samedi, août 09, 2008

Akounad, un grand écrivain en prose

Mohamed Akounad est un romancier que beaucoup doivent nous envier. Tellement il est talentueux. Autant dire que ce n’est pas n’importe qui. En fait, nous avons affaire à un homme de grande qualité. Une singularité dans une mouvance amazighe minée, il faut dire ce qu’il y a, par des égos hypertrophiés, des intérêts personnels et des calculs mesquins. Pour encore combien de temps ? Dieu seul le sait. Passons !

La première fois que j’ai eu l’heureuse occasion d’entendre Dda Moh -c’est ainsi que l’on appelle plus par respect qu’autre chose- date d’il y a longtemps. Au début des années 90 du siècle passé. Et oui, le temps passe très vite ! À l’époque, il préparait et présentait, à titre de bénévole –c’est toujours le cas-, une excellente émission hebdomadaire sur les ondes de la radio régionale d’Agadir.

Déjà le titre de cette fameuse émission, le savoir : le droit de tout un chacun (Tawssna, taghamt n kuyan), nous annonce la couleur. Au-delà de toutes les choses pertinentes que l’on peut y apprendre, ce qui a retenu le plus particulièrement mon attention, c’est son effort de traiter tous les sujets, si complexes et compliqués qu’ils puissent être, dans une langue amazighe absolument fraîche, épurée, châtiée et accessible à tout le monde.

Autant dire une découverte pour moi et une première dans un mouvement amazigh encore à la recherche de ses marques. « Avec son émission culturelle intitulée ‘’ Tawssna taghamt n ku yan’’, devenue ultérieurement ‘’Tawssna tamazight’’, diffusée jusqu’à nos jours (1993-2007), M. Akounad marqua ainsi le domaine des médias amazighs», affirma, péremptoire, Anir Bouyaâkoubi, un jeune militant qui l’a beaucoup fréquenté au sein de l’association de Tamaynut à Agadir.

Enfin, la rencontre

Depuis cette époque, j’ai toujours voulu le rencontrer. Mais le destin en a toujours décidé autrement. Je n’ai pu malheureusement faire sa connaissance que l’année dernière. Que dire ! Il correspondait tout à fait à l’image que je me suis faisais de lui. Un homme bien dans ses baskets et droit dans ses bottes, même si tout chez lui inspire la simplicité, la discrétion et même une certaine pudeur. Celle-là même que l’on ne trouve que chez les Amazighs qui ont toujours baigné dans leur culture maternelle. Ce qui est le cas de ce fils prodigieux d’Ihahan. Même s’il a perdu, malheureusement, le très charmant accent qui caractérise tant cette partie du Souss.

Attablés à la terrasse feutrée d’un café en plein centre d’Agadir, il s’est alors épanché sur ses multiples activités. Le geste lent, le regard trahissant une volonté inébranlable, le ton toujours lénitif, le phrasé souvent concis si ce n’est nerveux, il m’a longuement parlé sur la culture amazighe, le militantisme associatif, les joies et les dépits de l’écriture et tant d’autres choses. Pour tout vous dire, échanger avec un homme de ce calibre était pour moi plus qu’un plaisir. Un véritable enchantement. Je ne voyais même pas le temps passer. Même si je savais que je l’empêchais de s’adonner à ses habitudes quotidiennes, j’insistais énormément pour que l’on se voie encore une fois. Il acceptait toujours comme s’il avait peur de m’offusquer.

Chemin faisant, j’ai découvert un homme d’une grande sensibilité avec un sens de l’engagement, voire de don de soi, très rare chez les nôtres. « Même si je ne roule pas sur l’or, tous mes livres sont publiés à compte d’auteur », me dit-il. « Il ne faut jamais s’attendre à gagner de l’argent en écrivant, mais peut-être un jour…», souligna-t-il tout à fait confiant. L’optimisme, il en à en revendre. Toujours aussi pédagogue -avant sa retraite, il était professeur-, il arrive toujours à montrer, d’une manière on ne peut plus claire et avec des mots extrêmement simples, le côté positif des choses. En réussissant, toujours, la gageur de convaincre.

