jeudi, avril 21, 2011

Ce que veulent les Amazighs

On peut dire ce que l'on veut sur Mohamed Chafik, mais lorsqu'il s'exprime il faut savoir... l'écouter. Car il a toujours des choses consistantes à raconter. Surtout dans cette période pour le moins trouble dans l'histoire du peuple amazigh. Désirant certainement participer au débat sur la réforme de la constitution du Maroc, le voilà qui adresse une lettre à la commission qui s'en charge.

Écrite dans un français débordant de fraîcheur, je n'ai pas pu m'empêcher de le partager avec vous. Tellement il résume d'une manière simple les revendications amazighes. Même si je ne me fais aucune illusion sur les projets du Makhzen foncièrement amazighophobe, il est toujours utile de lire les écrits de M. Chafik. Surtout que les plus influents membres de ce même Makhzen, à commencer par Mohamed VI en personne, ont été ses élèves lorsqu'il officiait au collège royal.



Chef de file du mouvement pour la reconnaissance de l’identité amazighe, l’académicien Mohamed Chafik adresse une lettre ouverte aux membres de la Commission consultative de révision de la Constitution (CCRC).

A mesdames et messieurs les professeurs chargés de l’élaboration du projet de notre future constitution. Permettez que, tout d’abord, je vous félicite pour la confiance qui vous est faite par S.M. le roi et par l’ensemble du peuple marocain. Et permettez, ensuite, que j’entre sans tarder dans le vif du sujet qui ne cesse de me tarauder l’esprit depuis des décennies. Les cercles makhzéniens, traditionalistes par définition, se forment d’eux-mêmes autour de chaque nouveau monarque, telles les générations spontanées, en profitant de l’effet gravitationnel qu’exerce le pouvoir politico-religieux. Dans ces cercles, il a toujours été rare, depuis des siècles, de trouver des défenseurs de la cause amazighe. Au fil du temps, l’amazighophobie s’est presque érigée en doctrine d’Etat. Et c’est là l’un des nœuds gordiens politiques qu’il y a lieu de trancher.

Retour aux sources

Le Makhzen historique n’a jamais cherché à se dégager des paradigmes médiévaux établis par les Omeyyades et les Abassides. Or, la culture amazighe, elle, est d’essence authentiquement démocratique. Notre future constitution serait bien avisée de chercher à s’en inspirer. En tout état de cause, l’histoire inscrira au crédit du génie politique de Mohammed VI le fait qu’il a solennellement lié, dans un même discours, la nécessité de nous mettre sérieusement en quête de justice et de démocratie à celle de considérer l’amazighité comme étant un élément central au cœur de notre identité nationale. M’autorisant à paraphraser et à expliciter les passages concernés du discours royal du 9 mars 2011, je dirais ceci : “Nous voulons, ensemble, promouvoir la démocratie ? Soit ! Retrouvons-la dans notre patrimoine le plus ancien d’abord !”.


Or, tout esprit soucieux d’être réaliste et équitable, ne peut que reconnaître la gravité des dommages subis par le patrimoine en question. Tant au nom d’un islam réel ou simulé que de l’idéologie panarabiste, l’amazighité est sournoisement combattue, depuis 1955, par des acteurs politiques racistes et doctrinaires, qui comptent sans la vivacité de la culture “chleuhe” et de l’humanisme qui en constitue la colonne vertébrale. Si vous en avez le temps, mesdames et messieurs, je m’essaierai à vous éclairer davantage sur les principes philosophiques qui fondent la vision amazighe de la vie en société(1).

Chronique d’un déclin

D’un point de vue purement politique, il me semble évident que la nécessité s’impose d’établir un équilibre stable entre les deux principales composantes ethniques de notre identité, à savoir l’amazighité et l’arabité. Tenter, par des astuces juridiques, de dissoudre l’une de ces deux composantes dans l’autre serait illusoire et dangereux. Plus d’un évènement, graves ou bénins en apparence, l’ont prouvé tout au long des cinquante dernières années. A titre d’exemple, il ne s’effacera jamais de la mémoire amazighe le fait que des juges incompétents, malhonnêtes et sectaires, se sont permis d’envoyer en prison, à plusieurs reprises, des “Chleuhs” en détention préventive… juste pour “leur donner le temps d’apprendre la langue officielle du pays, l’arabe, afin qu’ils puissent s’y exprimer devant le tribunal”. Incroyable, n’est-ce pas ?! Et pourtant vrai ! C’était à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingts.


Mais il y a plus grave. La mémoire amazighe a pu observer à loisir et enregistrer fidèlement toutes les manigances qui ont abouti à l’effondrement du système éducatif marocain, entre 1955 et 1990. Les soi-disant défenseurs des valeurs arabes et islamiques, sous prétexte de combattre l’hégémonisme culturel français, engagent fébrilement l’Etat sur la voie d’une arabisation menée à un rythme forcené, dont deviennent successivement victimes l’enseignement primaire, l’enseignement secondaire, puis l’université. Pour ce faire, ils agissent “aussi bien” lorsqu’ils sont aux commandes des rouages politico-admnistratifs, en “poussant à la roue” de toutes leurs forces, que lorsqu’ils se trouvent jetés dans l’opposition, en orchestrant un tapage médiatique assourdissant(2), dont ne se détachent et jaillissent clairement que les insultes hurlées à l’adresse des “valets du colonialisme”. Evidemment, pour faire bonne mesure, ils affichent un patriotisme tellement sourcilleux qu’il en devient hypnotisant.

