dimanche, mars 25, 2007

Iggout, le roi du sens et du banjo

Beaucoup gens peuvent soutenir, indiscutablement, sans la moindre hésitation, qu’Iggout Abdelhadi est réellement un enfant terrible du Souss. L’un des plus terribles de sa génération… Comme cette région, désespérément et rageusement, amazighe -c’est-à-dire libre et fière- sait en enfanter. Épisodiquement. Régulièrement. Vous avez probablement en mémoire feu Mohamed Khaïr-Eddine. Ce baroque-ciseleur-avant-gardiste pour le moins unique. Ce guérillero gaulophile, descendu tout droit de son « maquis » inexpugnable de Tafraout, a fait, pendant des décennies, la gloire de la poésie française. Il en a même chamboulé les dogmes… dans un big-bang créateur qui en a réjoui, jusqu’au nirvana, plus d’un. Iggout est de la trempe de cet immense homme. À juste titre. Légitimement. Mais dans son domaine. La musique. Ce fils prodige-virtuose de Dcheira a fait et fait toujours- même si c’est rarement malheureusement- la joie de tous les mélomanes férus des sons sortis des tréfonds douloureux d’un peuple irréductiblement insoumis, les Amazighs.
C’est un génie de la musique, une légende vivante, une icône connue et reconnue. Il a d’ailleurs, dans une rigueur implacable, créé son propre style musical, le « tazenzart ». Les succès les plus retentissants du groupe mythique Izenzaren porteront, éternellement, sa marque et sa flamme. Ad vitam aeternam. Or, et c’est vraiment étonnant, ce multi-instrumentiste autodidacte, incroyablement doué, difficilement imitable, « impossiblement » classable, n’a jamais mis les pieds dans aucune école de musique. Et pourtant tous les instruments à corde n’ont plus aucun secret pour lui. Depuis belle lurette. Grâce à son unique et seul talent. Et à sa rage de tout maîtriser. Coûte que coûte. Tout y passe, la guitare, le violon et surtout le banjo. Cet instrument de la douleur- et de la joie aussi- par excellence. Et pour cause. Ce sont les esclaves africains qui l’ont trimbalé dans le Nouveau Monde dans leur exodus cruellement forcé. En effet, c’est quelque part un instrument amazigh, parce que historiquement africain. Reste qu’Iggout en est, sans trop se perdre dans les méandres du détail , un indiscutable maître, pour ne pas employer un qualificatif propre aux universitaires, une véritable sommité.

Ses compositions sont extrêmement bien élaborées. Je dirais même très sophistiquées. En fait, elles sont tellement complexes que peu de gens peuvent l’imiter. Sauf quelques très rares initiés. Et encore ! Lors de ses spectacles, il y a toujours là, entassée, une pile de banjos de toutes sortes. Il y en a à quatre cordes, à six cordes… En fait, chaque chanson est jouée avec un type différent de banjo. En bandoulière, majestueusement au milieu de la scène, il le manie comme pas un. Dans une frénésie à vous couper le souffle. Dans une fusion-confusion exulto-extato-jubilatoire indéfinissable. L’un et l’autre finissent presque par se confondre. Pour ne plus être qu’un. Dans une ambiance qui vous transbahute, malgré vous, hors du temps. Le nôtre. Et vous transporte dans un autre temps fondamentalement musical. Aussi anciennes que soient ses odes et autres ballades, aussitôt qu’elles effleurent nos oreilles, on dirait que c’est la première fois. Elles ne vieillissent presque jamais. Elles sont statiques, inoxydables, intemporelles. En d’autres termes, elles sont éternellement jeunes. De cette jeunesse propre aux grandes œuvres de l’humanité.
Et que dire des paroles ? Interprétées avec sa voix sublime, elles suggèrent- et ne disent pas- un nombre infini de sens ! Plus que cela, ils sont « sens ». Car elles charrient toute la geste amazighe qui remonte à la nuit des temps. Elles sont telles des flèches qui taquinent, dans un désintéressement permanent, les plus réfractaires au questionnement. Avec leur côté hermétique. Pour les éprouver, il faut carrément une démarche intellectuelle, réfléchie, philosophique même. Autrement dit, il faut ni plus ni moins qu’être versé dans l’heméneutique amazighe. Car pas n’importe quel auditeur lambda peut en percevoir les signes et les messages. Et c’est le moins qu’on puisse dire. Ce qui est finalement tout à fait normal. Il faut savoir que c’est Mohamed Hanafi, un grand versificateur mais ô combien discret, voire même timide, qui en est, le plus souvent, l’auteur. Un homme de l’ombre, artisan surdoué du verbe, tailleur génial du vers et épanneleur tatillon de la rime, qui a toujours brillé par son anonymat. Le plus total. Comme si la poésie, la bonne poésie, ne s’accommodait pas avec la célébrité et la renommée.

