vendredi, février 03, 2006

Amazighité en Libye : « Il y a beaucoup de chemin à parcourir... »

À l'invitation du chef d'État libyen, Mouammar Kaddafi, une délégation du Congrès mondial amazigh (CMA) a pris la destination de Tripoli pour une visite qui a pris au dépourvu presque tout le monde. Énormément de choses ont été dites de ce périple, mais rien de vraiment crédible. Notre entretien avec Abdellah Fandi, militant actif au sein de Tamaynut-France et membre du bureau fédéral du Congrès mondial amazigh, arrive à point nommé. Pour, d'une part, remettre les choses au clair et, d'autre part, couper court à toutes les rumeurs et autres interprétations hâtives.

L.Oulhadj : Pourquoi le Congrès mondial amazigh (CMA) a-t-il été invité en Libye ?

A. Fandi : Nous avons été invités pour discuter principalement de tous les sujets ayant trait au tamazight et aux Amazighs en Libye. En fait, les autorités libyennes considèrent le CMA comme une organisation sérieuse et un partenaire crédible qui peut apporter une nouvelle dynamique dans la construction de l’union des États de cette région du monde.

Pouvez-vous nous raconter les circonstances de cette invitation ?

Nous avons été contactés pour la première fois par les autorités libyennes, à la fin du mois d'août, juste après notre dernier congrès à Nador. Elles nous ont par la suite invités, si surprenant que cela puisse être, pour carrément visiter la Libye. Ce qui a donné lieu, comme vous pouvez l'imaginer, à un débat très animé au sein du bureau fédéral au cours duquel la décision a été prise d'y répondre positivement. Pour tâter le pouls des officiels libyens, un premier déplacement à Tripoli, qui s'est d'ailleurs déroulé dans de bonnes conditions, a été effectué du 4 au 7 novembre 2005. Ce qui a incité notre Président, Lounès Belkacem, à faire part à M. Kaddafi, lors de leur tête-à-tête du 5 novembre 2005, de sa volonté de revenir en décembre, mais avec une délégation plus élargie. Ce à quoi Kaddafi a répondu : " Venez quand vous voulez, vous êtes chez vous ! " Ainsi s'est envolée pour la Libye, afin d'y séjourner du 17 au 26 décembre 2005, une délégation composée de membres du bureau fédéral et de responsables régionaux du CMA.

Quels sont les sujets que vous avez évoqués avec Kaddafi ?

L'entretien avec le chef d'État libyen a duré plus de trois heures au cours duquel nous avons rappelé les fondements et les fonctions du CMA, ainsi que ses principales revendications. Les membres de la délégation ont manifesté leur joie de se trouver sur le sol de cette partie du Tamazgha. Et ce, afin de poursuivre les discussions entamées le 5 novembre 2005, en vue de chercher des solutions appropriées à la situation difficile que vivent les Amazighs libyens et pourquoi ne pas accomplir, de concert, des projets tangibles visant la promotion et la réhabilitation réelles de l'identité amazighe. Les membres du CMA ont tenu à souligner que cette visite était suivie de près par tous les Amazighs du monde, et qu'ils en attendent des décisions concrètes qui mettront un terme aux multiples discriminations anti-amazighes. Pour que, enfin, l'égalité des citoyens et le respect de la diversité culturelle et linguistique en Libye ne soient plus un vœu pieux, mais une réalité palpable.

Kaddafi est-il bien informé sur la question amazighe ? Autrement dit, lit-il la littérature du mouvement amazigh ou se contente-t-il des préjugés habituels ?

Lorsque nous sommes entrés dans sa tente, nous avons remarqué, placés sur une table, plusieurs ouvrages sur le tamazight et l'histoire des Amazighs. Vraisemblablement, il a essayé de se préparer pour notre rencontre. Mais, malheureusement, seules les thèses saugrenues de son compatriote Fahmi Khachim ( un spécialiste un peu farfelu de la question amazighe, NDLR) ont chez lui force de vérité. Ce qui s'est confirmé bien des fois lors de nos échanges. Il n'a eu de cesse de répéter ses arguments et ses idées. Or, si étonnant que cela puisse être, sur les grandes lignes de nos analyses et revendications, et c'est mon impression personnelle, nous avons eu beaucoup de points de convergence. Quant aux réalisations, précisons-le, c'est une autre paire de manches. Nous savons que les choses ne peuvent être changées d'un coup de baguette magique, car le chemin est pavé de beaucoup d'embûches. Mais l'espoir est permis : nous avons convenu de nous revoir fréquemment pour faire le point et faire avancer progressivement la question amazighe. Par ailleurs, et c'est un signe de reconnaissance de notre combat, le leader libyen nous a avoué à la fin de nos entretiens qu'il voue beaucoup de respect et d'admiration pour ceux qui croient dans une cause et qui ne ménagent rien pour la défendre. Ce qui est bien évidemment le cas des Amazighs.

Y aura-t-il des projets communs entre le CMA et le gouvernement libyen ? J'ai lu quelque part qu'un colloque international sur les Amazighs aurait lieu à Tripoli, est-ce vrai ?

