samedi, avril 02, 2011

Un timide intellectuel américain a écrit un manuel utilisé dans les révolutions

Chers lecteurs, je vous soumets une traduction de l'anglais que j'ai faite d'un article fort intéressant, publié dernièrement sur les colonnes du prestigieux journal, le New York Times. Il parle d'un intellectuel américain qui avait écrit, il y a longtemps déjà, un manuel très intéressant sur les combats et les luttes non-violents, intitulé, De la dictature à la démocratie.

Il paraît, et c'est à mettre au crédit des journalistes américains, que les techniques pacifiques qui y sont exposées ont eu raison de pas mal de dictateurs un peu partout dans le monde.

Si jamais la lecture de l'article ci-dessous a provoqué de la curiosité en vous, comme c'était mon cas, et vous voulez consulter le fameux manuel, vous avez son URL mise à votre disposition complètement en bas. Vous n'avez qu'à cliquer dessus et vous serez servi illico presto. En tous les cas, je vous souhaite bonne lecture !

À l’autre bout du monde, loin de la place Tahrir au Caire, un vieil intellectuel américain vit dans sa maison de briques, située dans un quartier ouvrier de Boston. Son nom est Gene Sharp. À 83 ans, courbé et tête blanche, il s’occupe de ses orchidées. Même s’il ne maîtrise pas encore Internet, il ne semble aucunement être un homme dangereux. Pour autant, pour tous les tyrans du monde, ces idées peuvent être fatales.

En fait, peu d’Américains ont entendu parler de ce Monsieur. Mais, des décennies durant, ses écrits pratiques sur les révolutions non-violentes – notamment De la dictature à la démocratie, un manuel de 93 pages expliquant les techniques à même de renverser les autocrates, traduit d’ailleurs en 24 langues et disponible pour le téléchargement sur Internet- a inspiré nombre de dissidents un peu partout dans le monde. De la Birmanie, en passant par la Bosnie, l’Estonie et le Zimbabwe, jusqu’à la Tunisie et l’Égypte récemment.

« Lorsque le mouvement égyptien des jeunes du 6 avril s’évertuait à se remettre de son échec de 2005, ses animateurs ont été agités par toutes sortes d’idées sur la meilleure manière de faire tomber le gouvernement », se souvient Ahmed Maher, l’un de ses leaders les plus en vue. Ils sont donc tombés sur M. Sharp lorsqu’ils examinaient le mouvement serbe, Otpor, qu’il avait beaucoup influencé.

Quand un organisme américain indépendant, le Centre international sur les conflits non-violents, qui forme les militants pro-démocratie, a réussi à animer quelques ateliers au Caire, parmi les documents qu’il avait distribués ce jour-là, il y avait celui de M. Sharap, Les 198 méthodes sur les actions non-violentes, une liste de tactiques qui va de la grève de la faim, aux protestations de nudité jusqu’à la révélation de l’identité des agents secrets.

Dalia Ziada, une blogueuse et militante égyptienne qui a assisté à la formation et organisé elle-même, par la suite, des séances de la même nature, a affirmé que les participants étaient très actifs dans les révoltes tunisienne et égyptienne. Certains parmi eux ont même traduit en arabe des extraits de l’œuvre de Sharp et son idée phare de « s’attaquer aux faiblesse des dictateurs » leur ai resté en mémoire.

Peter Ackerman, l’ex-étudiant de M. Sharp, qui a d’ailleurs fondé le Centre précédemment cité sur la non-violence et qui a dirigé le fameux atelier de formation au Caire, aime à dire qu’avec le travail de son professeur les idées ont un grand pouvoir.

Par ailleurs, M. Sharp, intransigeant mais excessivement timide, ne veut s’attribuer aucun mérite. Il est plus un penseur que réellement un révolutionnaire, même si, dans sa jeunesse, il a participé aux protestations de Déjeuners du Mouvement civil américain et, en tant qu’objecteur de conscience, lors de la guerre de Corée, il a été condamné à neuf mois de prison qu’il avait passés dans un pénitencier fédéral à Danbury dans l’État du Connecticut.

