Comment se fait-il qu’au Maroc, un pays qui n’est ni occupé ni en guerre, le terrorisme est une réalité plus que palpable ? Est-ce vraiment à cause des conditions sociales difficiles ou y a-t-il d’autres raisons ? Cet article, si modeste qu’il puisse être, peut peut-être vous apporter quelques éléments de réponse. En tous les cas, sa lecture permettra d’être au moins moins « perplexe », comme l’ont été les Casablancais, selon l’expression même d’une grande agence de presse, après que le terrorisme eut frappé une fois de plus leur ville.
C’est avec un « ouf » de soulagement que les Marocains ont appris il y a quelques semaines que leur pays vient, une fois de plus, de l’échapper belle. À Casablanca, deux kamikazes bel et bien du cru allaient commettre, selon toute vraisemblance, un autre carnage ; à tout point de vue semblable à celui du 16 mai 2004. Ceintures explosives autour de la taille, ils étaient venus consulter Internet. Probablement pour recevoir les dernières consignes de leur chef planqué quelque part sur la planète.
Mais par un hasard des plus heureux, ils se sont chamaillés avec le jeune gérant du cybercafé. Ayant eu vent de leurs manigances diaboliques par je ne sais quel subterfuge, il a eu, et c’est le moins qu’on puisse dire, une présence d’esprit absolument exceptionnelle. Prenant un risque incroyable, il a vite enfermé les deux comparses dans son local pour immédiatement appeler la police. Se sachant pris, l’un d’eux n’a pas hésité à déclencher, avec un sang froid confondant, hic et nunc, sa charge explosive. Son gagne-pain gravement endommagé et légèrement blessé, notre héros malgré lui a eu miraculeusement la vie sauve. Quant au deuxième terroriste, il se sauva à toutes jambes pour être arrêté juste quelques temps après.
Pour autant, le cauchemar était loin de prendre fin. Car ce que l’on considérait comme un acte isolé était beaucoup plus que cela. C’était bel et bien d’une cellule terroriste qu’il s’agissait. Sa chaîne de commandement étant rompue après ces événements imprévus, ses autres membres sont presque désormais livrés à eux-mêmes. Pour ne pas tomber dans l’escarcelle de la police locale, connue pour ses méthodes très « humaines », ils n’ont pas hésité, en guise de baroud d’honneur, de se donner l’un après l’autre à un spectacle de feu d’artifice morbide absolument terrifiant.
Devant de tels faits gravissimes, le choc des Marocains a été immense, incommensurable. Le terrorisme qu’ils voyaient jusqu’à alors qu’à la télé et dont la société, nous assure-t-on maintes fois, est prémunie est bel et bien là. Désormais, eux aussi, il faut bien qu’ils se fassent une raison ; ils n’ont plus qu’à s’y habituer, à leur corps défendant. Quoique…
Misères ?
Pour expliquer ces attentats plus ou moins avortés, les mêmes monopolisateurs de la parole bien pensants, toujours à l’affût pour distiller leurs élucubrations, sont vite entrés en scène pour pointer du doigt la pauvreté. À tort bien évidemment. Parce que cette assertion, et vous en conviendrez, est d’une mauvaise foi absolue ; elle ne permet en aucun cas d’identifier le problème et à plus forte raison de le traiter. Supposons que ce soit le cas : au-delà du fait que c’est une stigmatisation inique et injustifiée de tous les pauvres de la planète, les Indiens, les Maliens et tous les autres damnés de la terre caracoleraient en tête du « hit parade » des candidats au « sacrifice suprême ». Or, comme on le sait très bien, il n’en est absolument rien.
Nul besoin d’aller plus loin, restons juste au Maroc. Pourquoi les Amazighs, maintenus contre leur gré dans une indigence absolue, ne basculent-ils pas dans le terrorisme ? Pourquoi sont-ils moins enclins à exprimer leur colère et leur frustration par la violence ? Et finalement, pourquoi sont-ils moins poreux, et c’est vraiment à méditer, aux idéologies exogènes haineuse ? Il est à rappeler que ceux parmi eux qui habitent les régions les plus reculées du pays meurent encore, dans l’indifférence la plus totale, de malnutrition, de froid et de maladies bénignes. La dernière tragédie d’Anfgou au Moyen Atlas est certainement dans toutes les mémoires.
À ne pas méjuger non plus des humiliations tous azimuts du Makhzen. Beaucoup ne savent pas qu’il leur fait subir, presque en catimini, toutes sortes de violences aussi bien directes que symboliques, quotidiennement, par le biais de ses multiples institutions ( école, médias, administrations...) et de tous ses autres relais nationaux et locaux. Ne croyez surtout pas qu’ils ne sont pas en colère ; n’en déplaise à certains, ils le sont bel et bien. À cette différence près, ils l’expriment d’une manière… civilisée. D’ailleurs, leurs régions damnées par la seule volonté du pouvoir sont régulièrement le théâtre de manifestations revendicatives responsables et citoyennes. Si elles ne sont pas violemment réprimées, c’est un black out infernal qui leur est imposé. Peur de contagion ou réflexe dictatorial ? Probablement les deux à la fois.
Nantis et terroristes
Tout cela pour dire que la corrélation fatale entre le terrorisme et la misère ou toute autre forme d’injustice est, dans le cas du Maroc, plus que sujette à caution. D’autant plus que les derniers développements de ce fléau ont fini par lui donner une magistrale estocade. En effet, que dire de tous ces Marocains, plus que gâtés par la vie, issus de familles parfois très aisées, impliqués dans des actes de terrorisme national et international -Karim Mejjati et ses acolytes à titre d’exemple ? Quelle interprétation faut-il donner aux attentats indescriptibles de Madrid où carrément de flamboyants play-boys marocains, qui sont loin d’être des crève-la-faim, ont eu les premiers rôles ? Et finalement, comment expliquer le réseau terroriste d’ « Ansar El-Mahdi» de l’émir Khattabi, financé à hauteur de plusieurs milliers dirhams par des femmes très fortunées de Casablanca ?