En effet, nous nous sommes mis d'accord avec les autorités libyennes sur l'organisation d'un colloque ou d'une conférence internationale sur l'histoire et la culture amazighes (ou globalement sur l'Afrique du Nord, socialement, économiquement et culturellement). Mais nous ne pouvons pas vous donner plus de détails pour l'instant, car nous n'avons pas eu le temps d'en discuter d'une manière approfondie avec nos partenaires libyens. Ce qui est sûr, c'est qu'une commission paritaire permanente verra le jour incessamment. Elle aura pour mission d'assurer le suivi de ce projet ainsi que d'autres à venir. Elle se réunira d'ailleurs pour la première fois dans le courant du premier trimestre de 2006.

Ne croyez-vous pas que faire crédit à un homme aussi inconstant que Kaddafi, au point d'envisager avec lui des projets bilatéraux, risque de porter atteinte à votre crédibilité?

En fait, nous nous ne berçons pas d'illusions. La réhabilitation de l'amazighité passe et passera, sans aucun doute, par le travail et l'obstination des militants amazighs. Toutefois, toutes les initiatives qui peuvent apporter plus de visibilité et davantage de légitimité à notre cause, sont les bienvenues. Dans le cas de la Libye, c'est la première fois que le CMA est invité officiellement et au plus haut niveau par l'un des États du Tamazgha. Ce qui constitue - et il faut s'en réjouir- une reconnaissance de fait non seulement pour notre Organisation, mais aussi pour la question amazighe. Les discussions que nous avons eues avec M. Kaddafi sont d'autant plus importantes que nous avons là l'occasion d'approcher la personne la plus à même d'apporter rapidement les solutions aux problèmes posés. Qui mieux est, nos déplacements en Libye nous ont permis d’y rencontrer nos frères, de discuter avec eux et de nous rendre compte, par nous-mêmes, de la réalité amazighe dans ce pays. Nous pouvons vous dire que, depuis notre dernière visite, notre vision de la Libye a complètement changé et qu’elle occupera désormais une place de premier plan dans nos préoccupations.

Dans quel contexte avez-vous rencontré les militants du mouvement amazigh libyen ?

Il faut avouer, en toute modestie, qu'avant de nous rendre en Libye, nous ne les connaissions que très peu. Sauf le plus connu parmi eux, feu El-Mahroug Sifaw, et ceux qui se sont installés à l’étranger. Nous avions, en conséquence, nombre d'interrogations concernant la réalité amazighe dans ce pays. La visite effectuée dans la région de Nefoussa, située dans le Nord-Ouest, a donc été pour nous d'une très grande richesse et d'une immense satisfaction. Énormément de gens sont venus nous voir : ils nous ont parlé avec beaucoup d'audace. Nous avons vu de nos propres yeux que l'amazighité est bien vivante dans ce pays et qu'elle est défendue par un mouvement amazigh fort, dynamique et courageux. Nous avons été très agréablement surpris de voir qu'il est pourvu d'une conscience forte et partagée par toutes les générations. Et également par la convergence de ses vues avec ceux des autres pays du Tamazgha. Même les slogans sont exactement pareils que ceux que l'on peut entendre en Algérie ou au Maroc. Ce qui nous a donné un grand espoir et des arguments importants à faire valoir lors de nos prochains entretiens avec les dirigeants libyens.

Sont-ils aussi opprimés comme l'ont rapporté bon nombre d'Organisations des droits de l'homme ?

Les discussions entre M. Kaddafi et les membres de la délégation du CMA, ont été vives et intensives. Ce qui prouve au moins son intérêt pour la question amazighe. Nous n'avons pas omis de mettre l'accent sur les revendications de notre Organisation et ses recommandations fondamentales pour une coopération saine et sérieuse, à savoir : primo, une déclaration officielle du leader libyen en faveur de la reconnaissance de l'identité amazighe ; secundo, la levée de toutes les formes d'interdits et autres obstacles qui entravent l'expression de la culture et la langue amazighes ; tertio, la création d'une instance de coordination et de suivi de projets en vue de la réhabilitation effective et définitive de l’amazighité. Comme vous pouvez le remarquer, la deuxième recommandation porte sur l'abrogation des interdits et des obstacles qui entravent l'expression de la culture et la langue amazighes. Ce qui a le mérite de montrer qu'il y a encore beaucoup de chemin à parcourir.

Ont-ils des revendications différentes ou, finalement, ce sont exactement les mêmes que celles de tous les autres Amazighs ?

Leurs revendications ne se distinguent pas vraiment de celles de leurs frères dans le reste des pays du Tamazgha. La seule distinction, c'est que les porte-parole de ce mouvement amazigh se trouvent tous ou presque à l'étranger et tout le travail se fait dans la clandestinité la plus totale. En un mot, ils demandent la revalorisation de leur identité, dans toutes ses dimensions, et le respect de tous leurs droits culturels et linguistiques.

Votre dernier mot ?