Que vous soyez rassuré, Iggout ne rebute absolument pas. La preuve, à chacune de ses présentations, ce sont des milliers d’irréductibles aficionados qui se déplacent. Une fois sur scène, c’est un délire général. Une communion magique s’installe entre lui et la marée humaine, qui lui tient toujours lieu de public. Une chimie permanente, comme diraient certains, s’opère entre les deux. Les débordements sont vite arrivés. Heureusement jusqu’à ce jour, aucun dégât n’est à regretter. Mais il n’est pas rare qu’un fan très déterminé arrive par je ne sais quel subterfuge à le rejoindre. Sur scène. Pour l’embrasser, chaleureusement, rageusement, comme on le ferait pour un grand maître. Et même pour prendre une photo ou lui offrir de l’argent. Chose qu’il refuse systématiquement. C’est normal, il est l’un des rares artistes, si ce n’est le seul, à avoir une haute idée de la musique, de sa musique. D’autant plus que le côté solitaire, marginal, nomade, anticonformiste, bohémien, fier, indomptable même du personnage lui donne carrément un halo de mystère. On est carrément dans ce qui a de plus profond dans l’humain : le sacré. Iggout, par sa personnalité pour le moins frondeuse, par sa musique originale, par sa poésie impénétrable, à réussi à secouer, crûment, violemment, les arcanes de l’âme amazighe et même à en saisir le sens. Un sens qui ne s’accommode jamais, comme vous êtes censé le savoir, avec la capitulation et le renoncement. Longue vie à toi l’artiste!

mercredi, mars 21, 2007

Moha Mallal: l'artiste total

Artiste total dites-vous ? Ce n’est absolument pas usurpé dans le cas de Moha Mallal. Pour preuve, il est musicien, chanteur, auteur-compositeur, poète, peintre, plasticien, caricaturiste, portraitiste... Ce n’est pas pour faire de l’esbroufe que de dire cela, ce professeur d’art plastique haut en couleur – c’est le cas de le dire- est effectivement et réellement tout cela à la fois. Il trouve même un certain plaisir à jouer avec toutes ces casquettes. Entre nous, j’avoue qu’il a bien raison. Qui peut prétendre avoir autant de dons en même temps ?

C’est en cette année bénie de 1965 qu’il voit jour à Tamlalte, un village du Dadès, une région au pied de l’Atlas ô combien fascinante ! Avec quasiment un pinceau à la main. Et je n’exagère absolument rien. Encore très jeune, sa vocation de portraitiste talentueux s’est éclose. Avec délices et orgues. Comme tous les artistes innés, il est vite passé maître dans la reproduction de tout ce qui lui passe sous les yeux. Il est presque atteint d’une boulimie de croqueur insatiable. « J’ai dessiné sur tous les supports possibles et je me suis servi de tous les pigments qui me tombent sous la main », se rappelle-t-il un tantinet nostalgique. Aux premières lueurs de l’adolescence, son art est même utilisé « à bon escient », à savoir séduire la gent féminine. Reconnaissons que c’est un argument de taille. Entre nous, qui n’aurait pas fait de même ? « Toujours est-il que toutes les jolies filles du village ont eu droit à un portrait », confesse-t-il avec une pointe de malice dans les yeux.

