dimanche, août 24, 2008

Abdellah Amennou : « Nous avons fait mieux que Timitar »

L’on peut parfois faire de très bonnes choses, il suffit qu’il y ait un peu de sérieux et beaucoup de volonté. C’est ce que la dynamique société civile d’Achtouken nous a montré, et de quelle manière ! Pendant trois jours, du 6 au 9 août plus précisément, Aït Baha et Biougra ont vécu à l’heure d’une activité culturelle intense. Et ce, pour le plus grand bonheur des habitants, plutôt habitués à un désert culturel désespérant. Parmi ceux qui ont participé, activement à l’organisation et au succès de cette manifestation, le jeune plasticien Abdellah Amennou. Voilà le résultat de notre échange, réalisé à l’origine en tamazight, mais que je vous ai traduit avec beaucoup de plaisir.

Quel bilan faites-vous de la première édition du festival d'Amarg à Achtouken ?

Pour tout vous dire, tout s’est très bien passé. Pendant quatre jours, la programmation, que ce soit à Biougra ou à Aït Baha, a été un succès à plus d’un titre. Je peux vous affirmer, sans prétention aucune, que le taux de réussite peut être estimé à quelque 80%. Ce qui est encourageant pour une première. Une explication ? En fait, c’est très simple. Cette fois-ci ce sont les vrais enfants du pays, tous très actifs au sein de la société civile locale, qui ont pris les choses à bras-le-corps et non plus les makhzeniens médiocres, « importés » de je ne sais quel lointain bled. Même si d’importants moyens ne sont pas au rendez-vous, je peux vous assurer que notre festival est cent fois mieux que celui Timitar, qui engloutit, chaque année, des sommes incroyablement astronomiques pour faire la promotion de tout et surtout d’un grand n’importe quoi. En tous les cas, il est certain que l’on ne ménagera pas nos efforts pour améliorer davantage les choses. Car, vu notre immense succès, d’autres sociétés privées se sont précipitées sur nous et nous ont promis de mettre la main à la poche, l’année prochaine.

Pourquoi avoir donné le nom de feu Janti à cette édition ?

A part lui, qu’est-ce que vous voulez qu’on lui donne ? Cet homme était le courage même. C’est encore et toujours notre grande fierté. Parce qu’il était un grand militant désintéressé, qui, grâce à ses dons poétiques, a su mobiliser les gens contre toutes les injustices et contre les colonialistes de tout bord. Bien plus, il était un philosophe, mais à sa manière. Toutes ses paroles sont devenues des maximes qui se transmettent de génération en génération. Les Français, qui l’ont bien connu et reconnu sa valeur, ne disaient-ils pas que ses poèmes peuvent même ressusciter les morts ?

Le programme du festival n’est pas uniquement musical…

En effet. Il y a eu trois intéressantes conférences. La première a abordé la poésie amazighe de la résistance pendant la période française. Elle a été animée respectivement par les chercheurs Abderrahim Fares, Mohamed Bastam, Ahmed Bouzid, l’écrivain Mohamed Moustaoui et le grand poète Dda Brahim Oubella, venu spécialement de Tata. La deuxième, qui a vu une affluence importante du public, a porté sur l’art de tarrayst. Là, nous avons eu droit à une très belle prestation de Ali Faïk, qui n’est autre que le leader et le chanteur du fameux groupe Amarg Fusion, qui a évoqué longuement ce sujet. En faisant une part belle aux instruments anciens de cet art ancestral, ô combien, emblématique de notre si belle région, le Souss. Quant à la dernière, elle a vu la rencontre entre quelques poètes avec un groupe de chercheurs dans le domaine amazigh. Et ce, pour éclairer l’auditoire avide du savoir sur les caractéristiques de notre poésie et surtout sur son immense richesse.

Qu'en est-il de la programmation musicale ?

Le premier jour à Aït Baha a vu la participation des rways de Masst, Ismgan d’Aït Baha, Ali Chouhad et Kimroun. Au deuxième jour à Biougra, il y a eu les prestations de Lahsen Ouhihi, Amentag, Lfetwaki, Ismgan et bien évidemment notre inimitable Ajmak. Le dernier jour, c’était les poids lourds de la musique amazighe moderne : le très grand Ammouri Mbarek, Amarg Fusion et les légendaires Izenzaren. L’animation a été assurée excellemment bien par l’humoriste Aslal.

Et qu’en est-il du public ?

