mercredi, septembre 13, 2006

Saida Akil: femme faite virtuosité

Même si Saïda Akil, Titrit de son nom d’artiste, a vu le jour à Toulal dans la région de Meknès, sa famille est originaire d’Igourramen dans les environs d’Imtgheren ( Errachidia), au Sud-Est du Maroc. Une région connue par la fierté et le courage de ses habitants. Elle a en effet donné plusieurs grandes personnalités, qui ont apporté et qui apportent toujours, énormément, à la culture amazighe, dans tous les domaines de création. Saïda Akil, vu son immense talent musical, peut aisément prétendre avoir une place de choix dans le Panthéon de ces hommes et femmes, intraitables lorsqu’il s’agit de leur culture et de leur identité amazighes.

En fait, sa recontre avec le chant et la poésie remonte à loin, plus exactement à sa tendre enfance. Encore toute petite, sa défunte maman la berçait avec les " izlan ", ses légers poèmes amazighs que l’on transmet de génération en génération, depuis la nuit des temps. Elle en a d’ailleurs mémorisé plusieurs qu’elle peut fredonner, encore aujourd’hui, à tout moment, avec sa voix terriblement sensible et suavement chaleureuse.

Si sa mère a été pour quelque chose dans sa vocation musicale, encore fallait-il entretenir la " flamme " et même, pourquoi pas, la développer, la faire évoluer. Ce que Saïda Akil n’avait de cesse de faire, contre vents et marées. Le chant, sans vouloir exagérer, est quasiment consubstantiel à sa vie, il fait partie de son essence, même si quelques membres de sa famille et la société, d’une manière générale, ne le voyaient pas de cet œil. Ce qui a exigé de sa part un combat de tous les instants, pour pouvoir réaliser son rêve le plus intime : chanter. D’autant qu’elle le fait bien, très bien même.

En effet, enfant et adolescente, elle avait une capacité déconcertante à imiter les plus grandes voix de la chanson mondiale, doublée d’une oreille musicale hors pair. Elle allait donc écumer toutes les fêtes scolaires auxquelles elle prenait part, avec beaucoup d’enthousiasme. C’était là qu’elle avait pris goût aux plaisirs de la scène, vu que tout le monde appréciait, toujours, à chaque fois, sans exception, ses prestations. Et tous ses professeurs n’avaient qu’un mot d’ordre à la bouche : " Il faut continuer ! "

Inscrite en anglais à l’université de Meknès, Saïda Akil s’essayait à la composition dans la langue de Shakespear. Toujours encouragée par ses camarades de classe et ses professeurs, elle n’hésitait jamais à pousser la chansonnette devant leur emballement quasi collectif. Chemin faisant, elle a pu participer, pour la première fois, en 1987, à " Nadi al-bayda " , une émission de la Radio Télévision marocaine (RTM), animée par Nasima El Horr. Elle y a interprété, avec brio, une partie du répertoire de Dolly Parton et quelques chansons de sa propre composition. En anglais, s’il vous plaît. D’ailleurs, elle a produit dans cette langue pas moins de 54 chansons.

Son destin est donc tout tracé sauf que le discours revendicatif amazigh, qui s’imposait de plus en plus dans les années 80, est venu s’emmêler. Il n’allait aucunement laisser Saïda Akil insensible. Le tournant dans sa carrière, qui n’attendait que le moment propice, allait avoir lieu. Ainsi, elle a renoué définitivement avec son identité amazighe et a fait un point d’honneur de ne chanter désormais, uniquement et exclusivement, que dans sa langue maternelle, le tamazight. C’est ce qu’elle a fait et ce qu’elle continue de faire – et de quelle manière. Car grâce à son style très original, elle a apporté une touche féminine moderne, légérement occidental, à une chanson amazighe qui en a grandement besoin.

Son aventure avec la chanson amazighe a démarré sous une bonne lune. Elle a participé avec l’un des plus talentueux guitaristes du Rif, Khalid Izri, au concours de l’émission " Musica ", organisé en 1990 par Jacqueline Aliolie au lycée Descartes à Rabat. C’était à partir de là qu’elle allait former avec lui un duo des plus originaux, car très rare dans les moeurs musicales des Nord Africains. Même si elle n’avait rien emporté ce jour-là, reste que l’impression du jury a été largement positive.