L’on aura beau chercher toutes sortes d’atermoiements, mais on ne cachera pas, indéfiniment, le soleil avec son doigt. Car il faut bien se rendre tôt ou tard à l’évidence. Qu’on le veuille ou non, le ver est définitivement dans le fruit. L’hydre terroriste a bel et bien jeté ses tentacules sur toutes les strates de la société et non seulement, comme certains n’ont de cesse de le ressasser, sur les laissés-pour-compte. Et il est regrettable de dire que son avènement ne date pas d’aujourd’hui. Si on remonte un peu loin dans le passé, l’on trouvera que les terroristes du Polisario ont été nourris de la même idéologie mortifère que leurs vis-à-vis islamistes.
Et lorsqu’on sait que, sous prétexte de créer un énième État, certainement inviable, en Afrique du Nord, cette phalange d’obédience stalino-baâthiste a séquestré des milliers de gens dans des conditions inhumaines tout en imposant une longue et harassante guerre de 30 ans au Maroc- avec le soutien désespéré de plusieurs régimes soi disant « frères » -, il est à craindre que les islamistes la surclassent, s’ils ne l’ont déjà fait. Vu leur grand nombre, leurs immenses moyens et leur facilité déconcertante à faire avaler toutes sortes de sottises- et de couleuvres aussi- à une société, qui ne demande que cela. Dénuée qu’elle est de toute défense immunitaire, à cause des coups de boutoir itératifs de ceux-là même qui sont censés la protéger, il ne faut pas trop jouer les éternels naïfs et s’en étonner.
Bisbille révélatrice
Fait rarissime dans les moeurs politiques marocaines, il me souvient d’une passe d’arme mémorablement éloquente. Revigorés miraculeusement par les attentats du 16 mai 2004, les panarabistes de l’Union socialiste des forces populaires ( USFP) ont sauté immédiatement sur l’occasion pour en découdre avec les islamistes, leurs terribles adversaires électoraux, qui n’arrêtent pas de grappiller sur leurs plates-bandes. Et même de leur faire de l’ombre. Opportunistes jusqu’au bout des ongles, ils ont alors mobilisé massivement leur presse et leurs porte-parole, autorisés ou non autorisés, pour accuser le parti d’obédience islamiste de la Justice et du développement ( PJD) d’être à l’origine du terrorisme à cause, dit-on, de ses délirantes surenchères sur tous les conflits du Moyen-Orient. Quoiqu’il n’a rien inventé. Ce même USFP en fait autant, si ce n’est plus, et depuis longtemps.
Sentant le coup fourré et sans même se défendre et encore moins essayer un tantinet soit peu de se disculper- ce qui est en lui-même un aveu-, les responsables du PJD ont sorti l’artillerie lourde. Ils ont accusé, à leur tour, l’USFP et tous les autres groupuscules plus baâthistes que réellement de gauche d’être les géniteurs spirituels et même naturels du Polisario. Étrangement depuis, c’est silence radio, plus personne n’accuse l’autre et vice-versa. Devenus presque complices par la suite, ils manifestent même ensemble, la main dans la main, comme si de rien n’était, contre… le terrorisme. Ce qui est tout à fait normal. Ils ont plus qu’un dénominateur commun. Que dire, un lien de filiation même. Car c’est le nationalisme arabe, dans sa version fanatique et exacerbée, qui a souvent enfanté de l’extrémisme religieux. Et partout c’est vérifiable. En Égypte, en Algérie, au Soudan…
Déculturation à la hussarde
Comment alors cette pathologie terroriste a-t-elle traversée tout le corps social ? Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour voir que c’est à cause de l’hallucinante politique de moyen-orientalisation aux relents fascisants imposée, injustement et brutalement, au pauvre Maroc. En plus d’être en elle-même une violence permanente qui a défiguré le pays et ses gens, il est le vrai terreau fertile où tous les extrémismes et tous les intégrismes éclosent, se nourrissent et prospèrent à qui mieux mieux.
Sans vouloir être hyperbolique, cette politique a été et reste le seul et l’unique projet de ceux qui ont pris le pouvoir à la faveur du départ des Français. C’était même pour certains une mission quasiment sacrée. Grisés par l’empyreume du nationalisme arabe, l’alpha et l’oméga de leur sombre dessein consistait à arabiser à tour de bras : l’école, l’administration, la langue, les gens, leurs mentalités, leur milieu… Même les toponymes amazighs n’ont pas échappé à cette folie furieuse. Bien que ses dégâts soient majeurs, elle a encore toujours beaucoup de thuriféraires dans la « société civile » et même au sein de l’État.
Reste que le but ultime de ces « irresponsables », dont les enfants ou eux-mêmes sont encore très puissants et très influents au jour d’aujourd’hui, était de faire, coûte que coûte, du Maroc un nouveau peuple, totalement et entièrement arabe. Seul à même d’en faire un pays digne de ce nom. Mais 60 ans après, le constat est plus qu’amer. Le Maroc, qui avait toujours eu une forte identité de par sa longue histoire et sa riche culture, a fini par perdre son âme, et son honneur aussi. Pire, son existence même est menacée.
Perte de repères
Il faut savoir gré au journal le Figaro ; il a été le seul à avoir vu très juste. Dans l’un de ses papiers sur le Maroc, il a évoqué, sans oser aller au fond des choses, la crise identitaire. Enfin, l’on touche à l’essence même du problème. En effet, il est plus que temps de dire les choses franchement : les Marocains vivent bel et bien une terrible crise d’identité. D’une gravité sans précédent. L’on peut même se demander s’ils en ont encore une pour qu’elles soient en crise. Car, et c’est facilement observable, nombreux sont parmi eux qui sont devenus progressivement des zombies hagards, totalement dépersonnalisés, ne sachant plus à quel saint se vouer.
