’aller le voir et s’entretenir avec lui. Qu’elle en soit infiniment remerciée. Voilà le résultat de leur échange, traduit en français par mes soins. À lire et à relire.


Vous vous rappelez encore vos débuts dans le monde de la musique ?

Bien évidemment. Malgré mes problèmes de santé chroniques, je me souviens encore de tout et en détail. Je n’avais même pas encore 12 ans lorsque j’ai découvert tout l’amour que j’avais pour la musique. Et parallèlement à mon apprentissage assidu du Coran dans la mosquée, je m’évertuais à apprendre à jouer le « ribab ». D’ailleurs, parmi mes premiers maîtres dans ce domaine que je n’oublierais jamais, Mohamed Outassourt. En fait, j’ai été un brillant élève. J’ai appris extrêmement vite.

Est-ce que vous avez encore votre premier ribab?

Oui. Je l’ai toujours, car il est exceptionnel. Il ne me rappelle que de bons souvenirs. Je l’ai acheté à l’époque à un prix dérisoire. Mais maintenant, il coûte extrêmement cher. Car il est très bien fabriqué. D’ailleurs, de pour de trop l’user, j’en ai acheté un autre.

Vous étiez paralysé pendant plus de deux ans, pouvez-vous nous dire comment avez-vous vécu votre incapacité à jouer vote instrument fétiche ?

Extrêmement durement. Ma maladie m’a beaucoup ébranlé, psychologiquement parlant. Il va sans dire que jouer le ribab est pour moi est une activité plus que vitale. C’est comme de la nourriture. En fait, j’étais comme un exilé. Car, j’avais trop l’habitude de manier quotidiennement mon instrument. D’ailleurs, pendant ma maladie, j’aurais aimé que mes collègues artistes viennent me rendre visite, pour alléger un peu mes souffrances, mais une bonne partie d’entre eux m’ont tout simplement oublié. Le seul qui était régulier dans ses visites est mon grand ami Mohamed El-Khatabi, le président de la section régionale du syndicat des musiciens à Agadir. Avec le temps, grâce à ma volonté et à ma patience, je m’en remettais de plus en plus. ET malgré ma grande faiblesse physique, j’ai commencé à tenir mon ribab, et même à en jouer.

Que faut-il pour jouer au ribab ?

Le ribab est un instrument essentiel et central chez les rways. Pas tout le monde peut en jouer. Car pour le faire, il faut beaucoup d’efforts. D’autant plus que physiquement, il faut impérativement être en grande forme. En fait, le secret du ribab se trouve dans les doigts du musicien. Il faut savoir que, à chaque fois, que j’en joue une force incroyable sort de mes doigts. En plus, convenons-en, si ce n’était pas ce même ribab, je ne pense que vous serez venu me voir.

Quels sont les autres instruments des rways ?

Le naqqus, le lotar, le tam-tam. Les nouveaux rways utilisent même le derbouka .

Vous avez travaillé avec beaucoup de chanteuses, quel gendre de rapports entretenez-vous avec elles ?

Tout d’abord, je tiens à dire que je suis l’un des rares rways à encourager la femme soussie à embrasser la musique. D’ailleurs, bon nombre d’entre elles ont fait leur classe dans mon groupe. Si quelques-unes ont préféré se retirer purement et simplement, d’autres ont passé outre toutes les interdictions et ont fondé leurs propres formations musicales.

Avez-vous déjà chanté en duo (tanddamt) avec une chanteuse ?

Bien sûr. D’ailleurs, mon expérience avec Fatima Tamouzount, qui a mis fin à sa carrière musicale, est de loin la meilleure.

Qu’en est-il de votre père, est-il lui aussi porté sur la musique ?

Mon père était un simple agriculteur. Mais il ne s’est jamais opposé avec à mes choix professionnels. Bien au contraire, il m’a toujours souhaité tout le succès du monde.

Combien de chansons avez-vous écrit et interprété?

Énormément. Mais je serais incapable de vous dire le chiffre. En tous les cas, pour moi, un professionnel est quelqu’un qui sait très bien jouer le ribab et qui traite un certain nombre de sujets dans ses chansons.

Quelles sont les caractéristiques de la danse des rways ?