Quelque temps après, lors d’une compétition musicale organisée par la RTM, elle a remporté, en solo, son premier prix, en jouant elle-même de la guitare alors qu’elle ne l’avait jamais réellement apprise. Ce qui a surpris tous ceux qui la connaissaient. Ce n’était que par la suite qu’elle avait déployé beaucoup d’efforts pour parfaire ses connaissances de cet instrument en s’inscrivant au Centre culturel français.

En 1991, la consécration est enfin arrivée. D ’une part, elle a produit son premier album, " maymmi ? ", qui a eu un succès phénoménal auprès des mélomanes amazighe, d’autre part, son duo avec Khalid Izri a eu son premier fruit en emportant haut la main, le très prestigieux prix " Média ", décerné chaque année par Radio France Internationale (RFI). Un prix qui lui a été remis à Cotonou au Bénin où elle a animé deux galas avec les plus grandes stars de la chanson africaine, Angélique Kidjo et Mano Bango pour ne citer que ceux-là.

Elle a été invitée, ensuite, toujours par RFI, à effectuer un stage dans le cadre de la chanson francophone au Salon de Provence à Avignon. Dans les ateliers qui y étaient offerts, elle y a perfectionné ses connaissances musicales et chorégraphiques. Une expérience qu’elle qualifie elle-même de très positive. Elle a fait également plusieurs tournées nationales et internationales (Maroc, France, Hollande…). Elle continue à animer, avec plaisir, les activités culturelles amazighes auxquelles elle est conviée.

Pour des raisons personnelles, elle a été obligée de mettre sa carrière en veilleuse, mais, dernièrement, elle est revenue et avec du nouveau. En femme courage et de caractère aussi – ce n’est jamais évident une femme musicienne et amazighe surtout dans un pays comme le Maroc -, elle a pu sortir un opus de très bonne facture, comme on s’attendait. Son titre est " uccigh am ul inu ". Si jamais vous avez l’occasion de l’écouter, vous mesurerez tout le talent de cette grande dame de la chanson amazighe.

vendredi, août 11, 2006

Yabiladi.com : l’amazighophobie ordinaire

Yabiladi.com est un site d’expatriés arabo-marocains, et pour cause. Ses responsables et l’essentiel de ses membres sont des Arabes- c’est du moins ce qu’ils affirment- avec une présence de quelques Amazighs en perte de repères.

En revanche, tous ceux qui sont soupçonnés d’avoir la moindre conscience amazighe, et qui ont des choses consistantes à raconter, sont immédiatement " bannis ". Ce qui fait que les débats sur son forum sont uniquement à sens unique. Celui que vous pouvez facilement deviner.
Malgré l’allergie légendaire des responsables du site à tout ce qui a trait à l’ amazighité, on y laisse discuter de temps en temps des sujets la concernant, pour " mieux " la descendre. C’est le cas du projet du gouvernement pour la création - il est quand même temps diriez-vous- d’une chaîne exclusivement amazighe.

Si les premières interventions des yabiladiens étaient toutes sous le mode taquin -ce qui n’est pas vraiment mal- comme ce pince-sans-rire amazigh qui explique qu’étant donné que " nous sommes chleuhs, on va monter une émission de télé-achat et la chaîne sera rentabilisée en un rien de temps". Un clin d’œil aux habiletés connues et reconnues des Amazighs dans le domaine commercial.

Un autre intervenant amazigh originaire du Rif n’a pas mâché ses mots contre le gouvernement marocain. Jugez-en : " Cette chaîne n’est que du pipeau, comment alors expliquer le refus catégorique du HACA- organisme régulateur des médias- d'accorder des licences à des chaînes amazighes privées ? En plus, à ce qu’il paraît cette future chaîne fera partie de la Société nationale de radio télévison ( SNRT) c’est-à-dire qu’il va être une chaîne de propagande, inintéressante… " Toujours aussi réfractaires les petits-enfants de feu Dda Mohand Akhttab!