Parents prévenants

Quant à ses parents, ils n’ont jamais joué aux castrateurs et encore moins aux gêneurs. Ce qui est quand même extrêmement rare dans les mœurs de nos familles amazighes. En fait, ils ont toujours béni ses choix s’ils ne lui ont pas prêté main forte. Pour preuve, le premier modèle qu’il s’est amusé à peindre n’était autre que sa propre maman. « Elle s’est toujours prêtée au jeu, le plus normalement du monde », déclare Mallal très reconnaissant. Bien plus, Idir, son père, mineur de profession, voyant que son rejeton est pour le moins doué, l’encourageait autant qu’il pouvait. « Il n’hésitait pas à me ramener un tas de bandes dessinées que je recopiais avec un plaisir immense », confie Moha un léger trémolo dans la voix. Bien plus, il ne refusait jamais de lui acheter des couleurs et des feuilles de dessin. Même si la famille ne roulait pas forcément sur l’or.

D’une année à une autre, l’immense talent de Mallal se confirme. Ses efforts d’autodidacte acharné donnent leurs premiers fruits. La reconnaissance du public est enfin au rendez-vous. Ce qui s’est matérialisé par une première exposition en 1984, grâce au soutien d’Anwar Souss, une association bien connue à Agadir. Vers la même période, il a organisé, tout seul, une autre exposition portant sur toutes ses caricatures dans l’enceinte de l’université des sciences de la même ville. Suivent d’autres participations tant au Maroc qu’à l’étranger. « Mais ma meilleure expérience, raconte-t-il, est lorsque j’ai été choisi parmi tant d’autres jeunes artistes pour travailler, en 1991, avec les étudiants de l’École des beaux-arts de Grenoble à Marrakech et ensuite, pour deux fois, en France. Depuis, je n’ai jamais coupé les ponts avec les responsables de cette école, car nous sommes continuellement en contact. »

Comment définit-il son style surtout que depuis 1998, il s’est lancé dans l’aquarelle gestuelle (travailler directement au pinceau) ? « Mon style est de ne pas avoir un style bien précis. Je déteste par-dessus tout les contraintes dans l’art. Je représente tout ce qui me plaît comme je le sens. Que ce soit par l’abstraction ou la figuration ou d’autres techniques esthétiques. Mais j’ai quand même une constante : les motifs et les signes de ma culture amazighe sont toujours et systématiquement présents », explique-t-il d’une manière quasi didactique. Nonobstant son temps chargé, il n’a pas oublié ses confrères peintres. Chaque année, et ce depuis l’an 2000, il les réunit régulièrement au moins d’avril pour une exposition à la Kasbah de Taourirt à Ouarzazate. Par ailleurs, dernièrement, il s’est trouvé un autre centre d’intérêt : l’écriture sur l’art et sur les artistes de sa région. Et pour peu qu’il soit sollicité, il anime également des conférences et des ateliers de création. Avis donc aux intéressés !

Comme tout grand artiste, il rayonne autour de lui. Que dire, il irradie carrément. Sa famille en entier a succombé, avec délectation, à son influence. Toute sa fratrie en a pris, peu ou proue, de la graine. Sa sœur Fatima est devenue une grande plasticienne que s’arrachent les galeries les plus cotées au pays et à l’étranger. En effet, peu de femmes et même peu d’hommes artistes peuvent s’enorgueillir d’avoir un CV aussi complet que le sien. De fait, elle a exposé non seulement au Maroc, mais aussi un peu partout sur le globe : Espagne, Bahreïn, France, États-Unis... Son frère Lahcen est styliste en Hollande alors que Driss, son dernier frère, en plus d’être artiste et chanteur il s’intéresse beaucoup à la culture amazighe dans ses interactions avec le fond civilisationnel méditerranéen. Même Amnay, son petit bout de choux de 2 ans et demi, commence déjà à peindre. Tel père, tel fils, dirons-nous. J’ai vu quelques-unes de ces œuvres, et ce que je peux vous dire, c’est que ça promet beaucoup !

