vendredi, septembre 16, 2005

Sur la télévision de Pierre Bourdieu

Lahsen Oulhadj

Compte rendu de Sur la télévision de Pierre Bourdieu.

Par ce livre, exceptionnellement de petit format et d’un accès facile, Pierre Bourdieu a essayé de révéler, non seulement à son auditoire restreint du collège de France, mais aussi à un public plus large, les mécanismes cachés qui régissent le monde de la télévision.

Il a beaucoup dénoncé la censure invisible pratiquée par la télévision. Il faut dire qu’elle est pourvue, comme l’a démontré l’auteur, d’un système de censure très sophistiqué inhérent à sa nature, aux pressions économiques et politiques dont elle fait systématiquement l’objet. À la télévision, on ne montre pas tout, sauf si cela va intéresser le plus grand nombre. La logique de l’audimat est très déterminante.

P. Bourdieu a aussi décoché quelques flèches aux intellectuels, ou se pensant comme tels, férus de passages successifs à la télévision. De toute évidence, pour eux, le but ultime c’est de " voir et d'être vus ". Quant à leur pensée, elle est " jetable " parce que produite dans l’urgence. Et leurs débats sont loin d’être vrais…

Si Bourdieu est par moment très acerbe, c’est qu’il est contre le mélange des genres. Selon lui, le risque, à terme, est que le champ scientifique perde son autonomie sous les coups de boutoir de la logique commerciale qui sévit dans l’espace médiatique. Son cauchemar, c’est de voir un jour un sociologue parler au nom de la sociologie.

Cependant, les reproches qu’on peut faire à P. Bourdieu ne sont pas très nombreux. Tout d’abord, le manque d’exemples concrets pour étayer ses quelques affirmations abstraites. Ensuite, le refus d’évoquer, fût-ce en quelques mots, les avantages de la télévision. Enfin, le côté pamphlétaire de son ouvrage qui risque de rebuter surtout ceux qui sont habitués à sa légendaire rigueur scientifique. Par conséquent, le lecteur peut facilement avoir l’impression, en lisant cet opuscule, que c’est plus un règlement de compte qu'autre chose. D'ailleurs, tout le monde sait que les rapports entre P. Bourdieu et les médias étaient très conflictuels.

lundi, septembre 12, 2005

Chirac le démocrate

Lahsen Oulhadj
Lors des préparations des Anglo-américaines de la guerre en Irak, Chirac, par sa position courageuse, a eu de par le monde engrangé un capital de sympathie considérable. Mais avec le temps, ce capital tend à s’étioler. Car Chirac n’a que mépris pour la démocratie surtout si les intérêts de son pays sont en jeu. Il l’a montré à plusieurs reprises.

Lors du dernier déplacement du nouveau président chinois en France, Hu Jintao, Chirac lui a offert tous les fastes de la république. Ce qui est tout à fait normal, vu que la Chine est un grand pays. Mais ce qui ne l’est pas, c’est tout le discours qui a accompagné cette visite officielle. J’ai trouvé très choquant l’extrême timidité avec laquelle le président français a évoqué la question des libertés dans ce pays. Sa vague allusion aux droits de l’homme assortie "de l’assurance que le régime chinois va dans leur affermissement " n ‘est absolument pas digne d’un président d’un grand pays démocratique, la France. On aurait aimé que Chirac mette le doigt sur quelques sujets brûlants : l’inexistence de la liberté d’expression, l’impossibilité de créer des associations ou des partis politiques, la peine de mort encore largement pratiquée, le Tibet qui a été simplement annexé, etc. Autrement dit, la Chine est une dictature léniniste dirigée par un parti-État, qui a obtenu de très bons résultats économiques certes, mais dont les pratiques sont arbitraires voire totalitaires.

En outre, Chirac a surpris tout le monde par des propos très virulents tenus contre Taiwan, qui compte organiser, le 20 mars prochain, une consultation référendaire de ces citoyens sur l’attitude à adopter face à la menace chinoise sur l’île. De fait, Chirac, par ses déclarations condamnant les initiatives d’une petite démocratie, donne le feu vert à une puissance brutale et surarmée de décider contre elle des représailles au moment où elle le voulait.