C’était tout simplement incroyable et inoubliable. Il a répondu bien évidemment massivement présent. Il est venu de partout du Souss et même d’ailleurs.
Pour voir quelques photos, vous n'avez qu'à cliquer sur ce lien :

samedi, août 09, 2008

Akounad, un grand écrivain en prose

Mohamed Akounad est un romancier que beaucoup doivent nous envier. Tellement il est talentueux. Autant dire que ce n’est pas n’importe qui. En fait, nous avons affaire à un homme de grande qualité. Une singularité dans une mouvance amazighe minée, il faut dire ce qu’il y a, par des égos hypertrophiés, des intérêts personnels et des calculs mesquins. Pour encore combien de temps ? Dieu seul le sait. Passons !

La première fois que j’ai eu l’heureuse occasion d’entendre Dda Moh -c’est ainsi que l’on appelle plus par respect qu’autre chose- date d’il y a longtemps. Au début des années 90 du siècle passé. Et oui, le temps passe très vite ! À l’époque, il préparait et présentait, à titre de bénévole –c’est toujours le cas-, une excellente émission hebdomadaire sur les ondes de la radio régionale d’Agadir.

Déjà le titre de cette fameuse émission, le savoir : le droit de tout un chacun (Tawssna, taghamt n kuyan), nous annonce la couleur. Au-delà de toutes les choses pertinentes que l’on peut y apprendre, ce qui a retenu le plus particulièrement mon attention, c’est son effort de traiter tous les sujets, si complexes et compliqués qu’ils puissent être, dans une langue amazighe absolument fraîche, épurée, châtiée et accessible à tout le monde.

Autant dire une découverte pour moi et une première dans un mouvement amazigh encore à la recherche de ses marques. « Avec son émission culturelle intitulée ‘’ Tawssna taghamt n ku yan’’, devenue ultérieurement ‘’Tawssna tamazight’’, diffusée jusqu’à nos jours (1993-2007), M. Akounad marqua ainsi le domaine des médias amazighs», affirma, péremptoire, Anir Bouyaâkoubi, un jeune militant qui l’a beaucoup fréquenté au sein de l’association de Tamaynut à Agadir.

Enfin, la rencontre

Depuis cette époque, j’ai toujours voulu le rencontrer. Mais le destin en a toujours décidé autrement. Je n’ai pu malheureusement faire sa connaissance que l’année dernière. Que dire ! Il correspondait tout à fait à l’image que je me suis faisais de lui. Un homme bien dans ses baskets et droit dans ses bottes, même si tout chez lui inspire la simplicité, la discrétion et même une certaine pudeur. Celle-là même que l’on ne trouve que chez les Amazighs qui ont toujours baigné dans leur culture maternelle. Ce qui est le cas de ce fils prodigieux d’Ihahan. Même s’il a perdu, malheureusement, le très charmant accent qui caractérise tant cette partie du Souss.

Attablés à la terrasse feutrée d’un café en plein centre d’Agadir, il s’est alors épanché sur ses multiples activités. Le geste lent, le regard trahissant une volonté inébranlable, le ton toujours lénitif, le phrasé souvent concis si ce n’est nerveux, il m’a longuement parlé sur la culture amazighe, le militantisme associatif, les joies et les dépits de l’écriture et tant d’autres choses. Pour tout vous dire, échanger avec un homme de ce calibre était pour moi plus qu’un plaisir. Un véritable enchantement. Je ne voyais même pas le temps passer. Même si je savais que je l’empêchais de s’adonner à ses habitudes quotidiennes, j’insistais énormément pour que l’on se voie encore une fois. Il acceptait toujours comme s’il avait peur de m’offusquer.

Chemin faisant, j’ai découvert un homme d’une grande sensibilité avec un sens de l’engagement, voire de don de soi, très rare chez les nôtres. « Même si je ne roule pas sur l’or, tous mes livres sont publiés à compte d’auteur », me dit-il. « Il ne faut jamais s’attendre à gagner de l’argent en écrivant, mais peut-être un jour…», souligna-t-il tout à fait confiant. L’optimisme, il en à en revendre. Toujours aussi pédagogue -avant sa retraite, il était professeur-, il arrive toujours à montrer, d’une manière on ne peut plus claire et avec des mots extrêmement simples, le côté positif des choses. En réussissant, toujours, la gageur de convaincre.

Un as du tamazight

Quant à la connaissance de la langue amazighe, il faut dire qu’il est tout simplement imbattable. Il en maîtrise toutes les subtilités et tous les secrets. Il a en a fait plus d’une fois la démonstration dans ses très nombreuses publications (Tawargit d imikk, Iijjigen n tidi…). Mais il est toujours continuellement avide d’en savoir davantage. D’ailleurs, il a un grand sens de l’écoute. Sans jamais gober béatement tout ce qu’on lui dit. En fait, il est extrêmement critique, y compris avec lui-même. Car il sait pertinemment que le domaine amazigh grouille de beaucoup de dilettantes qui peuvent dire tout et n’importe quoi. Et j’en ai eu la preuve. À mes dépens en plus.