Troubadour engagé

Plus que présent dans la vie de notre artiste, le père a, une fois de plus, joué un rôle déterminant dans son orientation musicale. Comme c’était le cas avec la peinture. À l’âge de 14 ans, il lui a acheté une petite guitare de son propre chef. En papa poule, il anticipe systématiquement sur les désirs de son garçon. Reconnaissez que c’est quand même exceptionnel ! Bon nombre de nos ascendants amazighs auraient eu une toute autre attitude. Beaucoup de nos grands artistes et non des moindres ont tous presque subi les foudres de la colère paternelle. Parce qu’ils ont été pris en « flagrant délit » de grattage d’une guitare ou de pratique de tout autre instrument musical. Explication : la musique et les musiciens n’ont pas toujours, quoi qu’on puisse dire, bonne presse dans l’imaginaire populaire. C‘est loin d’être le cas de Mallal père. Et c’est le moins qu’on puisse dire.

« Mais avant d’avoir cette guitare, je grattais des nuits entières un instrument de ma fabrication personnelle au bord du fleuve de Dadès. Mes premiers enregistrements datent de 1982 déjà et les artistes qui m’ont inspiré le plus étaient Jacques Brel, Idir et Aït Menguellat... », nous révèle Moha non sans un peu de fierté. Mais ce sont les cours d’histoire qu’il prenait à l’université en 1984 qui ont fini par le convaincre de s’engager, franchement et sérieusement, dans la chanson. « Car, selon lui, ils dégageaient une vision pour le moins haineuse contre tout ce qui est amazigh au Maroc. J’ai été touché au plus profond de moi-même. Je suis devenu par conséquent un autre homme avec une toute autre conception des choses et surtout de nos gouvernants. » Désormais, il s’est fait un point d’honneur de combattre l’idéologie ambiante qui charrie beaucoup de stigmates contre son peuple et son identité amazighes. Ses seules et uniques armes sont sa guitare et ses chants. Un choix pour le moins raisonnable d’autant qu’ils ont prouvé leur efficacité sous d’autres cieux.

En plus de la cause amazighe qu’il a fait sienne, ad vitam aeternam, Mallal a un autre objectif tout aussi noble. « J’essaye au maximum de donner une dimension universelle à la musique amazighe en la modernisant autant que faire se peut. Sans pour autant dénaturer les rythmes musicaux de mon Haut Atlas natal. Et même si je suis chanteur, je l’avoue, je me sens l’âme d’un poète plus qu’autre chose », avoue-t-il. Malgré sa longue carrière de chansonnier consciencieux, il n’a pu enregistrer, Asif n Dades, son premier album qu’en 1997. En fait, il en a sorti cinq à ce jour et le sixième est en route ( Sellagh en 1999, Timelillay en 2001, Uyema atwarg en 2003 et Azmul en 2005). Quid des paroles ? C’est lui-même qui en est l’auteur. À l’en croire, il a à son actif jusqu’à présent plus de 500 poèmes. En barde plus que confirmé, il en écrit depuis 1984. Résultat : il a publié dernièrement « Anzwum » ( souci), son premier recueil où sont compilés certains de ses écrits. Quelques-uns ont même été repris par le groupe amazigho-américain, AZA, et par quelques graines de stars dont Mustapha Louardi, Saïd Mourad, Mustapha Jabraoui et son frère Driss Mallal.

Bûcheur touche-à-tout

Pour éviter tous les casse-tête d’enregistrement, de production et de distribution, il s’est démené comme un diable pour monter sa propre maison d’édition (Izli Productions). Surtout qu’il a eu tout le mal du monde à faire sortir ses trois premiers albums. Équipée d’un studio d’enregistrement moderne, il ne se l’est pas accaparé à lui tout seul. Loin s’en faut. Soucieux de donner un coup d’accélérateur à la créativité en tamazight et surtout altruiste qu’il est, beaucoup de jeunes talents de la région ont pu grâce à son soutien réaliser leurs premiers albums. Le plus simplement du monde. « Le but principal étant de créer une chanson amazighe de qualité », nous dit-il très humblement. Décidé qu’il est, il met les bouchées doubles pour bien faire, en laissant dire.

