mercredi, septembre 13, 2006

Maroc : on méprise les Amazighs et on ne s’en cache même plus

On sait tous que le journal le Matin est le porte-voix du régime marocain à telle enseigne que l’on l’appelle ironiquement le Matin du Makhzen. Si inaccoutumé que cela puisse être, c’est sur ses colonnes qu’est publié un article d’une rare objectivité et sans concession aucune sur l’enseignement de la langue amazighe. Au début, je n’en croyais pas mes yeux tellement que cela semblait inimaginable que ce soit le Matin, passé maître dans l’infantilisation de son lectorat, qui ose publier un tel papier. En fait, ce n’est pas que l’on ait à cœur la réussite de l’intégration de l’amazigh à l’école. Oh que non ! Le message presque direct que l’on veut transmettre est ainsi : on a fait de l’enseignement du tamazight un vrai bide et on le crie sur tous les toits.

Rédigé par une certaine Dounia Z. Mseffer, celle-ci nous égrène presque en détail toutes les entraves mises, volontairement et délibérément, - il faut dire ce qu’il y a- pour faire de l’enseignement de la langue de Hemmou Outtalb et autre Haj Belaid une véritable mascarade, qui ne doit certainement pas faire rire les Amazighs et leurs intellectuels. Mais de qui se moque-t-on ? Les officiels marocains doivent certainement penser que nous, les Amazighs, sommes tellement bêtes et cons que nous allons gober leurs manigances cousues de fil blanc. A mon sens, qu’on se le dise franchement, il n’y a pas d’autre explication et je défie quiconque de m’apporter une autre que celle-là.

La liste des obstructions est un véritable chapelet de duperies : les enseignants n’ont qu’une petite formation de 15 jours, ce qui n’est aucunement suffisant ; les manuels scolaires ne sont nullement disponibles à cause d’un " oubli " - je n’ai pas pu m’empêcher de rire- du ministère de " l’Éducation nationale ", ce qui n’arrive, vous en conviendrez, que lorsqu’il est question de l’amazighité ; l’inexistence d’un emploi du temps pour l’enseignement de l’amazigh ; la promesse fumeuse et sans lendemain du même ministère de la distribution gratuite des livres scolaires.

Et ça continue, malheureusement : certains directeurs d’école, et cela n’arrive qu’au Maroc, refusent simplement et naturellement- là je ne suis pas empêché d’avoir carrément un fou rire-, comme de capricieux dictateurs tyranniques, de permettre l’enseignement de l’amazigh, et même si c’est le cas ils en réduisent drastiquement les heures qui lui sont consacrées ; et si par le plus grand des hasards, l’enseignement est dispensé en 1ère année, en 2e année ils le suppriment sans aucune explication, et parfois c’est le contraire ; le refus du gouvernement marocain d’intégrer l’amazigh à l’université bien que l’hébreu y soit on ne peut plus présent, ce qui ne peut être expliqué que par la haine héréditaire, viscérale et constante de l’autochtone amazigh et de sa culture.

Enfin, et c’est vraiment le comble des combles, et là on a atteint carrément les summums de la bêtise, imaginez qu’on a fait appel aux Arabes, qui représentent dans certaines régions parfois 40% des professeurs, pour enseigner une langue qui est quasiment du chinois pour eux … Il faut le faire et au Maroc, on le fait, le plus naturellement du monde. Et comme le dit si bien le fameux dicton arabe et dans le texte, " ida kunta fi biladi almaghribi, fala tastaghrib " ( lorsque tu es au Maroc, il ne faut pas trop t’étonner ).

C’est ce qui a fait dire au Professeur Meryam Demnati, membre de l’Institut royal de culture amazighe ( IRCAM), que tout le monde ( les cadres, les délégués et même le plus petit des fonctionnaires) dans le ministère de " l’Éducation nationale " ( on se demande vraiment qu’est-ce qu’il a de national) s’est allié pour mettre en échec toute possibilité d’un enseignement réellement acceptable et véritablement viable de l’amazigh. Les recommandations du dahir du roi, qui ont normalement force de loi, s’en trouvent frappées de nullité– et c’est une première dans l’histoire contemporaine du Maroc. Est-ce que le roi est au courant ? Certainement. L’IRCAM l’a probablement informé, mais jusqu’à présent rien n’est fait pour remettre les choses à l’endroit. Et rien ne nous dit que quelque chose va être fait. On laisse donc faire, jusqu’à quand ? Seul Dieu connaît la réponse.

