Pur produit du mouvement culturel amazigh (MCA), le chanteur Ziri a fait sortir récemment son premier opus, "Turu Tura". Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il assure. Beaucoup même. Pour vous en convaincre, il n’y a qu’une seule et unique solution : l’écouter. À titre personnel, il a été pour moi une découverte on ne peut plus heureuse, confirmant ainsi le fait que la movida amazighe est encore et toujours en cours. Pour en savoir un peu plus sur le parcours de cet artiste pas comme les autres, nous l’avons contacté pour répondre à quelques-unes de nos interrogations. Très avenant, il s’est prêté volontiers au jeu. Voilà le résultat dans notre échange. À lire immédiatement, c’est encore tout frais tout chaud. Pouvez-vous vous présenter en quelques phrases ?
Mon vrai nom est Mohamed Belhihi. Je suis né à Biougra à quelque 30 kilomètres au sud d’Agadir, en plein milieu du Souss. J’y ai d’ailleurs débuté mon parcours musical en participant à la création d’un premier groupe en 1987 avec le soutien de quelques jeunes de la région. Puis vint une autre expérience non loin de là, mais cette fois-ci à Dcheira ; c’était en 1989 avec les membres du groupe Imurigen (Ffiw, M'bark et Hemich) lorsque je suivais encore mes études au lycée Homane El-Ftouaki. Mon établissement à Rabat a été un tournant décisif dans ma jeune carrière artistique. Plus que cela, mon adhésion au Mouvement culturel amazigh (MCA) avait vite fait de moi un militant de la cause amazighe au quotidien. En fait, j'ai travaillé au siège de l'Association marocaine de recherche et d’échange culturels (AMREC) de 1992 à 2002. Plus concrètement, j’étais secrétaire de rédaction de sa fameuse revue, « Tamunt », et infographiste m’occupant de plusieurs publications et thèses traitant de tous les sujets en rapport avec la thématique amazighe.
Je participais également aux différentes activités culturelles organisées par les associations amazighes à travers tout le Maroc et même en Europe (Irar urar 92-95 à Nador, Université d'Été d'Agadir en 1993, Tamaynut Rabat et Casa, les différentes sections de l'AMREC, Institut français et Institut Goethe de Rabat, Amnesty International...). Mes relations avec différents artistes issus de toutes les régions amazighes (Khalid Izri, frères Akkaf, Karim El-Mers, Naïm Nouredine, Ammouri M’bark, Moujaoui, Saida Akil Titrit, Fatima Tabaâmrant, Idir, Jamal Allam...) avaient eu une influence considérable sur mon choix musical. Résultat : j’ai tout fait pour que mon groupe à Rabat (Tamunt n izenkwad) modernise sa musique, mais cette tentative n’a pas vraiment aboutit. Pour plusieurs raisons qu’il serait inutile de détailler ici. J’ai donc pris la décision de tenter autre chose : une carrière solo.
Parallèlement, histoire de me perfectionner davantage, je prenais des cours au Conservatoire national de musique et de danse de Rabat. À ce propos, mes professeurs de guitare n’étaient pas des inconnus puisqu’il s’agit de Belâid Akkaf, Brahim Labloul et tant d'autres. Je me suis également intéressé au théâtre. D’ailleurs, j’avais composé la musique des pièces suivantes : "Ussan smmidnin" en 1994 (j’y avais même tenu un rôle et une tournée dans différentes villes du Maroc a été organisée -ce qui est une première-), "Couleurs amazighes" (produite par Halqa au festival de la culture maghrébine à Bruxelles en 2001, avec deux représentations) et "Manen waman d laman" de la troupe "Izuran" (Rabat 2004) ». Sans oublier mon premier album avec le groupe "Tamunt n izenkwad" en 1996 et les coups de pouce que j’apportais, épisodiquement, à des amis artistes pour la réalisation de leurs travaux.
Installé au Danemark depuis 2004, je sors mon premier album solo intitulé "Turu Tura" édité par "Itri music" en décembre 2007 (disponible sur le marché), fruit de plusieurs années de recherche dans le patrimoine amazigh et dans la World Music.
Le moins que l’on puisse dire c’est que vous avez une longue carrière derrière vous, mais pourquoi avez-vous attendu autant de temps pour produire votre 1er album ?
