Yuba est un nom à retenir, mais surtout un chanteur à écouter. Artiste doué, il a su s'imposer et imposer en même temps un nouveau style qui ne manque pas d'originalité, fait d'un savant mélange entre la musique amazighe et des influences étrangères très diverses. Loin de dérouter les mélomanes amazighs, il a été positivement accueilli au point de faire des émules. Bon nombre de jeunes musiciens en ont pris de la graine et ont commencé à imiter son style. À ce jour, il a à son actif deux albums très réussis : tawargit et Itran azal. Dans cet entretien, il s'épanche en évoquant ses débuts, ses influences, ses amis… À lire et à relire.
L. Oulhadj : Est-ce que vous pouvez vous présenter en quelques lignes ?
Yuba : Je suis né à Dcheira, un gros bourg populaire entre Inzggane et Agadir. J'y avais passé les plus belles années de ma vie et une enfance on ne peut plus heureuse. À cette époque, les gens se connaissaient presque tous et étaient tellement insouciants ! Ce que, vous en conviendrez, n'est plus le cas maintenant malheureusement. Aussi loin que je m'en souvienne, presque tous les après-midi étaient l'occasion d'improvisations musicales très endiablées.
Comment se passaient ces improvisations et qui en étaient les organisateurs ?
C'était exclusivement la gent féminine. Autour d'un verre de thé bien mentholé, les femmes de tout âge profitaient de la moindre occasion pour se rassembler et organiser des spectacles de chants auxquels nous, les enfants, participions avec beaucoup de joie, même si nous étions très turbulents. Comme instruments, elles se servaient de "tagganza" (tambourin sur cadre), de leurs vaisselles et de tout ce qu'elles leur tombaient sous la main. À ce moment-là, j'avoue que le sens de tout cela m'échappait. Il n'y a qu'aujourd'hui que je me suis rendu compte que derrière le côté ludique, festif de la chose, il y a toute une tradition de grande richesse. En réalité, c'était tout cela qui a sauvegardé une grande partie de notre culture musicale et qui a donné ensuite naissance, même si c'est d'une manière indirecte, à notre chanson moderne.
Comment cela ?
Tout simplement en créant la vocation musicale chez beaucoup de nos jeunes, qui, une fois adultes, ont donné la pleine mesure à tout leur talent en fondant des groupes aussi mythiques que Tabghaynuzt, Imurigen, Inzezanren (Chamkh et Iggout), Igidar… Dcheira, comme chacun sait, est la capitale des artistes par excellence.
Votre famille a-t-elle eu un quelconque rôle dans votre vocation musicale ?
Ma famille n'a joué qu'un rôle déclencheur dans ma « révolte » musicale. Le fait de chanter n'est pas seulement quelque chose qu'elle a provoqué en moi, mais un devoir vis-à-vis de ma culture et ma cause. Si ma mère ne m'a jamais rien interdit, mon père, lui, a été quand même très réticent : pour l'anecdote, il m'a déjà amoché la tête avec la guitare que j'avais bricolée avec un bidon d'insecticide. En fait, et pour être bref, je dirais que par la suite la décision de chanter relève enfin de compte d'un choix purement personnel. Certes, nous avions une « taggenza » à la maison, mais c'était chez ma tante que j'avais vu les femmes chanter presque chaque jour. Les danses folkloriques (ahiyyad, ahwach, …) et les groupes musicaux modernes ou traditionnels, je les ai découverts aux fêtes familiales des amis et des voisins ( mariages, baptêmes…) et aux différents festivals qui ponctuent l'année.
J'ai appris que votre arrière-grand-père est feu rrays El-Houssayn Amzil, que pouvez nous en dire ?
El-Houssayn Amzil était un grand musicien de la chanson amazighe traditionnelle. Il était le rrays incontournable d'Aksimen et d'Imsgginen ( la région d'Inezggan, Dcheira, Benrsrgao…). On lui prêtait même la paternité de certaines œuvres de Boubakr Anchad et même de Lhaj Belâid. Je n'avais pas la chance de le voir, car il est déjà décédé en 1964, c'est-à-dire plusieurs années avant ma naissance. Mais j'avais l'occasion de connaître de près tous ses descendants dont ma grand-mère qui est sa fille aînée et qui m'a fait l'honneur d'interpréter certaines de ses chansons. Il s'était surtout distingué par un style propre, sa parole forte, ses textes d'amour, son jeu de « tallount » (tambourin sur cadre), et son feeling musical. J'espère que l'on arrivera un jour à collecter tout le patrimoine poétique et musical de cet homme, car il est resté encore au stade de l'oralité. Ce serait vraiment dommage qu'il se perde à jamais.