Moutonniers qu’ils sont devenus, ils sont prêts à s’embarquer dans n’importe quelle aventure pourvu qu’elle soit arabe. Un comportement facilement explicable : ayant subi une overdose de l’embrouillamini moyen-oriental, leur identité a été complètement mise en charpie. Elle s’est complètement éteinte. Or, l’identité n’est-elle pas cet élément distinctif, ô combien vital, propre à l’homme ? Autant dire que sa perte équivaudrait à une déshumanisation assurée. D’ailleurs, ceux qui s’explosent au milieu de foules paisibles peuvent-ils encore prétendre à une quelconque humanité ? Sont-ils encore de la race des hommes ? Rien n’est moins sûr.
Qu’on fasse un exercice des plus simples ! Interrogeons les terroristes repentis ou arrêtés sur leurs réelles motivations. Il est plus que certain qu’aucun d’eux n’incriminera l’injustice réelle ou supposée qu’il vit chez lui. Mais tous vont répondre, de concert, que c’est à cause de l’Irak, de la Palestine ou même du Liban. Ce qui est bien logique. Il faut reconnaître qu’ils étaient tellement bombardés, des années durant, par les insanités des tenants de l’idéologie baâthiste, qu’ils doivent croire que le Maroc ne se trouve plus en Afrique du Nord, mais coincé entre la Jordanie et Israël. Pour que leur vocation terroriste soit éclose, ils n’ont même plus besoin d’un quelconque parrainage direct ou indirect d’Al-Qaïda. Leur milieu socioculturel les prédispose amplement à faire le choix d’une telle vocation pour le moins effroyable.
Mise sous tutelle D’où la question, lancinante au demeurant : pourquoi alors massacrer de simples badauds marocains qui n’y sont pour rien dans les inextricables problèmes du Moyen-Orient ? Tout simplement en raison d’un processus mimétique qui peut aller parfois jusqu’à la caricature. Car entre le Moyen-Orient et le Maroc, on est malheureusement dans un rapport de maître à disciple. Pour ne pas dire esclave (le spectacle pathétique de l’allégeance des terroristes nord africains à Al-Qaïda en est un exemple). Si pitoyable que cela puisse être, le Maroc ne fait plus que jouer les suiveurs. Comme toujours, à chaque fois que cette région du monde prend froid, c’est notre cher et beau pays, bien qu’il soit on ne peut plus loin, qui s’alite en transpirant de tous ses membres.
Cette sujétion pour le moins destructive ira incontestablement crescendo avec la pluie de chaînes arabes (la puissance de l’image n’est jamais à sous-estimer) captées au Maroc, parfois avec la bénédiction de Rabat, si ce n’est son encouragement. Il est bien triste de le dire, les Marocains vivent quotidiennement au gré de l’humeur du Moyen-Orient et gavé, en conséquence, de ses images avec leur lot de racismes, de frustrations et de banalisation de toutes les violences. Pire, même ceux qui veulent juste s’informer sur leur propre pays, sont obligés de faire un détour par ses chaînes étrangères ; non pas par plaisir, mais parce que les médias dits nationaux ( qui ne parlent même pas les langues nationales) ont totalement failli à leur mission médiatique publique, s’ils n’aggravaient pas, dans la joie et la bonne humeur en plus, le processus de déracinement irréversible mis en branle depuis déjà belle lurette.
Même les journaux privés et partisans ne sont pas en reste. Eux aussi, ils redoublent d’effort pour forcer la note, en croyant bien faire. À quelques rares exceptions, c’est de loin l’imbroglio moyen-oriental qui retient leur attention. Il y a même certains titres que l’on peut facilement confondre avec n’importe bulletin des groupes extrémistes de Palestine ou d’Irak. Pour vous en convaincre, jetez juste un coup d’œil sur Attajdid, le porte-voix du parti du PJD. Celui-là même qui tient, en ce moment même, le haut du pavé de l’échiquier politique marocain -ce qui n’est pas vraiment surprenant- et qui a le toutes les chances d’arriver en tête et même d’emporter les élections législatives à venir. À condition bien entendu qu’elles ne soient une fois de plus l’objet de tripatouillages comme c’était toujours le cas par le passé.
Pour faire bref, que les islamistes et leurs alter go baâthistes passent, indéfiniment, de dénégations à démentis, leur responsabilité morale, et même effective, est largement engagée dans l’avènement et la floraison du terrorisme. Encore faut-il qu’ils aient le courage de le reconnaître. Mais l’on ne coupe jamais la branche sur laquelle on est confortablement assis, n’est-ce pas ?
Essais meurtriers
Comme toujours, il faut bien que ce pilonnage multiforme et méthodiquement organisé ait, à terme, quelques conséquences collatérales non moins graves : vivant totalement dans un désert identitaire, presque exilés dans leur propre pays, il est quasiment impossible que les Marocains manifestent pour leurs propres causes – ce n’est surtout pas cela qui leur manque- comme ils le font aussi massivement lorsqu’il s’agit de soutien au Moyen-Orient, devenu presque « l’opium du peuple ».
À ce niveau-là, ils ont battu tous les records. Ils ont même surclassé les Égyptiens, plus concernés et plus impliqués aussi, avec leurs 70 millions d’habitants. Mais est-ce que les Arabes, eux, manifestent pour le Maroc dans la question du Sahara par exemple ? Est-ce que leur Ligue arabe a-t-elle jamais fait une résolution, si petite soit-elle, pour le soutenir à recouvrer ses droits sur sa terre ? De mémoire d’homme, ça n’a jamais été le cas. Et ce n’est pas demain la veille que cela va l’être.
De fait, le Marocain, définitivement bourré de complexes d’infériorité et sans aucune fierté nationale, parce que ses dirigeants autoproclamés le voulaient ainsi, verra toujours sous un beau jour les actes, si sanguinaires qu’ils puissent être, des Moyen-orientaux. À cause de la fascination et l’ascendant qu’ils exercent sur lui. Toutefois, il arrive même que l’élève dépasse le maître. D’ailleurs, beaucoup d’observateurs de la chose terroriste ne se sont pas empêchés d’avoir un rictus en suivant les hauts faits d’armes du Marocain Karim Mejjati, devenu par je ne sais quel miracle le chef de l’antenne d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique, avant d’être liquidé par les forces de sécurité saoudiennes non sans difficultés.