Avec autant de production musicale de qualité, Mallal ne peut qu’être demandé par tous les organisateurs de concerts. Il a effectivement pris part à plusieurs grands festivals, mais ses meilleures participations, comme il le reconnaît lui-même, ont eu lieu aux Îles Canaries, Gent en Belgique, Timitar à Agadir, l’été amazigh à Rabat... Avec l’immense talent de ce grand monsieur de la chanson amazighe, il n’y a pas de raison qu’il n’y en aura pas d’autres ! Houssaine Ouâcrhine, poète, écrivain et infatigable militant des droits l’homme, en dresse ce portrait poétisé pour le moins juste : « Mallal, l'insatiable capteur des fibres qui font résonner l'amazighité avec ses sens pour la passer dans le laboratoire de la mémoire, la dépoussiérer en lui donnant sa nerveuse vigueur et la livrer dans une poétique humaniste à la conscience universelle. Il est le génie d'un lointain que porte son regard avaleur des cieux et des cimes, brillant au-dessus de sa vallée rubanaire qui berce une humanité entière et authentique. C'est l'Aragon des hauteurs marocaines, ces plateaux où le soleil éclaire les silhouettes des tombes pour y ressusciter les âmes des héros. »

Pour finir, une question se pose quand même avec acuité : pourquoi autant de frénésie à tout faire en défiant presque le temps ? « Pour faire avancer notre cause amazighe, il faut toucher à tous les domaines possibles sans laisser en échapper aucun », précise-t-il. D’ailleurs le cinéma est dans sa ligne de mire ces derniers temps. Extrêmement entreprenant, il a rassemblé autour de lui nombre de jeunes cinéphiles pour leur donner des cours intensifs de scénario. Espérons que cela donnera des fruits le plus tôt possible ! « Mais parfois je me demande si je suis un fou ou un génie », s’interroge-t-il un peu philosophe. Qu’on le rassure toute affaire cessante, pour nous, admirateurs connus ou anonymes, il n’est plus ni moins qu’un génie. Qu’il continue à nous donner du plaisir avec sont art ! On ne demande pas mieux que cela !

dimanche, mars 18, 2007

RTM : une émission sur Izenzaren ou un hymne à Nass El Ghiwane

Enfin, la télévision marocaine a décidé de lever le boycott sur le groupe mythique Izenzaren. Après une immense carrière de plus 35 ans. Rendez-vous compte ! Mais il vaut mieux tard que jamais ! C’est l’émission " tillas " ( obscurités), pardon " tifawin " ( lumières) qui a eu l’insigne privilège de présenter pour la première ces Beatles amazighs. Je dis " tillas " à dessein bien évidemment. Car comme on s’y attendait ça a été un ratage complet, un vrai bide, une véritable connerie. Comme toujours d’ailleurs. Le reportage -si on peut cela cette chose immonde un reportage -, est une insulte à Izenzaren même et au-delà au peuple amazigh. D’ailleurs, il y en a eu plusieurs et nous allons vous parler de quelques-unes plus tard. Dans n’importe quelle école de journalisme, un tel travail de bricoleurs (et là nous sommes encore gentils) aurait certainement et automatiquement un gros " achefenj " ( zéro), comme dirait ma petite maman.

La première des insultes : dès le début du dit " reportage ", nous avons la nette impression que ce n’est plus Izenzaren dont il était question, mais plutôt Nass El Ghiwane. Oui, oui, à ce point. On parle tellement de ces derniers, en bien évidemment, que je me demande pourquoi évoquer Izenzaren. On nous sort même, et c’est vraiment le toupet, des images de je ne sais quel quartier de Casablanca. Comme si ce groupe mythique n’est plus du Souss, mais quelque part dans le Chaouia. Reste que l’idée maîtresse dans cet amas d’images sans queue ni tête est ainsi : Izenzaren ne sont qu’une pâle imitation de Nass El Ghiwane. Rien que cela ! Il s’en fallait de peu pour affirmer que sans eux il n’y aurait même plus d’êtres humains dans le Souss et, pendant qu’on y est, même sur terre. Remarquez, on n’en était vraiment pas loin. Tellement on a loué sans mesure ce groupe et sa musique. Décidément… Mais à titre personnel, et n’en déplaise à certains, comment écouter Nass El Ghiwane après avoir écouté Izenzaren ? Il n’y pas photo, ces derniers sont de loin les meilleurs. Car uniques, incroyablement doués, terriblement talentueux.