Comment en êtes-vous arrivé à la guitare ? Je sais que chez nous, c'est plutôt le banjo qui prédomine.
Je ne faisais par vraiment exception par rapport à ma génération. Dans mon enfance, j'étais un fan des légendaires Izenzaren. J'ai donc naturellement appris, dans un premier temps, à manier le banjo et même à interpréter le répertoire de ce groupe mythique. J'ai aussi été un inconditionnel du groupe phare de la scène amazighe pendant la décennie des années 70, Ousman, et toute la vague musicale qui s'est ensuivie. Et comme tout Amazigh qui se respecte, j'ai quand même beaucoup écouté les indétrônables rways. Je ne vois pas d'ailleurs comment il peut en être autrement tellement qu'ils sont présents dans notre quotidien. Chemin faisant, au moment où je me suis décidé de faire carrière dans la musique, j'ai été conscient du fait qu'il fallait impérativement se distinguer, être original, et non seulement se contenter de rabâcher ce qui a été déjà fait. Ainsi, je me suis mis à la guitare d'autant plus que c'est un instrument pourvu d'un potentiel énorme. Sans oublier bien entendu toute la symbolique révolutionnaire qui lui est inhérente. Musicalement s'entend.
Qu'est-ce que vous pouvez nous dire du duo que vous avez formé avec Asid ?
Mon expérience avec Asid a été très positive. On utilisait deux guitares et un harmonica. Ce qui était très original. On avait interprété les chansons tirées du répertoire d'Ousman, Ammouri M'bark, Idir, etc. Mais il faut rappeler que nous étions à nos débuts. Donc à une époque où chacun de nous se cherchait. C'est d'ailleurs pour cette raison que notre collaboration a fait long feu ; car nous avions pas mal de divergences. J'ai choisi par voie de conséquence de voler de mes propres ailes en jouant soit en solo soit avec mon premier groupe. Même si on s'est séparé, j'ai gardé de très bonnes relations avec Asid. Je dirais que nous sommes restés toujours très proches, des frères en quelque sorte.
Et l'influence du Mouvement culturel amazigh ( MCA), qu'en est-il ?
Yuba : Je suis né à Dcheira, un gros bourg populaire entre Inzggane et Agadir. J'y avais passé les plus belles années de ma vie et une enfance on ne peut plus heureuse. À cette époque, les gens se connaissaient presque tous et étaient tellement insouciants ! Ce que, vous en conviendrez, n'est plus le cas maintenant malheureusement. Aussi loin que je m'en souvienne, presque tous les après-midi étaient l'occasion d'improvisations musicales très endiablées.
Comment se passaient ces improvisations et qui en étaient les organisateurs ?
C'était exclusivement la gent féminine. Autour d'un verre de thé bien mentholé, les femmes de tout âge profitaient de la moindre occasion pour se rassembler et organiser des spectacles de chants auxquels nous, les enfants, participions avec beaucoup de joie, même si nous étions très turbulents. Comme instruments, elles se servaient de "tagganza" (tambourin sur cadre), de leurs vaisselles et de tout ce qu'elles leur tombaient sous la main. À ce moment-là, j'avoue que le sens de tout cela m'échappait. Il n'y a qu'aujourd'hui que je me suis rendu compte que derrière le côté ludique, festif de la chose, il y a toute une tradition de grande richesse. En réalité, c'était tout cela qui a sauvegardé une grande partie de notre culture musicale et qui a donné ensuite naissance, même si c'est d'une manière indirecte, à notre chanson moderne.
Comment cela ?
Tout simplement en créant la vocation musicale chez beaucoup de nos jeunes, qui, une fois adultes, ont donné la pleine mesure à tout leur talent en fondant des groupes aussi mythiques que Tabghaynuzt, Imurigen, Inzezanren (Chamkh et Iggout), Igidar… Dcheira, comme chacun sait, est la capitale des artistes par excellence.
Votre famille a-t-elle eu un quelconque rôle dans votre vocation musicale ?
Ma famille n'a joué qu'un rôle déclencheur dans ma « révolte » musicale. Le fait de chanter n'est pas seulement quelque chose qu'elle a provoqué en moi, mais un devoir vis-à-vis de ma culture et ma cause. Si ma mère ne m'a jamais rien interdit, mon père, lui, a été quand même très réticent : pour l'anecdote, il m'a déjà amoché la tête avec la guitare que j'avais bricolée avec un bidon d'insecticide. En fait, et pour être bref, je dirais que par la suite la décision de chanter relève enfin de compte d'un choix purement personnel. Certes, nous avions une « taggenza » à la maison, mais c'était chez ma tante que j'avais vu les femmes chanter presque chaque jour. Les danses folkloriques (ahiyyad, ahwach, …) et les groupes musicaux modernes ou traditionnels, je les ai découverts aux fêtes familiales des amis et des voisins ( mariages, baptêmes…) et aux différents festivals qui ponctuent l'année.