Disons que j’avais, tout d’abord, à me former au niveau du militantisme, car il y avait beaucoup de choses à apprendre à ce niveau-là (à l’époque le tamazight était encore un tabou). En plus, je me cherchais dans la musique : dans un premier temps je me suis intéressé au style d’Oudaden, puis d’Izenzaren, dont les mélodies modernes aussi bien que les paroles sont hors du commun (leur style est d’ailleurs mon préféré), Archach (je suis en contact permanent avec Ali Chouhad), Ousmane (j’avais l’honneur de rencontrer ses membres après la dissolution de cette troupe mythique, surtout Boutroufine, Bijâad, Ammouri M’bark et Belâid Akkaf -ce dernier et ses frères m’ont beaucoup aidé au niveau de ma formation musicale), Idir et Matoub qui m’ont ouvert les yeux sur une autre manière de faire de la musique, les Rifains Karim El-Mers, Khalid Izri (avec qui j’avais animé des manifestations culturelles amazighes, et qui m’a d’ailleurs composé une chanson en 1995 avec les paroles de feu Sellam Semghini ; elle sera certainement dans mon prochain album), Walid Mimoun et Ithran. Ensuite, je me suis retourné une autre fois vers nos inoxydables rways. D’ailleurs, j’avais formé un petit groupe qui avait animé pas mal de soirées à Rabat, Kénitra et Casa.
Comme vous pouvez le constater aisément, j’étais vraiment occupé à faire de la recherche dans la musique amazighe. Sans oublier bien sûr le théâtre. Prendre donc une décision définitive sur le style de musique à adopter m’a pris du temps ; mais l’essentiel c’est de faire, enfin, quelque chose en faveur de l’amazighité, qui a besoin de tous ses fils pour l’édifier et la renforcer. Quant au projet de faire cet album, je l’avais depuis 1995. En fait, l’important pour moi c’est d’aller jusqu’au bout pour, enfin, le réaliser aujourd’hui.
On voit que vos influences musicales sont très diverses, mais en écoutant votre album, on se rend facilement compte que c’est le style occidental qui prime ? Est-ce un choix définitif ?
Je dirais plutôt que c’est un mélange entre les deux, dans le fond de chaque chanson il y a une touche des styles musicaux amazighs : rways, musique rifaine, kabyle, tazenzart, etc. Peut-être c’est les solo de guitares qui sont inspirés du blues que j’aime beaucoup (là aussi c’est le côté africain) qui vous font dire cela. Mais une chose est sûre le choix d’occidentaliser ma musique, c’est d’abord un rêve que j’avais toujours eu ; en plus, je vis maintenant à l’étranger donc effectivement il faut que ma musique soit appréciée non seulement par les Amazighs mais aussi par le public occidental (d’ailleurs j’ai reçu pas mal d’éloges de la part d’Occidentaux qui ont écouté mon dernier album). En fait, mon but ultime est de donner un nouveau souffle à la musique amazighe du Souss, à l’instar des Ammouri, Akkaf, Yuba, Massinissa (j’admire beaucoup ce qu’ils font), Style Souss, Amarg Fusion, Amawas... Juste à titre de rappel : j’ai rencontré en 1999 Idir qui avait fait un concert au Festival de Rabat. En discutant avec lui, il m’a demandé le genre de musique que je jouais. Je lui avais répondu que je touchais pratiquement à tous les genres. «En effet, le tamazight a besoin de tout cela. Joue de la musique comme tu la sens », a-t-il conclu.
Est-ce que vous pouvez nous raconter, succinctement, les circonstances de production de votre album ?L’album m’a pris deux ans, j’enregistrais étape par étape (sur 18 titres je n’ai gardé que 7 dans cet album, car je veux dans un premier temps voir la réaction du public ; c’est sûr que dans le prochain album il y aura plus que 12 titres). Le studio d’enregistrement est à Copenhague au Danemark ainsi que le studio de mastering. Pour les musiciens, comme c’est indiqué sur la pochette du CD, ils sont tous danois sauf le percussionniste Aisa ag Tanit qui est touarègue. C ’est d’ailleurs un excellent musicien du jazz dont l’aide m’était particulièrement précieuse. La version que j’ai enregistrée au home studio que j’ai chez moi, est presque la même que la finale, sauf qu’il y a eu une touche live des musiciens professionnels m’accompagnant. Donc l’album est à 100% une autoproduction. Pour les chansons, elles sont toutes presque composées lors de mes voyages de vacances à Albena en Bulgarie (une station balnéaire sur la mer Noire).
Beaucoup de jeunes chanteurs amazighs comme vous ont quitté le Maroc pour s’établir à l'étranger (Yuba, Aza, Hassan Id Bassaid, Izri, Mouja...), quelles en sont les raisons d'après vous ?
Je pense que chacun à ses raisons de quitter le Maroc et vivre à l’étranger, mais je peux dire que le souci que nous anime tous c’est de perfectionner notre héritage artistique, c’est-à-dire que le contact avec l’environnement de la musique occidentale aide beaucoup à faire de belles choses tant au niveau des musiciens qu’au niveau des arrangements et de l’enregistrement. Il y a de talentueux musiciens et des studios d’enregistrement très modernes au Maroc, mais c’est vraiment difficile de faire la navette entre les deux rives (Maroc et pays de résidence) pour enregistrer vu les contraintes du travail ou des études.