vendredi, septembre 09, 2005

d’Al-Jazira, miroir rebelle et ambigu du monde arabe

Lahsen Oulhadj (Montréal)

Al-Jazira, miroir rebelle et ambigu du monde arabe est un livre qui se lit d’une seule traite. Il est publié dernièrement en France, par la politologue Olfa Lamloum aux éditions de la Découverte.

D’entrée jeu, Olfa Lamloum explique la manière avec laquelle le logo d’Al-Jazira a conquis pratiquement tous le foyers des Occidentaux au lendemain des attentats du 11 septembre en diffusant l’un des multiples messages du chef d’Al Qaida, Oussama Ben Laden.

Un véritable défi que cette chaîne, créée en 1996 par la volonté d’un émir du plus petit d’État du Golfe, le Qatar, à ce que O. Lamloum appelle, l’ordre impérial américain. Depuis, la chaîne panarabe n’a de cesse d’être au centre d’une multitude de polémiques et de controverses.

En analysant sa ligne éditoriale, O.Lamloum en arrive à cette conclusion. Al-Jazira exprime deux choses : les aspirations démocratiques des peuples que les régimes autoritaires de la région n’ont de cesse de brimer et les sentiments de colère arabe contre les Américains et leurs politiques .

Les raisons du succès d’Al-Jazira résident dans son courage à casser les tabous, à revivifier le nationalisme arabe et à sa couverture exceptionnelle de plusieurs événements majeurs au Moyen-Orient. Olfa Lamloum considère enfin qu’Al-Jazira est un contre pouvoir vis-à-vis des régimes autoritaires arabes.

Pour autant, ce livre aurait pu être très intéressant. Car, malheureusement, Olfa Lamloum a manqué souvent d’objectivité. Elle a, à maintes reprises, succombé à un sentimentalisme béat aux accents revanchards et ouvertement anti-américains. On peut dire que son livre, fait un peu dans l’urgence, est une longue plaidoirie à la défense d’Al-Jazira contre les méchants occidentaux. On aurait aimé qu’elle prenne du champ et adopte un regard distancié au lieu de prendre fait et cause par une chaîne juste parce que arabe.

Son étude est restée très descriptive, car elle n’a jamais touché au fond des choses. D’ailleurs, on est resté sur notre soif, car le livre n’apporte vraiment pas de réponses à nos interrogations. Est-ce que Al-Jazira sert véritablement la démocratie? Ne fait-elle que renforcer la pensée rétrograde chez les Arabes? Ne participe-t-elle pas à la propagation du terrorisme? Comment concilie-t-elle son impertinence par rapport aux régimes en place et sa déférence pour le moins patente envers celui du Qatar ?…

Al-Jazira, miroir rebelle et ambigu du monde arabe, la Découvetre, 2004

AZA: des Amazighs au pays de l'Oncle Sam

Lahsen Oulhadj (Montréal)


Après leur spectacle au théâtre Coronna à Montréal, le 16 juillet dernier, j’ai eu l’immense joie de rencontrer nos deux mousquetaires amazighs. Toujours fidèles à cette modestie typique qui caractérise tant les Amazighs, le contact a eu lieu sans chichi et le plus simplement du monde. À dire vrai, on dirait qu’on se connaissait depuis des années ; alors que l’essentiel de nos contacts se réduisait à quelques courriels.

Sans salamalecs donc, nous sommes sortis du théâtre pour aller discuter dans un café qui se trouve juste dans le voisinage. Attablés autour d’un verre, nous avons laissé libre court à notre discussion. Tantôt posant des questions à Fattah Abbou, le plus extraverti de nos deux musiciens, et tantôt poussant carrément son acolyte de toujours, Mohamed Aoualou à prendre la parole ; il est d’une nature très réservée. D’ailleurs ce dernier, dans une pointe d’humour, a qualifié Fattah, " de ministre de la parole ."

Volonté

Les débuts dans la musique de nos artistes n’ont pas été, comme nous pourrions l’imaginer, dans un conservatoire ou dans une école de musique. Ô que nenni. Ils ont commencé, comme tous les artistes amazighs qui les ont précédés, dans la meilleure des écoles, celle de l’autodictatisme. En d’autres termes, sans vouloir être ironique, ils ont suivi le parcous classique des artistes amazighs.