Pour notre part, l’on ne va pas expliquer cette situation par un quelconque complot- en tous les cas les complots ne font pas partie de notre culture-, qui est par nature secret, mais là nous avons une stratégie implacable d’échec, visible au monde entier, appliquée avez zèle et beaucoup d’ardeur par le régime marocain et ses sbires. On méprise allègrement les Amazighs chez eux, sur leur terre, et on l’étale, avec beaucoup d’esbroufe, sur ses propres journaux. Et comme disait nos anciens qui doivent certainement se retourner dans leur tombes, " wanna ur yummern, isu ilil s tghnjawt " ( celui qui n’est pas content, qu’il aille boire la mer entière avec une petite cuiller).

On va donc subir cette énième humiliation, en silence, comme on l’a toujours fait, en attendant des jours meilleurs. Pendant ce temps là, le régime marocain n’a des yeux que pour ses frères, sa langue et sa culture arabes. Parce qu’il est fondamentalement arabe, si ce n’est carrément arabiste. Pour les Amazighs, qu’ils aillent se faire cuire un œuf ailleurs, comme dirait l’écrivain Fouad Laroui. Mais une chose est sûre, et même si je suis convaincu que je prêche presque dans le désert, en s’entêtant à rabaisser tout un peuple pacifique, accueillant, on ne fait qu’insulter l’avenir. Qui vivra verra !

Saida Akil: femme faite virtuosité

Même si Saïda Akil, Titrit de son nom d’artiste, a vu le jour à Toulal dans la région de Meknès, sa famille est originaire d’Igourramen dans les environs d’Imtgheren ( Errachidia), au Sud-Est du Maroc. Une région connue par la fierté et le courage de ses habitants. Elle a en effet donné plusieurs grandes personnalités, qui ont apporté et qui apportent toujours, énormément, à la culture amazighe, dans tous les domaines de création. Saïda Akil, vu son immense talent musical, peut aisément prétendre avoir une place de choix dans le Panthéon de ces hommes et femmes, intraitables lorsqu’il s’agit de leur culture et de leur identité amazighes.

En fait, sa recontre avec le chant et la poésie remonte à loin, plus exactement à sa tendre enfance. Encore toute petite, sa défunte maman la berçait avec les " izlan ", ses légers poèmes amazighs que l’on transmet de génération en génération, depuis la nuit des temps. Elle en a d’ailleurs mémorisé plusieurs qu’elle peut fredonner, encore aujourd’hui, à tout moment, avec sa voix terriblement sensible et suavement chaleureuse.

Si sa mère a été pour quelque chose dans sa vocation musicale, encore fallait-il entretenir la " flamme " et même, pourquoi pas, la développer, la faire évoluer. Ce que Saïda Akil n’avait de cesse de faire, contre vents et marées. Le chant, sans vouloir exagérer, est quasiment consubstantiel à sa vie, il fait partie de son essence, même si quelques membres de sa famille et la société, d’une manière générale, ne le voyaient pas de cet œil. Ce qui a exigé de sa part un combat de tous les instants, pour pouvoir réaliser son rêve le plus intime : chanter. D’autant qu’elle le fait bien, très bien même.

En effet, enfant et adolescente, elle avait une capacité déconcertante à imiter les plus grandes voix de la chanson mondiale, doublée d’une oreille musicale hors pair. Elle allait donc écumer toutes les fêtes scolaires auxquelles elle prenait part, avec beaucoup d’enthousiasme. C’était là qu’elle avait pris goût aux plaisirs de la scène, vu que tout le monde appréciait, toujours, à chaque fois, sans exception, ses prestations. Et tous ses professeurs n’avaient qu’un mot d’ordre à la bouche : " Il faut continuer ! "

Inscrite en anglais à l’université de Meknès, Saïda Akil s’essayait à la composition dans la langue de Shakespear. Toujours encouragée par ses camarades de classe et ses professeurs, elle n’hésitait jamais à pousser la chansonnette devant leur emballement quasi collectif. Chemin faisant, elle a pu participer, pour la première fois, en 1987, à " Nadi al-bayda " , une émission de la Radio Télévision marocaine (RTM), animée par Nasima El Horr. Elle y a interprété, avec brio, une partie du répertoire de Dolly Parton et quelques chansons de sa propre composition. En anglais, s’il vous plaît. D’ailleurs, elle a produit dans cette langue pas moins de 54 chansons.