J'ai appris que votre arrière-grand-père est feu rrays El-Houssayn Amzil, que pouvez nous en dire ?
El-Houssayn Amzil était un grand musicien de la chanson amazighe traditionnelle. Il était le rrays incontournable d'Aksimen et d'Imsgginen ( la région d'Inezggan, Dcheira, Benrsrgao…). On lui prêtait même la paternité de certaines œuvres de Boubakr Anchad et même de Lhaj Belâid. Je n'avais pas la chance de le voir, car il est déjà décédé en 1964, c'est-à-dire plusieurs années avant ma naissance. Mais j'avais l'occasion de connaître de près tous ses descendants dont ma grand-mère qui est sa fille aînée et qui m'a fait l'honneur d'interpréter certaines de ses chansons. Il s'était surtout distingué par un style propre, sa parole forte, ses textes d'amour, son jeu de « tallount » (tambourin sur cadre), et son feeling musical. J'espère que l'on arrivera un jour à collecter tout le patrimoine poétique et musical de cet homme, car il est resté encore au stade de l'oralité. Ce serait vraiment dommage qu'il se perde à jamais.
Comment en êtes-vous arrivé à la guitare ? Je sais que chez nous, c'est plutôt le banjo qui prédomine.
Je ne faisais par vraiment exception par rapport à ma génération. Dans mon enfance, j'étais un fan des légendaires Izenzaren. J'ai donc naturellement appris, dans un premier temps, à manier le banjo et même à interpréter le répertoire de ce groupe mythique. J'ai aussi été un inconditionnel du groupe phare de la scène amazighe pendant la décennie des années 70, Ousman, et toute la vague musicale qui s'est ensuivie. Et comme tout Amazigh qui se respecte, j'ai quand même beaucoup écouté les indétrônables rways. Je ne vois pas d'ailleurs comment il peut en être autrement tellement qu'ils sont présents dans notre quotidien. Chemin faisant, au moment où je me suis décidé de faire carrière dans la musique, j'ai été conscient du fait qu'il fallait impérativement se distinguer, être original, et non seulement se contenter de rabâcher ce qui a été déjà fait. Ainsi, je me suis mis à la guitare d'autant plus que c'est un instrument pourvu d'un potentiel énorme. Sans oublier bien entendu toute la symbolique révolutionnaire qui lui est inhérente. Musicalement s'entend.
Qu'est-ce que vous pouvez nous dire du duo que vous avez formé avec Asid ?
Mon expérience avec Asid a été très positive. On utilisait deux guitares et un harmonica. Ce qui était très original. On avait interprété les chansons tirées du répertoire d'Ousman, Ammouri M'bark, Idir, etc. Mais il faut rappeler que nous étions à nos débuts. Donc à une époque où chacun de nous se cherchait. C'est d'ailleurs pour cette raison que notre collaboration a fait long feu ; car nous avions pas mal de divergences. J'ai choisi par voie de conséquence de voler de mes propres ailes en jouant soit en solo soit avec mon premier groupe. Même si on s'est séparé, j'ai gardé de très bonnes relations avec Asid. Je dirais que nous sommes restés toujours très proches, des frères en quelque sorte.
Et l'influence du Mouvement culturel amazigh ( MCA), qu'en est-il ?
J'ai fait partie de ce mouvement depuis tout petit. J'ai même été membre très actif au sein de l'organisation de «Tamaynut ». Il est donc évident que je ne peux qu'être influencé par ses idées et ses valeurs. Maintenant, lorsque je fais un flashback, je peux vous dire que sans le MCA, il n'y aurait pas de Yuba tel que le public le connaît maintenant. A titre de rappel, nous étions un groupe de militants très engagés, très soudés, chacun travaillant dans son domaine de prédilection. Si je me suis consacré à la musique, il y en avait qui faisait de l'écriture comme Amazigh B.Lâsri, de la peinture comme Idus Zaki…
Qui écrit les paroles de vos chansons ?
Les paroles de tawargit et Itran azal sont les miennes sauf là où c'est indiqué. Dans mon dernier album, le septième titre « tazrart» est un texte tiré de notre patrimoine poétique de l'Anti-Atlas.
Qu'en est-il du rôle de vos collaborateurs les plus proches, Jamal Boumadkar et Abdellah Chafik ?