L’école aussi !
Le modèle scolaire arabe en vogue au Maroc n’arrange pas non plus cette dépendance maladive vis-à-vis du Moyen-Orient. Il faut savoir qu’il se réduit à un seul et unique principe : l’acceptation indiscutable de toutes les «connaissances » pourvu qu’elles soient éructées par tout détenteur d’autorité ou de prestige. Et gare à celui qui est tenté de les mettre en équation ! Il en verra de toutes les couleurs. Nos petites têtes, pour ceux parmi nous qui avons eu la malchance de faire un passage à l’école marocaine, n’ont-ils pas été bourrées d’adages rétrogrades du genre : que celui qui m’apprend une lettre d’alphabet, je serais son esclave ( man âallamani harfan sirtu lahu âabdan) !
Comment voulez-vous qu’après cela le maître, qui ne peut être dans ce cas qu’égyptien ou saoudien, ne soit pas considéré par la suite comme le modèle parfait ? Bien plus, l’ego complètement laminé, on s’approprie même ses logiques que l’on fait siennes pour le dépasser dans ce qu’il sait mieux faire : la logorrhée « consiprationiste », la paranoïa permanente, la violence verbale ou physique contre l’ennemi diabolisé à l’extrême, personnifié uniquement par l’Occidental -ce n’est pas pour rien que deux des kamikazes de Casablanca se sont fait exploser devant des édifices abritant les intérêts américains- ou l’Israélien. Ou tout ce qui leur ressemble.
Pour autant, il y a un hic, un immense hic. Au Maroc, nous n’avons ni l’un ni l’autre. Ou du moins, il est terriblement difficile de s’en approcher. Alors on se rabat lâchement alors sur ses propres compatriotes, qu’on massacre comme des rats de laboratoire … pour montrer qu’on ne déroge pas à la règle, qu’on est des disciples fidèles, qu’on a bien appris la leçon, qu’on se tient sur le pied de guerre ? En attendant... de trouver un champ de bataille grandeur nature pour y mettre en pratique ses connaissances criminelles.
C’est ce que les plus téméraires, avec une énergie du désespoir, n’ont pas hésité à faire. En prenant simplement la direction de l’Irak. Comme si le criminel Saddam leur donnait le pétrole gratuitement ou les couvrait généreusement de ses dollars. D’ailleurs le quotidien panarabe Al-sharq Al-Awsat, qui ne peut être soupçonné d’un quelconque anti-marocanisme primaire, a rapporté que plus d’une centaine de Marocains, probablement tous des candidats kamikazes, croupissent actuellement dans les prisons de ce pays. Il y en a combien qui sont encore libres pour le plus grand malheur des civils irakiens ? Dieu seul le sait.
Faire l’autruche
À qui incombe la responsabilité de cette catastrophe dont- je le crains bien- on ne voit que les prémices ? Au régime et ses partis politiques. Ce sont eux, par leurs politiques culturelles aventureuses, marquées par un fanatisme arabe absolument implacable, qui ont installé durablement le terrorisme au Maroc. Comme si le pays, écrasé sous le poids d’un sous-développement chronique, n’avait besoin que de cela. Au vu des dégâts provoqués, dont on mesure à peine l’étendue de la désolation, est-ce qu’une remise en question des officiels, si petite soit-elle, pointe à l’horizon ? Au fait, le peuvent-ils vraiment puisque eux-mêmes sont pris à leur piège ? Ont-il vraiment assez de ressources intellectuelles pour penser l’impensé, à savoir l’orientalisation férocement massive des esprits et des comportements qu’ils considèrent, encore aujourd’hui, comme allant de soi – le Maroc est majoritairement amazigh ?
Tout indique, hélas !, que non. Le miracle n’a donc pas eu lieu. Comme tous les régimes qui font peu de cas de la dignité humaine, leur seule réponse au phénomène du terrorisme a été la répression arbitraire. Plusieurs centaines de personnes- parfois innocentes- soupçonnées d’accointances avec la mouvance salafiste ont été arrêtées, parfois injustement, torturées et même condamnées à des peines de prison. Cependant, les attentats ratés de Casablanca et les spectaculaires chasses à l’homme qui s’en sont ensuivies tombent à point nommé. Ils viennent leur rappeler une réalité bien amère : leur stratégie du tout répressif a fait chou blanc. Comme tous les citoyens dotés d’un minimum de bon sens s’y attendaient d’ailleurs. On ne tranche pas facilement le nœud gordien d’un cancer, qui a pris des années et des années à tisser sa toile, avec des lois dont la brutalité n’a d’égal que l’incompétence de ceux qui en sont les auteurs !
Vraies sources
Que faut-il donc faire car il y a plus qu’urgence ? Il faut qu’ils fassent amende honorable car ce sont eux qui ont vendu l’âme du pays au diable et formuler impérativement, toutes affaires cessantes, une réponse globale et volontariste : culturelle, éducative et sociale. Que l’on commence par le plus simple, «marocaniser » totalement les médias et l’école ! En d’autres termes, il faut arrêter net cette stupidité consistant à importer, d’arrache-pied, la culture et les problèmes du Moyen-Orient. Et ce pour sauver ce qui peut encore l’être. Et par-là même mettre un coup d’arrêt à la continuelle hémorragie de l’amazighité, la substantifique moelle de l’identité marocaine. Car, comme nous l’avons vu, même si elle est rangée, ad vitam aeternam, au rang des accessoires, elle a démontré plus d’une fois qu’elle immunise contre tous les extrémismes et toutes les dérives suicidaires. Mais à qui le dire ? Autant prêcher dans le désert…de Gobi.
