vendredi, août 29, 2008

Et si l'on parle de l'autonomie du Souss ?

Les événements tragiques d’Aït Baâmrane ne sont vraiment pas près de finir. Malgré la répression féroce, les jeunes de cette partie sinistrée du Souss ne veulent en aucun cas en démordre. En fait, ils sont à l’image de leurs grands-parents qui ont mis les Espagnols dehors. Ce que beaucoup, aujourd’hui, regrettent plus qu’amèrement. Il faut savoir que la ville d’Ifni à l’époque avait des infrastructures que même les plus grandes villes marocaines n’avaient pas. Un vrai centre urbain avec toutes les commodités modernes. Mais depuis son intégration au Maroc, elle est tombée progressivement en décrépitude, parce que ignoré superbement par le Makhzen. Il est de notoriété publique que celui-ci n’a que mépris pour les Amazighs. Pire, il s’en méfie comme de la peste s’il ne les combat avec toutes ses forces.

C’est de là que l’on peut expliquer le ressentiment de nos frères d’Aït Baâmrane. Un sentiment amplifié par les innombrables avantages sociaux et politiques dont profitent allégrement et scandaleusement leurs voisins sahraouis. Y compris les sympathisants les plus virulents des terroristes du Polisario. En fait, Aït Baâmrane ont mille fois raison de ruer dans les brancards, même s’ils ne sont pas les seuls à vivre dans l’exclusion. C’est le cas, hélas, du Souss dans sa totalité. Disons-le franchement, le Soussi plein aux as est plus le fruit de fantasmes qu’autre chose. En fait, il s’agit d’une vraie mystification. D’ailleurs, si vous voulez voir la personnification de la misère, vous risquez à tous les coups de la croiser, s’exprimant parfaitement bien en amazigh, dans les montagnes et les plaines désolées d’Ouarzazate, Aït Baha, Lakhsas, Ihahan…

Et pourtant, ce n’est pas l’argent qui manque. En fait, toutes les richesses du Souss- sauf les investissements des locaux- sont exportées, avec la vitesse de l’éclair, vers le triangle des Bermudes du Makhzen : l’axe Rabat, Fès et Casa. Si elles ne sont pas transférées dans des lieux plus sûrs : les banques suisses et autres paradis fiscaux. En laissant naturellement, derrière, la pollution, la misère et la désolation (puanteur à tous les coins de rue, surexploitation de la nappe phréatique et des richesses halieutiques et minières, insécurité généralisée, changement progressif de la composition ethnique de la région…)

Que faut-il faire alors dans ces conditions ? Bien sûr qu’il faut agir. Pour sauver ce qui peut encore l’être, il n’y a pas un million de solutions. C’est l’autonomie. Le plus simplement du monde. Les richesses du Souss doivent rester dans le Souss. Ce qui ne peut se faire que si les Soussis prennent les commandes de leur propre région. Rassurez-vous, des Soussis compétents, sérieux, honnêtes et efficaces existent bel et bien. En même temps, il est impératif, tout d’abord, que les Arabo-Andalous, connus pour leur perversité, leur voracité et leur amazighophobie, nous lâchent une fois pour toute. Ensuite, il est plus qu’urgent que le Makzhen et ses nombreuses mafias de la médiocrité, de la corruption et de la prostitution ne s’approchent plus de nous. Enfin, il faut aussi que les premiers concernés, c’est-à-dire les habitants du Souss se départissent, pour une fois, de leur fatalisme mortel et se mobilisent. Comme un seul homme. Il est bien connu que les droits ne se donnent pas, ils s’arrachent. Mais à qui le dire ?

Par ailleurs, ce qui fait le plus mal, c’est la quasi absence de solidarité des autres Soussis avec les Aït Baâmrane. Et pourtant, de part leur longue histoire, nos tribus se sont toujours montrées extrêmement unis face aux dangers extérieurs. Il est impossible de toucher l’une d’elles sans que les autres ne lui viennent immédiatement et massivement au secours. Aussi graves que puissent être les conflits entre elles. Mais avec les derniers événements d’Aït Baâmrane, c’est la première fois de l’histoire que des Soussis pur sucre se font brutaliser, quotidiennement, impitoyablement, comme des bêtes de somme, sans que personne ne bouge le petit doigt. Pire, il y en a même qui n’ont trouvé mieux que d’organiser, juste à côté, bruyamment, des fêtes et des festivals. Décidément, les temps ont bien changé. Que c’est terriblement triste !

dimanche, août 24, 2008

Abdellah Amennou : « Nous avons fait mieux que Timitar »

L’on peut parfois faire de très bonnes choses, il suffit qu’il y ait un peu de sérieux et beaucoup de volonté. C’est ce que la dynamique société civile d’Achtouken nous a montré, et de quelle manière ! Pendant trois jours, du 6 au 9 août plus précisément, Aït Baha et Biougra ont vécu à l’heure d’une activité culturelle intense. Et ce, pour le plus grand bonheur des habitants, plutôt habitués à un désert culturel désespérant. Parmi ceux qui ont participé, activement à l’organisation et au succès de cette manifestation, le jeune plasticien Abdellah Amennou. Voilà le résultat de notre échange, réalisé à l’origine en tamazight, mais que je vous ai traduit avec beaucoup de plaisir.