Amazigh par la langue

Pendant ce temps, tout ce temps, leurs propres enfants font tranquillement leurs études dans les établissements scolaires et universitaires français, au Maroc et en France. Ils ont ainsi atteint leur double objectif : préparer leur progéniture à former une élite et cantonner celle de la piétaille “arabo-berbère” dans des zones de médiocrité intellectuelle. Pour leur malheur, ils ont ainsi fait perdre aux Amazighs les mieux avisés toute envie de continuer à s’arabiser. L’un des grands leaders du panarabisme marocain ne répétait-il pas, à la fin des années cinquante, que “le Berbère, c’est tout Marocain qui n’a pas été à l’école” ? Il doit s’être retourné dans sa tombe quand il a lu, dans une thèse de doctorat(3), que ce sont les Berbères les mieux instruits qui veulent affirmer leur propre identité, à l’exception, peut-être, des idéalistes intrépides qui ont subi le noir des geôles et la torture des années de plomb, et n’ont pu être témoins des vexations et exactions endurées à l’époque par les Amazighs.


Pour me résumer et conclure, je dirais, mesdames et messieurs, que les Amazighs sont amazighs par la langue, et non par la race, tout comme les Arabes marocains sont plus arabes par l’idiome qu’ils pratiquent que par leurs origines. Par ailleurs, la modernité a fait prendre conscience à tous les musulmans qu’il n’est pas du tout nécessaire de s’arabiser pour devenir bon croyant. Bien au contraire, c’est l’affirmation des identités ethniques, culturelles et linguistiques qui contribue le mieux à éclairer la conscience universaliste de l’humanité. Prétendre l’inverse, sous le prétexte fallacieux de donner un sens “linguistiquement univoque” au mot patriotisme, procède d’une vision étriquée de l’intérêt supérieur de la nation.

Le berbère pour tous

Rappelons-nous que les chemins les plus faciles, dans la recherche du bien, ne sont jamais les meilleurs. De mon humble point de vue, la voie la mieux indiquée pour donner corps au projet d’une démocratisation réelle et d’une mise en harmonie du droit marocain avec les exigences de l’humanisme moderne, il y a lieu d’affirmer clairement que “le Maroc est un pays africain musulman de par sa géographie et son histoire. Ses deux langues officielles sont l’amazighe et l’arabe. Dans le but de s’ouvrir largement à la modernité et de mettre à niveau son système éducatif, il recourt à l’usage d’une langue étrangère dite principale, le français, et inscrit aux programmes de ses enseignements secondaires et supérieurs, selon les besoins et les possibilités, l’étude d’une, deux, trois ou quatre langues étrangères, dites secondaires, à savoir, par ordre d’importance, l’anglais, l’espagnol, l’allemand et l’italien…”. Et je me permets d’ajouter que dans cette brève formulation réside le secret d’une modernisation paisible et féconde de nos mentalités, de nos mœurs et de notre système éducatif, s’il est repris vigoureusement en mains pendant au moins une vingtaine d’années.


Une refonte totale de nos programmes d’enseignement permettrait de revoir nos méthodes pédagogiques, d’une part, et d’enseigner la langue amazighe à tous les enfants marocains, d’autre part. “L’amazighité, dit clairement le discours du 9 mars 2011, est le patrimoine commun de tous les Marocains, sans exclusive…”. Le discours royal implique pour tout Marocain arabophone le devoir d’apprendre le berbère, car les langues ne sont pas des objets d’art qui se conservent dans des musées, mais de vrais êtres vivants. Non parlées et non enseignées, elles sont vouées à la disparition. Or, l’amazighité se résume en la survie quasi miraculeuse du berbère…

Ecoute, écoute !

Ayez la magnanimité d’accepter que je vous dise, les yeux dans les yeux au sens moral de l’expression, que je m’interdis de nourrir le moindre doute à l’égard de votre probité intellectuelle. Je suis convaincu que la conscience de chacun de vous ne cesse de lui susurrer au creux de l’oreille, depuis déjà plusieurs jours ou plusieurs semaines, des propos dont la teneur pourrait être ainsi exprimée : “Attention, tu fais partie de cette commission en tant que “technicien” du droit ou en tant que défenseur des valeurs morales ! Ne te pose donc pas en redresseur de torts, et encore moins en régent d’une opinion publique orpheline de ses guides traditionnels, encore vivants pour la plupart, certes, mais errants sans âme dans les allées ou les vastes antichambres du pouvoir. Ecoute, et écoute, et écoute encore ! Ce sera le plus dur dans ta tâche, car écouter n’implique pas forcément entendre quand l’oreille tendue est cernée d’épaisses murailles enfouies dans les replis de la conscience. Au cas où tu n’aurais rien compris au brouhaha environnant, rends modestement ton tablier !”.


Acceptez, mesdames et messieurs, que je m’incline profondément devant le lourd fardeau que portent vos épaules.

(1) “L’apport de la Berbérie” in L’Apport de l’Afrique à la pensée humaine, de Eugène Guernier, pp. 142 à 229, Ed. Payot, Paris, 1952.
(2) “Bayane tarikhi limouthaqqafî lmaghrib”, 1970, en arabe.
(3) “L’Etat national et les Berbères. Le cas marocain. Mythe colonial et négation nationale”, Mustapha El Qadery, Montpellier III, thèse d’histoire contemporaine, 1995.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Tanemmirt a gma Lahsen .

Yidir si Lezzayer