Espérons quand même que tous ceux qui ont encore une once de patriotisme dans le cœur, vont faire en sorte- même si c’est une gageure- que tous les Marocains, sans exception aucune, renouent avec leur terre, leur histoire, leur culture et leur véritable identité après des décennies d’aliénation. Sans une action vigoureuse dans ce sens, un compte à rebours abrupt va s’enclencher incessamment pour tout le monde : le régime, ses partis politiques et le pays en entier. Il est certain, sans vouloir jouer bêtement aux Cassandre, que les sanguinaires de tout poil, tapis dans l’ombre, n’attendent que leur heure, les cerveaux voilés par les brumes de toutes sortes de haines. Au moindre petit relâchement dans la chape de plomb sécuritaire, on les verra à l’œuvre. À bon entendeur, il ne faut qu’un mot !
Mais par un hasard des plus heureux, ils se sont chamaillés avec le jeune gérant du cybercafé. Ayant eu vent de leurs manigances diaboliques par je ne sais quel subterfuge, il a eu, et c’est le moins qu’on puisse dire, une présence d’esprit absolument exceptionnelle. Prenant un risque incroyable, il a vite enfermé les deux comparses dans son local pour immédiatement appeler la police. Se sachant pris, l’un d’eux n’a pas hésité à déclencher, avec un sang froid confondant, hic et nunc, sa charge explosive. Son gagne-pain gravement endommagé et légèrement blessé, notre héros malgré lui a eu miraculeusement la vie sauve. Quant au deuxième terroriste, il se sauva à toutes jambes pour être arrêté juste quelques temps après.
Pour autant, le cauchemar était loin de prendre fin. Car ce que l’on considérait comme un acte isolé était beaucoup plus que cela. C’était bel et bien d’une cellule terroriste qu’il s’agissait. Sa chaîne de commandement étant rompue après ces événements imprévus, ses autres membres sont presque désormais livrés à eux-mêmes. Pour ne pas tomber dans l’escarcelle de la police locale, connue pour ses méthodes très « humaines », ils n’ont pas hésité, en guise de baroud d’honneur, de se donner l’un après l’autre à un spectacle de feu d’artifice morbide absolument terrifiant.
Devant de tels faits gravissimes, le choc des Marocains a été immense, incommensurable. Le terrorisme qu’ils voyaient jusqu’à alors qu’à la télé et dont la société, nous assure-t-on maintes fois, est prémunie est bel et bien là. Désormais, eux aussi, il faut bien qu’ils se fassent une raison ; ils n’ont plus qu’à s’y habituer, à leur corps défendant. Quoique…
Misères ?
Pour expliquer ces attentats plus ou moins avortés, les mêmes monopolisateurs de la parole bien pensants, toujours à l’affût pour distiller leurs élucubrations, sont vite entrés en scène pour pointer du doigt la pauvreté. À tort bien évidemment. Parce que cette assertion, et vous en conviendrez, est d’une mauvaise foi absolue ; elle ne permet en aucun cas d’identifier le problème et à plus forte raison de le traiter. Supposons que ce soit le cas : au-delà du fait que c’est une stigmatisation inique et injustifiée de tous les pauvres de la planète, les Indiens, les Maliens et tous les autres damnés de la terre caracoleraient en tête du « hit parade » des candidats au « sacrifice suprême ». Or, comme on le sait très bien, il n’en est absolument rien.
Nul besoin d’aller plus loin, restons juste au Maroc. Pourquoi les Amazighs, maintenus contre leur gré dans une indigence absolue, ne basculent-ils pas dans le terrorisme ? Pourquoi sont-ils moins enclins à exprimer leur colère et leur frustration par la violence ? Et finalement, pourquoi sont-ils moins poreux, et c’est vraiment à méditer, aux idéologies exogènes haineuse ? Il est à rappeler que ceux parmi eux qui habitent les régions les plus reculées du pays meurent encore, dans l’indifférence la plus totale, de malnutrition, de froid et de maladies bénignes. La dernière tragédie d’Anfgou au Moyen Atlas est certainement dans toutes les mémoires.
À ne pas méjuger non plus des humiliations tous azimuts du Makhzen. Beaucoup ne savent pas qu’il leur fait subir, presque en catimini, toutes sortes de violences aussi bien directes que symboliques, quotidiennement, par le biais de ses multiples institutions ( école, médias, administrations...) et de tous ses autres relais nationaux et locaux. Ne croyez surtout pas qu’ils ne sont pas en colère ; n’en déplaise à certains, ils le sont bel et bien. À cette différence près, ils l’expriment d’une manière… civilisée. D’ailleurs, leurs régions damnées par la seule volonté du pouvoir sont régulièrement le théâtre de manifestations revendicatives responsables et citoyennes. Si elles ne sont pas violemment réprimées, c’est un black out infernal qui leur est imposé. Peur de contagion ou réflexe dictatorial ? Probablement les deux à la fois.
Nantis et terroristes
Tout cela pour dire que la corrélation fatale entre le terrorisme et la misère ou toute autre forme d’injustice est, dans le cas du Maroc, plus que sujette à caution. D’autant plus que les derniers développements de ce fléau ont fini par lui donner une magistrale estocade. En effet, que dire de tous ces Marocains, plus que gâtés par la vie, issus de familles parfois très aisées, impliqués dans des actes de terrorisme national et international -Karim Mejjati et ses acolytes à titre d’exemple ? Quelle interprétation faut-il donner aux attentats indescriptibles de Madrid où carrément de flamboyants play-boys marocains, qui sont loin d’être des crève-la-faim, ont eu les premiers rôles ? Et finalement, comment expliquer le réseau terroriste d’ « Ansar El-Mahdi» de l’émir Khattabi, financé à hauteur de plusieurs milliers dirhams par des femmes très fortunées de Casablanca ?
L’on aura beau chercher toutes sortes d’atermoiements, mais on ne cachera pas, indéfiniment, le soleil avec son doigt. Car il faut bien se rendre tôt ou tard à l’évidence. Qu’on le veuille ou non, le ver est définitivement dans le fruit. L’hydre terroriste a bel et bien jeté ses tentacules sur toutes les strates de la société et non seulement, comme certains n’ont de cesse de le ressasser, sur les laissés-pour-compte. Et il est regrettable de dire que son avènement ne date pas d’aujourd’hui. Si on remonte un peu loin dans le passé, l’on trouvera que les terroristes du Polisario ont été nourris de la même idéologie mortifère que leurs vis-à-vis islamistes.