Quel bilan faites-vous de la première édition du festival d'Amarg à Achtouken ?

Pour tout vous dire, tout s’est très bien passé. Pendant quatre jours, la programmation, que ce soit à Biougra ou à Aït Baha, a été un succès à plus d’un titre. Je peux vous affirmer, sans prétention aucune, que le taux de réussite peut être estimé à quelque 80%. Ce qui est encourageant pour une première. Une explication ? En fait, c’est très simple. Cette fois-ci ce sont les vrais enfants du pays, tous très actifs au sein de la société civile locale, qui ont pris les choses à bras-le-corps et non plus les makhzeniens médiocres, « importés » de je ne sais quel lointain bled. Même si d’importants moyens ne sont pas au rendez-vous, je peux vous assurer que notre festival est cent fois mieux que celui Timitar, qui engloutit, chaque année, des sommes incroyablement astronomiques pour faire la promotion de tout et surtout d’un grand n’importe quoi. En tous les cas, il est certain que l’on ne ménagera pas nos efforts pour améliorer davantage les choses. Car, vu notre immense succès, d’autres sociétés privées se sont précipitées sur nous et nous ont promis de mettre la main à la poche, l’année prochaine.

Pourquoi avoir donné le nom de feu Janti à cette édition ?

A part lui, qu’est-ce que vous voulez qu’on lui donne ? Cet homme était le courage même. C’est encore et toujours notre grande fierté. Parce qu’il était un grand militant désintéressé, qui, grâce à ses dons poétiques, a su mobiliser les gens contre toutes les injustices et contre les colonialistes de tout bord. Bien plus, il était un philosophe, mais à sa manière. Toutes ses paroles sont devenues des maximes qui se transmettent de génération en génération. Les Français, qui l’ont bien connu et reconnu sa valeur, ne disaient-ils pas que ses poèmes peuvent même ressusciter les morts ?

Le programme du festival n’est pas uniquement musical…

En effet. Il y a eu trois intéressantes conférences. La première a abordé la poésie amazighe de la résistance pendant la période française. Elle a été animée respectivement par les chercheurs Abderrahim Fares, Mohamed Bastam, Ahmed Bouzid, l’écrivain Mohamed Moustaoui et le grand poète Dda Brahim Oubella, venu spécialement de Tata. La deuxième, qui a vu une affluence importante du public, a porté sur l’art de tarrayst. Là, nous avons eu droit à une très belle prestation de Ali Faïk, qui n’est autre que le leader et le chanteur du fameux groupe Amarg Fusion, qui a évoqué longuement ce sujet. En faisant une part belle aux instruments anciens de cet art ancestral, ô combien, emblématique de notre si belle région, le Souss. Quant à la dernière, elle a vu la rencontre entre quelques poètes avec un groupe de chercheurs dans le domaine amazigh. Et ce, pour éclairer l’auditoire avide du savoir sur les caractéristiques de notre poésie et surtout sur son immense richesse.

Qu'en est-il de la programmation musicale ?

Le premier jour à Aït Baha a vu la participation des rways de Masst, Ismgan d’Aït Baha, Ali Chouhad et Kimroun. Au deuxième jour à Biougra, il y a eu les prestations de Lahsen Ouhihi, Amentag, Lfetwaki, Ismgan et bien évidemment notre inimitable Ajmak. Le dernier jour, c’était les poids lourds de la musique amazighe moderne : le très grand Ammouri Mbarek, Amarg Fusion et les légendaires Izenzaren. L’animation a été assurée excellemment bien par l’humoriste Aslal.

Et qu’en est-il du public ?

C’était tout simplement incroyable et inoubliable. Il a répondu bien évidemment massivement présent. Il est venu de partout du Souss et même d’ailleurs.
Pour voir quelques photos, vous n'avez qu'à cliquer sur ce lien :

samedi, août 09, 2008

Akounad, un grand écrivain en prose

Mohamed Akounad est un romancier que beaucoup doivent nous envier. Tellement il est talentueux. Autant dire que ce n’est pas n’importe qui. En fait, nous avons affaire à un homme de grande qualité. Une singularité dans une mouvance amazighe minée, il faut dire ce qu’il y a, par des égos hypertrophiés, des intérêts personnels et des calculs mesquins. Pour encore combien de temps ? Dieu seul le sait. Passons !

La première fois que j’ai eu l’heureuse occasion d’entendre Dda Moh -c’est ainsi que l’on appelle plus par respect qu’autre chose- date d’il y a longtemps. Au début des années 90 du siècle passé. Et oui, le temps passe très vite ! À l’époque, il préparait et présentait, à titre de bénévole –c’est toujours le cas-, une excellente émission hebdomadaire sur les ondes de la radio régionale d’Agadir.

