D’aucuns vont trouver volontiers que ma question est pour le moins absurde pour ne pas dire provocatrice? Ils ont tout à fait raison. Tant ils considèrent que l’État est quelque chose qui va de soi. N’en déplaise à certains, c’est malheureusement loin d’être le cas. Au Maroc en l’occurrence, il y a de tout sauf un État, un vrai de vrai, je veux dire. Il est bien réel que le pays a tous les traits d’un véritable État tel qu’il est connu et reconnu à l’échelle internationale. Il y a un territoire, un chef de l’État, un gouvernement et des ministres, un parlement, une presse…
Pour autant, rien ne fonctionne normalement. Il y a donc un problème, un gros problème même. Pour la simple raison que nous n’avons aucunement un État au sens occidental du terme. Car, il faut bien se rendre à l’évidence et rendre à César ce qui est à César, l’État efficace, légaliste et démocratique est une invention éminemment et purement européenne. Il est le produit d’une évolution historique et sociale propre à nos voisins du Nord. Mais, hélas, nous ne sommes jamais inspirés d’eux. Nos yeux sont systématiquement restés rivés sur l’Orient arabe, baignant encore et toujours dans le sous-développement le plus total. Jusqu’à quand ? Nul ne le sait.
État prophétique
Plus grave encore, même le peu d’État que les Français ont bien voulu nous laisser, lors de leur bref passage chez nous, a été dilapidé et même perverti pour devenir un grand n’importe quoi. D’ailleurs, beaucoup de gens trouveraient certainement étrange que de Marocains qui ont vécu la période du Protectorat se la rappellent avec nostalgie. Vous n’avez qu’à regarder les infrastructures qu’ils ont laissées, elles tiennent toujours 60 ans après leur départ, soutiennent-ils de concert.
Il faut quand même savoir être relatif et nuancer par voie de conséquence. Car la terre d’Islam a connu l’ébauche d’un État... il y a plus de 1400 ans. Puisque son instigateur n’était autre que le prophète en personne. En révélant l’Islam, il a aussi mis les bases d’un projet étatique pour le moins ambitieux et révolutionnaire pour son époque. D’ailleurs, et c’est vraiment révélateur, le modèle de l’homme d’État juste, intègre et compétent dans l’imaginaire des musulmans a été et reste le produit de cette période, j’ai nommé Omar Ben El Khattab.
Hélas, on sait tous ce qu’il est advenu de ce projet prothétique. En plus de conflits politiques finissant toujours à coup d’épées (tous les califes ont été lâchement assassinés), les Omeyyades ont fait avorter ce système politique avant-gardiste. Et ce, pour instituer l’arbitraire, la tyrannie, la dictature et la répression. Les régimes arabes actuels ne sont que la résultante de cet héritage politico-culturel. Avec leur lot de grands sanguinaires devant l’Éternel : El-Hajjaj Ben Youssef Ettaqafi, Saddam, Kaddafi, El-Bachir, El-Assad, Hassan II, les généraux algériens…
Répression
Qu’avons-nous donc au Maroc- et tous les pays dits arabes et même musulmans sont logés à la même enseigne- si ce n’est pas un État ? Pour dire les choses le plus prosaïquement possible, nous avons tout simplement une autorité ou un pouvoir. Si dans les vrais États tout se négocie dans le respect le plus total, au Maroc, il n’y a qu’une seule manière de procéder : la violence et rien que la violence. Elle peut prendre deux formes : directe ou symbolique. Directe, vous en avez eu, d'ailleurs, un avant goût ces derniers jours avec des répressions azimutales dont sont victimes des manifestants pacifiques, un peu partout dans le pays. Symbolique, c’est à titre d’exemple le déni identitaire imposé, des décennies durant, à la majorité des Marocains, les Amazighs.