Son destin est donc tout tracé sauf que le discours revendicatif amazigh, qui s’imposait de plus en plus dans les années 80, est venu s’emmêler. Il n’allait aucunement laisser Saïda Akil insensible. Le tournant dans sa carrière, qui n’attendait que le moment propice, allait avoir lieu. Ainsi, elle a renoué définitivement avec son identité amazighe et a fait un point d’honneur de ne chanter désormais, uniquement et exclusivement, que dans sa langue maternelle, le tamazight. C’est ce qu’elle a fait et ce qu’elle continue de faire – et de quelle manière. Car grâce à son style très original, elle a apporté une touche féminine moderne, légérement occidental, à une chanson amazighe qui en a grandement besoin.

Son aventure avec la chanson amazighe a démarré sous une bonne lune. Elle a participé avec l’un des plus talentueux guitaristes du Rif, Khalid Izri, au concours de l’émission " Musica ", organisé en 1990 par Jacqueline Aliolie au lycée Descartes à Rabat. C’était à partir de là qu’elle allait former avec lui un duo des plus originaux, car très rare dans les moeurs musicales des Nord Africains. Même si elle n’avait rien emporté ce jour-là, reste que l’impression du jury a été largement positive.

Quelque temps après, lors d’une compétition musicale organisée par la RTM, elle a remporté, en solo, son premier prix, en jouant elle-même de la guitare alors qu’elle ne l’avait jamais réellement apprise. Ce qui a surpris tous ceux qui la connaissaient. Ce n’était que par la suite qu’elle avait déployé beaucoup d’efforts pour parfaire ses connaissances de cet instrument en s’inscrivant au Centre culturel français.

En 1991, la consécration est enfin arrivée. D ’une part, elle a produit son premier album, " maymmi ? ", qui a eu un succès phénoménal auprès des mélomanes amazighe, d’autre part, son duo avec Khalid Izri a eu son premier fruit en emportant haut la main, le très prestigieux prix " Média ", décerné chaque année par Radio France Internationale (RFI). Un prix qui lui a été remis à Cotonou au Bénin où elle a animé deux galas avec les plus grandes stars de la chanson africaine, Angélique Kidjo et Mano Bango pour ne citer que ceux-là.

Elle a été invitée, ensuite, toujours par RFI, à effectuer un stage dans le cadre de la chanson francophone au Salon de Provence à Avignon. Dans les ateliers qui y étaient offerts, elle y a perfectionné ses connaissances musicales et chorégraphiques. Une expérience qu’elle qualifie elle-même de très positive. Elle a fait également plusieurs tournées nationales et internationales (Maroc, France, Hollande…). Elle continue à animer, avec plaisir, les activités culturelles amazighes auxquelles elle est conviée.

Pour des raisons personnelles, elle a été obligée de mettre sa carrière en veilleuse, mais, dernièrement, elle est revenue et avec du nouveau. En femme courage et de caractère aussi – ce n’est jamais évident une femme musicienne et amazighe surtout dans un pays comme le Maroc -, elle a pu sortir un opus de très bonne facture, comme on s’attendait. Son titre est " uccigh am ul inu ". Si jamais vous avez l’occasion de l’écouter, vous mesurerez tout le talent de cette grande dame de la chanson amazighe.

vendredi, août 11, 2006

Yabiladi.com : l’amazighophobie ordinaire

Yabiladi.com est un site d’expatriés arabo-marocains, et pour cause. Ses responsables et l’essentiel de ses membres sont des Arabes- c’est du moins ce qu’ils affirment- avec une présence de quelques Amazighs en perte de repères.

En revanche, tous ceux qui sont soupçonnés d’avoir la moindre conscience amazighe, et qui ont des choses consistantes à raconter, sont immédiatement " bannis ". Ce qui fait que les débats sur son forum sont uniquement à sens unique. Celui que vous pouvez facilement deviner.
Malgré l’allergie légendaire des responsables du site à tout ce qui a trait à l’ amazighité, on y laisse discuter de temps en temps des sujets la concernant, pour " mieux " la descendre. C’est le cas du projet du gouvernement pour la création - il est quand même temps diriez-vous- d’une chaîne exclusivement amazighe.

Si les premières interventions des yabiladiens étaient toutes sous le mode taquin -ce qui n’est pas vraiment mal- comme ce pince-sans-rire amazigh qui explique qu’étant donné que " nous sommes chleuhs, on va monter une émission de télé-achat et la chaîne sera rentabilisée en un rien de temps". Un clin d’œil aux habiletés connues et reconnues des Amazighs dans le domaine commercial.

Un autre intervenant amazigh originaire du Rif n’a pas mâché ses mots contre le gouvernement marocain. Jugez-en : " Cette chaîne n’est que du pipeau, comment alors expliquer le refus catégorique du HACA- organisme régulateur des médias- d'accorder des licences à des chaînes amazighes privées ? En plus, à ce qu’il paraît cette future chaîne fera partie de la Société nationale de radio télévison ( SNRT) c’est-à-dire qu’il va être une chaîne de propagande, inintéressante… " Toujours aussi réfractaires les petits-enfants de feu Dda Mohand Akhttab!