Or, lorsque certains ténors du site commencent à entrer en scène et à donner de la voix, le ton change complètement. Il devient enragé, virulent, pour ne pas dire obscène. Même s’il n’a aucun rapport avec le sujet, le président du Congrès mondial amazigh, Belkacem Lounès, a été égratigné sans ménagement en jouant, quitte à être vulgaire, sur tous les amalgames possibles et imaginables. Son crime : il a fait son travail de premier responsable d’une organisation qui défend les Amazighs. Il a osé écrire à l’ONU pour dénoncer l’incarcération injuste, inique de quelques manifestants- qui ne demandent pas pourtant la lune- à Aït Baâmrane dans le Souss.
Chemin faisant, on revient difficilement au sujet pour féliciter chaleureusement le gouvernement marocain pour son projet de chaîne amazighe non pas pour son utilité, mais pour d’autres raisons complètement insoupçonnées. Le droit des Amazighs d’être informés dans leur langue et faire la promotion de leur culture, les yabiliadiens n’en ont que faire. C’est le dernier de leurs soucis !

" Cette chaîne coupera court aux agitations berbéristes. Maintenant c’est à eux de changer leur point de vue et de prendre une position lucide et réaliste ", nous annonce un certain Bikhir, qui est comme une autorité morale sur le site tellement qu’il est craint et ses avis sont respectés. Gare à celui qui les remet en question. Il aura droit à toutes les accusations possibles et imaginables.
" Il faut reconnaître que le Makhzen se montre de plus en plus généreux avec nos amis berbères et que les berbéristes demanderont encore plus et plus ", surenchérit un autre habitué du forum. Mais il passe sous silence l’exclusion institutionnalisée, constitutionnalisée, légalisée, toujours encouragée de ces mêmes Amazighs et la destruction criminelle – je pèse bien mes mots- de leur culture et de leur identité pendant plus de 60 ans !

Ce à quoi toujours le même Bihkir, qui se revendique paradoxalement berbère, ( des spécimens comme celui-là on en a des millions au Maroc) très en verve et visiblement très remonté contre les tenants du discours revendicatif amazigh, répond en décrivant ces derniers comme une « engeance » d’individus adeptes du nihilisme- rien que cela- qui se mettent eux-mêmes dans le néant

" Lorsque toutes leurs revendications seront satisfaites, prédit-il, ils demanderont la restauration du Tamazgha, la grande utopie de l'Atlantique à l’Égypte, avant de jeter les Arabes à la mer… Bref, comme les islamistes, il va falloir faire avec jusqu'à ce que leur ridicule s’épuise ".

Un autre membre abonde dans le même sens. À son tour il salue l’État du Maroc –qui doit certainement être touché par toutes ses marques d’amour et d’affection- qui, avec son initiative, souligne-t-il, " va couper l’herbe sous les pieds des intégristes berbéristes sales et médiocres ".

Voilà la messe est dite ! La légendaire " fraternité " entre Amazighs et Arabes devient là un vain mot ! Que dire, elle vole en éclat, si jamais elle avait existé. Tout cela sans que les modérateurs interviennent. Ce qui veut dire ce que cela veut dire. Ne dit-on pas dans un vieux proverbe on ne peut plus arabe que le silence est la signe du consentement !

Telle est l’ambiance générale sur Yabiladi.com – qui a semble-t-il des connexions makhzeniennes- sauf quelques voix, discordantes, minoritaires certes, mais, ô combien, sages et surtout salutaires ! Même s’il semble prêcher dans le désert, un jeune intervenant rappelle à ses amis que les " berbéristes " qu’ils n’arrêtent pas d’insulter ne sont pas " des extraterrestres, mais des Marocains comme tout le monde ". Mais à qui le dire !

Espérons quand même que des gens comme lui seront de plus en plus nombreux, car franchement la haine de certains contre les Amazighs est sans limite ! Il a suffit que l’État du Maroc parle d’un simple projet – rien ne nous garantit qu’il ne fera pas volte-face comme on en a l’habitude- de télévision amazighe pour que certains donnent la pleine mesure à " l’amour on ne peut plus sincère " qu’ils portent à leurs hôtes amazighs qui, à une époque pas forcément lointaine, les ont bien accueillis les bras ouverts, comme des frères, chez eux, sur leur terre.

L’ingratitude est décidément la marque de fabrique de certains !

Proche-Orient : guerre d’images et images de guerre

" La guerre du Vietnam était une guerre très médiatisée, les images de télévision y ont même joué un rôle essentiel dans la défaite américaine ", expliquait dans l’un de ses entretiens le sociologue français et grand spécialiste de la communication, Dominique Wolton. C’est vous dire leur importance déterminante, prépondérante, majeure dans toute confrontation armée.