Que ce soit tenu pour acquis, je n'ai jamais nié la contribution de J. Boumadkar et A. Chafik. Leur aide est on ne peut plus précieuse et je les en remercie infiniment. Ma relation avec ces deux frères était, est et sera toujours excellente. C'est A. Chafik qui a par exemple apporté des retouches avec «taggenza » au titre d'« Imal » de tawargit, avec ses jeux de guitare à « tazrart », sa voix à « urt igi » et « anzâr d udrar » d' Itran azal... Et J. Boumadkar, c'est la sagesse même, l'homme orchestre et l'organisateur hors pair. Sa collaboration m'est tellement importante que je ne peux vous citer tout d'une manière circonstanciée. Mais je peux vous dire juste que son jeu de basse et sa voix sont présents presque dans tous mes titres. En tous les cas, tout cela est cité sur la pochette de mes albums. Et je pense que c'est la moindre des choses.
Dans quelles conditions avez-vous produit votre dernier album ?
Tout s'est fait entre l'Allemagne et le Maroc. J'avoue que ce n'est pas toujours évident, parce que je n'ai pas beaucoup de moyens. Il fallait donc savoir bien gérer les choses, au millimètre près. En fait, dès le début, j'avais souhaité la présence de mes amis musiciens restés au pays d'où mes aller-retour entre Agadir et Hambourg. Sinon j'aurais bien choisi de rester et faire tout en Allemagne. Car c'est là que l'on a accès aux meilleurs moyens. Résultat : plus de dix musiciens de différentes nationalités ont collaboré et participé à la réalisation de cet Album. À titre d'exemple Aneta. qui a chanté avec moi en tamazight.
Qui écrit les paroles de vos chansons ?
Les paroles de tawargit et Itran azal sont les miennes sauf là où c'est indiqué. Dans mon dernier album, le septième titre « tazrart» est un texte tiré de notre patrimoine poétique de l'Anti-Atlas.
Qu'en est-il du rôle de vos collaborateurs les plus proches, Jamal Boumadkar et Abdellah Chafik ?
Que ce soit tenu pour acquis, je n'ai jamais nié la contribution de J. Boumadkar et A. Chafik. Leur aide est on ne peut plus précieuse et je les en remercie infiniment. Ma relation avec ces deux frères était, est et sera toujours excellente. C'est A. Chafik qui a par exemple apporté des retouches avec «taggenza » au titre d'« Imal » de tawargit, avec ses jeux de guitare à « tazrart », sa voix à « urt igi » et « anzâr d udrar » d' Itran azal... Et J. Boumadkar, c'est la sagesse même, l'homme orchestre et l'organisateur hors pair. Sa collaboration m'est tellement importante que je ne peux vous citer tout d'une manière circonstanciée. Mais je peux vous dire juste que son jeu de basse et sa voix sont présents presque dans tous mes titres. En tous les cas, tout cela est cité sur la pochette de mes albums. Et je pense que c'est la moindre des choses.
Dans quelles conditions avez-vous produit votre dernier album ?
Tout s'est fait entre l'Allemagne et le Maroc. J'avoue que ce n'est pas toujours évident, parce que je n'ai pas beaucoup de moyens. Il fallait donc savoir bien gérer les choses, au millimètre près. En fait, dès le début, j'avais souhaité la présence de mes amis musiciens restés au pays d'où mes aller-retour entre Agadir et Hambourg. Sinon j'aurais bien choisi de rester et faire tout en Allemagne. Car c'est là que l'on a accès aux meilleurs moyens. Résultat : plus de dix musiciens de différentes nationalités ont collaboré et participé à la réalisation de cet Album. À titre d'exemple Aneta. qui a chanté avec moi en tamazight.
Qui est-elle ? Et comment en est-elle arrivée à chanter en une langue qu'elle ignore?
Aneta est une chanteuse Allemande. C'est elle qui avait interprété, avec sa très belle voix, le titre « tfelt iyyi ». Pour cela, je peux vous dire que c'est très simple. Il suffit d'avoir un esprit libre, sans aucun complexe et ouvert sur l'autre et sa culture. À partir de là, rien n'est impossible.
Et maintenant, que faites-vous ?
Je travaille d'arrache-pied sur de nouvelles chansons. J'essaie concomitamment de créer des contacts avec de nouveaux musiciens ayant d'autres styles et d'autres cultures musicales. Tout cela afin d'échanger et changer les idées tout en ayant le souci de faire connaître ma musique. Je donne également des concerts avec mon groupe en Allemagne où j'ai élu domicile. Sinon, je suis parfois invité d'honneur d'autres groupes amis…
Votre dernier mot.
Je tiens à rendre hommage, par le biais de cette interview, à tous ceux qui n'ont de cesse de m'aider et de m'encourager à aller de l'avant. Même si la liste est longue, je vais citer B.Azwaw Rami, Agoram Itri, Karim Aguenaou, Amazigh B.Lâsri, tous les musiciens qui me soutiennent et tous ceux qui aiment et apprécient mon travail.
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