Or, lorsque certains ténors du site commencent à entrer en scène et à donner de la voix, le ton change complètement. Il devient enragé, virulent, pour ne pas dire obscène. Même s’il n’a aucun rapport avec le sujet, le président du Congrès mondial amazigh, Belkacem Lounès, a été égratigné sans ménagement en jouant, quitte à être vulgaire, sur tous les amalgames possibles et imaginables. Son crime : il a fait son travail de premier responsable d’une organisation qui défend les Amazighs. Il a osé écrire à l’ONU pour dénoncer l’incarcération injuste, inique de quelques manifestants- qui ne demandent pas pourtant la lune- à Aït Baâmrane dans le Souss.
Chemin faisant, on revient difficilement au sujet pour féliciter chaleureusement le gouvernement marocain pour son projet de chaîne amazighe non pas pour son utilité, mais pour d’autres raisons complètement insoupçonnées. Le droit des Amazighs d’être informés dans leur langue et faire la promotion de leur culture, les yabiliadiens n’en ont que faire. C’est le dernier de leurs soucis !

" Cette chaîne coupera court aux agitations berbéristes. Maintenant c’est à eux de changer leur point de vue et de prendre une position lucide et réaliste ", nous annonce un certain Bikhir, qui est comme une autorité morale sur le site tellement qu’il est craint et ses avis sont respectés. Gare à celui qui les remet en question. Il aura droit à toutes les accusations possibles et imaginables.
" Il faut reconnaître que le Makhzen se montre de plus en plus généreux avec nos amis berbères et que les berbéristes demanderont encore plus et plus ", surenchérit un autre habitué du forum. Mais il passe sous silence l’exclusion institutionnalisée, constitutionnalisée, légalisée, toujours encouragée de ces mêmes Amazighs et la destruction criminelle – je pèse bien mes mots- de leur culture et de leur identité pendant plus de 60 ans !

Ce à quoi toujours le même Bihkir, qui se revendique paradoxalement berbère, ( des spécimens comme celui-là on en a des millions au Maroc) très en verve et visiblement très remonté contre les tenants du discours revendicatif amazigh, répond en décrivant ces derniers comme une « engeance » d’individus adeptes du nihilisme- rien que cela- qui se mettent eux-mêmes dans le néant

" Lorsque toutes leurs revendications seront satisfaites, prédit-il, ils demanderont la restauration du Tamazgha, la grande utopie de l'Atlantique à l’Égypte, avant de jeter les Arabes à la mer… Bref, comme les islamistes, il va falloir faire avec jusqu'à ce que leur ridicule s’épuise ".

Un autre membre abonde dans le même sens. À son tour il salue l’État du Maroc –qui doit certainement être touché par toutes ses marques d’amour et d’affection- qui, avec son initiative, souligne-t-il, " va couper l’herbe sous les pieds des intégristes berbéristes sales et médiocres ".

Voilà la messe est dite ! La légendaire " fraternité " entre Amazighs et Arabes devient là un vain mot ! Que dire, elle vole en éclat, si jamais elle avait existé. Tout cela sans que les modérateurs interviennent. Ce qui veut dire ce que cela veut dire. Ne dit-on pas dans un vieux proverbe on ne peut plus arabe que le silence est la signe du consentement !

Telle est l’ambiance générale sur Yabiladi.com – qui a semble-t-il des connexions makhzeniennes- sauf quelques voix, discordantes, minoritaires certes, mais, ô combien, sages et surtout salutaires ! Même s’il semble prêcher dans le désert, un jeune intervenant rappelle à ses amis que les " berbéristes " qu’ils n’arrêtent pas d’insulter ne sont pas " des extraterrestres, mais des Marocains comme tout le monde ". Mais à qui le dire !

Espérons quand même que des gens comme lui seront de plus en plus nombreux, car franchement la haine de certains contre les Amazighs est sans limite ! Il a suffit que l’État du Maroc parle d’un simple projet – rien ne nous garantit qu’il ne fera pas volte-face comme on en a l’habitude- de télévision amazighe pour que certains donnent la pleine mesure à " l’amour on ne peut plus sincère " qu’ils portent à leurs hôtes amazighs qui, à une époque pas forcément lointaine, les ont bien accueillis les bras ouverts, comme des frères, chez eux, sur leur terre.

L’ingratitude est décidément la marque de fabrique de certains !