La deuxième : ce sont les deux péquenots locaux qui n’arrêtaient pas de monopoliser la parole avec leur arabe pré-islamique et leur accent d’Idaw Addi. Et ce pour raconter des énormités plus grosses qu’eux-mêmes. De parfaites têtes à claques. Franchement, en quoi Izenzaren sont des soufis ? Pendant qu’on y est, comparons Iggout avec Abdeslam Yassine et Aziz Chamkh à Moulay " je ne sais plus quoi " El Mchichi. Soyons pour une fois objectifs, en quoi Izenzaren peuvent être comparés à Nass El Ghiwan ? Ils diffèrent sur tout, ils n’ont absolument rien de commun : ni la langue, ni les paroles, ni les thèmes abordés, ni même les rythmes employés… En quoi Iggout, un multi-instrumentiste génial, un génie de la musique et une voix hors pair, peut être comparé à Larbi Batma, qui n’est qu’un simple percussionniste avec une voix qui n’a rien d’extraordinaire ? Mais c’est vraiment ahurissant de dire de telles débilités et de les soutenir. Fièrement. Avec arrogance. Sans avoir froid aux yeux. C’est ce que malheureusement nos deux bavards, et tous ceux dans leur sillage, ont fait avec une jouissance plus que visible. Quant à la présentatrice, elle était très heureuse, elle était aux anges. Totalement. Entièrement. Car elle a eu la confirmation de ces petits a priori et ces préjugés d’un autre âge : si ce n’était pas leurs maîtres arabes, les Amazighs ne seront que des sous-hommes, des sauvages et des barbares incapables de parler et à plus forte raison chanter.

La troisième : à aucun moment, il n’a été pensé faire intervenir les vrais acteurs de la saga d’Izenzaren, dépositaires de la culture musicale du Souss ( Ahwach, rways et les premiers groupes modernes dans la région : Tabghaynuzt, Imurigen, Laqdam…). Ceux qui ont été à l’origine de ce mouvement musical absolument phénoménal. Nous avons entendu beaucoup de monde, sauf eux. Parce qu’on ne leur a même pas donné l’occasion. Parce que leur point de vue n’intéresse personne. Et si par hasard on donne la parole à quelques-uns pour s’exprimer, c’est pour leur intimer l’ordre, immédiatement, de confirmer les sornettes dites et redites. Dans un flot de paroles confuses à vous causer une syncope. Mais le plus insupportable dans cette histoire, c’est la violation de l’intimité de notre grand artiste Iggout Abdlhadi. Le fait de débâcher effrontément sa voiture et montrer, crûment, honteusement, son modeste domicile est tout simplement insupportable. Parce que ça ne se fait pas. Parce qu’il y a quelque chose de particulièrement malsain et d’injurieux dans ses images. Lui a-t-on demandé son autorisation ? Au vu de ses propos, tout indique que non. En fait, le reportage, au-delà de sa médiocrité et la médiocrité de ceux qui l’ont préparé, est fait non pas pour éclairer, mais pour calomnier la légende vivante de la musique amazighe, Inzenzaren. Et on ose dire que " Tifawin " est faite pour montrer l’amazighité sous un meilleur jour ? N’importe quoi !

On ne le dira jamais assez, tout cela est notre faute. Je veux parler bien évidemment des Amazighs. À nous de prendre nos caméras et de faire nos propres documentaires, et en tamazight, sur nos grands artistes. Il ne faut pas s’attendre à ce que de parfaits étrangers amazighophobes fassent notre travail à notre place. À nous de nous prendre en charge. Sinon, on aura toujours des navets de ce genre où on se fait copieusement rabaisser, mépriser, dénigrer. Retroussons les manches, sans plus attendre … !