L'aspect le plus important est que nos différentes activités en Libye étaient perçues positivement et avec beaucoup d’enthousiasme par les Amazighs de ce pays. Cette ouverture sur la question amazighe de Kaddafi est une chance pour nous. Il faut savoir la saisir pour aller le plus loin possible sur la voie de la coopération. Nous avons assuré aux officiels libyens qu'à partir du moment où l'on ne nous considère plus comme une source de division -ce qui passe forcément par l'acceptation pleine et entière de notre identité et de tous nos droits-, nous sommes prêts à œuvrer pour le développement et l'unité de l'Afrique du Nord et même de l'Afrique tout entière.
Lahsen Oulhadj

dimanche, janvier 29, 2006

Irak: Karamyan ou le génocide des Kurdes

Saddam Hussein était un tyran sanguinaire qui n’a jamais hésité à massacrer ses propres populations pour se venger de telle ou telle révolte ou tout simplement pour réaliser son rêve totalitaire d’arabiser totalement l’Irak.

Les Kurdes, ce peuple martyre nullement gâté par le destin, ont subi plusieurs massacres, mais le plus célèbre est de loin celui d’Al-Anfal. C’était une opération militaire d’une rare violence qui s’est étalée sur une période d’un an et demi. Plus exactement du printemps de 1988 jusqu’à la fin de 1989.

Quelque 182 mille hommes, femmes, enfants, vieux de Karamyan, une région kurde au nord de l’Irak, ont été déportés dans le sud, dans le plus grand secret. Ce n’est qu’après la chute du régime de Saddam, avec l’intervention américaine, que l’on a commencé à découvrir le terrible sort réservé à tous ces innocents dont le seul tort est de ne pas être des Arabes. Plusieurs charniers ont été d’ailleurs découverts un peu partout dans le désert irakien. Il est plus que probable qu’ils avaient été passés tous aux armes, car, à ce jour, aucun d’eux n’est revenu.

L’ex-dictateur irakien fait face en ce moment même à son procès dans une autre tuerie qu’il a perpétrée contre un village chiite, Dojail. À la suite d’un attentat raté contre sa personne, en guise de représailles, 184 personnes de ses habitants ont été tout simplement massacrées par les forces de l’ordre.

Les familles kurdes attendent donc impatiemment leur tour pour affronter Saddam dans un tribunal et panser un peu les blessures on ne peut plus douloureuse à cause de la perte des leurs dans des conditions pour le moins effroyables.
Lahsen Oulhadj

mercredi, janvier 18, 2006

Golfe: haro sur les immigrants

" Les pays arabes du Golfe seront en danger si jamais ils se décident à accorder massivement la citoyenneté aux travailleurs immigrés, car cela risque de changer radicalement leur composition ethnique et culturelle ", tel est l’essentiel de ce qui ressort des propos alarmants tenus par le ministre bahreïni du travail, Majid Ben Mouhsine al-Alaoui, le 15 janvier 2006, lors d’un entretien avec le journal panarabe, Asharq-alawsat.

Le ministre a tout à fait raison de s’inquiéter car le Golfe est la seule région au monde où les populations de souche sont minoritaires. Il faut dire que le boom économique qui a suivi l’exploitation des richesses importantes en pétrole, les besoins étaient énormes en termes de main d’œuvre. Il était donc tout à fait logique de faire appel aux étrangers. Mais pas n’importe lesquels. Il fallait qu’ils fussent dociles et bon marché. Ce qui fut décidé, fut appliqué. Dès le début des années soixante-dix, des milliers et des milliers d’Indiens et de Sri lankais ont été invités pour travailler moyennant des salaires dérisoires dans les multitudes de chantiers et d’usines qui avaient éclos un peu partout dans la région.

Des décennies après, l’on vient se rendre compte d’une chose importante : ils sont, dans la majorité des cas, hindous, boudhistes et même chrétiens. Autrement dit, ils ne sont ni musulmans et encore moins arabes. Ce qui, à terme, peut constituer un gros problème pour les pays hôtes. D’où les craintes justifiées, mais légèrement exagérées, du ministre Bahreïni du travail qui affirme qu’ " il est possible que la culture arabe disparaisse à jamais dans le Golfe, qui risque de devenir un melting pot qui n’a absolument rien à voir avec les valeurs et l’identité de cette région du monde ".

Il a mis en garde les gouvernements locaux contre les dangers de toute décision internationale ou de lois législatives qui tendraient à les obliger à accorder la citoyenneté du pays d’accueil à ces immigrants. D’où son appel à limiter drastiquement leur nombre par un certain nombre de mesures pour le moins expéditives.

Cependant, une question se pose : pourquoi donc les monarchies richissimes du Golfe, si elles avaient réellement à cœur la défense de leur identité, n’ont-elles pas fait venir les millions d’Égyptiens et de Jordaniens misérables qui ont le mérite d’être arabes et de surcroît musulmans ? Pour une raison simple : se méfiant comme de la peste de leurs voisins, les pays du Golfe ont peur d’une déstabilisation de leurs pouvoirs par une présence forte de leurs ressortissants. Ils ont donc opté pour des pays lointains et de culture complètement différente. Sauf qu’il y a un prix à payer, ce dont s’inquiète à juste titre le ministre Bahreïni.
Lahsen Oulhadj