" J’ai commencé tout seul et d’une façon on ne peut plus rudimentaire, nous avoue Fattah tout sourire, en fabriquant moi-même mon instrument à corde à base d’un récipient d’huile à moteur, d’une barre de bois et des câbles de frein d’un vélomoteur. "

Ainsi, a commencé le long apprentissage de " grattage " sur cet instrument on ne peut plus modeste. Après une pratique de quelques mois, les premières notes jouées ne peuvent être que celles des rways, ce genre musical traditionnel qui est, et de loin, le plus présent et le plus répandu dans cette immense région amazighophone du Sud du Maroc, qui est, selon l’expression de Mohamed une " mine d’or pour tous ceux qui ont un tant soit peu des penchants musicaux. "

Baigné, depuis son enfance dans l’ambiance d’ahwach avec ses variantes infinies, Mohamed, qui nous en a donné la démonstration, lors du spectacle d’Aza à Montréal, en esquissant quelques mouvements chorégraphiques très complexes, n’a pu avoir sa véritable guitare qu’à l’âge de 16 ans. Mais sa prédisposition à la musique et son auto-initiation grâce, lui aussi, à son instrument de fabrication personnelle, expliquent le fait qu’il soit devenu, au bout de quelques temps, un virtuose de la guitare.

" C’est à partir de cet âge, nous dit-il avec son flegme habituel, que j’ai commencé à pratiquer sérieusement et assidûment mon instrument, à l’oreille et sans aucune connaissance du solfège. D’ailleurs, à ce jour, cette écriture musicale est comparable à du chinois pour moi ."

Entre temps, nos deux artistes continuent à écumer les " isuyas " et autres " isriren " - places où ont lieu les fêtes villageoises- de leurs régions respectives connues par la richesse incommensurable de leur héritage musical : ahwach, taskiwin, ahyyad, tahwwarit, ignawen… Avec une écoute appliquée des groupes modernes : Izenzaren, Archach, Oudaden, Osman, etc ; et, des Rways dont bien évidemment les plus grands : Said Achtouk, Mohamed Albensir, Omar Wahrouch, Mohamed Amentag, ben Ihya Ou tznaght...

Fusion

Comme nous pouvons le remarquer, nos deux artistes ont grandi dans un milieu où la fusion des genres musicaux amazighs est de rigueur. De là, on peut expliquer cette quête continuelle de l’éclectisme qui ne manque pas d’originalité. À titre d’exemple, l’utilisation du luth. À ma connaissance, c’est la première fois que cet instrument serve dans l’expression des rythmes amazighs du Sud du Maroc. Le résultat à été tout simplement épatant.

" La musique est universelle, même si je sais que certains ne seraient pas contents que je l’utilise sous prétexte que le luth est un instrument arabe ; à mon avis, il ne faut pas fermer l’horizon de l’amazighité. Il faut l’ouvrir sur les autres cultures si cela va lui apporter davantage de richesses. Le luth est un instrument délicat qui demande beaucoup de pratique. Et je pense que son intégration aux rythmes amazighs a donné quelque chose d’original ", nous assure Fattah qui croit dur comme fer à l’ " inter culturalité " qui, prononcé avec un fort accent américain, revient comme leitmotiv dans ses propos.

Il faut reconnaître que Fattah est un multinstrumentiste doué ; en plus de la percussion, du banjo, du luth, du lotar, il manie brillamment le rribab, cet instrument ô combien amazigh. D’ailleurs, il est probable qu’il soit utilisé dans leur prochain album. On attend donc impatiemment le résultat.

La première expérience musicale de nos artistes a été avec des musiciens ou des groupes non moins connus. Dans le cas de Mohamed, cela a été avec le grand Mellal. " J’ai participé à l’enregistrement de son premier album ", dit-il. Quant à Fattah, cela a été avec Tilila, un groupe très célèbre dans le Souss et sa région pendant les années 80 et 90.

Effervescence amazighe

Le bac en poche, nos deux artistes débarquent à Marrakech pour s’inscrire dans le département de littérature anglaise à l’Université de Qadi Ayyad. C’est là qu’ils se sont connus grâce au cousin de Fattah, Bouhcine qui n’est que le chanteur vedette du groupe Tilila. Et depuis, c’est la grande amitié. Elle en a découlé, musicalement parlant, la naissance d’un groupe qui était très connu à Marrakech et sa région, Imdayazen. Cette formation a enregistré plusieurs albums qui tournent tous autour des thèmes chers au mouvement culturel amazigh (MCA) : identité, démocratie, universalité…. D’ailleurs, nos artistes reconnaissent très fièrement qu’ils sont redevables au mouvement amazigh. Ils se considèrent même comme ses purs produits. Il suffit d’écouter un laps de temps les compositions d’AZA pour s’en rendre compte.

Quant à leur avis sur la nouvelle vague de la musique amazighe représentée par Yuba, Agizul, Masnissa, Tafsut, Mellal…, les membres d’Aza " trouvent que c’est une très bonne chose de moderniser la musique amazighe. Mais il faut que les paroles soient accessibles. La complexité et les formules absconses sont tout simplement à proscrire surtout en ce moment où le mouvement amazigh a besoin de s’implanter dans les masses. Il faut parler le langage de la simplicité pour que notre message soit audible".