Bien pire, la France lève en même moment l’embargo sur la vente d’armes à la Chine décidée par la communauté européenne depuis le massacre de Tien An Men en 1988. Surtout que l’on sait tous que la Chine ne fait pas mystère de ses intentions : elle va utiliser à coup sûr les Mirages français qu’elle compte se procurer pour une éventuelle agression de Taiwan. Car, elle a toujours évité de renoncer publiquement d’utiliser la force contre la petite île. Pourquoi le président français n’a pas au moins exigé que la vente des armes françaises soit subordonnée à un engagement dans ce sens ? Là aussi, les intérêts purement économiques expliquent tout.

Déjà lors de sa visite en Tunisie en décembre 2003, Chirac n’a pas hésité à prendre fait est cause pour le régime très répressif du président Ben Ali. Il a avait fait une déclaration mémorable sans aucun respect aux militants tunisiens des droits de l’homme en grève de la faim : "le premier droit de l'homme, c'est de manger, d'être soigné, de recevoir une éducation, d'avoir un habitat " en ajoutant que "la Tunisie est très en avance sur beaucoup, beaucoup de pays. "
Une façon de soutenir le régime en place, et, de dire que les Tunisiens, et au-delà tous les Nord Africains, peuvent s’estimer heureux si déjà ils ont quelque chose à se mettre sous la dent. La démocratie en quelque sorte est un luxe que seul les Occidentaux peuvent se permettre. Drôle conception de la démocratie ! Ce qui a choqué tous les démocrates d’Afrique du Nord. Mais c’est mal connaître Chirac qui a dit en 1990 que "le multipartisme est un luxe que les pays en développement n’ont pas les moyens de s’offrir. "

En juin 2003, et dans un pays qui n’a pas brillé non plus par ses acquis démocratiques, la Russie, Chirac alors qu’il inaugurait avec le président Poutine, une académie polaire à Saint-Pétersburg, a eu cette déclaration : " cette initiative met la Russie au rang des démocraties pour le respect dû au peuple premier, pour le dialogue des cultures et tout simplement pour le respect pour l’autre ". Les massacres perpétrés par le régime Poutine en Tchétchénie sont allègrement passés sous silence. Là aussi, la France a signé un accord de "partenariat stratégique " avec la Russie . Autrement dit, les intérêts passent avant tout autre chose.

Il est regrettable de constater que les principes démocratiques qui ont présidé à la fondation de la France, sont sacrifiés sur l’autel des intérêts purement économiques. Mais ce n’est pas nouveau, loin s’en faut. Un certain De Gaulle, dont Chirac se dit un digne successeur, avait affirmé un jour que : " la France n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts ". Voilà pour ceux qui se font encore des illusions sur la droite française.

dimanche, septembre 11, 2005

Apprenons le tifinagh sur tifawin.com !

Lahsen Oulhadj
Féru de la culture amazighe depuis son plus jeune âge, Azedine L., ingénieur de formation, n’a pas hésité à mettre ses connaissances au profit du tifinagh. Il a crée à cet effet www.tifawin.com, un site avant-gardiste destiné à l’apprentissage simple et ludique de cet alphabet ancestral dont la symbolique n’est plus un secret pour personne. Il a bien voulu se soumettre à notre jeu de questions-réponses.

Question : pourquoi le site tifawin ?
Réponse : Tout simplement pour remplir un vide. L'idée était : comment donner accès à l'apprentissage de l’alphabet tifinagh à un maximum de gens, d'une manière interactive et par Internet ?

Q : Décrivez-nous un peu votre site Internet ?
R : L’outil est divisé en plusieurs sections : présentation, mémorisation et applicationLa présentation donne un aperçu des tifinaghs classés par voyelles puis par groupe de lettres ayant une ressemblance graphique ou sonore. Chaques lettre est accompagnée du son correspondant. La mémorisation consiste dans des exercices de reconnaissance de lettres générées aléatoirement. Un score permet de s’auto-évaluer. L’application consiste en un clavier tifinagh virtuel et des exemples basés sur des proverbes, en plus d’un moteur de recherche de vocabulaire amazigh en tifinagh.

Q : C’est vrai que c’est un outil on ne peut plus complet, mais en termes de fréquentation, qu’en est-il ?
R : Et bien, le bilan n’est pas mauvais, le site est en ligne depuis un mois et a déjà reçu plus de 2000 visiteurs. La majorité provient de France, le Maroc arrive en 2ème position.