Et lorsqu’on sait que, sous prétexte de créer un énième État, certainement inviable, en Afrique du Nord, cette phalange d’obédience stalino-baâthiste a séquestré des milliers de gens dans des conditions inhumaines tout en imposant une longue et harassante guerre de 30 ans au Maroc- avec le soutien désespéré de plusieurs régimes soi disant « frères » -, il est à craindre que les islamistes la surclassent, s’ils ne l’ont déjà fait. Vu leur grand nombre, leurs immenses moyens et leur facilité déconcertante à faire avaler toutes sortes de sottises- et de couleuvres aussi- à une société, qui ne demande que cela. Dénuée qu’elle est de toute défense immunitaire, à cause des coups de boutoir itératifs de ceux-là même qui sont censés la protéger, il ne faut pas trop jouer les éternels naïfs et s’en étonner.
Bisbille révélatrice
Fait rarissime dans les moeurs politiques marocaines, il me souvient d’une passe d’arme mémorablement éloquente. Revigorés miraculeusement par les attentats du 16 mai 2004, les panarabistes de l’Union socialiste des forces populaires ( USFP) ont sauté immédiatement sur l’occasion pour en découdre avec les islamistes, leurs terribles adversaires électoraux, qui n’arrêtent pas de grappiller sur leurs plates-bandes. Et même de leur faire de l’ombre. Opportunistes jusqu’au bout des ongles, ils ont alors mobilisé massivement leur presse et leurs porte-parole, autorisés ou non autorisés, pour accuser le parti d’obédience islamiste de la Justice et du développement ( PJD) d’être à l’origine du terrorisme à cause, dit-on, de ses délirantes surenchères sur tous les conflits du Moyen-Orient. Quoiqu’il n’a rien inventé. Ce même USFP en fait autant, si ce n’est plus, et depuis longtemps.
Sentant le coup fourré et sans même se défendre et encore moins essayer un tantinet soit peu de se disculper- ce qui est en lui-même un aveu-, les responsables du PJD ont sorti l’artillerie lourde. Ils ont accusé, à leur tour, l’USFP et tous les autres groupuscules plus baâthistes que réellement de gauche d’être les géniteurs spirituels et même naturels du Polisario. Étrangement depuis, c’est silence radio, plus personne n’accuse l’autre et vice-versa. Devenus presque complices par la suite, ils manifestent même ensemble, la main dans la main, comme si de rien n’était, contre… le terrorisme. Ce qui est tout à fait normal. Ils ont plus qu’un dénominateur commun. Que dire, un lien de filiation même. Car c’est le nationalisme arabe, dans sa version fanatique et exacerbée, qui a souvent enfanté de l’extrémisme religieux. Et partout c’est vérifiable. En Égypte, en Algérie, au Soudan…
Déculturation à la hussarde
Comment alors cette pathologie terroriste a-t-elle traversée tout le corps social ? Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour voir que c’est à cause de l’hallucinante politique de moyen-orientalisation aux relents fascisants imposée, injustement et brutalement, au pauvre Maroc. En plus d’être en elle-même une violence permanente qui a défiguré le pays et ses gens, il est le vrai terreau fertile où tous les extrémismes et tous les intégrismes éclosent, se nourrissent et prospèrent à qui mieux mieux.
Sans vouloir être hyperbolique, cette politique a été et reste le seul et l’unique projet de ceux qui ont pris le pouvoir à la faveur du départ des Français. C’était même pour certains une mission quasiment sacrée. Grisés par l’empyreume du nationalisme arabe, l’alpha et l’oméga de leur sombre dessein consistait à arabiser à tour de bras : l’école, l’administration, la langue, les gens, leurs mentalités, leur milieu… Même les toponymes amazighs n’ont pas échappé à cette folie furieuse. Bien que ses dégâts soient majeurs, elle a encore toujours beaucoup de thuriféraires dans la « société civile » et même au sein de l’État.
Reste que le but ultime de ces « irresponsables », dont les enfants ou eux-mêmes sont encore très puissants et très influents au jour d’aujourd’hui, était de faire, coûte que coûte, du Maroc un nouveau peuple, totalement et entièrement arabe. Seul à même d’en faire un pays digne de ce nom. Mais 60 ans après, le constat est plus qu’amer. Le Maroc, qui avait toujours eu une forte identité de par sa longue histoire et sa riche culture, a fini par perdre son âme, et son honneur aussi. Pire, son existence même est menacée.
Perte de repères
Il faut savoir gré au journal le Figaro ; il a été le seul à avoir vu très juste. Dans l’un de ses papiers sur le Maroc, il a évoqué, sans oser aller au fond des choses, la crise identitaire. Enfin, l’on touche à l’essence même du problème. En effet, il est plus que temps de dire les choses franchement : les Marocains vivent bel et bien une terrible crise d’identité. D’une gravité sans précédent. L’on peut même se demander s’ils en ont encore une pour qu’elles soient en crise. Car, et c’est facilement observable, nombreux sont parmi eux qui sont devenus progressivement des zombies hagards, totalement dépersonnalisés, ne sachant plus à quel saint se vouer.
Moutonniers qu’ils sont devenus, ils sont prêts à s’embarquer dans n’importe quelle aventure pourvu qu’elle soit arabe. Un comportement facilement explicable : ayant subi une overdose de l’embrouillamini moyen-oriental, leur identité a été complètement mise en charpie. Elle s’est complètement éteinte. Or, l’identité n’est-elle pas cet élément distinctif, ô combien vital, propre à l’homme ? Autant dire que sa perte équivaudrait à une déshumanisation assurée. D’ailleurs, ceux qui s’explosent au milieu de foules paisibles peuvent-ils encore prétendre à une quelconque humanité ? Sont-ils encore de la race des hommes ? Rien n’est moins sûr.