Il avoue qu’il n’a aucun contact avec le mouvement de protestation égyptien, même si, récemment, il apprend que les Frères musulmans ont posté sur leur site Internet son livre, De la dictature à la démocratie.

Alors qu’il voyait la chute du dictateur égyptien, Hosni Moubarak, comme un signe d’encouragement, M. Sharp a tenu à trancher en disant : « Les Égyptiens l’ont fait, pas moi.» Même si’il avait suivi pratiquement tous les événements en direct sur les ondes de la chaîne CNN à partir de sa modeste maison qu’il avait achetée en 1968 avec la bagatelle somme de 150$ sans les taxes -elles lui avaient été retournées.

C’est cette maison qui est justement le siège de l’Institut Albert Einstein, une organisation fondée par M. Sharp en 1983 alors qu’il animait des séminaires à Harvard et enseignait la science politique à ce qui est maintenant l’Université de Massachusettes à Dartmouth. Ses membres dirigeants sont lui-même, son assistante, Jamila Raquib, dont la famille a fui l’oppression soviétique alors qu’elle n’avait que 5 ans, un directeur travaillant à mi-temps et un golden retriever- c’est un chien- nommé Sally. Leur bureau porte un grand poster où l’on peut lire ceci : « Gotov Je! » - une expression serbe voulant dire, il est fini.

À cette époque des Twitters révolutionnaires, Internet a peu d’attrait pour M. Sharp. Il n’est pas inscrit sur Facebook et ne s’aventure même pas sur le site son Institut (« Je sais, je dois le faire », disait-il en s’excusant). S’il doit envoyer un courriel, il doit revoir sa note écrite à la main que Mme Raquib a tapée sur son Macintoch très moderne dans un bureau plein de livres et de journaux.

Quelques personnes pensent que M. Sharp est un pacifiste et un gauchiste caché – dans les années 50, il a écrit pour un magasine nommé, Peace News, et il a même une fois travaillé comme secrétaire personnel pour A. J. Muste, un syndicaliste et un pacifiste célèbre-, mais il insiste sur le fait qu’il s’est lassé de son pacifisme de ses débuts et se définit lui-même, maintenant, comme un « trans-partisan ».

S’inspirant des études sur les révolutionnaires, comme Ghandi, les révoltes non-violentes, les combats des droits civils, les boycotts économiques, etc., il a conclu que faire progresser la démocratie nécessite une stratégie prudente et une planification méticuleuse. C’est cette idée que Mme Ziada affirme avoir eue un immense écho auprès des jeunes révoltés d’Égypte. « Les protestations pacifiques sont de loin la meilleure des méthodes », dit-il –non pour une quelconque raison morale, mais parce que la violence amène la répression des autocrates. « Si vous utilisez la violence dans votre combat », ajoute M. Sharp, « vous vous battez avec l’arme préférée de votre ennemi ; dans ce cas, vous serez peut-être un héros, mais certainement mort. »

Les dictateurs abhorrent M. Sharp. En 2007, le président Hugo Chavez l’a dénoncé et les dirigeant du Burma, selon les fuites des dépêches mises en ligne par Wikileaks, l’ont accusé d’être partie prenante d’un complot pour provoquer des manifestations anti-gouvernementales dans leur pays. (Une année plus tôt, une dépêche provenant de l’ambassade des États-Unis à Damas a montré que les dissidents syriens se sont entraînés aux protestations non-violentes en lisant les écrits de M. Sharp).

En 2008, l’Iran a décrit M. Sharp -ainsi que le sénateur d’Arizona John McCain et le financier démocrate George Soros- dans une vidéo de propagande comme étant un agent de la CIA, chargé « de s’infiltrer dans les pays étrangers ». Une accusation que beaucoup d’intellectuels proches du professeur trouvent complètement ridicule.

