1-La méthode anti-démocratique utilisée pour l’élaboration du projet de constitution, rédigée successivement par le comité de la révision de la constitution puis par l’équipe présidée par M. Mouâtassim, a abouti à ce qui n’était pas vraiment une surprise : un projet concocté dans une atmosphère hermétique, caractérisée par l’ambiguïté, la confusion et le manque de transparence. Au terme de ce processus, les forces vives de la nation ont été volontairement exclues. Quant aux partis politiques marocains, ils ont tout simplement été mis de côté et placés dans une posture d’infériorité humiliante. La commission leur ayant refusé un accès au projet en cours d’élaboration et leur a donné, au final, moins de 24 heures pour apporter leurs remarques.
Le texte définitif de la constitution a donc été élaboré secrètement sans réelles concertations et sous la direction stricte du conseiller du roi. Le but ultime étant de soumettre la nouvelle constitution au référendum avec rapidité et refuser, par la même occasion, à quiconque le droit d’en discuter le contenu définitif.
Par ailleurs, l’Observatoire amazigh des droits et libertés, dénonce avec force le fait que certains partis conservateurs archaïques aient été mobilisés par le pouvoir, aux derniers moments de la rédaction de la constitution, pour contrer les revendications démocratiques des forces vives du pays et contribuer à miner tous les réels acquis de la dite constitution.
2- La nouvelle constitution, soumise au référendum, n’est qu’un texte remanié. Elle semble octroyer, au premier abord, un ensemble de droits mais qui, en fait, s’inscrit dans la continuité des principes qui ont toujours été le creuset fertile des traditions politiques absolutistes et arbitraires. Elle ne changera nullement la nature du régime et l’architecture institutionnelle où le roi règne et gouverne toujours et concentre encore et toujours entre ses mains des pouvoirs exorbitants. La monarchie parlementaire tant réclamée ne verra donc pas le jour. Résultat : les « acquis » n’en sont pas vraiment, car tout a été fait pour les entraver. Par voie de conséquence, dans un contexte grave et tendu, le Maroc a raté un important rendez-vous avec l’histoire.
3-Il va sans dire que l’officialisation de la langue amazighe est un acquis important au regard d’énormes sacrifices consentis par des générations de militants de la cause amazighe au Maroc et de leurs alliés au sein des organisations civiles et politiques nationales. Cependant, la configuration utilisée se prête à beaucoup d’interprétations. En fait, consacrer l’officialisation de l’arabe et de l’amazighe dans deux paragraphes distincts suggère qu’il y a, définitivement, une relation hiérarchique entre une première langue officielle, l’arabe, et une deuxième, l’amazighe. La langue étant étroitement liée à l’identité, l’idée avec laquelle l’on ressort est que, hélas, la nouvelle constitution divise les Marocains en deux catégories bien distinctes : les citoyens de première classe et les citoyens de seconde classe.
4- L’évocation d’une loi organique définissant « le processus de mise en œuvre du caractère officiel de cette langue ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et dans les domaines prioritaires de la vie publique » nous incite à poser certaines questions, légitimes au demeurant, après des décennies de violation de notre dignité et la destruction de notre patrimoine civilisationnel. Cette nouvelle loi va-t-elle tout remettre en question et reprendre les choses à zéro ? Ou prendra-t-elle en compte les acquis réalisés ces dernières années, notamment dans l’enseignement, malgré toutes les entraves dues à l’absence de protection légale de la langue amazighe ? Combien de temps l’intégration de l’amazighe va-t-il prendre ? Quel sera son budget ? Il semble qu’un autre combat encore plus rude attend les défenseurs de l’amazighité.
5- La constitutionnalisation de toutes les institutions consultatives mises en place par le roi auparavant et l’exclusion de cette liste de l’institution officielle qui se consacre à l’amazighité, l’IRCAM, nous interpelle et nous incite à nous poser plus d’une question sur la réelle forme que prendra la gestion de l’amazighité.
6- La constitutionnalisation des dimensions de l’identité marocaine telle qu’elle est stipulée dans la constitution « Son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et sahraro-hassanie, s’est nourrie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen » n’a nullement respecté les spécificités amazighes et la chronologie, sachant que l’amazighité est l’élément premier et originel de tout cet échafaudage identitaire. Pire, elle éclipse même nos racines africaines dont elle a fait un simple affluent.
7-La nouvelle constitution passe, totalement, sous silence l’ancrage africain du Maroc et réduit le rapport avec notre continent africain aux « relations de coopération et de solidarité avec les peuples d’Afrique ». Elle affirme, par contre, notre « appartenance à la Oumma arabo-islamique » reniant ainsi des réalités historiques et géographiques de notre pays et nous faisant perdre toute possibilité de tirer profit d’enjeux civilisationnels et géographiques bien plus importants que ceux liés au Moyen-Orient.
8- Le fait de supprimer de la version définitive de la constitution les éléments consacrant le caractère civil de l’État et la liberté de conscience, qui sont, faut-il encore le signaler, les bases de toute construction d’une société démocratique, est en lui-même un véritable échec pour cette nouvelle constitution. D’autant plus que, la précision du « caractère islamique » de l’État contredit l’engagement pris quant au respect et la primauté des normes internationales sur les juridictions internes. Et ce, en l’absence de tout effort des jurisconsultes musulmans afin de comprendre et saisir les enjeux importants de la vie moderne.
9- Bien que cette nouvelle constitution contienne quelques avancées, notamment un certain nombre de droits et libertés, il est regrettable de constater qu’elle est en deçà des aspirations des masses populaires telles qu’elles ont été exprimées, clairement et ouvertement, par le mouvement du 20 février. La société civile et les partis politiques progressistes se doivent de continuer leur combat pour la construction d’une véritable société démocratique et moderne, basée sur les principes de liberté, d’égalité, de justice et de dignité et sur un contrat social consacrant, une fois pour toute, la souveraineté populaire.