Qu’on fasse un exercice des plus simples ! Interrogeons les terroristes repentis ou arrêtés sur leurs réelles motivations. Il est plus que certain qu’aucun d’eux n’incriminera l’injustice réelle ou supposée qu’il vit chez lui. Mais tous vont répondre, de concert, que c’est à cause de l’Irak, de la Palestine ou même du Liban. Ce qui est bien logique. Il faut reconnaître qu’ils étaient tellement bombardés, des années durant, par les insanités des tenants de l’idéologie baâthiste, qu’ils doivent croire que le Maroc ne se trouve plus en Afrique du Nord, mais coincé entre la Jordanie et Israël. Pour que leur vocation terroriste soit éclose, ils n’ont même plus besoin d’un quelconque parrainage direct ou indirect d’Al-Qaïda. Leur milieu socioculturel les prédispose amplement à faire le choix d’une telle vocation pour le moins effroyable.
Mise sous tutelle D’où la question, lancinante au demeurant : pourquoi alors massacrer de simples badauds marocains qui n’y sont pour rien dans les inextricables problèmes du Moyen-Orient ? Tout simplement en raison d’un processus mimétique qui peut aller parfois jusqu’à la caricature. Car entre le Moyen-Orient et le Maroc, on est malheureusement dans un rapport de maître à disciple. Pour ne pas dire esclave (le spectacle pathétique de l’allégeance des terroristes nord africains à Al-Qaïda en est un exemple). Si pitoyable que cela puisse être, le Maroc ne fait plus que jouer les suiveurs. Comme toujours, à chaque fois que cette région du monde prend froid, c’est notre cher et beau pays, bien qu’il soit on ne peut plus loin, qui s’alite en transpirant de tous ses membres.
Cette sujétion pour le moins destructive ira incontestablement crescendo avec la pluie de chaînes arabes (la puissance de l’image n’est jamais à sous-estimer) captées au Maroc, parfois avec la bénédiction de Rabat, si ce n’est son encouragement. Il est bien triste de le dire, les Marocains vivent quotidiennement au gré de l’humeur du Moyen-Orient et gavé, en conséquence, de ses images avec leur lot de racismes, de frustrations et de banalisation de toutes les violences. Pire, même ceux qui veulent juste s’informer sur leur propre pays, sont obligés de faire un détour par ses chaînes étrangères ; non pas par plaisir, mais parce que les médias dits nationaux ( qui ne parlent même pas les langues nationales) ont totalement failli à leur mission médiatique publique, s’ils n’aggravaient pas, dans la joie et la bonne humeur en plus, le processus de déracinement irréversible mis en branle depuis déjà belle lurette.
Même les journaux privés et partisans ne sont pas en reste. Eux aussi, ils redoublent d’effort pour forcer la note, en croyant bien faire. À quelques rares exceptions, c’est de loin l’imbroglio moyen-oriental qui retient leur attention. Il y a même certains titres que l’on peut facilement confondre avec n’importe bulletin des groupes extrémistes de Palestine ou d’Irak. Pour vous en convaincre, jetez juste un coup d’œil sur Attajdid, le porte-voix du parti du PJD. Celui-là même qui tient, en ce moment même, le haut du pavé de l’échiquier politique marocain -ce qui n’est pas vraiment surprenant- et qui a le toutes les chances d’arriver en tête et même d’emporter les élections législatives à venir. À condition bien entendu qu’elles ne soient une fois de plus l’objet de tripatouillages comme c’était toujours le cas par le passé.
Pour faire bref, que les islamistes et leurs alter go baâthistes passent, indéfiniment, de dénégations à démentis, leur responsabilité morale, et même effective, est largement engagée dans l’avènement et la floraison du terrorisme. Encore faut-il qu’ils aient le courage de le reconnaître. Mais l’on ne coupe jamais la branche sur laquelle on est confortablement assis, n’est-ce pas ?
Essais meurtriers
Comme toujours, il faut bien que ce pilonnage multiforme et méthodiquement organisé ait, à terme, quelques conséquences collatérales non moins graves : vivant totalement dans un désert identitaire, presque exilés dans leur propre pays, il est quasiment impossible que les Marocains manifestent pour leurs propres causes – ce n’est surtout pas cela qui leur manque- comme ils le font aussi massivement lorsqu’il s’agit de soutien au Moyen-Orient, devenu presque « l’opium du peuple ».
À ce niveau-là, ils ont battu tous les records. Ils ont même surclassé les Égyptiens, plus concernés et plus impliqués aussi, avec leurs 70 millions d’habitants. Mais est-ce que les Arabes, eux, manifestent pour le Maroc dans la question du Sahara par exemple ? Est-ce que leur Ligue arabe a-t-elle jamais fait une résolution, si petite soit-elle, pour le soutenir à recouvrer ses droits sur sa terre ? De mémoire d’homme, ça n’a jamais été le cas. Et ce n’est pas demain la veille que cela va l’être.
De fait, le Marocain, définitivement bourré de complexes d’infériorité et sans aucune fierté nationale, parce que ses dirigeants autoproclamés le voulaient ainsi, verra toujours sous un beau jour les actes, si sanguinaires qu’ils puissent être, des Moyen-orientaux. À cause de la fascination et l’ascendant qu’ils exercent sur lui. Toutefois, il arrive même que l’élève dépasse le maître. D’ailleurs, beaucoup d’observateurs de la chose terroriste ne se sont pas empêchés d’avoir un rictus en suivant les hauts faits d’armes du Marocain Karim Mejjati, devenu par je ne sais quel miracle le chef de l’antenne d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique, avant d’être liquidé par les forces de sécurité saoudiennes non sans difficultés.
L’école aussi !
Le modèle scolaire arabe en vogue au Maroc n’arrange pas non plus cette dépendance maladive vis-à-vis du Moyen-Orient. Il faut savoir qu’il se réduit à un seul et unique principe : l’acceptation indiscutable de toutes les «connaissances » pourvu qu’elles soient éructées par tout détenteur d’autorité ou de prestige. Et gare à celui qui est tenté de les mettre en équation ! Il en verra de toutes les couleurs. Nos petites têtes, pour ceux parmi nous qui avons eu la malchance de faire un passage à l’école marocaine, n’ont-ils pas été bourrées d’adages rétrogrades du genre : que celui qui m’apprend une lettre d’alphabet, je serais son esclave ( man âallamani harfan sirtu lahu âabdan) !