« Il est généralement considéré comme le père de la spécialité qui étudie les stratégies de la non-violence », soutient Stephen Zunes, un expert dans le même domaine à l’Université de San Francisco. « Toutes ces histoires complètement exagérées de lui-même allant dans des pays étrangers pour allumer le feu des révolutions en devançant les foules, est tout simplement une blague. Il est plus un chercheur et un théoricien que réellement quelqu’un qui va sur le terrain pour diffuser ses idées. »

Cependant, cela ne veut pas dire que M. Sharp n’a jamais participé à une quelconque action sur le terrain. En 1989, il est parti en Chine pour être le témoin de la fameuse révolte estudiantine de la place de Tiananmen. Au début des années 90, il s’est infiltré dans le camp des rebelles du Burma à l’invitation de Robert L. Helvey, un colonel américain à la retraite, qui conseille l’opposition dans cette partie du monde. Ils se sont rencontrés lorsque le Colonel Helvey était chercheur à l’Université de Harvard. Celui-ci a pensé que M. Sharp avait des idées intéressantes qui pouvaient empêcher la guerre. « Nous voilà dans cette jungle, lisant le travail de Gene Sharp avec la lumière d’une bougie », se rappelle-t-il. « Cet homme connaît très bien la société et les dynamiques du pouvoir social. »

Pour autant, il y a des gens qui ne sont nullement admiratifs de M. Sharp. Le politologue libanais et le fondateur d’Angry Arabs News Service blog, Asad Abou Khalil, est scandalisé par l’éloge que M. Sharp a reçu de la part du New York Times lundi dernier. Il s’est plaint que les journalistes occidentaux étaient à la recherche d’un « Lawrence d’Arabie » pour expliquer le succès de la révolution égyptienne, dans une tentative colonialiste pour dénier tout mérite aux jeunes égyptiens.

Si la célébrité de M. Sharp devient de plus en plus importante, son Institut réduit ses activités. Ainsi, M. Ackerman par exemple, un ex-étudiant de M. Sharp qui est devenu un banquier extrêmement riche, a donné des millions de dollars, des années durant, pour lui permettre d’exister. Mais une décennie plus tôt, Ackerman voulait diffuser les idées de son professeur plus agressivement aussi que bien que les siennes. Il a donc fondé son propre Institut qui produit des documents vidéos et même des jeux vidéo pour faire entraîner les dissidents aux techniques de la non-violence. Une vente viagère qu’il s’est procurée permet à M. Sharp d’avoir au jour d’aujourd’hui son salaire d’une manière régulière.

Au crépuscule de sa carrière, M. Sharp, qui ne s’est jamais marié, ralentit le train de ses activités. Sa voix devient tremblante et ses yeux bleus s’embuaient lorsqu’il est fatigué. Il a d’ailleurs renoncé à conduire sa voiture. Mais il continue toujours à faire ses propres courses. Son assistante, Mme Raquib, tente de le suivre lorsque les rues sont verglacées. Une chose est sûre, il n’aime nullement cette situation.

Le professeur Sharp ajoute que son travail est loin d’être fini. Il vient de finir un nouveau livre, Le dictionnaire de Sharp sur le pouvoir et le militantisme : la terminologie de la résistance civile dans les conflits. Il sera publié cet automne par les presses de l’Université d’Oxford. Il aimerait que les lecteurs sachent que ce n’est pas lui qui a fait le choix du titre. « C’est un peu présomptueux », précise-t-il. Il a également un autre manuscrit en préparation sur Einstein, dont l’intérêt pour le totalitarisme l’a poussé à adopter son nom pour son propre Institut (Einstein a d’ailleurs préfacé le premier livre de Sharp sur Ghandi).

En même temps, M. Sharp ne quitte pas des yeux le Moyen Orient. Il a été frappé par le comportement des protestants égyptiens qui étaient restés jusqu’au bout pacifiques et par l’immense courage dont ils ont fait preuve. « Cela vient tout droit de Ghandi », explique le professeur Sharp. « À partir du moment où les gens n’ont plus peur de la dictature, c’est là qu’elle est en grande difficulté

Écrit par Sheryl Gay Stolberg, New York Times

Traduit en français par Lahsen Oulhadj

Pour consulter l’article en anglais, cliquez sur ce lien :

http://www.nytimes.com/2011/02/17/world/middleeast/17sharp.html?_r=1&hp

Et pour lire son livre, De la dictature à la démocratie, vous n’avez qu’à cliquer sur ce lien :

http://www.aeinstein.org/organizations/org/FDTD.pdf

Aucun commentaire: