samedi, février 02, 2008

Le Dadès : un énième acte de la tragédie amazighe

Dans l’indifférence la plus totale du régime de Rabat, à cette même période de l’année dernière dans la petite localité d’Anfgou, en pleines hauteurs du Moyen Atlas, des enfants de bas âge, des femmes faibles et des vieux élimés ont péri d’un seul coup. Quelque incroyable que cela puisse être, l’on n’a pas encore déterminé la raison pour laquelle toutes ces innocentes victimes ont perdu la vie. Puisque, jusqu’à présent, aucune enquête, si petite soit-elle, n’a jamais été diligentée ; on a donc laissé libre court à toutes sortes de supputations parfois farfelues.

Encore au jour d’aujourd’hui, chacun y va avec sa petite partition en adoptant, le plus souvent, des accents emphatiques. Histoire, bien entendu, de donner à ses propos un semblant de vérité. Toujours est-il qu’il y en a qui pointent du doigt le froid intense ; d’autres mettent en accusation une épidémie inconnue- jusqu’à présent on n’a pas réussi à la nommer. Mais, en fait, peu osent évoquer la vraie raison, à savoir le Makhzen et sa terrible incurie mâtinée avec une forte dose de racisme anti-amazigh. Plus par peur de représailles que réellement par lâcheté intellectuelle. Pour l’instant, l’on va être très gentil, accordons-leur le bénéfice du doute. En attendant des jours meilleurs.

Tu demandes tes droits…

La même chose allait certainement se produire dans le Dadès, le pays du non moins célèbre patriote Assou Ou Basslam. Et comme c’était le cas avec les habitants du Moyen Atlas, nous avons affaire aussi ici à un concentré de pauvreté, de misère et d’exclusion doublée des rigueurs de la mère Nature. Mais à la différence des premiers, les Dadesois, plus sanguins et plus coriaces aussi, ne veulent en aucun rester fatalistes. À la faveur d’une politisation plus que palpable -grâce seulement et uniquement au Mouvement culturel amazigh (MCA)- et à une prise de conscience citoyenne de plus en plus affermie, les habitants savent qu’ils ont des droits et qu’ils peuvent, au moins, les revendiquer.

Ayant frappé vainement à toutes les portes et faute d’un service public digne de ce nom, ils ont décidé de faire entendre leur colère en se rassemblant, spontanément, au centre de Boumal n Dadès. Comme cela se fait ailleurs, c’est-à-dire dans les pays où la citoyenneté a un véritable sens. Mais c’est peu connaître le Makhzen qui a vu dans toute cette agitation populaire un affront irrémissible à sa dictature qui, dans le cas des Amazighs, peut facilement être assimilée à une impitoyable colonisation. D’aucuns pensent qu’il aurait certainement préféré le même scénario que celui des habitants d’Anfgou, qui se sont carrément laissés mourir. Doucement. Discrètement. Très silencieusement.

Les diabétiques " très compétents " du régime marocain ont donc agi non pas en ouvrant le dialogue avec les manifestants. Il ne manquerait plus que de discuter avec les ‘’singes’’- je ne savais pas que l’on nous appelle aussi ainsi -, comme diraient certaines de leurs " bouches " nauséabondes mais ô combien très autorisées. En fait, ils ont vite fait -en prenant soin de couper Internet à toute la grande région d’Ouarazate- de mobiliser leur arsenal répressif pour casser tout ce qui ressemble de loin ou de près à un Amazigh. À dessein bien évidemment. Si tous les Amazighs- ils se comptent par millions- réagissent comme ceux du Dadès, eux qui ont subi pendant plus de 60 ans une exclusion diaboliquement organisée, ce serait sans l’ombre d’un doute une véritable catastrophe. Rabat serait noyé en un clin d’œil sous un tsunami de revendications : culturelles, sociales, identitaires…

Tu vas " lmmouk* " en prison

Ce qui est d’ailleurs on ne peut plus vrai. Les Amazighs manquent de tout. Et ce n’est pas pour rien qu’ils sont à la tête de toutes les contestations qui traversent tout le pays. A défaut donc de les stopper, il faut les décrédibiliser. Tout de suite. Car à terme, ils deviendraient une terrible menace. D’où la fallacieuse accusation du drapeau chérifien brûlé et même du portrait du roi piétiné. Un vrai " coup de maître " dont seul les cerbères du Makhzen sont capables, car le résultat est plus que probant. Même si ce n’est vraiment pas une surprise, déjà dans les forums arabo-marocains, les réactions sont unanimement vindicatives. Florilège : brûlez ces hors-la-loi sur un bûcher, que ces séparatistes ne voient plus la lumière du jour, que ces fauteurs de trouble soient guillotinés sur la place publique, sans oublier la phrase qui tue : même les Chleuhs manifestent maintenant… Et j’en passe et des meilleures.

En d’autres termes, ce n’est pas demain la veille que les Arabes du Maroc, prompts à aboyer comme des dingues pour leurs frères palestiniens et irakiens et à brûler à souhait des drapeaux américains et israéliens- et même pour certains à faire carrément don de leurs corps sous-alimentés aux oracles enturbannés d’El-Qaida-, se rendraient compte des terribles souffrances dont sont victimes leurs " compatriotes " amazighs. Il faut dire qu’une telle situation faite d’un déni systématique les arrange très bien. En fait, ils y trouvent tout à fait leur confort. Il faut dire que c’est carrément lénitif de ne jamais voir sa propre misère, n’est-ce pas ?

Pendant ce temps-là, des dizaines de Dadesois de tous les âges, arbitrairement écroués, sont en train de moisir dans les geôles " très accueillantes " du Makhzen après avoir- comment peut-il en être autrement ?- séjourné au rayon des bons soins où exercent, avec beaucoup de zèle, des humanoïdes aux formes étrangement gendarmesques, connus pour avoir une haute idée de la dignité humaine. Après une telle ‘’catharsis’’ à la sauce arabo-makhzenienne, il doit y avoir forcément certains parmi eux qui doivent penser que la mort aurait probablement été mieux. Ne dit-on pas, en faisant légèrement violence à ce fameux dicton, qu’il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu’à ses " chorfas " ?


* C'est une insulte que tous ceux qui ont eu maille à partir avec le Makhzen connaissent très bien.

samedi, janvier 26, 2008

Jacques Vergès : l’avocat de tous les mystères

Si vous allez voir L’Avocat de la terreur, le dernier documentaire de Barbet Schroeder sur l’avocat Jacques Vergès, avec l’espoir de lever, enfin, le voile, tous les voiles qui cachent encore, tenacement, des pans entiers de la vie de cette personnalité très énigmatique, il y a de fortes chances que vous soyez déçu. Hormis son âge d’or algérien plus que mis en valeur, au lancement du générique final, le mystère Vergès reste encore et toujours entier. Il s’est même épaissi à certains égards. Et ce malgré tout le savoir-faire qui a fait jusqu’ici la réputation de Barbet Schroeder, réalisateur entre autres d’un portrait d’un autre personnage non moins célèbre, l’ex-dictateur ougandais le général Idi Amin Dada.

Quant à la présente œuvre de ce cinéaste atypique, elle pose en réalité plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Pour preuve, celui-ci n’a pas pu nous dire qui est réellement Vergès. Peut-être que ce n’était même pas son intention. Toujours est-il que cet avocat on ne peut plus controversé est loin d’être n’importe qui. Et c’est le moins que l’on puisse dire. Orateur redoutable bouillonnant d’intelligence, il a toujours su utiliser ou se jouer- pour ne pas dire manipuler- des médias pour servir ses causes ou ses procès du moment. Là encore, dans ce film, un imposant cigare constamment entre les doigts, il a réussi l’impossible gageure de ne jamais piper mot sur ce qu’il est réellement même s’il a été, comme à son habitude, loquace et même, par moment, très bavard.

Mais une chose est sûre, ce digne fils d’un couple vietnamo-réunionnais a eu et a toujours une aversion on ne peut plus forte contre tous les colonialismes et toutes les dominations. Sa vie entière est marquée ad vitam aeternam par ce sentiment. C’est même le fil d’Ariane qui traverse dans tous les sens sa très longue existence- il a 82 ans. Même si ces dernières années, certains de ses engagements ont fini par sérieusement ternir cette image. Qui aurait imaginé qu’il plaiderait un jour pour un collaborateur nazi de le trempe de Claus Babrie ? Absolument personne. Autant dire que les principes d’hier sont rangés au rang des accessoires. Le temps a eu sans doute raison de ses idéaux de jeunesse, pourrait-on dire. Qu’il se rassure, il n’est ni le premier ni certainement le dernier à changer ainsi de veste.

Par ailleurs, il faut bien que l’on apprenne quelque chose pendant les deux heures et quart que dure le film, n’est-ce pas ? À titre personnel, je n’ai retenu que deux points : primo, Vergès a un faible pour les prisonnières. C’est carrément un trait de sa personnalité -même si cela confine parfois au burlesque. Décidément, que des amours – parfois très platoniques- dans l’adversité ! Pendant la guerre d’Algérie c’était Djamila Bouhired, la pasionnaria de la lutte pour l’indépendance de son pays, avec laquelle il a fini- quand même- par convoler en justes noces et par la suite c’était l’ancienne compagne du fameux terroriste Carlos, Magdalena Kopp. Secundo, Vergès fricotait allègrement et sans aucun scrupule avec les génocidaires et les tenants du terrorisme et du banditisme internationaux.