À nous l’Amérique !

Licencié de l’Université Qadi Ayyad, et devant les horizons bouchés, Mohamed a été le premier à émigrer en 1988. Destination les États-Unis. Au bout de trois ans, c’est le retour à la case départ, à savoir le Maroc. Mais au bout d’une année, c’est le retour une fois de plus aux États-Unis avec son ami de toujours, Fattah. Là, ils s’installent sur la côte Ouest, et plus précisément à Santa Cruz en Californie.

C’est là que l’idée de fonder un groupe amazigh a germé dans leurs esprits. Ce qui n’a pas tardé à se concrétiser avec la fondation du groupe Aza, un nom ô combien symbolique, qui a produit un premier album qui a été un succès tellement qu’il était original. Un deuxième est sur la route. Espérons qu’il soit comme le premier et même mieux !

Et cerise sur le gâteau Aza a pu, grâce à sa persévérance, décrocher une bourse du Conseil culturel de la ville de Santa Cruz pour organiser un festival amazigh avec la participation de l’infatigable anthropologue Hélène Hagan et du kabyle Moh Alilèche. Un festival qui a d’ailleurs eu lieu. Les échos que nous en avons sont très positifs. Une deuxième édition a toutes les chances d’avoir lieu l’année prochaine.

En outre, le groupe est en contact avec le seul Marocain qui travaille à la NASA, Kamal Al-Ouadghiri, qui, semble-t-il, est un amoureux de la culture amazighe; et cela afin d’organiser une autre manifestation culturelle à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA).

Quant au Maroc, à ce jour, Aza n’a reçu aucune invitation pour participer à la multitude de festivals qui s’y déroulent chaque année. D’ailleurs, ce serait une bonne idée si les responsables de Timitar pensent à lui. Car il le mérite amplement, vu la qualité indiscutable de sa musique. Mais comme l’a si bien exprimé Fattah sous forme d’un adage bien de chez nous : " ahwach n tmazirt ur a isshdar " ( la musique de chez nous ne fait pas danser). Mais l’espoir est permis.

En tout cas, le groupe Aza étudiera minutieusement toute proposition sérieuse en vue de participer à n’importe quelle manifestation musicale et même, pourquoi pas, faire une tournée au Maroc et en Europe. Pour le contacter, il faut juste se connecter sur son site Internet : http://www.azamusic.net

Ils vont probablement chanter ses paroles dans leur prochain album qu’ils ont bien voulu nous interpréter a cappella :

Ddan-d irumiyen gin agh d ibarbaren
Ddun-d waàraben fkin agh idurar
IfD n tikkal a nsella iw awal a-n
Izd a nalla, ar nsmummiy, ar nettals i tilli zrinin
Ngwin iw aTTan negh
Gelb at awa gh ixf nek, a tmDaram
Ikka-d uhlaD aguns n tgmmi lli darngh
Kullu wan-d igan amaynu nazzl sis
NDer-n, nettu agayyu negh, neskr gis u darngh
Lsagh, ar nsawal, ar nswingim zund nettan
Yak Ibn tumert iga nit u darnegh,
Ura yak Ibn Yassin iga nit u darnegh
Ma yyi iga, ma-d agh isker, ma yyi-d ifl
Is ghad lkemn is nakeren iZuran
ITfar ixsan aylligh gisen skern izakren

mardi, septembre 06, 2005

Madame Wilson: une vie en fleurs

Lahsen Oulhadj (Montréal)
Chaque année, à partir de la première moitié de mai jusqu’à la fin de juillet, Madame Wilson, de la société de production des fleurs sous serres, Wilson & fils, occupe une place aménagée comme un petit jardin d’Éden en plein milieu du Marché Jean Talon. Et ce, pour offrir à toutes les bourses un choix on ne peut plus riche de fleurs et de plantes.

J’ai eu l’occasion de la côtoyer de près, car j’ai travaillé chez elle, en tant que vendeur, pendant toute la période de sa présence sur le Marché de Jean Talon.

A 72 ans, c’est encore une jeune femme, mais ô combien dynamique ! Elle fait partie de cette génération de Québécois, élevée à la dure, qui ne peut trouver un sens à sa vie qu’en travaillant. D’ailleurs son tablier de travail ne la quitte presque jamais.