Déjà le titre de cette fameuse émission, le savoir : le droit de tout un chacun (Tawssna, taghamt n kuyan), nous annonce la couleur. Au-delà de toutes les choses pertinentes que l’on peut y apprendre, ce qui a retenu le plus particulièrement mon attention, c’est son effort de traiter tous les sujets, si complexes et compliqués qu’ils puissent être, dans une langue amazighe absolument fraîche, épurée, châtiée et accessible à tout le monde.

Autant dire une découverte pour moi et une première dans un mouvement amazigh encore à la recherche de ses marques. « Avec son émission culturelle intitulée ‘’ Tawssna taghamt n ku yan’’, devenue ultérieurement ‘’Tawssna tamazight’’, diffusée jusqu’à nos jours (1993-2007), M. Akounad marqua ainsi le domaine des médias amazighs», affirma, péremptoire, Anir Bouyaâkoubi, un jeune militant qui l’a beaucoup fréquenté au sein de l’association de Tamaynut à Agadir.

Enfin, la rencontre

Depuis cette époque, j’ai toujours voulu le rencontrer. Mais le destin en a toujours décidé autrement. Je n’ai pu malheureusement faire sa connaissance que l’année dernière. Que dire ! Il correspondait tout à fait à l’image que je me suis faisais de lui. Un homme bien dans ses baskets et droit dans ses bottes, même si tout chez lui inspire la simplicité, la discrétion et même une certaine pudeur. Celle-là même que l’on ne trouve que chez les Amazighs qui ont toujours baigné dans leur culture maternelle. Ce qui est le cas de ce fils prodigieux d’Ihahan. Même s’il a perdu, malheureusement, le très charmant accent qui caractérise tant cette partie du Souss.

Attablés à la terrasse feutrée d’un café en plein centre d’Agadir, il s’est alors épanché sur ses multiples activités. Le geste lent, le regard trahissant une volonté inébranlable, le ton toujours lénitif, le phrasé souvent concis si ce n’est nerveux, il m’a longuement parlé sur la culture amazighe, le militantisme associatif, les joies et les dépits de l’écriture et tant d’autres choses. Pour tout vous dire, échanger avec un homme de ce calibre était pour moi plus qu’un plaisir. Un véritable enchantement. Je ne voyais même pas le temps passer. Même si je savais que je l’empêchais de s’adonner à ses habitudes quotidiennes, j’insistais énormément pour que l’on se voie encore une fois. Il acceptait toujours comme s’il avait peur de m’offusquer.

Chemin faisant, j’ai découvert un homme d’une grande sensibilité avec un sens de l’engagement, voire de don de soi, très rare chez les nôtres. « Même si je ne roule pas sur l’or, tous mes livres sont publiés à compte d’auteur », me dit-il. « Il ne faut jamais s’attendre à gagner de l’argent en écrivant, mais peut-être un jour…», souligna-t-il tout à fait confiant. L’optimisme, il en à en revendre. Toujours aussi pédagogue -avant sa retraite, il était professeur-, il arrive toujours à montrer, d’une manière on ne peut plus claire et avec des mots extrêmement simples, le côté positif des choses. En réussissant, toujours, la gageur de convaincre.

Un as du tamazight

Quant à la connaissance de la langue amazighe, il faut dire qu’il est tout simplement imbattable. Il en maîtrise toutes les subtilités et tous les secrets. Il a en a fait plus d’une fois la démonstration dans ses très nombreuses publications (Tawargit d imikk, Iijjigen n tidi…). Mais il est toujours continuellement avide d’en savoir davantage. D’ailleurs, il a un grand sens de l’écoute. Sans jamais gober béatement tout ce qu’on lui dit. En fait, il est extrêmement critique, y compris avec lui-même. Car il sait pertinemment que le domaine amazigh grouille de beaucoup de dilettantes qui peuvent dire tout et n’importe quoi. Et j’en ai eu la preuve. À mes dépens en plus.

Exemple : lorsque je lui avais dit que la banane en tamazight se dit « ikiwd », il a été plus que sceptique même s’il le cachait derrière un long sourire complice. Mais quelques jours après, il en a eu la confirmation la plus indiscutable lorsqu’on avait été, ensemble, à Aourir où l’on produisait de la banane depuis la nuit des temps. Et ce, de la bouche même d’un fils de la région et vendeur de bananes de son état.

Dda Moh est ainsi. Un homme de rigueur, de sincérité et de beaucoup d’efficacité. Si l’on avait plusieurs comme lui, il est plus que certain que le destin des Amazighs aurait été autrement. En tous les cas, il n’aurait pas été aussi tragique que ce qu’il est maintenant.
*****Si vous voulez en savoir davantage sur M. Akounad, vous pouvez visiter son site Internet où il écrit régulièrement des chroniques en tamazight : http://www.akunad.com/*****