Le même scénario à la vietnamienne n’est-il pas en train de se répéter dans cet énième conflit arabo-israélien, qui a lieu cette fois-ci au Liban ? Indubitablement. On peut même affirmer qu’Israël est d’ores et déjà battu à plate couture sur cet autre front non moins décisif, l’image. Non point qu’il n’en mesure pas toute l’importance, il en est plus que conscient.

D’ailleurs, au tout début de ses bombardements, la première des choses que l’État hébreux a faites, c’est de pilonner le siège de la chaîne du Hezbollah, Al-Manar, si bien que tous ses relais ont été complètement détruits. Les Israéliens ont même réussi à la pirater, pendant quelques minutes, lors de l’un de ses multiples journaux télévisés.

Malgré tout cela, et si étonnant que cela puisse être, Al-Manar continue toujours de narguer Israël, et inonde par le fait même ses téléspectateurs de son flot d’image de massacres et de destruction perpétrée au Liban. Impossible de déterminer son emplacement. Il faut bien dire que son importance pour le Hezbollah est vital. C’est par son biais que ce mouvement existe, communique et combat en même temps.

À supposer même qu’Al-Manar- cette station est déjà interdite dans plusieurs parties du monde- est dans l’impossibilité d’émettre, cela n’aurait changé en rien au cours des choses. Car la multitude de chaînes d’information en continu des pays voisins diffusent, en direct, à qui mieux mieux les dégâts de la guerre.

On connaît bien évidement la fameuse Al-Jazira, mais il y en a d’autres moins connues, mais terriblement efficaces. Al-Alam, la chaîne arabophone du régime iranien, Al-Arabiya, qui émet des Émirats arabes Unis mais qui est financé par les Saoudiens, Abu Dhabi... Sans oublier les dizaines et les dizaines de chaînes généralistes libanaises et arabes – qui se sont muées exceptionnellement en chaînes d’information -, qui présentent en continu, elles aussi, sans aucune censure, la folie meurtrière, la désolation et le carnage provoqués par la guerre.

À longueur de journée, le téléspectateur arabe et musulman y est abreuvé, presque jusqu’au dégoût, d’images d’enfants déchiquetés, de corps en lambeaux, de femmes éplorées, d’immeubles éventrés, de routes méconnaissables... En fait, que des visions pour le moins apocalyptiques.

Ce qui, comme vous pouvez bien l’imaginer, a comme conséquence logique la montée en flèche de l’hostilité des peuples et même de certains gouvernements de la région envers l’État hébreux. L’onde de choc est partie loin, très loin, jusqu’en Indonésie à titre d’exemple. Plusieurs dizaines de jihadises zélés se sont dits prêts à aller combattre aux côtés des forces du Hezbollah. C’est plus que sûr, le terrorisme aura de très beaux jours devant lui !

Quid des citoyens israéliens ? Sont-il informés des énormes dégâts commis en leur nom ? Ils sont certes surinformés de la pluie de katiouchas du Hezbollah et le déplacement de leurs compatriotes qui s’est ensuivi vers le sud du pays. En revanche, à la guerre comme à la guerre, le gouvernement d’Ehud Olmert a imposé un véritable black out sur ce qui se passe au Liban. C’est du moins ce qu’affirme un éditorialiste de " Haaretz ", Gideon Levy.

" La dévastation que nous semons aujourd’hui au Liban, dit-il désabusé, ne touche personne ici et, pour l’essentiel, n’est même pas montrée aux Israéliens. Ceux qui veulent savoir à quoi ressemble Tyr ces jours-ci doivent se tourner vers les chaînes étrangères : la BBC nous rapporte des images effrayantes, des images que nous ne voyons pas ici. Comment pouvons-nous ne pas être choqués par la souffrance que nous infligeons aux autres même quand, chez nous, le nord soufre aussi ? "

Espérons quand même que la voix de la sagesse va l’emporter dans ce Proche-Orient, qui n’arrête pas de ressusciter ses vieux démons, et que les belligérants vont arrêter, enfin, l'effusion de sang. Encore faut-il être deux : " soi-même et le voisin d’en face. " Ce qui n’est pas toujours évident vu les haines ataviques que se vouent les uns aux autres. C’est tout simplement désespérant !