Q : Au-delà du côté symbolique très fort du tifinagh, pensez-vous vraiment que cet alphabet est l’idéal pour la langue amazighe, eu égard à son retard et à la situation même des Amazighs ?
R : Il est clair que la solution de facilité aurait été d’adopter l’alphabet latin comme d’autres peuples (vietnamiens, albanais, …). Les expériences d’autres pays montrent bien que ce ne soit pas l’alphabet qui soit important, mais le fait qu’il soit soutenu par une politique d’État et c’est là justement le talon d’Achille du tifinagh. Reste que je le considère comme un " catalyseur identitaire ", c’est-à-dire qu’il induit une réaction d’identification culturelle que l’alphabet latin n’aurait pas pu engendrer. L’autre avantage du tifinagh est qu’il pourrait marquer de façon très claire la présence du tamazight dans l’espace public. Nombre d’enseignes d’hôtels et autres établissements commerciaux portent déjà des noms amazighs, mais ne sont pas ressentis comme tels. Car ils sont écrits en lettres latines ou arabes. La lettre tifinaghe devient militante et porte-parole du tamazight par sa seule présence. Le problème est que cette langue doit faire face à un État on ne peut plus hostile et que les symboles ne seront peut-être pas suffisants. Il faut donc assurer les arrières. Rien n’empêche d’utiliser le tifinagh et l’alphabet latin en même temps. C’est d’ailleurs ce qui se passe. Pour faire bref, je dirais que le tifinagh sert à fertiliser un champ qu’il faudra peut-être semer avec le latin.

Q : Vous avez touché au point sensible, à savoir l ‘État, qui malgré ses beaux discours et malgré l'IRCAM, continue toujours à exclure et même dans certains cas à combattre la langue amazighe. D’après vous, que doivent faire les Amazighs par rapport à une telle situation?
R : D’abord, ils ne doivent pas perdre courage, leur lutte est légitime et juste. Elle ne peut finir que par gagner. Les militants doivent continuer à sensibiliser la société civile qui reste bien souvent ignorante du problème. Une bonne communication est plus efficace que dix manifestations. Ensuite, il ne faut pas jouer le jeu du Makhzen qui divise pour régner, il y a beaucoup d’énergie qui se perd dans une critique continuelle de l'IRCAM. Cet institut a un rôle de production et de recherche, même si, hors de ses murs, son action reste très limitée. Il n’est pas exempt de critiques, mais il faut prendre du recul et se demander de quelle façon l’on pourrait créer des synergies pour avancer. Il y a toujours possibilité de trouver un élément positif et l’exploiter. Le site TIFAWIN a été créé dans cette optique et le nombre de possibilités d’actions n’est pas négligeable.

Q : L'IRCAM, comme vous le savez, a un site Internet. Mais il est surprenant de remarquer que le tifinagh n’y est absolument pas présent. Par quoi expliquez-vous une telle situation? D’après vous, c’est technique ?
R : Et bien, je viens de lire une interview d'un membre du département informatique de l'IRCAM qui a annoncé une version tifinagh et une autre arabe pour le mois de juin.

Q : Tant mieux alors ! Sinon, qu’est-ce que vous pensez du CD d’apprentissage de langue amazighe produit par la société eclisse.com ? Est-il bien fait ou non ?
R : Il a le mérite d'exister, mais il faut être franc, c'est un travail bâclé. Le tifinagh y est écrit n'importe comment et la qualité technique n'est pas à la hauteur du prix auquel il est vendu. Des versions ultérieures ont été annoncées, espérons que le tir sera rectifié. Encourageons quand même ses concepteurs, car cela reste une belle initiative !

Q : Les Amazighs sont on ne peut plus présents sur Internet. Mais, malheureusement, on ne peut que constater leur absence insupportable dans d’autres médias. D'après vous, comment les Amazighs peuvent-ils marquer leur présence à la radio et à la télévision que ce soit au Maroc ou à l'étranger ?
R : Comme toujours, le nerf de la guerre est l'argent. Je pense que la prochaine libéralisation du secteur audiovisuel pourrait peut-être débloquer la situation. Les chaînes arabistes dites nationales sont à oublier. Il faudra alors convaincre les investisseurs que le tamazight peut leur faire gagner beaucoup de parts de marché. En fait, ce qui les convaincra enfin de compte, ce sera la possibilité d'attirer des annonceurs intéressés par le public amazigh. On voit que c'est un système global, tant que le tamazight n'aura pas intégré une partie du circuit économique, on risquera de tourner en rond.

Q : Est-ce que vous avez d’autres projets en perspective en plus de tifawin.com ?
R : J’ai beaucoup de projets, mais ils ont tous présentables dans le cadre du site TIFAWIN, du moins aussi
longtemps que l'Ircam réservera sa production à ses seuls membres...

Q : merci beaucoup!
R : je vous en prie!