La danse amazighe du Souss se base sur le mouvement saccadé des épaules et des pieds. Si le premier est « tighirt », le second est « abrdakka ». Le bon danseur, à mon point de vue, est celui qui arrive à combiner parfaitement bien les deux. Pour la fin du spectacle, il faut danser « tamssust ». C’est une forme de conclusion. Mais il vaut mieux être en forme, car c’est une danse qui exige une très grande rapidité.

Parlez-nous de votre première chanson…

Elle s’intitule : ifulki gh ass ad, iàdl, immim w awal. En fait, tout au long de ma vie d’artiste, j’ai enregistré plus de 100 cassettes.

Comment travaillez-vous vos chansons ?

Comme vous le savez, je suis malheureusement non-voyant. J’enregistre systématiquement les paroles sur une petite radio-cassette. Par la suite, je les réécoute, plusieurs fois, avant de leur trouver le rythme le plus adéquat avec mon ribab.

Avez-vous du nouveau ?

En effet. Je prépare actuellement un nouvel album. J’espère qu’il va beaucoup plaire au public.

Les rways ont un habit spécifique, pouvez-vous nous en parler ?

Les hommes enfilent le « tajllabit » traditionnel, un turban blanc ou jaune, « acherqaui » et même, parfois, une calotte aux couleurs vives. Quant aux pieds, ils leur mettent les babouches, « idukan ». Sans oublier le fameux poignard, « lkummiyt », qu’ils pendent de leur cou grâce à une épaisse cordelière appelée « tuggas ».

Pour quelle raison ne travaillez-vous plus avec les chanteuses ?

Parce qu’elles demandent des cachets importants. En tous les cas, pour l’instant, je préfère travailler avec les hommes.

Combien demandez-vous pour animer les fêtes et les mariages ?

Avant c’était 10.000 dh. Mais maintenant je ne demande plus que 5000 dh. Comme vous pouvez le remarquer, la rétribution des chanteurs est devenue, hélas, insignifiante. En raison de la concurrence. Il faut savoir que tout le monde veut chanter…

Insinuez-vous que de la chanson amazighe a beaucoup perdu de son prestige d’antan ?

Incontestablement. La chanson actuelle a beaucoup perdu par rapport à celle des grands maîtres. J’espère de tout cœur que toutes les bonnes volontés vont remédier, le plus tôt possible, à cette situation indigne.

Quels sont les rways qui vous ont influencé ?

J’ai fait connaissance en 1967 avec plusieurs grands artistes. Je vais en citer Houssaïn Boulhaoua ou Belkacem, Ahmed Amentag, Abdellah Oudid et Brahim Achtouk. En fait, j’ai énormément appris auprès d’eux à une époque où j’étais encore à la recherche de ma propre voie. Ensuite, je me suis installé à Marrakech où j’ai eu l’occasion de rencontrer d’autres grands chanteurs amazighs : feu Omar Ouahrouch et Brahim Outassourt entre autres. Nous avons travaillé ensemble pendant des années jusqu’à ce je décide de former mon propre groupe. Et dont la composition est ainsi : Moulay Hmad Ihihi, Bizmaouen, Ahmed Bounnit, Houssaïn Boulhaoua et Tayeb Ouchâib.

Des connaisseurs comparent vos chansons à celles des grands maîtres, qu’est-ce que vous en pensez ?

En effet. Beaucoup de gens m’ont dit que mes chansons leur rappellent étrangement celles de Boubakr Anchad. Et pourtant, je n’ai jamais connu et encore moins rencontré cet homme. À part, ces chansons qui, il faut vraiment le reconnaître, sont terriblement magnifiques.

Pour quelle raison l'influence d'ahwach sur votre musique est négligeable pour ne pas dire inexistante ?

Les rythmes que j’utilise me sont inspirés par l’héritage musical de ma région d’origine, Ihahan. Pour tout vous dire, j’ai tout fait pour ne pas être influencé par ahwach, de quelque manière que ce fût. Ainsi, toutes mes compositions sont on ne peut plus personnelles. D’ailleurs, tout au long de ma carrière, je me suis fait un point d’honneur de ne jamais reprendre les chansons des grands maîtres comme Lhaj Belâid et Boubak Azâri.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Merci beaucoup à Dda Lahsen pour cette traduction qui nous permet d'appréhender le parcours d'un des derniers grands chanteurs traditionnel de l'amarg n tmazirt-ngh...