Nonobstant ses horaires d’enfer, elle est toujours soucieuse, la journée durant, de bien accueillir sa clientèle. Elle commence tôt le matin, vers 6 heures et finit tard le soir vers 20 heures. En été, c’est sur le marché de Jean Talon ; le reste de l’année, c’est aux serres à Saint Rémi, à quelques encablures de Montréal. Mais quand un travail est carrément une passion, on ne donne pas vraiment d’importance à la fatigue et au poids des années. Ce qui est le cas de Madame Wilson.

C ‘est une horticultrice hors pair, elle connaît pratiquement toutes ses plantes même si parfois la mémoire flanche. Il y a de quoi quand on sait que les Wilson produisent pas moins de 100 plantes différentes. Sont-elles adaptées au soleil, à l’ombre ou les deux ? Quelle taille auront-elles ? Quelle sorte de fleurs auront-elles ? Sont-elles vivaces ou annuelles ? , etc. À toutes ces questions Madame Wilson a toujours une réponse nette et précise.

« Je les connais pas mal toutes, excepté les nouvelles avec lesquelles j’ai un peu de misère. Mais au cas où on me demanderait des renseignements sur une plante que je ne connais pas, j’appelle immédiatement aux serres », a-t-elle reconnu tout sourire. Un sourire qui ne la quitte presque jamais.

C ’était grâce à un voisin, horticulteur de son état, que les Wilson ont eu l’idée géniale de se lancer eux aussi. « Il nous a impressionné par sa réussite sociale. Nous nous sommes dit pourquoi nous n’essayons pas de faire de même, surtout qu’à l’époque la culture des légumes nous ne rapporte presque rien », m’a confié, avec un air enjoué, la fille de Madame Wilson, Lucie, encore très jeune à l’époque.

En parlant des enfants, en plus de Lucie qui est sa seule fille, madame Wilson a eu cinq garçons. Si trois d’entre eux travaillent toujours avec elle, les deux autres ont préféré voler de leurs propres ailes. Le premier a monté sa propre affaire de production de fleurs tandis que le deuxième a fait un choix complètement différent. Il travaille en fait dans le domaine du gaz naturel.

Les débuts des Wilson n’ont pas été aussi simples que cela. « Nous avons commencé petits en 1972, même si cela ne fonctionnait pas très bien. Nous n’avons pas lâché. Nous avons persévéré. Ce qui a été payant. Maintenant, nous en sommes à beaucoup de serres dont je ne veux même pas connaître le nombre », m’a dit Madame Wilson un brin superstitieuse.

Ce n’est que Lucie qui va me dire plus tard qu’en fait la propriété s’étend sur une superficie de trois hectares avec 20 travailleurs permanents et plus de 70 saisonniers. De fait, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, pourrait-on dire. Wilson & fils n’est plus la petite structure familiale d’il y a 30 ans, mais une grosse machine. Il semble que c’est la première entreprise à produire des fleurs au Québec. Elle les commercialise même en Ontario et s’essaye depuis quelques temps à leur exportation aux États Unis.

Madame Wilson n’est dans son élément qu’au milieu de ses fleurs. On peut même dire qu’elle a un rapport quasi maternel avec elles. Quand les clients ne sont pas là, le geste toujours mesuré, elle les bichonne, elle les arrose, elle les nettoie, elle les place…Un simple coup d’œil lui suffit pour voir que telle ou telle plante manque d’engrais, d’eau ou tout simplement de lumière.

Avec ses employés, elle est indulgente et humaine. C’est un ange de bonté, pourvue de beaucoup de cœur. D’ailleurs, les rares malentendus, bénins faut-il le rappeler, qu’elle avait avec certains peuvent parfois lui causer des tourments absolument terribles. Sensible qu’elle est, il ne peut en être autrement.

De plus, c’est une femme très croyante et sa foi ne souffre d’aucun doute. Elle voue une vénération toute particulière à Jésus dont elle garde religieusement le portrait. D’ailleurs, dans la petite cabane qui lui tient lieu de bureau au Marché Jean Talon, trône majestueusement son image.

Beaucoup de ses clients sont des habitués. Ils viennent chaque année faire leurs emplettes chez elle. « En plus d’avoir un très beau choix de fleurs, Madame Wilson est une femme très attachante », m’a fait part, sous le mode de la confidence, une cliente qui vient depuis quelques années. Un autre client d’un certain âge m’a confié à peu près la même chose. « Pour ma part, c’est presque un rituel que de venir chez madame Wilson m’acheter des fleurs. J’espère qu’elle sera au rendez-vous le plus longtemps possible ! »

Bref, Madame Wilson est un peu un monument, si je reprends l’expression de l’une des ses voisines au Marché de Jean Talon. Tous les mots du monde ne décriraient pas assez précisément son petit coin de paradis. Il n’y a pas mieux qu’à se déplacer sur place.