Une bonne partie des musulmans est chauffée à blanc. La raison ? La publication par un obscur journal danois il y a cinq mois déjà, mais passées totalement inaperçues à l’époque, de quelques caricatures de piètre qualité –il faut le préciser- représentant le prophète Mohammed.
Il est vrai que quelques musulmans danois, qui se comptaient sur les bouts des doigts, s’en sont offusqués à juste titre, mais sans plus. Tout le monde ou presque a oublié cette affaire avant qu’on la déterre, non sans calculs politico-religieux, et qu’on lui donne une dimension quasiment planétaire.
En fait, c’était l’Arabie Saoudite qui, cherchant une légitimité tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, s’est lancée la première à corps perdu dans cette surenchère. Elle a mobilisé ses puissants médias, son gouvernement, son clergé et même son propre peuple.
Pour comprendre les tenants et les aboutissants de tout cela, il est intéressant d’avoir une idée de ce qui se passe réellement, en ce moment, dans le monde islamique. En plus d’une délégitimation chronique de bon nombre de régimes dans les pays le composant, nous y assistons à une course à qui mieux mieux pour son leadership. Et tous les moyens sont bons pour s’y maintenir ou pour y accéder.
Il y a encore une décennie et demie, l’Arabie Saoudite dominait du haut de sa superbe tout ce beau monde pour deux raisons : d’une part, elle est le berceau de l’Islam et abrite quasiment tous ses lieux saints ; d’autre part, elle est immensément riche grâce ses réserves en pétrole. Ce qui lui permet naturellement d’avoir les moyens d’une politique étrangère assez constante.
Sa descente aux enfers a été progressive. Elle a commencé avec la première guerre du Golfe. Sa crédibilité, sa légitimité et son rayonnement en ont pris un terrible coup. L’accueil sur son sol, considéré comme sacré par tous les musulmans, de troupes américaines " mécréantes " afin de déloger Saddam Hussein du Koweït, a été pareil à un coup de grâce. Non seulement d’un point de vue économique, car elle a été obligée de régler une grande partie de la facture plus que salée de la guerre, mais aussi et surtout en terme d’image et de prestige. Jusqu’à ce jour, elle ne s’en est pas encore réellement remise.
Arrivent alors les terribles attentats du 11 septembre qui ont été préparés et exécutés par la "multinationale" terroriste d’Al-Qaïda, composée majoritairement de Saoudiens. Pire, des hommes éminents de la famille régnante ont été soupçonnés à un moment de les avoir financés directement. Ce qui lui a causé nombre de déconvenues avec son allié de toujours, les États-Unis. Qu’elle s’en sorte indemne relève quasiment du miracle !
Et comme cela ne suffisait, voilà que le terrorisme d’Al-Qaïda qui s’invite carrément à la maison. Le pouvoir est ouvertement contesté et accusé d’apostasie à cause de ses liens on ne peut plus privilégiés avec l’Occident. Des attentats impressionnants les uns que les autres, des chasses à l’homme et des arrestations d’individus soupçonnés ou convaincus de terrorisme sont presque monnaie courante.
N’eût été la guerre en Irak, la situation aurait été pire : la majorité des candidats au " jihad " y est partie pour croiser " les bombes " avec les Américains et massacrer, au passage, les services de sécurité et les chiites irakiens dans une suite lancinante et macabre d’attenants suicides.
Si, d’un part, cette deuxième guerre du Golfe a fait que le terrorisme est quasiment résiduel en Arabie Saoudite, d’autre part, et c’est le revers de la médaille, elle l’a enfoncée, définitivement. Non seulement elle ne s’y est posée que mollement, mais elle a aussi permis aux forces aériennes américaines de survoler son territoire et bombarder l’Irak. Sans oublier d’autres facilités qu’on ne connaît pas. Mais tout le monde sait qu’elle a apporté une main discrètement forte aux Américains.
L’irruption fulgurante d’une autre puissance régionale et musulmane mais chiite, l’Iran, vient changer totalement les équilibres déjà très fragiles dans la cette région du monde ô combien sensible ! Son nouveau président Mahmoud Ahmadinijad a deux atouts majeurs : primo, il est pourvu d’une légitimité politico-religieuse incontestable, parce qu’élu contrairement en Arabie Saoudite où le pouvoir est héréditaire, ce qui est, et on a tendance à l’oublier, une transgression flagrante de l’une des recommandations essentielles de l’Islam. Secundo, il ose défier et l’Occident et Israël réunis, et tente même de se procurer sa bombe nucléaire. Aussi sa cote a-t-elle grimpé en flèche, ces derniers temps, auprès des masses musulmanes humiliées qui voient en lui presque un homme providentiel.
L’Iran et accessoirement le Pakistan ont donc éclipsé irrémédiablement l’Arabie d’où son instrumentalisation forcenée de cette affaire des caricatures pour rappeler au monde et surtout aux musulmans qu’elle est, quoiqu’on puisse dire, la garante de l’Islam et de ses valeurs. Mais tout cela ne trompe personne, sauf…
Lahsen Oulhadj
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