Exemple : lorsque je lui avais dit que la banane en tamazight se dit « ikiwd », il a été plus que sceptique même s’il le cachait derrière un long sourire complice. Mais quelques jours après, il en a eu la confirmation la plus indiscutable lorsqu’on avait été, ensemble, à Aourir où l’on produisait de la banane depuis la nuit des temps. Et ce, de la bouche même d’un fils de la région et vendeur de bananes de son état.

Dda Moh est ainsi. Un homme de rigueur, de sincérité et de beaucoup d’efficacité. Si l’on avait plusieurs comme lui, il est plus que certain que le destin des Amazighs aurait été autrement. En tous les cas, il n’aurait pas été aussi tragique que ce qu’il est maintenant.
*****Si vous voulez en savoir davantage sur M. Akounad, vous pouvez visiter son site Internet où il écrit régulièrement des chroniques en tamazight : http://www.akunad.com/*****

jeudi, août 07, 2008

La Mauritanie: la fin d'une exception

Des généraux de l’armée mauritanienne, courroucés par la décision de leur président de les limoger, ont organisé le plus simplement du monde un coup d’État pour le destituer. Ainsi, ce que d’aucuns qualifient d’une expérience des plus uniques dans une région sinistrée- l’Afrique du Nord-, parce que gouvernée ad vitam aeternam par d’impitoyables dictatures, n’aura pas duré longtemps. Tout juste quelques mois. Certains pince-sans-rire diront que c’est déjà beaucoup. Et, hélas, ils ont bien raison. Pourquoi ? Continuez la lecture pour connaître la réponse !

La Mauritanie, une création ex nihilo de l’ex-puissance coloniale française, un temps revendiquée par le Maroc, charrie énormément de tares et autant d’imperfections. La notion même d’État, au sens où l’on entend en Occident, y est aussi volatile que le sable de son immense désert. D’ailleurs, ce pays a une très longue histoire avec les coups d’État, parfois d’une violence extrême. Avec ce dernier, et sans vouloir être sarcastique, il n’a fait que renouer avec une longue, très longue tradition.

La Mauritanie – qui est en fait le nom antique du Nord du Maroc- est l’un des pays les plus pauvres de la planète. Des famines y sont monnaie courante. Si ce n’était la sollicitude de la communauté internationale, beaucoup de ses habitants seraient déjà morts depuis longtemps. Les seules richesses du pays se résument à deux choses : la pêche et le fer. Le pétrole y a été découvert récemment, mais il faut peut-être attendre longtemps avant que son exploitation soit effective. En attendant, on joue à souhait aux mendiants sur la scène internationale.

La Mauritanie est aussi minée par le tribalisme. L’appartenance tribale y est toujours prépondérante, si ce n’est carrément déterminante. Autant dire que l’allégeance à l’État central y est une abstraction. Et ce n’est pas fini. Il faut savoir que l’esclavage, dont sont victimes les Noirs, y était aussi une pratique courante. Il n’a été aboli par la force de la loi que récemment, en raison principalement de la pression internationale. Mais il ne faut pas se faire d’illusions, c’est encore une pratique sociale largement répandue.

En fait, il faut bien se rendre à l’évidence, la démocratie mauritanienne est quasiment une incongruité. Parce que ni le pays lui-même avec tous ses défauts, ni son contexte régional ne lui permettent de le rester plus longtemps. Pensez-vous que tous les tyrans autour voient l’expérience de ce pays d’un bon œil ? Je n’en suis vraiment pas sûr. D’ailleurs, si étonnant que cela puisse être, le premier chef d’État à dépêcher un émissaire à Nouakchott est un modèle de « démocratie » et du « respect des droits de l’homme » : le tristement célèbre dictateur libyen, Kadhafi. C’est vous dire.

Pour conclure, disons que la démocratie, pour ne pas être une notion galvaudée, comme c’est le cas dans les autres pays nord-africains, exige avant tout un État. Et pas n’importe quel État. Un véritable État dans lequel se reconnaissent massivement les citoyens. Sans oublier qu’il faut impérativement un certain niveau de vie, une culture, une histoire… Aucun des autres pays nord-africain autrement plus riches n’ont encore atteint ce niveau et a fortiori la pauvre Mauritanie.