Un as du tamazight

Quant à la connaissance de la langue amazighe, il faut dire qu’il est tout simplement imbattable. Il en maîtrise toutes les subtilités et tous les secrets. Il a en a fait plus d’une fois la démonstration dans ses très nombreuses publications (Tawargit d imikk, Iijjigen n tidi…). Mais il est toujours continuellement avide d’en savoir davantage. D’ailleurs, il a un grand sens de l’écoute. Sans jamais gober béatement tout ce qu’on lui dit. En fait, il est extrêmement critique, y compris avec lui-même. Car il sait pertinemment que le domaine amazigh grouille de beaucoup de dilettantes qui peuvent dire tout et n’importe quoi. Et j’en ai eu la preuve. À mes dépens en plus.

Exemple : lorsque je lui avais dit que la banane en tamazight se dit « ikiwd », il a été plus que sceptique même s’il le cachait derrière un long sourire complice. Mais quelques jours après, il en a eu la confirmation la plus indiscutable lorsqu’on avait été, ensemble, à Aourir où l’on produisait de la banane depuis la nuit des temps. Et ce, de la bouche même d’un fils de la région et vendeur de bananes de son état.

Dda Moh est ainsi. Un homme de rigueur, de sincérité et de beaucoup d’efficacité. Si l’on avait plusieurs comme lui, il est plus que certain que le destin des Amazighs aurait été autrement. En tous les cas, il n’aurait pas été aussi tragique que ce qu’il est maintenant.
*****Si vous voulez en savoir davantage sur M. Akounad, vous pouvez visiter son site Internet où il écrit régulièrement des chroniques en tamazight : http://www.akunad.com/*****

jeudi, août 07, 2008

La Mauritanie: la fin d'une exception

Des généraux de l’armée mauritanienne, courroucés par la décision de leur président de les limoger, ont organisé le plus simplement du monde un coup d’État pour le destituer. Ainsi, ce que d’aucuns qualifient d’une expérience des plus uniques dans une région sinistrée- l’Afrique du Nord-, parce que gouvernée ad vitam aeternam par d’impitoyables dictatures, n’aura pas duré longtemps. Tout juste quelques mois. Certains pince-sans-rire diront que c’est déjà beaucoup. Et, hélas, ils ont bien raison. Pourquoi ? Continuez la lecture pour connaître la réponse !

La Mauritanie, une création ex nihilo de l’ex-puissance coloniale française, un temps revendiquée par le Maroc, charrie énormément de tares et autant d’imperfections. La notion même d’État, au sens où l’on entend en Occident, y est aussi volatile que le sable de son immense désert. D’ailleurs, ce pays a une très longue histoire avec les coups d’État, parfois d’une violence extrême. Avec ce dernier, et sans vouloir être sarcastique, il n’a fait que renouer avec une longue, très longue tradition.

La Mauritanie – qui est en fait le nom antique du Nord du Maroc- est l’un des pays les plus pauvres de la planète. Des famines y sont monnaie courante. Si ce n’était la sollicitude de la communauté internationale, beaucoup de ses habitants seraient déjà morts depuis longtemps. Les seules richesses du pays se résument à deux choses : la pêche et le fer. Le pétrole y a été découvert récemment, mais il faut peut-être attendre longtemps avant que son exploitation soit effective. En attendant, on joue à souhait aux mendiants sur la scène internationale.

La Mauritanie est aussi minée par le tribalisme. L’appartenance tribale y est toujours prépondérante, si ce n’est carrément déterminante. Autant dire que l’allégeance à l’État central y est une abstraction. Et ce n’est pas fini. Il faut savoir que l’esclavage, dont sont victimes les Noirs, y était aussi une pratique courante. Il n’a été aboli par la force de la loi que récemment, en raison principalement de la pression internationale. Mais il ne faut pas se faire d’illusions, c’est encore une pratique sociale largement répandue.

En fait, il faut bien se rendre à l’évidence, la démocratie mauritanienne est quasiment une incongruité. Parce que ni le pays lui-même avec tous ses défauts, ni son contexte régional ne lui permettent de le rester plus longtemps. Pensez-vous que tous les tyrans autour voient l’expérience de ce pays d’un bon œil ? Je n’en suis vraiment pas sûr. D’ailleurs, si étonnant que cela puisse être, le premier chef d’État à dépêcher un émissaire à Nouakchott est un modèle de « démocratie » et du « respect des droits de l’homme » : le tristement célèbre dictateur libyen, Kadhafi. C’est vous dire.

Pour conclure, disons que la démocratie, pour ne pas être une notion galvaudée, comme c’est le cas dans les autres pays nord-africains, exige avant tout un État. Et pas n’importe quel État. Un véritable État dans lequel se reconnaissent massivement les citoyens. Sans oublier qu’il faut impérativement un certain niveau de vie, une culture, une histoire… Aucun des autres pays nord-africain autrement plus riches n’ont encore atteint ce niveau et a fortiori la pauvre Mauritanie.

lundi, août 04, 2008

Obama est-il un miracle ?