Mais il n’était pas le seul dans ce cas. Le régime algérien avec lequel il est resté très lié n’était pas mieux. Si étonnant que cela puisse paraître, l’on voyait à un moment des images rares de Bouteflika sur le tarmac de l’aéroport d’Alger, fringant, étincelant, ivre de bonheur, au milieu d’une bande de dangereux terroristes qu’il a accueillis, personnellement. Ce qui en dit long sur la nature des détenteurs du pouvoir en Algérie, un pays qui n’a que trop souffert de leurs errements grotesques !

Eu égard donc à ce qui précède, est-ce que l’Avocat de la terreur vaut vraiment le détour ? Assurément. Indiscutablement. Histoire au moins de découvrir- si vous ne le connaissez pas encore- ou de revenir sur le parcours nébuleux de Vergès, plus que jamais le symbole d’une époque qui n’est déjà plus, et voir surtout un travail cinématographique d’une grande valeur esthétique et technique. Ne faut-il pas qu’il y ait au moins une raison, si petite soit-elle, qui justifie le déplacement en cette période de froid, par moment, plus que polaire ?

lundi, janvier 21, 2008

L’amazighité perd l’un de ses fils les plus dévoués

C’est avec grande peine que j’ai appris le décès d’un homme avec qui j’ai discuté longuement sur l’enseignement de l’amazigh sur la terrasse du Café Tabrida à Biougra. Le lieu où tous les militants et les sympathisants de la cause amazighe de cette même ville et de sa région ont pris l’habitude de se réunir. Il s’agit du professeur Tayeb Tagoulla, un digne fils que seul le Souss, cette altière et fière citadelle de l’amazighité, sait en enfanter.

Depuis longtemps, Tagoulla était on ne peut jaloux de sa culture et de son identité. Un militant qui avait beaucoup d’espoirs pour l’amazighité, son amazighité. Comme toujours, je vois déjà certains se hâter pour dire que c’est un inconnu. Mais cette fois-ci, je leur donne volontiers raison. C’est vrai que peu de gens le connaissent, sauf bien évidemment ses amis ou ses collègues. Car il était un homme de l’ombre, un militant qui a servi sa culture et son peuple sans le crier sur tous les toits.

En réalité, Tagoulla était d’une discrétion toute… amazighe. Il lui collait même à la peau. Je dirais même qu’il en est la personnification la plus parfaite. Bien plus, il était d’un calme absolument olympien. En un mot, il était un sage comme on peut en rencontrer beaucoup chez nous. Il faut savoir que lorsqu’il parle, il ne le fait que d’une manière extrêmement concise, brève et nerveuse. L’on dirait qu’il a systématiquement peur qu’un mot de plus ou de moins altère sa pensée.

Lorsque le hasard a fait que l’on se rencontre, nous avons parlé de tout et de rien. Mais une fois que je lui ai proposé d’assister à l’un de ses cours de langue amazighe, histoire d’écrire un article là-dessus, il s’est montré très enthousiaste et très flatté même. Mais, hélas!, la bureaucratie et l’incurie de l’administration marocaine m’en ont dissuadé. Car il faut passer par je ne sais par quel bureau pour avoir je ne sais quelle autorisation !

En réalité, il faut supporter la médiocrité doublée d’arrogance des fonctionnaires makhzeniens du ministère de l’ " Éducation nationale ". Autant dire un véritable chemin de croix. J’ai donc préféré ne faire aucune démarche, parce que je ne suis pas prêt de le faire, parce que je n’ai pas la patience. C’est aussi simple que cela. Me connaissant, je me serais certainement fâché avec ces " primitifs " avec bureaux et stylos à la main.

Même si maintenant j’ai un petit pincement au cœur. En fait, je regrette de ne pas avoir au moins essayé. Parce que Tagoulla n’est plus. Parti définitivement. Sans crier gare. Fauché par la mort d’une manière extrêmement subite et brutale. Le jour même du nouvel amazigh, c’est-à-dire la matinée du 12 janvier. Au moment même où tous les membres de l’association Asiggl, au sein de laquelle il a toujours milité, étaient à pied d’œuvre pour organiser leurs festivités annuelles.

Pour les militants amazighs d’Achtouken, il faut absolument qu’ils se mobilisent pour donner son nom à une institution culturelle ou éducative. Allez, débarrassons-nous une fois pour toutes de cette appellation absurde et provocatrice d’Al-Joulan (le fameux Golan syro-isréalien où les Arabes ont subi une raclée plus que mémorable), donné par je ne sais quel impérialiste baâthiste au lycée de Biougra !

Pour finir, que dda Tayeb me pardonne ma lâcheté et que puissent ces mots lui parviennent là où il est maintenant ! En fait, ce simple et modeste texte n’est qu’une manière pour moi, de lui dire que l’on t’oubliera jamais. Adieu le professeur, adieu le militant, adieu l’ami !