Que faire alors dans ces circonstances ? À mon point de vue, et sans vouloir se montrer nihiliste, il faut impérativement commencer par la priorité des priorités: construire un État pourvu de véritables institutions. Et ce n’est pas des précédents qui manquent. Car les pays du Sud-est asiatique peuvent être nos modèles à ce propos. Avant qu’ils soient des démocraties extrêmement prospères et florissantes qu’ils sont devenus maintenant, au tout début, leurs régimes étaient extrêmement autoritaires, mais, ô combien, patriotes. Car ils ont mis en place des institutions extrêmement performantes : la justice, la sécurité, l’éducation… D’où la douceur de la transition démocratique qu’ils ont vécue.
Vacuité
En revanche, les régimes arabes actuels déploient d’incroyables efforts pour qu’ils n’aient jamais d’institutions. Même celles qui fonctionnent un peu mieux, ils les détruisent le plus simplement du monde. C’est la théorie du vide dans sa parfaite illustration. J’en veux pour exemple le système éducatif marocain. La politique débile et non moins criminelle d’arabisation que le régime a appliquée, injustement, à aux générations entières d’écoliers et d’étudiants a été une vraie catastrophe à tous les niveaux. Le pays en payera à coup sûr les contrecoups pour plusieurs décennies à venir.
Au vu donc de ses remarques, la transition démocratique au Maroc risque d’être extrêmement ardue. Je ne dis pas impossible pour laisser une petite note d’espoir. Il faut savoir qu’il faut tout reconstruire dans le pays. En plus d’institutions efficaces qui n’existent pas, il n’y pas non plus de partis politiques et encore moins une véritable citoyenneté. J’ai bien peur que ceux qui exigent, hic et nunc, la démocratie ne soient trop idéalistes, à mon goût. Que ce soit clair une fois pour toute, je suis à fond pour la démocratie sauf que ses conditions n’existent pas encore dans le pays. Pour ce faire, il faut énormément de temps, d’efforts et de sacrifices. Sur tous les niveaux. Notamment sur le plan idéologique.
El-Kaouni, l’écrivain arabisant d’origine amazigho-libyenne, a suggéré que les Arabes doivent effectuer une révolution spirituelle. Soit. Moi, je propose en revanche plus que cela, une révolution épistémologique. En d’autres termes, il faut rompre, définitivement, avec l’arabisme qui a été le creuset qui a permis aux dictatures arabes de prospérer et de perdurer. Car, il faut bien le croire, cette idéologie porte en elle quelque chose de profondément et de fondamentalement antiétatique, anti-démocratique et antihumain. En tant qu’Amazigh, je suis bien placé pour le savoir.
Arabisme
Cependant, lorsque je vois les jeunes du 18 février avec leurs keffiehs palestiniens autour du coup (par la même occasion, regardez et écoutez leur chanson mobilisatrice chantée dans un dialecte arabe du Moyen Orient http://lakome.com/videos/77-featured/3307-20-----.html), je me dis que l’on n’est pas près de sortir de l’auberge. Au-delà du côté symbolique de la chose, je me dis que lorsqu’on veut faire une révolution, il faut être avant tout soi même. En d’autres termes, il faut simplement créer sa propre méthode sans en importer une autre à des milliers de kilomètres. Pire, en l’absence quasi-totale de la mouvance amazighe plus que jamais désorganisée, seuls les arabistes pur jus occupent le terrain. Al-Adl Wa Ilhsan est, par exemple, plus arabiste que réellement islamiste. Pour les restes de la gauche arabo-stalinienne qui ont investi la niche des droits de l’homme, l’on n’a pas vraiment besoin de dire leur tendance. Ça saute aux yeux. Horriblement.
Au regard donc tout cela, j’ai bien peur que la condition sine qua non de toute transition démocratique dans le cas marocain soit d’ores soit déjà compromis, à savoir la mise en place de réelles institutions étatiques. Car, pour se faire, il faut des hommes et des femmes d’envergure, bien sûr patriotes, extrêmement pragmatiques, complètement dés-idéologisés et en même temps et surtout ouverts sur l’universalisme. Même si j’espère de tout cœur que ma lecture des événements soit complètement erronée, ce n’est pas, hélas, le cas des acteurs déterminants du mouvement des jeunes du 20 février. Étant donné que les événements ne sont pas encore arrivés à leur terme, wait and see !
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