La tournée qu’a effectuée, dernièrement, le candidat démocrate en Europe a fait couler beaucoup d’encre. Et attiré beaucoup de monde. À tel point qu’un chroniqueur anglais, un peu ironique sur les bords, n’a pas hésité à la comparer à la venue du Messie. Pour preuve, les centaines de milliers d’Allemands qui sont venus carrément « boire » son discours qu’il a fait en plein milieu de Berlin. Tout cela pour dire qu’Obama séduit. Énormément. Beaucoup même. Et les Européens ne sont pas les premiers à tomber dans son escarcelle. Les Américains ont déjà succombé aux charmes de cet homme que rien ne prédestinait à devenir ce qu’il est maintenant, et surtout ce qu’il va devenir -si tout va bien : le président de la première puissance mondiale, les États-Unis.

En effet, Obama – pour le discréditer, certains de ses adversaires de droite l'appellent ironiquement Osama- a plusieurs atouts –si on le compare à son rival, McCain. Il est jeune, intelligent, cultivé, éloquent, charismatique et noire. Noire, dites-vous ? Assurément. D’ailleurs, Mme Clinton, lors des très longues et harassantes primaires démocrates, ne s’est pas empêchée pour lui rappeler que la couleur de sa peau l’a beaucoup servi. Les Afro-américains, très nombreux dans le parti de l’âne, ont voté massivement pour lui. Que dire, ils l’ont carrément plébiscité. Parfois, cela frise les 80 %. Autant dire des scores quasiment staliniens.

Quant à nous, l’on ne peut que se féliciter de la réussite d’Obama, mais il ne faut pas se bercer d’illusions. La réalité est bien plus amère que cela. Le candidat des démocrates (avec quelques sportifs, artistes et intellectuels) reste, hélas, une exception dans une communauté noire victime de tous les malheurs. À franchement parler, elle est carrément sinistrée. Il faut savoir qu’elle est touchée par tous les maux de la société américaine à des proportions absolument terribles. Et les chiffres sont là pour le prouver et le démontrer, et de quelle manière!

Même si elle est une minorité -10% de la population totale américaine-, le taux du sida parmi ses membres dépasse celui des Blancs. 47% des Américains touchés par cette terrible épidémie sont noirs. Si étonnant que cela puisse être, ce chiffre pour le moins alarmant dépasse, et de loin, certains pays du tiers-monde. La Côte d’Ivoire, le Botswana et le Lesotho, pour ne citer que ceux-là. À rappeler que les Blancs ne représentent que 37% des malades alors qu’ils sont la majorité avec plus de 300 millions d’âmes. Éloquent, n’est-ce pas ?

Le chômage aussi fait des ravages. Il peut atteindre jusqu’à 50% dans certains ghettos. Résultat, la délinquance et la criminalité sont de rigueur. Énormément de Noirs croupissent dans les prisons et dans les couloirs de la mort. À peu près la moitié de la population carcérale est noire. Et les choses n’iront pas en s’arrangeant. En fait, ils empirent. Une étude faite récemment prévoit que dans quelques années un Afro-américain sur trois ira en prison. Mais déjà actuellement, un jeune noir a plus de chances d’aller en prison que dans un lycée.

At last but not least, plus de 60% d’enfants noirs grandissent dans des familles monoparentales. Autrement dit, nous avons affaire à une génération entière de gamins sans pères. Quel sera leur destin ? Dieu seul le sait. En tous les cas, il ne sera certainement pas rose. À ce propos, le candidat Obama y est allé tout de go pour rappeler cette triste réalité aux Afro-américains. Ce qui n’a pas fait que des heureux. La réaction violente du fameux Jesse Jackson -la jalousie peut aussi être un paramètre d’explication de cette sortie intempestive- dans une émission de télévision américaine en est la preuve.

Même si l’on ne veut pas assombrir davantage ce tableau déjà plus que désolant, il faut impérativement rappeler les multitudes discriminations au logement, au travail… dont sont quotidiennement victimes les Noirs. Ce qui finira, probablement, par convaincre les plus récalcitrants qu’Obama est décidément un vrai miracle. Rien que pour cela, il mérite amplement d’être comparé au Messie dans une Amérique où, hélas, il ne fait pas toujours bon d’avoir une peau foncée.