Comment voulez-vous qu’après cela le maître, qui ne peut être dans ce cas qu’égyptien ou saoudien, ne soit pas considéré par la suite comme le modèle parfait ? Bien plus, l’ego complètement laminé, on s’approprie même ses logiques que l’on fait siennes pour le dépasser dans ce qu’il sait mieux faire : la logorrhée « consiprationiste », la paranoïa permanente, la violence verbale ou physique contre l’ennemi diabolisé à l’extrême, personnifié uniquement par l’Occidental -ce n’est pas pour rien que deux des kamikazes de Casablanca se sont fait exploser devant des édifices abritant les intérêts américains- ou l’Israélien. Ou tout ce qui leur ressemble.
Pour autant, il y a un hic, un immense hic. Au Maroc, nous n’avons ni l’un ni l’autre. Ou du moins, il est terriblement difficile de s’en approcher. Alors on se rabat lâchement alors sur ses propres compatriotes, qu’on massacre comme des rats de laboratoire … pour montrer qu’on ne déroge pas à la règle, qu’on est des disciples fidèles, qu’on a bien appris la leçon, qu’on se tient sur le pied de guerre ? En attendant... de trouver un champ de bataille grandeur nature pour y mettre en pratique ses connaissances criminelles.
C’est ce que les plus téméraires, avec une énergie du désespoir, n’ont pas hésité à faire. En prenant simplement la direction de l’Irak. Comme si le criminel Saddam leur donnait le pétrole gratuitement ou les couvrait généreusement de ses dollars. D’ailleurs le quotidien panarabe Al-sharq Al-Awsat, qui ne peut être soupçonné d’un quelconque anti-marocanisme primaire, a rapporté que plus d’une centaine de Marocains, probablement tous des candidats kamikazes, croupissent actuellement dans les prisons de ce pays. Il y en a combien qui sont encore libres pour le plus grand malheur des civils irakiens ? Dieu seul le sait.
Faire l’autruche
À qui incombe la responsabilité de cette catastrophe dont- je le crains bien- on ne voit que les prémices ? Au régime et ses partis politiques. Ce sont eux, par leurs politiques culturelles aventureuses, marquées par un fanatisme arabe absolument implacable, qui ont installé durablement le terrorisme au Maroc. Comme si le pays, écrasé sous le poids d’un sous-développement chronique, n’avait besoin que de cela. Au vu des dégâts provoqués, dont on mesure à peine l’étendue de la désolation, est-ce qu’une remise en question des officiels, si petite soit-elle, pointe à l’horizon ? Au fait, le peuvent-ils vraiment puisque eux-mêmes sont pris à leur piège ? Ont-il vraiment assez de ressources intellectuelles pour penser l’impensé, à savoir l’orientalisation férocement massive des esprits et des comportements qu’ils considèrent, encore aujourd’hui, comme allant de soi – le Maroc est majoritairement amazigh ?
Tout indique, hélas !, que non. Le miracle n’a donc pas eu lieu. Comme tous les régimes qui font peu de cas de la dignité humaine, leur seule réponse au phénomène du terrorisme a été la répression arbitraire. Plusieurs centaines de personnes- parfois innocentes- soupçonnées d’accointances avec la mouvance salafiste ont été arrêtées, parfois injustement, torturées et même condamnées à des peines de prison. Cependant, les attentats ratés de Casablanca et les spectaculaires chasses à l’homme qui s’en sont ensuivies tombent à point nommé. Ils viennent leur rappeler une réalité bien amère : leur stratégie du tout répressif a fait chou blanc. Comme tous les citoyens dotés d’un minimum de bon sens s’y attendaient d’ailleurs. On ne tranche pas facilement le nœud gordien d’un cancer, qui a pris des années et des années à tisser sa toile, avec des lois dont la brutalité n’a d’égal que l’incompétence de ceux qui en sont les auteurs !
Vraies sources
Que faut-il donc faire car il y a plus qu’urgence ? Il faut qu’ils fassent amende honorable car ce sont eux qui ont vendu l’âme du pays au diable et formuler impérativement, toutes affaires cessantes, une réponse globale et volontariste : culturelle, éducative et sociale. Que l’on commence par le plus simple, «marocaniser » totalement les médias et l’école ! En d’autres termes, il faut arrêter net cette stupidité consistant à importer, d’arrache-pied, la culture et les problèmes du Moyen-Orient. Et ce pour sauver ce qui peut encore l’être. Et par-là même mettre un coup d’arrêt à la continuelle hémorragie de l’amazighité, la substantifique moelle de l’identité marocaine. Car, comme nous l’avons vu, même si elle est rangée, ad vitam aeternam, au rang des accessoires, elle a démontré plus d’une fois qu’elle immunise contre tous les extrémismes et toutes les dérives suicidaires. Mais à qui le dire ? Autant prêcher dans le désert…de Gobi.
Espérons quand même que tous ceux qui ont encore une once de patriotisme dans le cœur, vont faire en sorte- même si c’est une gageure- que tous les Marocains, sans exception aucune, renouent avec leur terre, leur histoire, leur culture et leur véritable identité après des décennies d’aliénation. Sans une action vigoureuse dans ce sens, un compte à rebours abrupt va s’enclencher incessamment pour tout le monde : le régime, ses partis politiques et le pays en entier. Il est certain, sans vouloir jouer bêtement aux Cassandre, que les sanguinaires de tout poil, tapis dans l’ombre, n’attendent que leur heure, les cerveaux voilés par les brumes de toutes sortes de haines. Au moindre petit relâchement dans la chape de plomb sécuritaire, on les verra à l’œuvre. À bon entendeur, il ne faut qu’un mot !
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